La nécessaire rupture écologique exigerait du temps pour préparer les esprits à la notion de modération, de frugalité, pour transformer en profondeur nos modes de production, de distribution et de consommation, pour se passer progressivement des énergies fossiles. Mais depuis 1972 on a complètement occulté les limites de la croissance. Chirac pouvait dire en 2002 « notre Maison brûle » et nous avons continué à regarder ailleurs ! Vingt ans plus tard, le maître mot lors de la présidentielle 2022 était « pouvoir d’achat », et certainement pas « sobriété ». Ce délire de toute-puissance issu des énergies fossiles et de nos esclaves mécaniques a pris la forme d’un excès de narcissisme qui débouche nécessairement sur une issue tragique.
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Elisabeth Roudinesco : L’hubris (ou hybris, traduit par « démesure »), est une notion qui, dans la Grèce antique, renvoie à des attitudes excessives qui s’opposent à la tempérance et à la raison. L’homme qui s’adonne à la démesure se condamne lui-même pour avoir défié les dieux. Autrement dit, l’hubris va de pair avec l’idée que l’histoire humaine est tragique. Un chef d’État peut être atteint d’hubris avec l’illusion de maîtriser la situation. Ainsi Vladimir Poutine se pense le sauveur d’une « sainte Russie », menacée par des nazis ! Les dictateurs modernes n’ont pas conscience d’être soumis à un destin car ils se prennent pour le destin. Leur mort n’a rien d’héroïque, ils finissent dans leur lit (Staline), au fond d’un bunker (Hitler), pendus par la foule (Mussolini) ou condamnés à mort (Saddam Hussein). C’est bien pourquoi la bataille pour la civilisation démocratique, antidote contre tous les dangers de la démesure, est devenue un enjeu majeur.
Sarah Py : La démocratie contre l’hubris ? Quand chaque citoyen se fabrique sa volonté de toute-puissance, formatée par sa propre opinion, que devient la démocratie, sinon un patchwork qui ne se retrouve que dans les discours de valorisation de l’individu-roi ? Napoléon, je le vois comme exemple emblématique de cet hubris, refusant de quitter Moscou, contre ses généraux « Sire, l’hiver russe arrive ». Il n’est pas fou, non, il a perdu le contact avec le sens commun, la simple réalité des rigueurs de l’hiver. L’hubris résulte de la rupture du lien avec l’évidence des choses. Et rappeler quelques-unes de ces évidences, c’est une tâche de Sisyphe.
Michel SOURROUILLE : Au niveau de l’opinion publique, notre procrastination écologique, notre croyance en une Techno-science qui trouvera les solutions et notre consumérisme destructeur conduisent à notre perte. L’hubris des décideurs politiques et économiques fait le reste. Des dictatures se mettent en place pour gérer le chaos prévisible tout en l’accentuant. Poutine en ce moment, peut-être Marine le Pen bientôt. Fin de la civilisation thermo-industrielle, il y a belle lurette que les jeux sont faits.
Captain Obvious : L’hubris c’est le fantasme de la toute-puissance, c’est se prendre pour Dieu. Nul besoin d’être dictateur pour « souffrir » d’hubris. Certaines professions en recèlent en nombre : hauts fonctionnaires, mandarins de l’université, entrepreneurs start-upers…
Cécile : L’hubris existe partout où il y a de la hiérarchie, des relations de dominant et dominés. Le fait d’avoir du pouvoir sur les autres monte à la tête de nombre d’humains.
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L’Hubris s’observe aussi dans l’utilisation des mots. Et pas seulement des gros mots.
La (ou le) novlangue (voir Orwell) est l’aboutissement de la perte du sens des mots.
Cette perte n’est qu’un sympôme de la perte des repères. Quand on ne sait plus ce qu’est la droite et la gauche, l’avant et l’arrière, le bas et le haut, etc. etc. on ne sait plus où on habite.
Et quand on est dans cet état, on peut alors nous raconter n’importe quoi, nous faire avaler n’importe quelle couleuvre. Et même des boas. C’est ainsi que les marchands de salades nous disent qu’on peut avoir une chose et son contraire, et en même temps ! Que nous sommes en guerre et patati et patata ! Que le Pass c’est la Liberté, et Jean Pass ! Que ce qui se passe en Ukraine n’est n’est pas une guerre mais une opération militaire ! etc. etc. etc.
Biosphère regrette que le maître mot de la présidentielle 2022 était «pouvoir d’achat», et pas «sobriété». Je regrette, mais on nous en parle, de la Sobriété.
Seulement faut voir comment on nous en parle ! Et comme on nous parle. Ah le mal qu’on peut nous faire ! (Souchon – Foule sentimentale)
– « La sobriété n’est pas synonyme de décroissance » (ADEME – note du 22 mars 2022)
– « La sobriété ne doit pas s’apparenter à la décroissance […] La sobriété ce n’est pas la décroissance […] C’est consommer moins et consommer mieux, de façon intelligente et programmée dans la durée » (Macron – Sud-Ouest 13 et 14 avril 2022)
Je l’ai déjà dit, demain on nous vendra la Croissance Sobre.