La croissance étouffée par ses déchets

Nos déchets forment désormais de véritables couches géologiques. Il est certain qu’aucune créature autre que l’homme n’a jamais réussi à souiller son nid en un temps aussi court.

Dans son livre, Homo detritus, critique de la société du déchet, Baptiste Monsaingeon constate que jusqu’à la fin du XIXe siècle, le déchet n’existe pas. Les excreta urbains servent de matières premières, les chiffons sont récupérés, les boues organiques (épluchures et boues noires) servent de compost pour les paysans. L’apparition des poubelles marque l’abandon de ces vertueuses pratiques de synergie entre villes et campagnes. Le 24 novembre 1883, Eugène-René Poubelle, préfet du département de la Seine, impose aux Parisiens l’usage de réceptacles pour l’enlèvement des ordures ménagères. Sous l’impulsion de l’hygiénisme, on banalise l’idée d’abandonner de la matière sans usage ultérieur. Cette idée est aussi un héritage du « progrès » techno-industriel. On délaisse la vidange des boues urbaines quand Justus von Liebig met au point les engrais chimiques dans les années 1860. Avec la découverte d’un procédé d’extraction de la cellulose, on n’a plus besoin des chiffonniers pour fabriquer du papier. Avant leur interdiction, en 1946, la France en comptait 500 000. On invente donc le déchet, qui désigne toute quantité de matière ou produit destiné à l’abandon, ce qui est toujours sa définition juridique actuelle, sanctionnée seulement en 1975 par la loi française (article L. 541-1-1 du code de l’environnement)*.

Plutôt que de réduire les déchets à la source, compostage privé, abandon total des emballages, chacun son cabas et ses pots en verre, nous faisons la chasse aux rejets intempestifs et aux dépôt sauvages. La civilisation du contrôle tout azimut étend son emprise sur nos comportements quotidiens, sur nos déchets. Il faut ramasser les crottes de son chien, ne pas cracher son chewing-gum, bien trier, ne pas se tromper de sac de poubelle, sinon gare. La brigade verte de la ville veille, des agents assermentés sévissent, procès-verbal et amende, on ne plaisante pas avec les ordures, la propreté administrative doit régner. Demeure un problème majeur, neuf fois sur dix les contrevenants ne sont pas identifiés**. Ce n’est pas à l’âge de pierre qu’on doit revenir, c’est à l’époque pré-urbaine du recyclage intégral sur place. Contraints par le manque d’énergie fossile il faudra bien s’y mettre. Prenez l’exemple des déchets organiques. Sur le plan technique, le lombricompostage domestique est très efficace. Et l’épicerie en vrac*** s’installe. Le changement d’imaginaire s’opère. Ecolo des années 1970 : le déchet est ingérable, la pollution et l’entropie nous submergeront. Ecolo des années 2000 : le déchet est immoral, la planète se vengera. Ecolo des années 2050, victoire, une société sans déchets. Le vert brigadier du futur qui trouvera un déchet pourra dire : « Bizarre, ce déchet-là, je croyais qu’il ne fallait plus le produire ». Nos articles antérieurs sur la question des ordures :

13 janvier 2020, La chasse aux cotons-tiges est ouverte

30 septembre 2018, Un univers sans déchets, possible pour zero waste

21 septembre 2018, Stocamine, le problème insoluble des déchets ultimes

7 octobre 2011, une civilisation étouffée par ses déchets

7 mars 2010, des déchets en héritage

* LE MONDE, 22 décembre 2019, L’abandon des déchets « est un héritage de la modernité industrielle (entretien avec Anne Guillard)

** LE MONDE du 20 février 2020, Déchets : les « brigades vertes », nouvel outil anti-incivilités des communes (Enora Ollivier)

*** Créée au printemps 2013 par Didier Onraita et David Sutrat, day by day, mon épicerie en vrac est née de l’envie de ces deux entrepreneurs de proposer un nouveau concept de magasin de proximité dans lequel le consommateur pourrait trouver les produits du quotidien vendus en vrac. En moins de 4 ans, day by day a déjà ouvert 40 magasins et ambitionne d’avoir plus de 100 magasins en France et à l’Etranger d’ici deux ans.

Liste des magasins day by day en France disponible ici : http://daybyday-shop.com/magasin

1 réflexion sur “La croissance étouffée par ses déchets”

  1. – « jusqu’à la fin du XIXe siècle, le déchet n’existe pas. Les excreta urbains servent de matières premières, les chiffons sont récupérés, les boues organiques (épluchures et boues noires) servent de compost pour les paysans »
    C’est oublier que, de la même façon que les terrils sont des montagnes de déchets miniers, le quartier Montargueil à Paris est un immense tas d’ordures et de déchets divers. Que jusqu’au milieu du 19ème siècle Paris n’était que puanteur et saletés, ravagée par les épidémies de choléra, la Seine pourrie, les rats etc. Qu’à cette époque, comparée à Londres, Paris était un véritable cloaque, que c’est Napoléon III qui a lui a donné son image moderne en faisant notamment construire les égouts et les aqueducs.
    Nul besoin de rappeler que cet «hygiénisme» là , ou ce progrès ( avec ou sans guillemets selon les points de vue) ne date pas de cette époque. Que dans les ruines de la ville de Mohenjo-daro datant du IIIe millénaire av. J-C a été découvert «un système complexe d’égouts permettant à la plupart des habitations de la ville d’avoir accès à une salle de bain» (Wikipédia), qu’à Rome les premiers égouts remontent aux rois étrusques, que la cité des Parisii était tellement sale lors de la conquête romaine que les Romains lui donnent le nom de Lutèce (lutum = boue en latin) et construisent alors un premier réseau d’égouts, oubliés au fil de l’histoire, etc.
    Les humains ont toujours produit des déchets, tas ou «montagnes» d’éclats de silex, d’os, de coquilles d’huitres etc. Aujourd’hui les plus problématiques restent sans aucun doute ces déchets dits ultimes, les pires merdes produites par l’homme, ces déchets qui ne peuvent pas être «valorisés» (recyclés ou tout simplement incinérés), ceux qu’on planque sous le tapis, en attendant.

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