Compost et recyclage, l’illusion croissanciste

La bouse de vache que le paysan récupérait était d’une composition relativement simple. Avec la complexité des déchets des ménages, il est impossible de garantir la qualité du compost que l’on va récupérer. Urbanisation, surpopulation et surconsommation nous amènent dans une impasse. Baptiste Monsaingeon est l’auteur d’Homo detritus. Critique de la société du déchet. Voici son diagnostic.

Baptiste Monsaingeon : « La collecte séparée des déchets organiques aurait dû être mise en place bien plus tôt ! Depuis trente ans. Aujourd’hui il s’agit d’envisager la biomasse comme un nouvel or noir. Le souci, c’est que cela ne répond pas au problème de fond de la surproduction et de la surconsommation, mais que, au contraire, cela contribue à l’aggraver. Il y a un risque que le tri des biodéchets dans les foyers favorise paradoxalement des pratiques de gaspillage alimentaire. Les promesses du tout-recyclage nourrissent l’espoir qu’il est possible de continuer comme avant, malgré les bouleversements écologiques en cours. La mise en place des filières de recyclage n’a pas enrayé la production de produits jetables, par exemple. Pire, elle a pu constituer un argument permettant de rendre acceptable leur consommation.

Certains discours qui valorisent le compostage comme participant d’une économie circulaire perpétuent cette utopie d’une croissance illimitée. En visant à l’immortalité par la technique, les sociétés industrielles s’inscrivent en réalité dans une démarche mortifère pour l’environnement. »

Le point de vue des écologistes

Ours : Le rôle premier du recyclage, c’est de déculpabiliser l’acheteur ! Si l’on prend l’exemple des téléphones, toutes les marques insistent sur le recyclage et – plus encore – sur l’utilisation de matériaux recyclés. Cela permet de levé le frein au renouvellement convulsif des téléphones, un mouvement perpétuel – et donc sans impact – étant possible grâce au recyclage. Sauf que dans les fait, seul 1 % de la masse des téléphones est recyclé, les 99 % restant partant en décharge ! Ce qui est vrai pour les téléphones est vrai dans tous les domaines, pour tous les produits recyclés. Cela ne veut pas dire qu’il ne fait pas recycler – bien au contraire – mais que le recyclage ne doit pas être un alibi à une consommation effrénée.

Michel Brunet : Les « foyers » ne sont pas tant gaspilleurs que çà si on suit la chaîne alimentaire. 32% du gaspillage alimentaire a lieu pendant la phase de production (culture, élevage, récolte), 21% du gaspillage alimentaire se produit au moment de transformation (industries agroalimentaires), 14% des pertes alimentaires sont causées lors de la distribution (dans les commerces, industriels, grandes surfaces…), 33% de la nourriture gaspillée est jetée lors de la consommation (la moitié au restaurant et la moitié dans les foyers). Répartition du gaspillage alimentaire en France selon l’lnsee

O.Kusai : Je partage les constats de Baptiste Monsaingeon sur les déchets, mais je reste aussi sur un goût amer d’impuissance. Je me demande vraiment qu’est-ce que change un tel discours dans l’espace public ? Voir si ce n’est pas contre-productif (dois-je arrêter mon lombricompost) ? Où sont les solutions ? Et finalement, à quoi ça sert de produire du savoir ?

A. Meinier : La « croissance illimitée » est le substrat idéologique même du capitalisme thermo-industriel. Donc en sortir, c’est sortir du capitalisme. On a déjà essayé, on connaît le résultat !

Michel SOURROUILLE : Si elles pratiquaient le recyclage total, les populations industrielles mûrissantes, à population stable, pourraient aisément fonctionner grâce aux stocks d’acier, d’aluminium, de papier, de verre, etc., qui existent déjà. Mais le geste du tri sélectif avec le récipient particulier pour le compost, la poche transparente pour le recyclage, la poche ordinaire pour les déchets ultimes, le conteneur à l’extérieur spécialisé pour le verre ou le plastique, les récipients dédiés aux piles usagées ou aux huiles de vidange, tout cela entraîne un coût en énergie qui n’a pas d’avenir. Les boues d’épuration des centres urbains ne trouvent plus à se recycler, toute concentration d’activité sur un territoire pose des problèmes insolubles. L’avenir du déchet, c’est donc sa disparition à la source, le compost dans son propre jardin, le cabas à provision au lieu de la poche plastique, les objets réutilisables directement par l’usager.

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La croissance étouffée par ses déchets

extraits : Nos déchets forment désormais de véritables couches géologiques. Il est certain qu’aucune créature autre que l’homme n’a jamais réussi à souiller son nid en un temps aussi court. Dans son livre, Homo detritus, critique de la société du déchet, Baptiste Monsaingeon constate que jusqu’à la fin du XIXe siècle, le déchet n’existe pas. Les excréta urbains servent de matières premières, les chiffons sont récupérés, les boues organiques (épluchures et boues noires) servent de compost pour les paysans. L’apparition des poubelles marque l’abandon de ces vertueuses pratiques de synergie entre villes et campagnes. Le 24 novembre 1883, Eugène-René Poubelle, préfet du département de la Seine, impose aux Parisiens l’usage de réceptacles pour l’enlèvement des ordures ménagères…

Un univers sans déchets, possible pour zero waste

extraits : Béa Johnson, une Française installée près de San Francisco, est devenue la figure du mouvement international « zero waste ». Dans la famille Johnson, chacun a une garde-robe qui tient dans une seule valise. Béa, la maman, possède en tout et pour tout une vingtaine de vêtements. La vie doit être « hypersimple » et les vêtements, « multifonctionnels ». Passionnés du minimalisme, le maître-mot chez les Johnson est « usage multiple ». Leur philosophie tient en cinq principes : « Refuser le superflu ; réduire le nécessaire ; réutiliser ce que l’on achète ; recycler tout ce que l’on n’a pas pu refuser ; composter le reste. »…

Un composteur pour tous et toutes

extraits : A compter du 31 décembre 2023, toutes les villes européennes devront proposer une solution de tri des biodéchets à leurs habitants, dans le cadre de l’application du « Paquet économie circulaire » adopté en 2018 par le Parlement européen et les Etats membres. La France a retranscrit cet objectif dans la loi antigaspillage pour une économie circulaire, votée début 2020…

13 réflexions sur “Compost et recyclage, l’illusion croissanciste”

  1. il n’existe pas de ville autarcique, c’est une illusion. Chacune entretient des liens avec des territoires qui l’approvisionnent et qu’elle peut approvisionner. Et il est logique et nécessaire que les villes rendent à la campagne ce qu’elles lui prennent, comme elles l’ont fait jusqu’au début du XXe siècle.Malheureusement, la question de cette complémentarité entre la ville et la campagne n’est pas abordée aujourd’hui. Pour une région comme l’Ile-de-France et le bassin de la Seine, où plus de 40 % de l’espace est agricole, la récupération des fertilisants urbains permettrait, avec la généralisation d’un système de polyculture et d’élevage biologique, de sortir des engrais industriels. On sait que cela fonctionne, mais ce n’est pas à l’agenda politique. (à suivre)

    1. (suite) A partir de la fin du XVIIIe siècle et avec la première révolution industrielle, la circulation des matières organiques fait l’objet d’une organisation de plus en plus rationalisée. Les boues de rues sont mélangées avec des algues ou de la cendre pour les rendre encore plus fertilisantes.S i l’époque est quasiment zéro déchet en ville, cela ne veut pas dire que ces usages ne polluent pas, car ils peuvent avoir des effets désastreux pour l’environnement. Dans un premier temps, recyclage et valorisation vont aller de pair avec les politiques de salubrité urbaine. L’introduction de la poubelle, à Paris en 1883, est un changement important pour les chiffonniers, mais n’empêche pas la valorisation agricole. Le ramassage des excreta urbains agit à la fois « contre la faim sortant du sillon et la maladie sortant du fleuve », écrit Victor Hugo.
      (à suivre)

      1. (suite et fin)
        A partir de la fin du XIXe siècle, la découverte d’autres fertilisants marque un tournant. De nouveaux engrais industriels – phosphates fossiles, synthèse de l’ammoniaque à partir de l’azote de l’air – arrivent sur le marché et font directement concurrence aux engrais urbains.Parce que les matières organiques des villes deviennent inutiles s’impose au XXe siècle l’idée que l’on peut les abandonner à la nature. C’est le début des grandes décharges, sources de pollutions et de dégradations, qui vont se développer en périphérie urbaine. L’idée de « déchet » telle qu’on l’entend aujourd’hui naît de cet abandon. Le législateur en donnera une définition officielle en 1975, à savoir « tout bien meuble abandonné ou que son détenteur destine à l’abandon ».

        1. Esprit critique

          Les hommes ont toujours produit des déchets. De nombreux articles racontent l’incroyable histoire des déchets (sic castalie.com). L’idée de «déchet» est donc très ancienne. Elle a bien sûr évoluée, même depuis sa première définition officielle de 1975. L’idée récente veut qu’il n’y a plus de déchets… que tout (et n’importe quoi) est désormais recyclable… et se doit donc d’être recyclé, valorisé. Abracadabra et voilà, les déchets sont devenus des ressources.
          Demain un cercle sera un carré, une vessie une lanterne etc.
          En attendant, comment cette nouvelle idée (définition) pourrait-elle nous donner l’illusion que les déchets ne sont plus un problème ? Qu’au contraire ils sont formidables, que plus = mieux etc. Nous pousser toujours plus dans la folie, quoi. Soyons sérieux, il n’y a là aucune innovation ! Les hommes n’ont pas attendu le Développement Durable et l’Economie Circulaire pour utiliser leurs déchets à de multiples usages.

    1. Si celle-ci n’est pas simple… je vous laisse imaginer cette autre : COMMENT réduire la population mondiale de 50 voire 90 % ? Et ce proprement, humainement, durablement etc. bien sûr ! Bref, en France la lutte contre le gaspillage alimentaire (comme celle contre le Surnombre d’ailleurs) a déjà obtenu quelques résultats. Résultat : Peut et doit mieux FAIRE !
      Comme le Zéro Loupé dans n’importe quelle usine (peu importe qu’elle fabrique des pièces mécaniques, des steaks, des yaourts, des ingénieurs, des vendeurs ou n’importe quoi), le Zéro Déchet est bien sûr une illusion. Qu’elle est alors la juste mesure ? Une chose est certaine, elle est dépassée ! La capacité de charge aussi dira t-ON. 🙂
      Gaspillage alimentaire, gaspillage vestimentaire, obsolescence programmée, publicité, surconsommation etc. etc. Et tout ça au nom de quoi ? Vous le dites vous-même : Rentabilité, Business, Pognon, Compétition, Économie etc. Le Système quoi.

      1. Michel C se réfère à l’analyse d’un de nos correspondants, Jean-Marc Tagliaferri : « Le territoire français actuel, s’il venait à être privé d’engrais et de pétrole, pourrait nourrir durablement peut-être 30 millions de personnes « sobres »… »
        Michel C. s’insurge : « COMMENT faire disparaître 25 millions de personnes en surnombre… »
        Michel C. devrait savoir depuis dix ans qu’il fréquente ce blog biosphere que si des solutions douces du type contraception, égalité entre filles et garçons, éducation aux contraintes… n’était pas fait, ce sont malheureusement des solutions non désirées du type famine, guerres et épidémies qui feront le tri.
        Michel C, ne faites pas semblant de ne pas connaître ce message de Malthus.

  2. « Michel Brunet : Les « foyers » ne sont pas tant gaspilleurs que çà si on suit la chaîne alimentaire. 32% du gaspillage alimentaire a lieu pendant la phase de production (culture, élevage, récolte), 21% du gaspillage alimentaire se produit au moment de transformation (industries agroalimentaires), 14% des pertes alimentaires sont causées lors de la distribution (dans les commerces, industriels, grandes surfaces…), 33% de la nourriture gaspillée est jetée lors de la consommation (la moitié au restaurant et la moitié dans les foyers). Répartition du gaspillage alimentaire en France selon l’lnsee »

    1. 32 % du gaspillage par les producteurs de fruits légumes viande + 21 % par les industriels pour la transformation + 14 % par la distribution = Déjà 67 % ! Hors consommateurs. Bon les 33% restants, ne croyez pas qu’il n’y a que les consommateurs qui gaspillent aux restaurants, en faite les restaurateurs jettent beaucoup pour respecter les dates de péremption.

      Désolé mais on ne fera jamais croire que les français jettent 10, 20 ou 30 kilos de viande et fruits et légumes par mois ! Je demande à voir !

    2. Selon le Ministère de l’Agriculture :
      – « En 2020, le gaspillage alimentaire (GA) est estimé à 8,7 millions de tonnes en France.
      Ces données mettent notamment en évidence le fait que les ménages contribuent de manière conséquente au gaspillage alimentaire en France : ils génèrent à eux seuls 46% du gaspillage alimentaire total. Les industries agro-alimentaires produisent quant à elles 20% [etc. etc.] »
      (Gaspillage alimentaire : des nouvelles données pour la France – agriculture.gouv.fr – 23 octobre 2023)

      Selon la FAO :
      – «Chaque année, près d’un milliard de tonnes de nourriture est perdue ou gaspillée, soit un tiers de la quantité totale de nourriture produite dans le monde» (statista.com – 13 déc 2023)

      Après c’est toujours pareil, il faut voir d’où sortent tous ces chiffres. Voir notamment s’ils ne sortent pas, par hasard, du chapeau d’un gauchiste. Voir ensuite s’ils sont, ou pas, validés par Churchill. 🙂

      1. C’est très bizarre tes chiffres ! En effet où sont les chiffres des aliments jetés par les supermarchés ?
        Désolé mais les ménages ne jettent pas 46 % ! Il faudra que tu m’expliques comment tu as calculé ? Ou celui qui a rédigé ton article ? Vous avez fouillé la poubelle de 67 millions de français pour nous pondre une telle conclusion ? J’aimerais le détail technique de la procédure de ton calcul ?
        Moi ce que je constate étant qu’il y a déjà des millions de français qui sautent des repas car ils n’ont plus les moyens de s’acheter de la nourriture à la hauteur de leur nécessité ! Alors penses tu vraiment qu’il y ait des français qui jettent plusieurs kilos de viandes et fruits et légumes chaque mois ? Je n’y crois pas une seconde à ces bobards !

  3. Pour moi il ne faut pas tout mélanger et tout mettre dans la même poubelle.
    Que certains discours «écologistes» perpétuent l’utopie (le fantasme) d’une croissance illimitée c’est une chose, un fait. L’écologie est devenue n’importe quoi, elle a été récupérée par tout le monde, même les plus pourris, c’est comme ça.
    Ceci dit, même si l’impératif (le but) est bien sûr de réduire la production et la consommation, voir dans le tri des déchets autre chose qu’une simple affaire de bon sens me semble exagéré. Je ne vois pas pourquoi le tri des biodéchets dans les foyers favoriserait paradoxalement des pratiques de gaspillage alimentaire (sic). S’il suffit à certains de mettre la moitié du plat de ratatouille dans les biodéchets, et/ou de porter à la recyclerie ou donner à Emmaüs une fringue portée une seule fois pour avoir la con science tranquille… c’est en effet un problème. Mais c’est d’abord LEUR problème. ( à suivre )

    1. De mon côté, ce n’est pas parce que je m’applique à trier mes déchets (plastiques, papier, verre, métal, biodéchets etc.) que je n’ai pas conscience de la surconsommation, du gaspillage, de l’obsolescence programmée, de l’effet rebond etc. etc. Ni de tous ces business qui prospèrent aussi bien sur la production-consommation de tout et n’importe quoi, que sur la valorisation (recyclage) de ces fameux déchets.
      Quant à la qualité du compost que l’on va récupérer (note Biosphère) là encore c’est autre chose. Et quand bien même ce compost ne serait pas labellisé BIO … ne suffit-il pas pour fertiliser les jardins publics ? Ne vaut-il pas un peu (ou beaucoup) mieux que des engrais industriels ? Je crois qu’à trop se focaliser sur ce qui cloche, comme ici les résidus chimiques dans le compost (de toute façon il y en a partout), ON en arrive à ne même plus voir ce qui va dans le bon sens.

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