C’est un fameux bateau de douze ou treize étages et 330 mètres de long qui a été lancé à Saint Nazaire il y a un an, le MSC Preziosa. Ainsi va la civilisation thermo-industrielle qui offre des loisirs de masse à ses ressortissants, les faisant sortir d’un pauvre HLM banlieusard à un autre HLM au luxe clinquant. Ainsi les cabines modernes et élégantes du MSC Preziosa ne laissent aucun désir insatisfait. A bord, vous pouvez opter pour une cabine intérieure, une cabine extérieure, une cabine avec balcon, ou une suite avec ou sans fenêtre panoramique. Quel que soit votre choix, vous serez confortablement installé pour six nuits entre Bari et Venise à partir de 349 euros. Vous écraserez de votre illusoire majesté la vieille ville de Venise pour l’investir ensuite de votre suffisance… brièvement ! Mais une capacité de 4300 passagers, ce n’est pas assez. Le prochain bateau de croisières, déjà commandé, aura 5700 passagers et 1700 membres d’équipage : une petite ville réunie en un seul HLM flottant.
LE MONDE* titre sans rire « les Chantiers de l’Atlantique sauvés par la commande de deux paquebots géants ». Pas la moindre critique de ces grands travaux inutiles puisqu’on redonne « un avenir clair à ce site où travaillent 2200 personnes ». Peu importe la destination de l’emploi puisqu’il s’agit d’emplois. Le propriétaire coréen des chantiers navals (STX) travaille main dans la main avec le gouvernement français, actionnaire à 33 % de STX France. Peu importe que le conglomérat coréen soit en difficulté financière, les contribuables paieront en cas d’insolvabilité. Il est vrai que pour l’instant le marché français des croisières a progressé de 10 % par an depuis 2008 : vive la crise !
Un livre** qui devrait être parmi vos favoris a bien décrit l’enjeu du tourisme : « Les nazis auraient été les premiers à comprendre l’importance de la culture de masse. Avec tous les moyens à leur disposition, ils ont créé un monde d’illusions qui a entraîné un peuple entier au désastre avec sa complicité active. En fait, ce résultat n’est que la continuation logique de la Révolution industrielle. En coupant les travailleurs de leur base rurale et domestique, qui constituait leur principal moyen de subsistance et leurs réseaux de sociabilité, le capitalisme industriel a obtenu leur soumission. Cette domestication des travailleurs s’est accompagnée du développement d’une culture de masse. Elle se définit comme un ensemble d’œuvres, d’objets et d’attitudes, conçus et fabriqués selon les lois de l’industrie, et imposés aux humains comme n’importe quelle autre marchandise. A partir du moment où le salariat s’étend à une majorité de la population, les dominants ne peuvent plus se contenter uniquement des rapports de force bruts. A ceux-ci, toujours nécessaire en dernier recours, s’ajouter la fabrication du consentement. La culture de masse est un élément essentiel de la reproduction de la société dominante. Le divertissement a pris de telles proportions qu’il menace les racines anthropologiques d’une civilisation. La lutte contre le divertissement n’est pas marginale ou périphérique. Lutte de classe et contestation culturelle doivent donc aller de pair. »
* LE MONDE éco&entreprise du 21 mars 2014
** Divertir pour dominer (la culture des masse contre les peuples) éditions de l’échappée 2010