Arrêtons le numérique, retour au papier

L’inquiétant bilan carbone du secteur numérique fait débat ; les tenants de la recherche d’efficacité des systèmes s’opposent aux partisans d’une plus grande sobriété, donc d’une réduction des usages. Ce n’est qu’un exemple particulier de la remise en question de la recherche-développement.

David Larousserie : Un vent de rébellion souffle dans les laboratoires d’informatique au sujet des conséquences environnementales de leur activité. La quantité de gaz à effet de serre émise par le secteur du numérique augmente de 6 % par an. De quoi recadrer les discours triomphalistes des promoteurs des technologies numériques appelées à révolutionner la santé, le transport, l’agriculture, l’environnement…La réponse aux questions d’environnement n’est pas que technologique. Elle doit être systémique. Denis Trystram fait part de sa propre expérience : « J’ai travaillé à faire faire des gains de performance de 30 % à 40 % pour différents calculs d’optimisation, mais c’était lutter contre des moulins à vent, car on fait de plus en plus de calculs… C’est une fuite en avant. »

La loi Antigaspillage pour une économie circulaire (AGEC), promulguée il y a plus de trois ans, est encore en discussion. En attendant, une approche simplifiée est autorisée, qui conduit à appliquer la même empreinte, 3,95 kilogrammes de CO2 par mois, à tous les utilisateurs des réseaux fixes, quelle que soit leur consommation de données, mais surtout quelle que soit la qualité de leur box, et que celle-ci soit allumée ou éteinte…

Aux Green Days, on a rappelé un avis du comité d’éthique du CNRS de décembre 2022, selon lequel « la responsabilité environnementale impose de réfléchir à la pratique de la recherche au quotidien et aux sujets et voies de recherche ». Toute recherche n’est pas bonne à mener. Il nous faut ouvrir le débat pour dépasser la seule optimisation de nos calculs et limiter les dissonances internes qui nous habitent.

Le point de vue des écologistes technodouces

Michel SOURROUILLE : La conception d’une science neutre, motivée par la saine curiosité intellectuelle et la passion de la découverte, a aujourd’hui cédé le pas au vrai visage de la science moderne, rattachée par des liens organiques à la société industrielle qu’elle alimente en progrès illusoires et néfastes tout à la fois. … Les applications industrielles de la recherche scientifique ont permis un développement considérable des forces productives, entraînant désastres écologiques et décomposition sociale. C’est pour cette raison que je condamne la recherche-développement pour toutes ces découvertes qui font dorénavant partie de notre vie quotidienne : centrales nucléaires et téléphones portables, industries agroalimentaires et pesticides, voitures et TGV, tourisme spatial, etc.

Citoyen désabusé : Je ne pense pas que c’est le sens de l’histoire. L’homme fait plus, mieux, mais jamais moins.

TomHitb : Citoyen, ce n’est pas dur à comprendre. La quantité de ressources est limitée. Notre capacité à les exploiter est limitée elle aussi. A un moment il faudra faire avec moins de ressources. Pour savoir « quand », lisez l’AIE, le WRI et le GIEC. Si vous êtes plus heureux avec moins de ressources (= moins de tout ce qui est matériel), tant mieux.

Fouilla : Je connais des mamies qui culpabilisent à envoyer un email… alors que leur petit fils écoute à longueur de journée de la musique sur Youtube avec le flux vidéo HD qui va avec.Commençons donc par faire la guerre aux forfaits illimités (téléphonie et internet), ou aux abonnements avec smartphone,

Borbis : Il n’y a pas à tortiller, faut supprimer la 5G, supprimer le scrolling, supprimer le streaming pour des vidéos de m…, proposer l’audio systématiquement à la place, et bien sûr éduquer à l’économie des données ( une image de 500 ko sur un PC est largement suffisante alors que les standards sont souvent de 6 MO soit 12 fois plus, rien que ça ).

Corto Portuguais : C’est incroyable comme tout est mauvais dans l’activité humaine, bientôt il faudra ne plus rien faire !

Michel Lepesant : Dès qu’il s’agit de proposer une première vue d’ensemble de la mouvance décroissante, ce qui saute aux yeux c’est la présence de l’hybridation entre recherche scientifique et projet politique. Le chercheur doit prendre conscience que toutes ses recherches peuvent être biaisées par ses propres jugements de valeur. e chercheur doit prendre conscience que toutes ses recherches peuvent être biaisées par ses propres jugements de valeur. Nous pouvons même aller jusqu’à nous demander si un « chercheur décroissant » n’est pas un oxymore : car en tant que décroissant, il devrait être porté par une critique radicale dirigée contre les fables du Progrès ‑ dans le monde de « la croissance pour la croissance », « on n’arrête pas le progrès » ‑. Pourquoi et comment chercher quand on est un décroyant du Progrès ? Faut-il même (continuer à) chercher ?

Tout chercheur qui s’interroge sur son métier devrait lire la conférence de Grothendiek du 27 janvier 1972 qui commence par une décision personnelle – « Je suis arrivé ainsi à une position où, depuis un an et demi en fait, j’ai abandonné toute espèce de recherche scientifique ». Plus de vingt ans plus tard, le groupe Oblomoff (créé en 2004) publiera une plateforme (groupe Oblomoff, 2006) au titre explicite : Pourquoi il ne faut pas sauver la recherche scientifique. La recherche scientifique n’est-elle pas une forme d’extraction ? On a déjà beaucoup extrait de matières et d’énergie, le bon sens n’est-il alors d’arrêter d’extraire ? Toute recherche scientifique devient une recherche engagée.

Se pose donc d’emblée la question de la « neutralité », qui est encore souvent perçue comme une caractéristique centrale de la démarche scientifique. Le but n’est pas de nourrir le simple plaisir scientifique d’accumulation de connaissances, mais plutôt de nous éclairer sur ce qui nous arrive et qui pourrait arriver et pouvoir discuter sereinement des politiques à mettre en place dans une telle perspective. Alors pourquoi pourquoi tout les scientifiques ne sont-ils pas collapsologues ? Que ferait donc le militant-chercheur ? Il produirait du savoir engagé, c’est-à-dire distinguer les concepts dont on a réellement besoin.

Nos articles antérieurs sur ce blog biosphere

Recherche… sans développement industriel (2022)

Le numérique réchauffe grave la planète (2022)

Mort de la recherche-développement, enfin ! (2021)

Enfer numérique, dictature des chiffres (2021)

La fabrique du crétin numérique (2019)

La recherche scientifique, ça ne sert à rien (2017)

(discours d’Alexandre Grothendieck)

Le désastre de l’école numérique dans LE MONDE (2016)

La recherche scientifique, facteur du désastre en cours (2015)

Noël, sans achat de tablette numérique pour enfants (2012)

pour une décroissance de la recherche scientifique (2011)

évaluons la recherche (2008)

utopie numérique ? (2007)

quelle recherche ? (une recherche sans avenir, 2005)

Notre polarisation sur d’éventuels sauts technologiques dans la recherche à la mode (une mode déterminée par les industriels) nous empêche de consacrer toutes nos forces et notre attention à l’endiguement des dégâts que nous infligeons aujourd’hui à notre planète, donc à nous-mêmes. Le débat politique ne peut plus porter sur une enveloppe financière globale qui va sauver quelques emplois de chercheurs, mais sur notre manière de penser et de vivre qui pèse beaucoup trop sur la Biosphère et pénalise le sort des générations futures.