Astrid, l’enfant mort-né du nucléaire

Le projet de réacteur à neutrons rapides (RNR) Astrid est abandonné par son père, le Commissariat à l’énergie atomique (CEA). D’après la Cour des comptes, près de 738 millions d’euros avaient été investis dans ce plan à fin 2017, dont près de 500 millions proviennent du grand emprunt du Programme d’investissements d’avenir. Le réacteur Superphénix de Creys-Malville (Isère), fermé en 1997 sur décision du gouvernement Jospin, s’appuyait déjà sur ce concept. L’objectif de cette « quatrième génération » était d’utiliser l’uranium appauvri et le plutonium comme combustibles, autrement dit de réutiliser les matières radioactives issues de la production d’électricité du parc nucléaire actuel et en grande partie stockées sur le site de la Hague (Manche). Astrid était censé, non seulement transformer en combustible des matières aujourd’hui inutilisées, mais aussi réduire de manière importante la quantité de déchets nucléaires à vie longue.

Astrid, acronyme de l’anglais Advanced Sodium Technological Reactor for Industrial Demonstration, était un projet de prototype de réacteur rapide qui devait être construit sur le site nucléaire de Marcoule, dans le Gard. Astrid aurait fonctionné avec un cœur à neutrons rapides refroidi au sodium. Pas de quoi tomber amoureux, elle aurait ressemblé tellement à son grand frère de Creys-Malville, Superphénix ! Quel démantèlement pour Superphénix ? Les 5500 tonnes de sodium, dont la majorité est irradiée, sont encore loin d’être traités. Les ateliers nécessaires n’avaient pas été prévus à la construction de la centrale ! Le sodium primaire est donc maintenu à la température de 180 °C pour rester à l’état liquide. Or le sodium liquide s’enflamme au contact de l’air et explose au contact de l’eau. Pour connaître un emballement du cœur d’un tel réacteur, il suffit d’une fuite de sodium peut provoquer la catastrophe. L’explosion atomique dans un surgénérateur porte le nom rassurant d’« excursion nucléaire ». Nous préférons les excursions amoureuses.

Cet abandon prévisible d’Astrid soulève deux questions capitales pour l’avenir de la filière nucléaire hexagonale*. La première est celle des quantités importantes d’uranium appauvri et de plutonium dont dispose le pays. Jusqu’à présent, elles sont considérées comme des « matières radioactives », puisqu’elles pourraient en théorie être réutilisées dans un réacteur à neutrons rapides. Mais si cette filière était abandonnée, ces matières risqueraient de rentrer dans la catégorie des « déchets », pour lesquels aucune solution n’est prévue. Plus encore, pour le groupe Orano, (ex-Areva) spécialisé dans le recyclage des combustibles usés, ils représentent une manne économique potentielle qui perdrait toute valeur.Le renoncement à Astrid pose aussi un problème plus fondamental pour la filière. La troisième génération, celle de l’EPR, n’a pas encore réellement vu le jour, embourbée dans le chantier cauchemardesque de Flamanville (Manche). Le réacteur ne devrait pas être mis sur le réseau avant fin 2022, au mieux. Sans garantie sur la troisième génération de réacteurs, et sans recherche sur la quatrième, le nucléaire français pourrait voir son avenir s’assombrir encore un peu plus.

Nos articles précédents sur ce blog biosphere :

17 mars 2019, Nucléaire, des risques sans alternative nucléaire

27 avril 2016, Le démantèlement super-compliqué de Superphénix

3 juillet 2012, ASTRID, une belle salope adorée des politiques

16 novembre 2010, Astrid, une belle salope…

* LE MONDE du 30 août 2019, Nucléaire : la France abandonne la quatrième génération de réacteurs

5 réflexions sur “Astrid, l’enfant mort-né du nucléaire”

  1. Amoureux d’Astrid : Le président du groupe Les Républicains (LR) au Sénat, Bruno Retailleau, dénoncé dans un communiqué « une faute, écologique, stratégique et politique », et accuse le gouvernement de céder « aux ayatollahs d’une écologie régressive et décroissante ». Marine Le Pen, la présidente du Rassemblement national (RN), a également dénoncé « un crime économique, technologique et écologique ».
    Yannick Jadot : « Sept cent trente-huit millions d’euros d’argent public qui s’ajoutent aux milliards atomisés dans la faillite nucléaire. Imaginons les sauts technologiques – et les emplois ! – que ces fonds publics auraient générés dans les renouvelables ! »
    Yves Marignac : « L’abandon du projet Astrid confirme la fin du mythe de “cycle fermé” à l’infini des matières nucléaires. Retraitement, MOX, plutonium… il est temps maintenant d’en tirer toutes les conséquences politiques ».

    1. – « Sept cent trente-huit millions d’euros d’argent public […] Imaginons les sauts technologiques – et les emplois ! – que ces fonds publics auraient générés dans les renouvelables ! » (Yannick Jadot)

      Ah les renouvelables ! Ah les sauts technologiques ! Ah les emplois ! Sacré Jadot, va !
      Et tout cet argent public balancé dans le développement des moulins à vent et autres ENR … tout ce pognon, pour quoi finalement, hein ? Ah le pognon !

  2. Astrid c’est un joli prénom ! En tant qu’homme mâle, je tomberais plus facilement amoureux d’une Astrid que d’un Superphénix ou d’un Iter. Et pourtant, Astrid est toute aussi dégueulasse. Bref, le nucléaire étant un sujet aussi passionnel que compliqué, on en parle avant tout avec ses tripes. Et finalement, en y réfléchissant un peu, l’écologie c’est pareil. Ainsi que pour la plupart des sujets qui nous préoccupent.

    Dans le journal La décroissance (juillet-août 2019) Stéphane Lhomme écrit :  » rien n’est plus délicieux que de voir l’industrie nucléaire se déliter toute seule, même si hélas ce sont les citoyens qui paient pour les dizaines de milliards gaspillés ou envolés. »
    Malgré le fait que je partage le point de vue général de Stéphane Lhomme sur le nucléaire, cette phrase me fait penser à ces propos dégueulasses qu’on peut souvent lire ici sur ce blog. Se réjouir d’un désastre quel qu’il soit en dit long sur l’état mental du jouisseur. Le « même si » ne faisant que confirmer mon diagnostic.
    En laissant un peu tomber le côté passionnel, nous voyons pourtant clairement que nous sommes là aussi dans une impasse, nous sommes là encore confrontés à un dilemme. Entre le charbon et l’atome, mon coeur balance…
    Astrid était certes une « belle salope », mais avouons quand même que nous aurions bien aimé qu’elle nous procure beaucoup de plaisir.

    1. Jancovici a raison sur le fait que le nucléaire est un amortisseur de la décroissance ! On ne pourra pas arrêter du jour au lendemain toutes les centrales nucléaires, c’est certain. Le nucléaire est indispensable pour effectuer la transition énergétique ou plutôt vers la transition vers le non-énergétique…. Stopper l’électricité du jour au lendemain en France, c’est tout simplement tuer plus des 3/4 de la population en France…. Et Michel C veut tout de même donner des leçons droit de l’hommiste avec ça…. La population n’est pas formée pour vivre sans énergie, ni formée ni habituée, elle ne saurait même pas comment s’y prendre si l’électricité serait coupée du jour au lendemain. C’est clair que ça serait un bain de sang ou carrément même un océan de sang en France. Tant que la population n’est pas formée pour vivre autrement on ne peut pas stopper l’énergie. D’autant qu’il s’agit de sevrer au pétrole dans un premier temps pour les transports. Hélas c’est long, ça prend du temps…

      1. –  » Et Michel C veut tout de même donner des leçons droit de l’hommiste avec ça….
        Et encore une fois BGA80 interprète mes propos comme ça l’arrange, autrement dit à sa sauce. Comme si j’avais écrit mon précédent commentaire en chinois. Comme si je ne savais pas que « la population n’est pas formée pour vivre sans énergie, ni formée ni habituée, elle ne saurait même pas comment s’y prendre si l’électricité serait coupée du jour au lendemain » et patati et patata. Comme si lui ne savait pas ce que veut dire une impasse et un dilemme. Bref, encore une fois, misère misère !

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