Dans Le crépuscule fossile, Geneviève Férone-Creuzet avait écrit que l’avenir climatique se jouerait sur les marchés financiers : « L’ONG 350.org met en garde les investisseurs contre un effet de bulle financière dans l’hypothèse où les États se décideraient à faire ce que les négociation climatiques attendent d’eux : contraindre le volume des émissions de GES (gaz à effet de serre). Au fil des ans, des sommes considérables sont investies pour découvrir et exploiter de nouveaux gisements. N’est-il pas absurde de poursuivre ces investissements dans une telle incertitude ? L’argent injecté dans l’industrie des énergies fossiles, soit 6000 milliards de dollars, pourrait être ainsi purement et simplement perdu. Lors de l’assemblée générale des actionnaires de BP qui s’est tenu au printemps 2015, environ 98 % des actionnaires ont apporté leur soutien à une résolution en faveur d’une prise en compte du risque carbone dans les prévisions de rentabilité du groupe. »
Première capitalisation mondiale il y a moins de dix ans, Exxon n’est aujourd’hui qu’au 33e rang des entreprises mondiales. Son PDG entre 1993 eet 2005, Lee Raymond, combattait les mesures contre le réchauffement climatique et le protocole de Kyoto de 2005. Pourtant en 1979 un document interne du pétrolier Exxon, montrait déjà que les scientifiques de l’entreprise n’avaient aucun doute, « Au rythme actuel de leur combustion, les ressources fossiles provoqueront des effets environnementaux dramatiques avant 2050. » Mais entre cette date et 2014, alors que 83 % des articles scientifiques et 80 % des documents internes de l’entreprise reconnaissent que le changement climatique est réel et causé par l’homme, seulement 12 % de ses publirédactionnels tenaient le même discours, 81 % émettant au contraire des doutes sur la réalité du phénomène ou sur sa cause anthropique. En 2012 Robert Hirsch, un ancien directeur de la prospection pétrolière chez Exxon, annonce lors de la conférence mondiale de l’ASPO à Vienne que la production de pétrole – non conventionnel inclus – est entrée depuis 2005-2006 dans une phase de plateau instable. La société thermo-industrielle, dont l’énergie est fournie à 85 % par les fossiles, sera donc confronté assez prochainement à des turbulences pires que celles qui ont accompagné les chocs pétroliers de 1973 et de 1980.
Lors de l’assemblée générale du groupe ExxonMobil du 25 mai 2016, la majorité avait suivi le double argumentaire sur lequel la compagnie s’arc-boute : le monde a besoin de plus d’énergie et le salut climatique viendra des percées technologiques. Mais les actionnaires « durables » et « responsables » ont remporté une première victoire., ils avaient obtenu la nomination d’un administrateur indépendant. Neva Rockefeller Goodwin, l’arrière-petite fille de John D. Rockefeller à l’origine d’Exxon, a même vendu ses actions. Elle est convaincue que ses titres vont se démonétiser puisque, pour sauver la planète, il faudra laisser 80 % des énergies fossiles en terre. Et donc impacter les actifs sur lesquels repose la valeur du groupe pétrolier.
Lors de son assemblée générale le 26 mai 2021, Exxon a subi un camouflet sans précédent. Un fonds activiste, ne détenant que 0,02 % des parts, a réussi à faire élire au conseil de surveillance au moins deux représentants. Estimant que la politique « tout pétrole » d’Exxon lui faisait courir un risque existentiel, ces actionnaires ont réussi à emmener avec eux les grands investisseurs institutionnels de Wall Street. Le krach financier est déjà possible à cause des effets économiques de la pandémie, la probabilité ne peut que s’accentuer quand on se rendre compte que l’or noir, c’était le passé.
Pour en savoir plus grâce à notre blog biosphere :
Le réchauffement climatique à l’épreuve du marché
NB : La valeur des industries fossiles est calculée sur la quantité de ressources fossiles qu’elles sont susceptibles d’exploiter, soit environ 3 000 milliards de tonnes de carbone. Or nous ne pouvons brûler que 500 milliards de ressources fossiles pour rester en dessous des 2 °C de réchauffement. Le climatologue James Hansen a calculé comme seuil de sécurité une concentration limite de dioxyde de carbone [CO2], soit 350 ppm (parties par millions). À la fin du XVIIIe siècle, les taux de CO2 dans l’atmosphère étaient de 278 ppm. Le seuil de 350 ppm a été franchi vers 1990 et une concentration de 400 ppm a été atteint en 2015. En 2021, elle devrait dépasser les 417 ppm !
Lucie Pinson, directrice de l’ONG Reclaim Finance : « Le 18 mai 2021, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) appelait à ne plus investir dans de nouvelles installations pétrolières et gazières pour limiter le réchauffement à 1,5 °C. Pourtant Total prévoit d’accroître sa production de gaz de 30 % et de consacrer encore 80 % de ses dépenses d’investissement au pétrole et au gaz à horizon 2030. faut-il voter en AG des actionnaires contre ce plan dit « climat » ? La réponse est oui, plus que jamais.
Par contre plus de 30 % des actionnaires de Shell ont voté en faveur d’une résolution appelant l’industriel pétro-gazier à faire plus et mieux pour le climat. »
(LE MONDE du 27 mai 2021)
L’AIE peut toujours se donner un air écolo, elle reste au service du Système (Agence internationale de l’énergie, un leurre : Biosphère 19 mai 2021).
Rien d’étonnant à ce que Total investisse dans le pétrole et le gaz puisqu’il y en a encore pour quelque temps. Business as usual !
30 % des actionnaires de Shell ont voté en faveur d’une résolution appelant l’industriel pétro-gazier à faire plus et mieux pour le climat, la bonne blague ! Et quand bien même ils auraient été 100% , il suffisait alors que Shell plante quelques arbres de plus et les actionnaires auraient été contents. Et du coup tout le monde ou presque (Les géants du pétrole, amoureux des arbres ! Biosphère 20 mai 2021)
Contrairement à ses concurrents, Exxon a choisi de faire l’impasse sur le Renouvelable et de mettre le paquet sur le Pétrole et le Gaz. C’est probablement cette erreur stratégique qui explique sa dégringolade, bien que le pétrole et le gaz coulent encore à flots.
Là encore ce n’est qu’une simple affaire de confiance, sans laquelle tout s’écroule. Sachant comme tout le monde que tout à une fin, les investisseurs n’ont plus envie de faire confiance en Exxon. Et tout naturellement ils mettent leur pognon chez les autres, qui continuent à engranger avec le pétrole et le gaz, en attendant, mais qui donnent l’impression d’assurer leurs arrières avec des moulins à vent et autres.