David Wallace-Wells signe en juillet 2017 dans le New York Magazineun article en Une, « Catalogue de la Terre condamnée ». A l’intérieur, l’enquête d’une vingtaine de pages, titrée « La Terre inhabitable », s’ouvre sur ces mots : « La situation est, je vous le promets, bien pire que vous le pensez. » Terrifiant, l’article fait l’effet d’un électrochoc : il devient le papier le plus lu de l’histoire du magazine (plusieurs millions de lecteurs). Rien de nouveau sous le soleil, un supplément du Nouvel Obs titrait en 1972 en France « La dernière chance de la terre ». L’éditorial d’Alain Hervé, qui nous a quitté il y a peu, était prémonitoire : « Depuis un siècle, au nom de progrès qui faisaient la spécificité et la fierté des hommes, a commencé la plus gigantesque entreprise de destruction qu’une espèce ait jamais menée contre le milieu qui soutient la vie et contre la vie elle-même. La plus spectaculaire des opérations-suicide. La Terre est en danger. Elle a été mise en danger notamment par le développement de la civilisation industrielle occidentale. C’est ce qu’on appelle le péril blanc. Océans pollués, terres stérilisées, atmosphère empoisonnée, tissu social disloqué, civilisations tribales écrasées. Pendant ce temps des imbéciles, qui ne sont même pas heureux, chantent des hymnes au progrès : le produit national brut s’accroît, la consommation d’énergie s’accroît, la population s’accroît. » De même le premier numéro du mensuel La Gueule ouverte sous-titrait en novembre 1972 « le journal qui annonce la fin du monde » ! Son éditorialiste, Pierre Fournier, écrivait : « Pendant qu’on nous amuse avec des guerres et des révolutions qui s’engendrent les unes les autres en répétant toujours la même chose, l’homme est en train, à force d’exploitation technologique incontrôlée, de rendre la terre inhabitable, non seulement pour lui mais pour toutes les formes de vie supérieures. Le paradis concentrationnaire qui s’esquisse et que nous promettent ces cons de technocrates ne verra jamais le jour parce que leur ignorance et leur mépris des contingences biologiques le tueront dans l’œuf. La catastrophe, beaucoup plus prochaine que vous ne l’imaginez, ne pourrait être évitée que par une réforme des habitudes mentales encore plus radicale encore que celle jadis opérée par les rédacteurs de la Grande Encyclopédie. »* Que nous apprend de plus David Wallace-Wells dans son livre La Terre inhabitable (Robert Laffont) ?
« Nous sommes entrés dans la décennie la plus cruciale de l’histoire de l’humanité. Notre espèce entière traverse un dilemme existentiel, et quelle qu’en soit l’issue, le sens de nos existences sera révélé. Même si vous avez une voiture électrique et que vous ne mangez pas de viande, en étant le citoyen privilégié d’un pays du Nord, vous bénéficiez de l’économie fossile. Nous faisons tous partie d’un grand récit, qui ne se limite pas à la conspiration de cinq compagnies pétrolières, mais est la saga de notre addiction aux conforts bon marché du consumérisme. La moitié des émissions de gaz à effet de serre jamais produites l’ont été au cours des trente dernières années, c’est-à-dire de mon vivant. Ma vie contient cette histoire, qui nous a menés d’une situation stable à une catastrophe imminente. »* Il croit que la peur peut être un détonateur efficace pour prendre conscience de la gravité de la situation. Rien de nouveau sous le soleil, les livres des collapsologue et autres effondristes font un tabac en France. On le sait déjà, nous serons cuits comme des merguez, ou asphyxiés par un air irrespirable, ou sans ressources avec l’effondrement de l’économie.
La seule différence entre 1972 et maintenant, c’est le fait que les précurseurs de l’écologie, aidés depuis par de multiples études scientifiques et moult reportages, ont fait germer les graines de l’inquiétude dans l’opinion publique. Le problème, c’est que nous avons perdu presque cinquante ans, bercés par un confort factice et non durable. C’est pourquoi notre blog biosphere pratiquait sadiquement la pédagogie de la catastrophe, exemples :
19 juillet 2019, Le survivalisme, pour résister à l’effondrement
18 juillet 2019, Les enfants face à l’effondrement global
6 juin 2019, Trois intellectuels envisagent l’effondrement
12 mars 2019, Fermeture des centrales à charbon et effondrement
18 décembre 2018, Effondrement, un appel à témoignage dans LE MONDE
19 novembre 2017, effondrement, le risque agricole/alimentaire
26 juin 2017, l’Effondrement global avant 2030, une prévision de Cochet
25 novembre 2016, Pourquoi s’inquiéter de l’effondrement annoncé ?
22 novembre 2016, L’effondrement prévu de la société thermo-industrielle
21 juillet 2016, Trop tard pour éviter l’effondrement thermo-industriel
26 septembre 2015, Climat : les mécanisme complexes de l’effondrement
25 avril 2015, Collapsologie : l’effondrement démographique prévisible
16 octobre 2014, Fragilité et effondrement : une prévision de Dmitry Orlov
13 mai 2014, L’effondrement de la civilisation, texte venu du futur
8 octobre 2013, l’effondrement programmé de la méga-machine
12 avril 2013, Bientôt l’effondrement auquel personne ne veut croire
7 février 2013, Ceci n’est pas une crise, mais un effondrement global
27 août 2012, mécanismes d’un effondrement économique rapide
16 mai 2012, Pic de l’urbanisation, effondrement d’une civilisation
20 avril 2012, Chronique d’un effondrement annoncé, de Tainter à Greer
19 avril 2012, Effondrement de notre civilisation sous son propre poids
19 mars 2012, effondrement des villes, explosion des inégalités
9 janvier 2012, L’effondrement social avant 2030 ? Parions !
29 janvier 2011, l’effondrement volontaire de la population
14 mai 2010, l’effondrement de notre société (suite)
13 mai 2010, l’effondrement de notre société complexe
10 décembre 2007, syndrome d’effondrement (pour les abeilles)
NB : texte dédié à notre inspirateur éclairé, Yves Cochet
* LE MONDE du 7 novembre 2019, Climat : le scénario apocalyptique de David Wallace-Wells
Pour le moment, force est de constater que les «petites» catastrophes écologiques (accidents nucléaires, dérèglement du climat, effondrement de la biodiversité etc. ) n’ont pas aidé grand monde à réellement comprendre. La meilleure pédagogie reste probablement celle que l’on peut expérimenter par soi-même. C’est bien en se brûlant un bon coup (c’est le cas de le dire) que le gamin arrive vraiment à comprendre ce que n’ont cessé de lui répéter ses parents : «Arrête de jouer avec le feu, ça va mal finir !»
Mais admettons (et comment pourrions-nous le nier ?) que cette «pédagogie de la catastrophe» diffusée depuis plusieurs décennies, timidement et évidemment moquée au début, bien plus décomplexée et beaucoup moins risible aujourd’hui … admettons donc que tous ces discours, ces alertes etc. aient œuvré à faire germer les graines de l’inquiétude dans l’opinion publique. Doit-on pour autant remercier et encenser tous ces pédagogues (avec ou sans guillemets), encore aujourd’hui qualifiés de catastrophistes, d’oiseaux de mauvaises augure et j’en passe ? Que vont donner ces germes d’inquiétudes, et surtout que vont-ils nous donner de bon ?
La «pédagogie de la Catastrophe» n’est qu’un pari, probablement le seul qu’il nous reste à faire, mais elle reste un pari. Le sale gosse qui joue le feu peut très bien comprendre la leçon (c’est le cas de le dire), mais trop tard pour en tirer le moindre bénéfice. Et puis nous savons bien où peut mener la peur, où elle mène généralement, nous le voyons encore aujourd’hui. Les baffes et le bâton ne sont certainement pas la meilleure des pédagogies pour l’enseignement de la sagesse. Par contre il faut reconnaître que cette pédagogie donne de bons résultats en matière de dressage.
En attendant… faisons péter le champagne, le Grand Soir est pour demain ! Parce que la sagesse progresse, eh oui. Du moins parce que les idées de la décroissance progressent en France. En tous cas c’est ce que nous «révèle» un sondage* tout récent. (Ah, que ferions-nous sans les sondages ? Vive les sacro-saints Sondages !) Voilà donc ce que déclare le cabinet Odaxa, tenez-vous bien :
– «Pour préserver l’environnement, les Français sont même devenus des adeptes de la décroissance (54% vs 45%) plutôt que d’une croissance »verte ». » Pour les sondés : «Il faut changer fondamentalement notre mode de vie, nos déplacements et réduire drastiquement notre consommation».
* Je vous invite à lire l’analyse de ce sondage, dans le journal La Décroissance de ce mois-ci.