Fin de vie, libre choix ou principes moraux ?

Le grec ancien a offert des milliers de termes à notre langage. Le mot « euthanasie » qui signifie littéralement « bonne mort » apparaît pour la première fois dans Myrmiki, la dernière comédie de Posidippe (vers 300 avant J.-C.). Pour lui, l’euthanasie était le meilleur cadeau que l’homme pouvait souhaiter recevoir des dieux. En général, l’attitude des anciens Grecs à l’égard du suicide était positive. À l’époque classique (du IVe au IIIe siècle avant Jésus-Christ), les habitants de l’île de Kéa mettaient fin à leur vie après avoir obtenu le consentement de leurs concitoyens. Plutôt que de vieillir et de tomber malade, ils préféraient boire de la ciguë dans une atmosphère festive ; l’acte était considéré comme héroïque.

Aujourd’hui le mot « euthanasie » désigne une pratique médicale qui s’efforce par tous les moyens possibles d’abréger les souffrances d’un patient à l’agonie afin de l’accompagner dans la mort. C’est-à-dire une aide à mourir et plus précisément une aide à bien mourir, dignement. Il se pourrait bien qu’il n’y ait pas lieu à débat, mais on n’en prend pas le chemin.

Camille Riquier, philosophe : La fin de vie est un dilemme devant lequel la morale est impuissante. S’indigner au nom de grands principes, qu’est-ce d’autre sinon user d’autorité et, par paresse, se dispenser de donner des arguments ? La jurisprudence est préférable à la doctrine tant il est difficile de tenir le juste milieu entre « deux tentations de faire le bien : l’acharnement thérapeutique et l’euthanasie ». Ne pas s’obstiner à apporter certaines réponses est parfois la plus grande preuve de sagesse. Le projet de loi annoncé par le chef de l’Etat le 10 mars 2024 voudrait aller plus loin que la loi Claeys-Leonetti de 2016, laquelle allait plus loin que la loi Leonetti de 2005, laquelle allait plus loin que la loi Kouchner de 2002… Il me semble embarrassant d’inviter la nation à mobiliser ses efforts autour d’un projet de loi qui n’avait rien d’urgent. La France a le taux de suicide des jeunes le plus élevé des pays européens. Sur ce problème, la France n’a pas de plan, ni décennal, ni quinquennal, ni triennal, aucun. Mais la jeunesse sera peut-être heureuse d’apprendre que lorsqu’elle ne sera plus en capacité de mourir toute seule, par elle-même, comme une grande, elle pourra bientôt compter sur une aide de l’Etat. Elle n’aura qu’à demander.

Le point de vue des écologistes pressés d’en finir

alain29 : Pourquoi autant de débats sur une question pourtant a priori simple dans une société laïque, le droit de chacun à mourir dans la dignité, sans rien enlever au droit des autres ? Rien n’oblige personne, chacun choisit librement.

Épi-Logos : La « Santé mentale des jeunes » … VERSUS la loi sur l’euthanasie…. est d’un RIDICULE abyssal !

Supersined : Monsieur Riquier pense qu’il n’est pas urgent de s’occuper de la fin de vie. Malheureusement, nous sommes nombreux à y être confrontés pour nous-mêmes ou nos proches. Il y a tous les jours de grandes souffrances à soulager et des personnes qui ne peuvent s’en aller dignement faute de cadre juridique. Pour toutes ces personnes, une nouvelle loi est urgente.

H. Rizk : Il est peu digne de mobiliser la réflexion philosophique pour nous inviter à regarder ailleurs et, surtout, à renoncer à penser la question existentielle de la fin de vie. Quand selon notre Camille Riquier, sera-t-il opportun de le faire ? Sans doute jamais… Pourquoi opposer les urgences pour fuir cette interrogation tragique ? Il est spécieux de se dissimuler derrière le sort de jeunes déprimés pour dénier à un malade souffrant de manière intolérable le fait qu’il demeure sujet de son existence et qu’il mérite la compassion, l’accompagnement . Ce qui est franchement intolérable, ce sont les artifices rhétoriques au service de la fuite et de l’indifférence à la détresse.

Michel SOURROUILLE : Riquier est un philosophe très sophistique qui s’indigne sur l’usage des grands principes moraux mais use d’un autre stratagème, botter en touche : « la fin de vie n’est pas le problème de la loi, rien ne presse, parlons d’autre chose, des jeunes. » Ce qui ne fait pas nullement avancer le débat ! Rappelons que la loi Macron ne privilégie pas l’essentiel de la fin de vie, respecter la libre volonté des personnes qui veulent en finir avec une vie jugée par eux insupportable. Laissons la pilule létale en vente libre en pharmacie et le problème sera résolu une fois pour toutes, que ce soit d’ailleurs pour le grand âge, les grands malades ou les petits jeunes qui en ont marre de vivre ce qu’on leur fait vivre. L’État doit s’abstenir dans tous les cas de se permettre de juger de leur propre sort à la place des citoyens.

Claustaire : Nous sommes très nombreux à savoir gré à Monsieur Riquier de ne pas « s’embarrasser à entrer dans un débat aussi grave » avec des objections aussi légères sinon dilatoires voire, à proprement parler, déplacées… comme si l’assistance médicale active à la fin de vie était contradictoire avec l’assistance médicale à notre jeunesse !

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Fin de vie, Emmanuel Macron en décide seul (mars 2024)

extraits : Macron a annoncé le 10 mars 2024 qu’un projet de loi ouvrant une « aide à mourir » sous « conditions strictes » serait présenté en avril en conseil des ministres….

Fin de vie, Macron invite encore les religions (février 2024)

extraits : Macron demande leur avis à des gens dont la place n’est pas au Château et dont il connaît parfaitement les opinions….

Fin de vie, le lobbying religieux (janvier 2024)

extraits : Conforme à leurs préjugés, il y a unanimité religieuse contre une loi sur la fin de vie. Étonnant qu’il n’y ait pas la même unanimité pour faire entendre raison aux Juifs et aux Palestiniens. Étonnant que leur amour de la vie que « seul Dieu peut reprendre »….

Fin de vie, la procrastination de Macron (décembre 2023)

extraits : Un an après le lancement de la convention citoyenne sur la fin de vie, l’association « Les 184 », regroupant plus de 80 de ses membres, appelle à la présentation rapide du projet de loi….

Fin de vie, Emmanuel Macron procrastine (septembre 2023)

extraits : Le pape ne se pas fait prier pour donner son avis sur l’euthanasie: « On ne joue pas avec la vie, ni au début ni à la fin… » De son coté le chef de l’État français, aux prises avec des interrogations personnelles et des considérations politiques, hésite, hésite, hésite…

Convention sur la fin de vie, le manifeste (avril 2023)

extraits : La mise en pratique de « l’aide active à mourir », expression qui recouvre tous les moyens d’accélérer la fin de vie, est voulue par 76 % des participants à la convention citoyenne sur la fin de vie. Le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) avait ouvert la voie dans son avis rendu le 13 septembre 2022….

Fin de vie, débat au dîner, lobbies acceptés (février 2023)

extraits : Seize personnalités sont conviées mercredi 22 février à la table présidentielle. Sur les 16, le chef de l’État a convié six représentants des religions, tous opposés à l’euthanasie….

Incertitudes de Macron sur la fin de vie ! (décembre 2022)

extraits : Le sujet de la fin de vie s’invite à l’Élysée dès 2018 lors d’un dîner consacré à la bioéthique. Parmi la douzaine de convives figure le grand rabbin de France, Haïm Korsia, qui dérape en comparant l’euthanasie à la Shoah….

Débat «Fin de vie», noyé dans les parlottes (octobre 2022)

extraits : Voici les protagonistes de cette sombre affaire : Le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) : a rendu un avis sur la fin de vie le 13 septembre 2022, : il sera associés à la rédaction de la future loi. Le Conseil économique, social et environnemental (CESE)  attend encore sa saisine officielle. Comité de gouvernance (« co-gouv ») de la convention citoyenne sur la fin de vie : réuni par le CESE pour la première fois le 29 septembre 2022. Agnès Firmin Le Bodo, ministre déléguée chargée de l’organisation des professions de santé : responsable de l’animation du débat politique sur la fin de vie. Olivier Véran, ministre délégué chargé du renouveau démocratique : « j’ai vocation à porter le débat sur la fin de vie auprès des Français, à côté de la convention citoyenne dont je superviserai l’organisation  ». Trois groupes de travail animée Agnès Fimin le Bodo à partir de la mi-octobre …

297 députés veulent choisir leur fin de vie (mai 2021)

extraits : Plus de la moitié de l’Assemblée nationale a demandé le 7 mai 2021 au premier ministre, dans un courrier, d’inscrire à l’ordre du jour la proposition de loi autorisant l’euthanasie, dont l’examen n’avait pu aller à son terme le 8 avril face à des milliers d’amendements déposés par quelques élus Les Républicains…..

10 réflexions sur “Fin de vie, libre choix ou principes moraux ?”

  1. Au lieu d’ergoter sur le suicide assisté, il faudrait mieux apprendre aux vieux qui veulent mourir à retenir leur souffle comme Diogène.

    1. Parti d'en rire

      Alors là chapeau ! Comme quoi il n’y a pas que Houellebecq qui parfois dit des choses intéressantes. C’est vrai ça, les stoïciens ne doivent pas nous faire oublier les cyniques. Parce qu’il en sortait des bonnes le Diogène :
      – « Ceux qui savent ce qu’il faut faire et dire dans la vie, c’est bien qu’ils vivent. Pour toi, en revanche, qui ignores ce qu’il faut faire et dire, c’est une belle chose que de mourir. Mais moi, qui ai part à cette connaissance, je dois vivre. »
      ( Une tradition du suicide chez les cyniques- journals.openedition.org )

      Toutefois, pour moi cette histoire sur le suicide de Diogène n’est qu’une légende. Parce que je doute fort qu’ON puisse se suicider de cette façon. Sinon c’est vrai qu’il ne faut pas manquer d’air, pour dicter aux autres la meilleure façon d’en finir.

  2. Je pense que Michel SOURROUILLE ne mesure pas bien ce qu’il dit là, dans son commentaire.
    Si ON l’écoutait, tout et n’importe quoi serait en vente libre en pharmacie, et dans toutes les boutiques. Non seulement les médocs, mais aussi les armes. Les modes d’emploi, les recettes etc. en accès libre sur le Net. Le grand âge, les grands malades… si ON devait tous les pousser vers la sortie, je vous laisse imaginer. Même aux petits jeunes… il leur offre la pilule létale. Alors qu’il leur refuse le cannabis, qui n’est qu’un moyen de fuir momentanément ce monde de brutes.
    Là quand même il faut oser ! La grosse fatigue probablement.

  3. (partie 3)
    Houellebecq… qui parfois dit des choses intéressantes :
    – « Lorsqu’un pays – une société, une civilisation – en vient à légaliser l’euthanasie, il perd, à mes yeux, tout droit au respect. » (Le Figaro 05/04/2021)

    Et s’en explique, argumente :
    – « En résumé, la souffrance n’est plus un problème, c’est ce qu’il faut répéter, sans cesse, aux 95 % de personnes qui se déclarent favorables à l’euthanasie. Moi aussi, dans certaines circonstances (heureusement peu nombreuses) de ma vie, j’ai été prêt à tout, à supplier qu’on m’achève, qu’on me pique, tout plutôt que de continuer à supporter ça. Et puis on m’a fait une piqûre (de morphine), et mon point de vue a changé radicalement, du tout au tout. »

    Lire aussi :
    – Le suicide en Grèce ancienne (hal.univ-lyon2.fr)
    – Mort aux vieux : ces sociétés antiques qui tuaient leurs aînés (nationalgeographic.fr)
    – Euthanasie et meurtre (cairn.info/revue)

  4. Contrairement à Michel Sourrouille, je suis plutôt d’accord avec Camille Riquier.
    Comme toujours, une question de point de vue ! Claustaire non plus n’est pas d’accord avec le philosophe, il juge ses objections légères sinon dilatoires voire, à proprement parler, déplacées (sic). Claustaire ose même se faire le porte-parole de ces «très nombreux»… pour lui dire de se taire. Si je comprends bien… comme les curés, les philosophes n’auraient pas droit à la parole. Si ce n’est pour dire amen.
    Ceci dit. Même si tout est fait pour masquer l’un des deux, il ne faudrait surtout pas en arriver à confondre suicide et euthanasie. On peut l’appeler comme ON veut, «suicide assisté», «aide à mourir» («acte d’amour» tant qu’ON y est) l’euthanasie reste l’euthanasie. Sa définition est claire et nette, l’étymologie bien connue etc. Et de la même façon le suicide reste le suicide.
    ( à suivre )

    1. En général Biosphère s’applique à les dénoncer, les démonter, les condamner etc.
      Par contre il semble s‘accommoder de celui-là.
      Le «suicide assisté» c’est comme le «développement durable», un OYMORE !
      Toutefois je note que le mot «euthanasie» n’est pas tabou, et c’est le principal.

      – « En général, l’attitude des anciens Grecs à l’égard du suicide était positive. » (Biosphère)
      Hier 27 MARS 2024 À 11:04 j’ai cité Bertrand Quentin (philosophe et spécialiste de l’éthique), et invité le lecteur à écouter ce qu’il raconte, justement sur ce sujet.
      Selon les époques, le lieux, les philosophies etc. les rapports (point de vue) à l’égard du suicide comme de l’euthanasie ont varié, évolué. Fermement condamnés, puis acceptés, et finalement encouragés. Et comme par hasard… il apparaît que la période où l’acte était considéré comme héroïque (sic) est bien connue pour être celle de leur décadence.
      ( à suivre )

  5. Quelles morales ? Morales religieuses ? Il faudrait interdire l’euthanasie tout ça pour que des fanatiques religieux puissent s’offrir une bonne conscience face à leurs dogmes ? Non mais de quoi se mêlent ils ? Qu’ils commencent par sauver leurs propres âmes avant de vouloir sauver celles des autres !
    Chacun devrait pouvoir être libre de recourir à l’euthanasie ou de ne pas y recourir comme bon lui semble ! Les autres n’ont pas leur mot à dire ! Mon corps m’appartient et j’en suis le seul et unique souverain !

    1. Pour commencer il faut toujours que tu réduises systématiquement la morale à la religion. Comme si la morale ne pouvait pas se passer de religion.
      Et puis ton sempiternel « Mon corps m’appartient », que t’as probablement entendu un jour à la Télé.

    2. Non toutes les féministes le scandent haut et fort dès lors qu’on parle de l’IVG ! Pourtant elles mentent un peu, car ce nouveau corps (appelé embryon) appartient à ce bébé ! (même si ce bébé se niche à l’intérieur de leurs corps)

      Avec ou sans religion, ça ne te regarde pas si un individu veut recourir à l’euthanasie ! Son corps lui appartient à lui seul et en est donc le seul souverain ! C’est vrai que les socialo-communistes veulent collectiviser la propriété des corps ! (du moins ils veulent collectiviser les corps des autres mais pas le leur)

      1. Pour le coup laisse un peu de côté les féministes, et les socialo-communistes aussi, ce genre d’argument est ridicule ! Là ou je te donne raison, c’est quand tu me dis : « ça ne te regarde pas si un individu veut recourir à l’euthanasie ! »
        De la même façon, ça ne me regarde pas s’il veut se suicider. Du moment qu’il ne me le dit pas. Cependant le débat n’est pas là.
        Le débat (plus exactement «débat») porte sur la légalisation, nuance !
        Et là ça me regarde autant que tout le monde !

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