Écologie, la tentation du sabotage

Si les éco-militants n’ont pas pu accéder à la mégabassine de Sainte-Soline le 25 mars dernier, ils avaient déjà détruit des pompes et tuyaux de réservoirs d’eau lors de précédentes mobilisations. Ailleurs en France, d’autres militants écologistes multiplient des actions directes depuis des mois, qu’il s’agisse de pneus de SUV dégonflés, de trous de golf bouchés au béton, de cimenteries dégradées.

Si elle continue à faire débat, la destruction ou la dégradation de biens matériels au nom de l’urgence environnementale est désormais pratiquée par de nombreux activistes. La légitimité semble de leur côté !

Rémi Barroux et Audrey Garric : Beaucoup ciblent directement ceux qu’ils estiment responsables du désastre écologique : les industries polluantes et les citoyens les plus riches. « Il est légitime de tenter de mettre hors service un système qui nous met en danger, revendique Léa, membre d’Extinction Rebellion (XR). On se réapproprie le droit de se défendre, car l’État ne le fait pas ou, pire, encourage ce système. » Andreas Malm, professeur à l’université de Lund : « Les superyachts, jets privés, SUV, centrales au charbon ou gazoducs tuent des gens », en émettant de grandes quantités de gaz à effet de serre, responsables du réchauffement climatique. « C’est donc une forme de réduction des dommages et de prévention de la mort que de les détruire » Des divergences demeurent cependant sur l’usage du sabotage et surtout sur sa définition et son périmètre. A Greenpeace, on a déjà réalisé de tels gestes, comme en 2010-2011 quand on avait démonté des rails pour empêcher des trains de matières radioactives de circuler. Nombre de militants préfèrent désormais le terme « désarmement », utilisé par Les Soulèvements de la Terre. Il y a un renversement de la responsabilité : avec le “désarmement”, ce ne sont plus les auteurs de sabotage qui sont hors la loi, mais l’État, les industriels ou les tenants de l’agriculture intensive qu’il faut empêcher de détruire le vivant .

Pour toutes les organisations, la non-violence à l’égard des personnes reste la ligne de conduite partagée.

Le point de vue des écologistes (face à leurs opposants)

Krikri : Lançons un appel à une vraie insurrection : personne ne part en week-end ce week-end, ni lors du week-end de l’Ascension ni lors du week-end de la Pentecôte. Tout le monde reste chez soi ou on prend le train exclusivement. Personne sur les routes. Ça, ça serait une vraie insurrection.

Ben : Et vous croyez ne serait-ce qu’une seconde qu’un tel appel ait la moindre chance d’aboutir à quelque chose de significatif ? Il faut redescendre sur terre et se rendre compte que convaincre nos concitoyens (et souvent nous-même…) est une tâche immense qui prendra du temps. Surtout si on veut le faire en restant dans une démocratie et un pays de liberté.

Krikri @ Ben : Ha ha ha ! J’attendais votre réaction. Donc critiquer Macron, Darmanin, casser du matériel, oui ! Mais prendre de vraies initiatives personnelles demandant un peu de contraintes, non !

Vince : Lorsque l’habitabilité de la terre est menacée, il semblerait assez naturel d’invoquer la légitime défense. Ce grand principe va donc s’opposer à la liberté et aux lois inadaptées compte tenu de la menace sur nos vies et celle des générations futures. Peut-on, parce qu’on en a les moyens, compromettre la survie de ses semblables ? De plus en plus la légitime défense va primer.

PChabert : La violence est l’expression de ceux qui ne parviennent pas à trouver des arguments convaincants pour toucher leurs interlocuteur. Je préférerais qu’ils retravaillent leur argumentaire. Aujourd’hui les écologistes apparaissent comme des Jansénistes qui promettent l’enfer à ceux qui ne les croient pas. Nous partons vers une nouvelle guerre de religion

Débattre et choisir : L’existence de dieu n’est pas prouvée, le changement climatique et l’effondrement de la biodiversité à cause des humains, si. Les conséquences à venir de ces 2 catastrophes sont également décrites très précisément et se vérifient d’année en année. Si vous cherchez un argument bidon pour justifier votre envie de ne faire aucun effort, cherchez mieux…

Provençal : le fascisme n’est plus d’extrême droite, mais de gauche. Essayer d’imposer ses idées, ou ses fantasmes ce qui pour eux revient au même, par la force est une méthode fasciste.

Sharpy @ Provençal : Le fascisme, puisque le point Godwin est déjà pulvérisé, était dominant en Italie dans les années 30, comme le Nazisme en Allemagne. Consideriez-vous donc que les résistants de ces pays, s’opposant à la volonté majoritaires, étaient les véritables « fascistes », et la majorité dans le droit? Je ne suis pas en train de dire que nous vivons la même chose aujourd’hui, ni même que les actions décrites dans l’article sont nécessairement légitimes. Juste que les mots ont un sens. De même que le mot « fantasme » quand on parle de la crise climatique.

Castanea : 100% légitime parce que VITAL dans le sens le plus absolu et entier du terme. Mille fois hélas mais nos sociétés l’ont bien cherché : on a perdu sur le terrain du TEMPS que l’on ne peut plus rattraper.Personnellement, plus de 30 ans que je hurle dans le désert contre le changement climatique et ses risques et contre la destruction des écosystèmes qui nous portent tous et nous maintiennent en vie. Résultat : +1,2°C et VIème extinction… Tristesse infinie. C’est ce temps perdu qui justifie NECESSAIREMENT, INEVITABLEMENT les sabotages. Ces derniers iront en s’aggravant et il faudra veiller de toutes nos forces à ce que cela ne finisse pas contre les personnes.

baobab dégingandé : Chutt Wutty, Remi Fraisse, Suresh Oraon, Berta Caceres, Samir Flores Soberanes… Entre 2012 et 2021, 1700 militants écologistes ont été tués dans le monde selon Global Witness. Qui est violent ? En 2010, on était à 0,9°C de réchauffement climatique, aujourd’hui on est à 1,1°C. Juste deux dixièmes de degrés de plus et vous voyez la différence (méga-feux, sécheresses, inondations meurtrières…). En 2030, on sera à 1,5°C et ensuite, ce sera 3°C. Qui est violent ?

Vibe : Le problème de fond, c’est l’absence de débouchés significatifs aux revendications écologiques.. revendications qui ne sont pas d’ordre égocentrique ou individualiste (à la différence des intérêts capitalistes) mais liées à la fois à la dette écologique des plus riches et à notre survie. On a affaire à une légitimité suprême. Dans un tel contexte, l’absence de débouchés politiques ne peut conduire qu’à des actions illégales. Pour l’instant ça relève du sabotage.. mais rien ne dit que ça en restera là. Charge aux concernés à se remettre en cause et à évoluer dans le bon sens.

Profdéco : De quelles sanctions sont passibles les politiques de sabotage des conditions de vie sur terre ?

Michel SOURROUILLE : Un commentaire antérieur me parle, « De quelles sanctions sont passibles les politiques de sabotage des conditions de vie sur terre ? ». La réponse pour l’instant est rien ou pas grand chose. La notion de crime écologique commence juste à être abordée. On dirait que l’article 4 de la Charte de l’environnement (28 février 2005) n’existe pas : « Toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu’elle cause à l’environnement, dans les conditions définies par la loi. » Pire, toute action radicale contre les biens qui nuisent au bien commun sont appelées « écoterrorisme » par notre ministre de l’intérieur Darmanin. On dirait que la notion de « crime de terrorisme écologique » (article 421-2 du Code pénal français, loi du 22 juillet 1996) qui se définit comme l’introduction « dans l’atmosphère, sur le sol, dans le sous-sol ou dans les eaux, d’une substance de nature à mettre en péril la santé de l’homme ou des animaux ou le milieu naturel » n’existe pas !

Notre blog biosphere aborde le problème depuis longtemps

crime écologique (2009)

crime écologique, crimes verts, écocide (2011)

« Préjudice écologique », ou plutôt crime écologique (2013)

Crime écolo, difficultés du principe pollueur-payeur (2015)

Réparation des dommages écologiques et chaos législatif (2016)

Crime d’écocide, bientôt la reconnaissance officielle (2017)

Valérie Cabanes, l’écocide est un crime (2022)

en savoir plus sur le concept de sabotage

Cette pratique – dont l’étymologie renvoie aux sabots qui mettaient les machines hors service – s’inscrit dans une longue histoire, qui débute au XVIIIe siècle avec le luddisme. Les artisans s’en prenaient aux métiers à tisser et machine des manufactures qui amenait à la faillite leur activité. Le mot « sabotage » fait ensuite référence aux actes des résistants pour s’opposer aux nazis pendant la seconde guerre mondiale. Désormais, cette action est définie dans le code pénal par « le fait de détruire, détériorer ou détourner tout document, matériel, équipement (…) de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation » En se basant sur cette définition du code pénal, les militants de XR considèrent par exemple qu’asperger de peinture la Fondation Louis Vuitton, comme ils l’ont fait le 1er mai, ne constitue pas un sabotage.

La jurisprudence pourrait évoluer, certains tribunaux reconnaissant parfois l’état de nécessité ou invoquant la liberté d’expression.

 

3 réflexions sur “Écologie, la tentation du sabotage”

  1. L’autre jour, en zappant, je m’arrête sur une de ces chaînes d’«info» (intox) en continue où l’ON commentait une de ces «priorités» du jour : Est-il logique de verbaliser les propriétaires de chiens sans laisse ? Un sondage à la con révélait qu’une large majorité de «cerveaux disponibles» avaient déjà répondu OUI à la question qui faisait «débat».
    Autour de la Table un participant, qui se prêtait donc lui aussi à cette mascarade, arguait que cette question n’avait pas de sens. Il disait que la Loi était claire depuis longtemps (en ville les chiens doivent être tenus en laisse), et soulignait que bon nombre de lois n’étaient pas respectées (ex. faire du vélo avec des écouteurs), et il souhaitait bon courage aux flics municipaux qui, disait-il, avaient bien mieux à faire que de s‘occuper des chiens.

    Modération à Michel C.
    Dans votre post, nous n’avons pas trouvé
    la moindre allusion à l’article à commenter,
    vous êtes capable de mieux faire….

    1. La question de la légitimité de la violence est un trompe-couillons. Surtout aujourd’hui, et en plus de la façon dont ON nous la pose. Là encore un «débat pipé», du bruit pour pas grand chose. Enfin presque. Alors pour éviter d’en rajouter, toujours plus, au grand n’importe quoi, mieux vaut commencer par lire Max Weber, entre autres bien sûr.

      – « Avouons-le : il n’y a aucune réponse claire et définitive à apporter à ces questions. Ou plutôt, il n’y a aucune conciliation possible entre ces positions. »
      ( Black blocs : qu’est-ce que la « violence légitime » ? – Le MONDE 09 mai 2018 )

      – « 28 juillet 2020, Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, mentionne la « violence légitime de l’État » de Max Weber. Conceptualisé par le sociologue allemand en 1919, le concept de Max Weber a été détourné de son sens originel. Explication »
      ( La « violence légitime de l’État » de Max Weber – radiofrance.fr – 10 août 2020 )

    2. Mon commentaire (initial) comportait trois parties.
      La première À 11:41, est un strorytelling visant à amener ce que je pense de ce genre de «débat», et du niveau de réflexion du pékin moyen. Dans la seconde je faisais le lien avec votre sujet, la soi-disant légitimité de la violence.

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