Andreas Malm, le Karl Marx de l’écologie

Militant trotskiste de la IVe Internationale en Suède, Andreas Malm relie l’écologie au marxisme. En 2009, il commence sa thèse sur le capitalisme fossile. L’idée-force, résumée dans « L’Anthropocène contre l’histoire » : ce n’est pas l’humanité qui est devenue une force géologique, mais le capitalisme fossile qui est né en Angleterre avec la machine à vapeur de James Watt, d’où la préférence d’Andreas Malm pour le mot de « capitalocène ». Andreas Malm participe aux actions de Ende Gelände, ce groupe d’origine allemande capable de s’introduire dans des mines de charbon et de s’allonger sur des voies ferrées transportant du lignite. Sans doute le stade le plus avancé à l’époque de la lutte pour le climat en Europe, mais tout ce qui pouvait être catégorisé comme violence a été scrupuleusement évité.

Le récent livre de Malm tiré de cette expérience. « Comment saboter un pipeline » (2020) marque un tournant. L’activiste et théoricien suédois y affirme que la troisième vague de mobilisation écologiste contre le réchauffement climatique doit en partie rompre avec la non-violence. Andreas Malm invite le mouvement à dépasser le pacifisme et à recourir à l’action violente, non contre les personnes, mais contre les infrastructures du capitalisme fossile. « Nous devons faire de la crise du réchauffement climatique l’occasion d’une révolution », affirme ce théoricien d’un « léninisme écologique », partisan du blocage et du sabotage des infrastructures du « capitalisme fossile ». Mais le livre ne donne pas de leçons de sabotage. Le film du réalisateur Daniel Goldhaber, How to Blow Up a Pipeline, sorti le 7 avril dernier aux Etats-Unis, est bien plus explicite puisqu’il met en scène un groupe de huit jeunes qui décident de faire sauter un oléoduc au Texas.

Andreas Malm : « Mon livre a été publié au bon moment, en 2020. L’idée était dans l’air. La pandémie refluait et le mouvement climatique réfléchissait à l’étape d’après. Dans les milieux écologistes, il était communément admis qu’il fallait essayer quelque chose de différent et de nouveau. Le sabotage pouvait être la nouvelle méthode d’action.. On n’apprend rien sur la façon de saboter un pipeline, mais il s’agit d’une réflexion sur la façon d’agir dans un monde en feu. Le mouvement climat ne doit pas cibler les gens, notamment en essayant de s’en prendre physiquement aux individus qui sont derrière les entreprises de combustibles fossiles. Toute la discussion autour du sabotage dans le mouvement porte exclusivement sur le ciblage de biens, de choses, d’objets inanimés. La tournure que prend la crise climatique est telle qu’il ne reste plus que des options extrêmes. » 

Nicolas Truong : Sainte-Soline, le 25 mars 2023, l’un des plus importants conflits de l’écologie. Sans doute a-t-on assisté à « la première lutte en Europe contre un projet d’adaptation au changement climatique », analyse le théoricien et activiste suédois Andreas Malm. Les guerres du climat ne se déroulent plus uniquement sur les champs de bataille de lointaines nations asséchées ou dans les mers des archipels submergés, elles fracturent désormais le cœur même de nos sociétés. D’un côté, le monde de l’agriculture intensive qui creuse des bassines géantes afin de capter l’eau nécessaire à la production de céréales destinées à l’industrie agroalimentaire. De l’autre, des partisans d’une agriculture paysanne, qu’elle soit d’élevage ou maraîchère. D’un côté, le productivisme et les grandes cultures. De l’autre, la sobriété et l’agroécologie. La matrice : les nouvelles cosmologies, la sensibilité au vivant et la pensée terrestre. La méthode : l’occupation semble plus efficiente que la manifestation. i les Claude Lévi-Strauss d’aujourd’hui conversent avec les zadistes et soutiennent la Terre qui se soulève, c’est parce que la réalité a pris la forme de la radicalité. Elle oblige, comme y invite l’étymologie d’origine latine et la pensée critique, à « saisir les choses à la racine ». C’est pourquoi nous assistons peut-être à la naissance d’une internationale terrestre dont les actions radicales sont autant de manifestes.

le point de vue des écologistes activistes
D’accord avec ces constats, d’accord avec la nécessité de s’orienter vers une radicalité franche et sans concession. 1972 le rapport sur les limites de la croissance, 1974 la candidature de l’écologiste René Dumont à la présidentielle… cela fait 50 ans qu’on se f…. de la g….. des écologistes et de l’impérieuse nécessité de protéger le vivant. L’accumulation scientifique des preuves, la réalité des bouleversement structurels opérés, la pédagogie de la catastrophe … tout cela n’a servi à rien, que ce soit au niveau des gouvernements, des industriels … et au niveau des citoyens bien peu sont prêts à faire des efforts. Or en politique, tout est dans le nombre. Une Greta Thunberg est une jeune Stockholmoise, un million de jeunes, une force avec laquelle compter. Aucun discours ne poussera jamais les classes dirigeantes à agir.

L’idée que la seule manière d’obtenir gain de cause serait la non-violence a été construite par les universitaires. Et il n’y a pas de loi générale disant que dès que vous commencez dans des modes de confrontation plus violents, le mouvement meurt. Les seules questions de fond à se poser sont : s’opposent-elles aux causes de la crise écologique ou l’aggravent-elles ? Est-ce que ces actions sont susceptibles d’être comprises ? Car on ne peut pas envisager un mouvement de masse avec moins de personnes. Mais tout mouvement d’influence structurelle commence par des actes individuels illégaux, condamné par le cadre légal, le gouvernement et la plus grande partie de l’opinion publique à un moment, mais reconnu par la suite comme « ce qu’il fallait faire ». Des cibles choisies avec soin, comme les SUV des plus riches dont on dégonfle les pneus, un aéroport de jets privés ou une usine de ciment, offrent un meilleur potentiel pour que d’autres personnes rejoignent la lutte…

Comme tout consensus nouveau qui demande de repenser notre relation aux autres et au monde (par exemple, la fin de la monarchie, de l’esclavage, de la ségrégation, la mise en place des droits des femmes…), il ne se construira pas sans conflictualité et sans activisme radical. Car des conservatismes puissants sont à l’œuvre, cherchant à tout prix à protéger leurs intérêts. Il s’agit désormais de faire primer l’intérêt de tous les vivants sur celui de quelques-uns.

Nos articles antérieurs sur ce blog biosphere

non-violence, toujours (2008)

Urgence écologique et destructions de biens (2020)

Hymne au sabotage dans Le Guardian (2021)

Faut-il incendier les émetteurs radio/télé ? (2021)

Effondrement en vue, radicalité militante (2022)

Urgence écologique, le rôle de la violence (2023)

Sainte-Soline, halte à la violence d’État (2023)

Le point judiciaire sur la désobéissance écolo (2023)

10 réflexions sur “Andreas Malm, le Karl Marx de l’écologie”

  1. marcel duterte

    Tout ecofacho revendiqué verrait avec plaisr la destruction de barrages , d’ autoroutes surnuméraires, de barres d’ immeubles HLM dignes des monades rbaines (pour y loger surtout nos richesses pour la France) , la suppression de tout projet titanesque à haute densité en technologie inutile … Tout de même 😁😁😁

  2. J’avoue que le mot « capitalocène » me plait bien. Remarque c’est normal, vu que je suis un anti-capitalo. Anarcho-gôôchiste de surcroît.
    L’usage de la violence pour arriver à ses fins est un débat sans fin, même chez les anarchistes il n’y avait pas de con sen sus. Quant à sa légitimité, une vaste blague.

    – Faut-il incendier les émetteurs radio/télé ? (2021) Faut-il crever les pneus des SUV ? Dégonfler les bassines, saboter les pipelines… etc. etc. ? That’s The Question !!!
    – Euh … qu’est-ce qu’ils en disent les sondages, à la con ? (Petite Girouette)
    – ON s’en fout ! Nous ON est POUR ! (Petite Biosphère)

    Et demain nous déba, euh pardon nous nous foutrons sur la gueule sur la question du Comment. « Comment saboter un pipeline », comment brûler ou crever les bassines etc. etc.
    ( à suivre )

    1. Et après demain, lorsque nous maîtriserons la technique du feu, celle du dégonflage, du barbouillage etc. nous remettrons ça pour tenter de répondre à cette autre question, à la con, juste manière de faire progresser, toujours plus, la connerie collective :
      – Puisque les idées évoluent, comme chacun de nous, et comme tout d’ailleurs… puisque seuls les imbéciles ne changent jamais d’avis, c’est ce qu’ON dit… puisque ce qui était inacceptable hier est aujourd’hui acceptable… que les infréquentables sont désormais fréquentables, que s‘ils ne l’étaient pas déjà ils sont TOUS nos amis, et leurs amis nos amis… bref, au stade où nous en sommes pourquoi ne passerions-nous pas à l’étape supérieure ? Après les infrastructures du capitalisme fossile, pourquoi ne dirigerait ON pas cette violence contre des personnes ? Et sans con cession !
      ( à suivre )

      1. Imaginons la profondeur du «débat ». (Sortez vos mouchoirs)

        – Ah ben non ! Ça c’est inacceptable, impensable ! (Modération à la con)
        – Tout de suite le sophisme de la pente glissante, n’importe quoi ! Toute façon c’est pour la Bonne Cause ! (Grande Sophie)
        – C’est sûr ! Toute façon faut bien se battre pour avancer ! (Grand Yaka)
        – Dis Papa c’est quand qu’ON va où ? (Petit Candide)
        – ON s’en fout ! Vaut mieux pomper d’arrache pied même s’il se passe rien que de risquer qu’il se passe quelque chose de pire en ne pompant pas. (Si ça marche pas, ce sera pas faute de pas avoir essayé.) Et quand ON sait pas où ON va il faut y aller et le plus vite possible. (Grand Papa Shadok)
        – Vu comme ça c’est pas con. (Con Vaincu)
        – Justement il faut alors en discuter ! Et vu que ça urge je propose qu’ON passe de suite au vote. Qui est POUR qui est CONTRE ? (Démocrate à la con)
        – etc. etc.

  3. C’est une folie que dans l’état écologique de la planète et dans le manque d’essence à venir nous voulions encore construire des autoroutes ! Quand comprendrons-nous ?
    Vivement le jour où l’on détruira une autoroute et la remplacera de bout en bout de la France par une longue forêt. Voilà qui serait sage et qui ferait du bien.

    1. Je suis d’accord avec vous, je suis CONTRE ces nouvelles autoroutes. C’est une aberration, d’autant plus qu’elles seront bientôt désertes. Seulement il restera ce béton, ce goudron, et il faudra un certain temps pour que la nature n’efface tout ça. En attendant, ici ou là l’homme aide la nature à reprendre ses droits. Par exemple en détruisant des barrages. Sauf que même là tout le monde n’est pas d’accord.
      – Pourquoi le démantèlement de barrages est-il une bonne nouvelle pour la vie sauvage en Europe ? (fr.euronews.com/green/2022)
      – Destruction des barrages : le patrimoine mayennais en péril (paj-mag.fr/2020)
      – Les barrages, un outil controversé dans la lutte contre le changement climatique (nationalgeographic.fr)

      Mon dieu que c’est compliqué ! En attendant, si des fois il vous venait l’idée de faire péter le barrage de Cap de Long j’espère que vous me préviendrez assez tôt. Même si parfois je vous taquine un peu, mon cher Didier. 🙂

      1. Aucun danger pour le barrage j’adore la région du lac de Cap de long où je suis monté en vélo et toute la vallée de Lanemezan, Arreau, Saint lary, Tramezaigue jusqu’à la montée qui va vers le tunnel d’Aragnouet puis vers l’Espagne m’est sympathique, je ne ferai pas de mal au barrage, (ni à rien d’ailleurs, c’est pas mon truc la destruction) Votre région est magnifique. Toutes les montagnes autour du Néouvielle et l’ensemble des lacs sont vraiment splendides.

  4. La coordination des opposants à l’A45 (entre Lyon et Saint-Étienne) apporte son plein et entier soutien aux mobilisations contre les projets autoroutiers Toulouse-Castres A69:
    « Il est temps de mettre en déroute ces projets sinistres et surannés. Combien de fois avons-nous entendu qu’il ne fallait pas s’opposer au « progrès » et que seule une nouvelle autoroute permettrait de désenclaver Saint-Étienne et d’apporter bonheur et prospérité aux territoires traversés par cette autoroute inutile ? Mais la crainte de voir les tracteurs s’opposer aux engins de Vinci et une zad s’implanter aux portes de Lyon et de Saint-Étienne a changé la donne : c’est l’opposition à l’A45 qui a grandi et ses partisans qui se sont trouvés démunis et acculés. »
    https://reporterre.net/Bloquer-un-funeste-projet-d-autoroute-c-est-possible?utm_source=newsletter&utm_medium=email&utm_campaign=nl_hebdo

  5. Laury-Anne Cholez

    Manifestation contre la future autoroute A69 entre Toulouse et Castres…. Marches, manifestations, pétitions, recours en justice… Les opposants historiques ont multiplié les actions pour s’opposer à ce long ruban de béton…. Des militants d’Exctinction Rebellion ont tagué les locaux du concessionnaire et occupé une maison expropriée par les travaux. D’autres collectifs anonymes ont, notamment, saboté une pelleteuse.
    https://reporterre.net/A69-les-raisons-de-la-colere-contre-l-autoroute-Toulouse-Castres?utm_source=newsletter&utm_medium=email&utm_campaign=nl_hebdo

  6. Valérie Masson-Delmotte

    « Je veux dire très clairement mon rejet de toute forme de violence. Je ne me reconnais pas dans une société où le dialogue est impossible, et où la violence mène à la violence… Gravité. Quelle est la menace la plus grave ? Est-ce la poursuite de tendances non soutenables ? Ou bien est-ce la contestation qui dérange ? Les mouvements sociaux pour la justice climatique qui prennent de nouvelles formes d’actions de résistance non violentes, parfois perturbatrices, font partie des catalyseurs. »
    https://reporterre.net/Valerie-Masson-Delmotte-Je-ne-me-reconnais-pas-dans-une-societe-ou-le-dialogue-est-impossible?utm_source=newsletter&utm_medium=email&utm_campaign=nl_hebdo

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