Des saumons qui meurent brûlés par la température trop élevée d’un fleuve aux USA. L’Ukraine devenue l’épicentre d’un conflit global de l’énergie et d’une crise alimentaire mondiale… l’écologie est assurément l’affaire du siècle, mais faut-il une écologie superficielle ou une écologie de rupture ?
Nicolas Truong : Notre modèle de développement est un modèle de destruction et la véritable guerre mondiale, c’est celle qui oppose notre espèce à son environnement global. Face à ce constat, deux types de réponse, deux écologies. Une écologie « superficielle » et une écologie « profonde », que le philosophe norvégien Arne Næss (1912-2009) s’est attaché à distinguer dès 1973. « Superficielle », en raison de son inclination à proposer des solutions techniques sans s’attaquer aux racines d’un productivisme axé sur une conception anthropocentrée du monde. « Profonde », parce qu’elle associe l’humanité à toutes les formes du vivant. La fracture s’amplifie entre une écologie « conciliatrice » avec le productivisme et une écologie « radicale » qui cherche à rompre avec lui.
L’écologie correctrice repose sur le « développement durable », une idée forgée par le rapport de la commission Brundtland en 1987 afin de « répondre au besoin du présent sans compromettre la capacité des générations à répondre au leur ». Elle s’articule notamment autour des notions de « transition » (des énergies fossiles vers les énergies renouvelables), de « compensation » (comme la plantation d’arbres afin de compenser l’impact carbone d’un trajet en avion), de « soutenabilité » et « d’adaptation ». Le Green Deal européen s’inscrit dans le cadre de cette écologie « conciliatrice ». Cette option libérale et croisanciste est rjoint paradoxalement par une grande partie de la gauche : « C’est le capitalisme qui détruit la planète, ça n’est qu’en détruisant le capitalisme qu’on sauvera la planète ». Une gauche désarçonnée qui craint que l’écologique supplante l’économique, que la nature détrône la culture, que l’amour des oiseaux remplace le soutien aux prolétaires, que l’attention aux terres damées détourne celle pour les damnés de la Terre. Rien ne garantit alors que communisme ou socialisme nous préservent des ravages de l’extractivisme. Syndicalistes révolutionnaires et marxistes sont largement intoxiqués par l’imaginaire du capitalisme industriel.
Rosa Luxemburg (1871-1919) pensait autrement. : « Savez-vous que j’ai souvent l’impression de ne pas être vraiment un être humain, mais un oiseau ou un autre animal qui a pris forme humaine. Au fond, je me sens beaucoup plus chez moi dans un bout de jardin, comme ici, ou à la campagne, couchée dans l’herbe au milieu des bourdons, que dans un congrès du parti… Les oiseaux chanteurs disparaissent d’Allemagne. Cela est dû à l’extension de la culture rationnelle qui détruit peu à peu les endroits où ils nichent et se nourrissent : arbres creux, terres en friche, broussailles, feuilles fanées qui jonchent le sol. J’ai lu cela avec beaucoup de tristesse. » Il existe aussi une droite qui estime que l’écologie est intrinsèquement conservatrice, puisqu’elle vise à « conserver » la biosphère. Les partisans de la révolution conservatrice s’attachent à combattre une mondialisation qui détruit aussi bien l’ethnodiversité que la biodiversité. L’écologie néo-droitière repose également sur le localisme, sans oublier une certaine conception de l’« écologie intégrale » qui s’oppose aux OGM comme à la PMA au nom de la résistance à l’artificialisation du vivant. Un « anti-immigrationnisme vert » cherche aussi à articuler écologie et immigration. Hervé Juvin assure que l’homme doit « défendre son biotope » face aux « espèces invasives ».
Le point de vue des écologistes
Les références à la droite, la gauche, et leurs extrêmes, deviennent obsolètes. L’urgence écologique appelle à dépasser l’antagonisme entre le travail et le capital, entre le social et l’économique. C’est en effet la durabilité des ressources et leur viabilité qui importe. C’est pourquoi l’écologie devient une valeur centrale qui va s’approfondir et s’épanouir tout au cours de ce siècle à condition que la face clairvoyante de l’humanité l’emporte sur sa face sombre et violente. Le manifeste marxiste de 1848 ne pouvait déboucher sur une révolution écologique. Il nous faut connaître maintenant des penseurs comme Jacques Ellul, Bernard Charbonneau, Ivan Illich, Alain Hervé, Serge Latouche, Phlippe Bihouix… Arne Naess. Rappelons les points principaux de la plate-forme de l’écologie profonde présentée par Arne Naess en 1973 : 1) le bien-être et l’épanouissement de la vie humaine et non-humaine sur Terre ont une valeur intrinsèque (en eux-mêmes). Ces valeurs sont indépendantes de l’utilité que peut représenter le monde non-humain pour nos intérêts humains. 2) la richesse et la diversité des formes de vie contribuent à l’accomplissement de ces valeurs et sont également des valeurs en elles-mêmes. 3) sauf pour la satisfaction de leurs besoins vitaux, les hommes n’ont pas le droit de réduire cette richesse et cette diversité. 4) l’interférence actuelle des hommes avec le monde non-humain est excessive et la situation s’aggrave rapidement. 5) l’épanouissement de la vie et des cultures humaines est compatible avec une diminution substantielle de la population humaine. L’épanouissement de la vie non-humaine requiert une telle diminution… 8) ceux qui adhèrent aux points précités ont obligation de tenter de mettre en place directement ou indirectement ces changements nécessaires.
Lire, Ecologie, communauté et style de vie d’Arne Naess (1976)
Lire aussi, Arne NAESS, Vers l’écologie profonde avec David Rothenberg (1992)
D’un côté la «profonde», la «radicale», la «pure», la «dure», la «Vraie» ! De l’autre la «superficielle», dite aussi «des petits pas», ou encore «conciliatrice», «corrective» etc.
Ah oui j’oubliais, on a aussi l’ «intégrale». Sans parler de la «politique », de la «sociale», l’«individuelle», la «punitive», la «liberticide» et j’en passe.
Et voilà qu’on nous ressort la «réformiste», dite également… «consensuelle».
Mais quand allons-nous arrêter les conneries !!!! Et quand allons-nous arrêter de finasser, de blablater, pour ne rien dire, de tourner en rond, de perdre du temps etc. etc.
Tout ça ne nous avance à rien, tout ça ne fait qu’en rajouter (toujours plus) à la Confusion. Résultat, même les plus combatifs en arrivent à perdre la Boussole.
L’Essentiel a déjà été dit depuis longtemps (Ellul, Charbonneau, Illich, Arne Naess et Jean Pass). En attendant on peut toujours en rajouter… Mais alors que ce soit clair.
– « Notre modèle de développement est un modèle de destruction »
Au moins ça c’est clair. Mais ça on le savait, d’autant plus qu’il n’y a pas que le philosophe Bernard Stiegler qui le dit. Un modèle de destruction, c’est sûr ! Et pas seulement de la nature.
– « Après le révisionnisme historique, voici le révisionnisme écologique. Il va falloir être très vigilant par rapport aux discours écologistes des fachos. Leur seul désir est de prendre le pouvoir et d’éradiquer une partie de la population, et maintenant sous couvert d’écologie, quitte à nier les problèmes majeurs auxquels nous commençons à faire face. »
(NO PASARAN – Mars 2007 > L’ecologie dans tous ses états > Ecologie réformiste)