Violence, contre-violence et dissolution

Cela fait maintenant plus de deux mois que Gérald Darmanin, le ministre de l’intérieur, a déclaré à l’Assemblée nationale que le groupement de fait Les Soulèvements de la Terre allait être dissous. Pourtant, depuis cette date, rien ne s’est passé. Ce cas illustre les limites du recours à la dissolution des groupes radicaux, qu’ils soient d’idéologie fasciste ou écologiste. Avant de développer l’argumentation, notez que pour nous il y a plusieurs sortes de violences à ne pas confondre. Il y a la violence du système thermo-industriel qui nous a enfermé dans une impasse, réchauffement climatique, extinction de la biodiversité, stress hydrique, etc. Face aux entreprises destructrices du vivant, il y a la contre-violence de quelques militants qui défendent les générations futures contre cette agression. Et puis il y a la violence d’État qui soutient la violence de ce système croissanciste aveugle.

Abel Mestre : Depuis l’adoption de la loi du 10 janvier 1936 pour lutter contre les ligues d’extrême droite de l’entre-deux-guerres et éviter un coup de force de type fasciste. Quelques 150 procédures de dissolutions ont été engagées. Au fil du temps, les critères de dissolution se sont élargis. Aujourd’hui abrogée, la loi de 1936 a été reprise telle quelle dans l’article L212-1 du code de la sécurité intérieure.

Modifié par la loi du 24 août 2021, il dispose que « sont dissous, par décret en conseil des ministres, toutes les associations ou groupements de fait qui provoquent à des manifestations armées ou à des agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens ».

Pour Me Pascual, une des avocats du collectif écologiste « Les Soulèvements de la Terre » cette nouvelle disposition est beaucoup trop vaste : « Cela permet de soutenir tout et n’importe quoi. Les violences contre les biens, cela n’existe pas. Rien que ce terme pose question. Par exemple, en pénal on parle de dégradations. Ces notions sont tellement floues et indéterminées qu’elles permettent de dissoudre des mouvements écologistes de base. Il n’y a pas eu une seule manifestation contre la réforme des retraites où il n’y a pas eu de dégradations. Cela veut dire que l’on pourrait dissoudre la CGT ou la CFDT ? »

Le dispositif connaît plusieurs limites. D’abord, une dissolution disperse dans la nature des militants radicaux qui sont plus faciles à surveiller quand ils sont rassemblés dans une organisation légale, qui les « canalise ». C’est l’inconvénient du “coup de pied dans la fourmilière”, on perd la trace des éléments les plus dangereux . En outre, la dissolution n’empêche pas les anciens membres de se replier sur une autre structure qui poursuit les mêmes buts mais avec un autre sigle. La structure disparaît, les idées continuent néanmoins de se diffuser. Enfin, la vraie limite de la sis solution est son obsolescence. Il vise des structures politiques « à l’ancienne », organisées et hiérarchisées, bien loin des nouvelles formes de militantisme radical, qui sont souples et fonctionnent dans une logique décentralisée.

Le point de vue des écologistes radicaux

HENRI F : L’important c’est de juger des idées. Certes le nazisme et ses épigones doivent être combattus. Mais l’écologie radicale doit elle être appelée écoterrorisme ? Certaines luttes sont à comprendre car conformes à l’intérêt général et collectif même si cela va contre les intérêts des entreprises mondialisées qui vivent de leurs rentes issues de la révolution industrielle.

Pfon : Le mouvement écologiste n’est ni d’extrême droite ni d’extrême gauche. Il est d’extrême écologie c’est à dire prêts à des actions d’éclats pour faire bouger les choses. Il est très clair aussi que plus les manifestations du changement climatique se feront sentir, c’est à dire dans les 10/20 ans qui viennent, plus il y aura de mouvements qui se radicaliseront. Faut-il les blâmer ? L’avenir des jeunes est bien sombre. Le malheur c’est que les dirigeants de cette planète ont tous, sauf exception, plus de 70 ans, qu’ils seront morts quand les gros problèmes arriveront, et que les bonnes décisions (coercitives) tardent à venir. Coercitives en effet car nous avons devant nous soit le chaos soit un changement de paradigme qui sera douloureux.

Gassendi : Commençons par faire payer aux casseurs les coûts de la remise en état de leurs destructions, ça calmera beaucoup de radicalité.

Nimbus : En revanche, dissoudre Total pour éco-terrorisme serait une grave atteinte à la démocratie !

Artemis purple : Dissolution de la FNSEA, groupe radical parmi les groupes eco-terroristes. Il y a longtemps que ça aurait dû être fait !!

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La nécessaire radicalisation des militants écologistes (2017)

extraits : Les opposants au centre d’enfouissement revendiquent des actes de « sabotage ». La petite commune de Bure est, du 19 au 26 juin, le foyer d’une semaine de mobilisation contre le projet Cigéo qui, porté par l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), est destiné à enfouir les résidus nucléaires français à haute activité et à vie longue. Or, ces derniers jours ont été émaillés d’actions violentes, dont la radicalité est revendiquée par les opposants à ce « cimetière atomique » : vol de matériel (caisse à outils, câbles en acier…), édification d’une barricade, dégradations dans un hôtel-restaurant situé en face du siège meusien de l’Andra… Il est même étonnant que si peu de militants s’attaquent à ce qui fait le malheur des générations futures, nucléaire, centrales au charbon, raffineries de pétrole, gazoducs, aéroports inutiles, etc.

Urgence écologique de la contre-violence

extraits : En Allemagne, les autorités criminalisent le mouvement écologiste radical Letzte Generation(« dernière génération »). Pourtant le mouvement écologiste est d’essence non-violente. Par contre la violence d’État par justice interposée signifie l’absence de sensibilité écologique d’un gouvernement quand il réprime férocement les militants. C’est le déni gouvernemental de l’urgence écologique qui fait en sorte que la non-violence peut se transformer en contre-violence, par exemple par la destruction de biens nuisibles à la planète. Saboter un pipeline, est-ce de la violence ? L’existence du pipeline n’est-il pas déjà une violence ?

Darmanin, c’est pas bien de dissoudre SLT

extraits : M. Darmanin peut dissoudre tout ce qu’il veut et continuer à pisser dans sa bassine. Ce n’est pas cela qui fera avancer la question de la non-adaptation de l’agriculture française à ce qui est déjà là. Qu’elle sèche donc avec son épis de maïs à la main, la terre se soulèvera quoiqu’il en soit.

Écologie radicale ou écologie réformiste ?

extraits : Notre modèle de développement est un modèle de destruction et la véritable guerre mondiale, c’est celle qui oppose notre espèce à son environnement global. Face à ce constat, deux types de réponse, deux écologies. Une écologie « superficielle » et une écologie « profonde », que le philosophe norvégien Arne Næss (1912-2009) s’est attaché à distinguer dès 1973. « Superficielle », en raison de son inclination à proposer des solutions techniques sans s’attaquer aux racines d’un productivisme axé sur une conception anthropocentrée du monde. « Profonde », parce qu’elle associe l’humanité à toutes les formes du vivant. La fracture s’amplifie entre une écologie « conciliatrice » avec le productivisme et une écologie « radicale » qui cherche à rompre avec lui.

4 réflexions sur “Violence, contre-violence et dissolution”

  1. Des manifestations massives ont suivi les élections législatives russes de décembre 2011, l’espoir revenait en Russie, de citoyens comprenaient enfin pourquoi un Etat de droit est nécessaire. Lors de cette « révolution blanche »,des centaines de milliers de jeunes gens étaient sortis avec des rubans blancs pour manifester pacifiquement à Moscou. Mais, une fois de plus, cela s’est soldé par une défaite.

    Une protestation non violente n’a aucune chance face à la puissance d’un régime dictatorial.

  2. – « … notez que pour nous il y a plusieurs sortes de violences à ne pas confondre. […] »

    Ce ne sont pas les formes de violences qui manquent, et il y en a bien plus que ces trois là.
    Sans parler de la guerre (la vraie), des violences conjugales, familiales, des agressions, des meurtres etc. les pressions exercées sur le travailleur (pour qu’il bosse plus, plus vite, moins cher, et puis qu’il ferme sa gueule), sur le chômeur (pour qu’il «accepte» n’importe quel job), sur le con-sot-mateur et j’en passe, ces pressions sont des violences (psychologiques).
    La violence d’État, la seule qui soit légitime (CRS, gendarmes, matraques etc.) fait évidemment partie de la violence du Système (système thermo-industriel, et capitaliste évidemment).
    Cette violence est nécessaire au maintien de l’ordre dans la société. Autrement dit la paix sociale, autrement dit encore… l’Ordre Établi. ( à suivre )

    1. La contre-violence reste une violence. Qui engendre la violence etc.
      Cette (contre) violence s’exerce donc DANS le Système. Mais pas nécessairement CONTRE… Dans les deux cas elle est ILLÉGITIME. Toutefois on peut parfois mettre des guillemets à « légitime ».
      – « La contre-violence, ou action violente « légitime » pour mettre l’agresseur hors d’état de nuire, y compris en le tuant, a été utilisée massivement dans l’histoire. Elle est légitimée, avec des limites et des règles plus ou moins réalistes et difficiles à respecter [etc.] »
      ( Violence et force, des concepts à clarifier – la-croix.com – 02/03/2018 )

      Bien mieux que la violence… la force. Et je pense notamment à celle du NOMBRE.
      2 ou 3 millions de manifestants (bien sages) dans les rues, en France… on voit ce que ça donne. C’est au moins 10 fois plus que nous devons être pour combattre le Système.
      Les retraites, les injustices, les méga-bassines et j’en passe… TOUT est lié.

    2. La violence est-elle dans la nature de l’homme, si ce n’est dans ses gènes ?
      Ce qui est sûr c’est que la violence masquée (banalisée, institutionnalisée) du Système provoque de grandes souffrances et des maladies graves (dépressions, burn out, bore out, éco-anxiété et j’en passe). Cette contre-violence n’est qu’une conséquence de plus à mettre sur le compte du Système. Elle est une réaction à celle du Système.
      Des maladies et donc des malades, dont certains dangereux. Le cas Kaczynski en est un exemple.
      – Etude sur la nature des mouvements écologistes… Partie II-3 L’écoterrorisme. Le cas Unabomber (larecherchedubonheur.com)
      L’auteur de l’article pointe la responsabilité de la presse dans le développement de l’écoterrorisme (sans ces meRdiaş Kaczynski n’aurait jamais été connu).
      Sauf que la Presse fait partie intégrante du Système. Sans les meRdiaş … comment sensibiliser une Opinion formatée par le Système ? Sacré dilemme.

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