Lors de multiples réunions de réflexion collective, nous avons été souvent confrontés à l’interrogation de citoyens qui avaient vu (ou lu) Allègre, ici ou là : « Il paraît crédible, je ne sais plus quoi penser, où est la vérité ? » Claude Allègre a en effet les faveurs des médias, écrit des livres aussi souvent qu’il respire, s’impose un peu partout. Claude Allègre est quelqu’un de foncièrement dangereux car il empêche la perception des menaces et la nécessaire action citoyenne. Quel est son discours ? Que peut-on répondre ?
1/14) Claude Allègre et son livre, Ma vérité sur la planète
Le livre de Claude Allègre Ma vérité sur la planète est un long plaidoyer contre la « secte verte ». Il utilise donc les généralisations les plus abusives contre les écolo : « Je ne souhaite pas que mon pays se retrouve en enfer à partir des bonnes intentions de Nicolas Hulot. Il créerait chaque année plusieurs centaines de milliers de chômeurs supplémentaires, il faudrait mettre en place un régime bureaucratique et policier » … « La brute, c’est sans conteste José Bové. Son mode d’expression, c’est d’abord et avant tout la violence. On casse le MacDo de Millau, on casse une serre d’OGM à Montpellier, on fait le coup de poing à Seattle ou à Davos »… « Le truand, c’est Al Gore. C’est l’archétype du politicien américain, professionnel, mécanique mais sans conviction claire ni vraie connaissance des dossiers » … « L’animal ou l’arbre doivent être protégés, respectés, pourquoi pas vénérés, et cela doit être inscrit dans la loi ! C’est la stratégie de la deep ecology qui poursuit en justice ceux qui coupent les arbres ou qui tuent les insectes avec le DDT »
Pour Cl Allègre, il y a en effet deux sortes d’écolo. Les bons, de véritables environnementalistes qui sont d’abord des humanistes et adhèrent au progrès ; ils critiquent, mais de l’intérieur, ils en ont le droit. Et puis il y a les méchants, les éco-fondamentalistes hostiles au progrès et à l’humanisme, qui ne peuvent critiquer le système que de l’extérieur et qu’il faudrait laisser dans leurs arbres. Pourtant il avoue dans le chapitre 1 de son livre : « J’aime la Terre. Dans mon enfance, j’ai appris à observer et à aimer la nature. Cette passion pour tout ce qui touche la Terre ne m’a pas quitté. Elle a illuminé ma vie. La Terre est une planète vivante qui évolue et se transforme grâce à des processus chimiques grandioses et complexes dans lesquels la vie joue un rôle essentiel. Comment l’homme, qui est lui-même le produit de la Terre, peut-il modifier, au point même de les détraquer, ces cycles géochimiques établis depuis des milliards d’années ? Comment pourrais-je tolérer que l’homme la défigure ? » Mais si la Terre est la Patrie de Cl.Allègre, c’est pour se battre contre ceux qui voudraient, sous prétexte de la défendre, détruire notre civilisation ; l’écologie radicale !
Claude Allègre ne comprend pas que pour sauver les hommes, il faut sauver la planète, il faut contester notre civilisation thermo-industrielle, il faut que les enfants aiment la Terre-mère. Parfois d’ailleurs la révélation l’effleure : « Lorsque les mouvements écologistes sont apparus, ils portaient un vrai message, celui de la nécessaire harmonie que l’homme doit trouver avec la nature. »
2/14) Claude Allègre pour l’écologie productive
Allègre: Présentant la fondation que je suis en train de créer avec pour titre Ecologie productive, un journaliste s’est interrogé. Qu’est ce que l’écologie non-productive ? Il m’incombait donc d’éclairer sa lanterne. L’écologie productive est la démarche qui consiste à résoudre les problèmes écologiques en créant de nouveaux emplois et de nouvelles richesses. C’est ce que l’on appelle parfois la croissance verte.
Biosphere : Claude, ton point de vue est anthropocentrique et court-termisme, il s’agit d’emplois et de richesses pour l’homme et pour l’instant présent. Mais l’économie superficielle (dite par toi réparatrice) ne résout aucun des problèmes fondamentaux que connaissent les écosystèmes. A plus forte raison si tu soutiens l’idée d’une croissance perpétuelle du système tel qu’il fonctionne aujourd’hui. Un emploi nuisible à l’avenir des générations futures ne devrait pas exister ; la vraie richesse ne repose pas essentiellement sur l’accumulation de biens, mais sur la richesse intérieure et la richesse relationnelle. Soyons moins « productif », et nous travaillerons moins pour pouvoir avoir le temps de rechercher le plaisir de faire et le bonheur d’être. Le concept de croissance « verte » nous fait oublier l’idéal : plus de liens, moins de biens.
3/14) Claude Allègre contre le club de Rome
Allègre : Ma démarche s’oppose radicalement à la vision, hélas très répandue, qui a vu le jour dans les années 1970 avec le fameux rapport du Club de Rome «Halte à la croissance» et qui s’est prolongée plus récemment avec les concepts de décroissance et de frugalité prospective, qui constituent la base du livre de Nicolas Hulot le Pacte écologique aussi bien que le programme des Verts.
Biosphere : tu confonds « halte à la croissance », titre francisé du rapport du MIT qui présente The limits to growth.
Aucune des prévisions de cette analyse scientifique de statistiques, qui dénonce les conséquences néfastes des évolutions exponentielles dans un monde fini, n’a été démentie par les faits. Il est vrai que tu es cosignataire de l’appel d’Heidelberg (juin 1992) qui réunissait des « scientifiques » qui s’inquiétaient de « l’émergence d’une idéologie irrationnelle à l’aube du XXIe siècle » (l’écologisme !), ce qui a malheureusement occulté la prise en compte de l’écologie en France. Claude, un scientifique ne doit pas hurler au loup contre les objecteurs de croissance et encourager dans le même temps les prédateurs humains (cf. le programme des multinationales).
4/14) Claude Allègre pour la croissance
Allègre : A une écologie dénonciatrice et punitive, qui ne voit l’écologie que comme l’annonce de catastrophes, la multiplication de taxes, des interdictions diverses et l’arrêt du progrès, (« le progrès pose problème », écrit Hulot), nous souhaitons substituer une écologie de la création, de l’invention, du dépassement, de la réparation qui débouche sur la croissance économique en même temps que l’établissement d’une certaine harmonie entre l’homme et la nature mais dans laquelle l’homme n’est jamais sacrifié aux exigences écologiques.
Biosphere : Claude, tu as l’air de ne rien comprendre à cette pédagogie de la catastrophe qui nous présente un avenir en noir, terme inéluctable si on poursuit les tendances productives actuelles. Cette pédagogie n’est faite que pour nous inciter à réagir et empêcher la réalisation d’un tel futur. Tu sembles ignorer Le principe responsabilité d’Hans Jonas ou Pour un catastrophisme éclairé (quand l’impossible est certain) de Jean-Pierre Dupuy. Plus grave, tu déformes les propos (« l’arrêt du progrès » pour commenter « le progrès pose problème »).
Et puis, il y a humanisme et humanisme. Beaucoup d’humains sont actuellement sacrifiés aux exigences de la croissance. Pour retrouver une harmonie avec la nature, il faudrait sacrifier le mode de vie de la classe globale qui vit à l’occidentale, il faudrait choisir entre sauvegarder le niveau de vie des riches ou respecter les rythmes de la nature qui permettent aux pauvres de vivre. Tu te situes pour l’instant du mauvais côté en défendant insidieusement le système capitaliste de protection des nantis, ces riches qui détruisent notre planète.
5/14) Claude Allègre pour le nucléaire
Allègre: Prenons trois exemples pour illustrer ma démarche. L’énergie nucléaire est à l’évidence une source d’énergie essentielle à notre développement futur et l’on ne dénoncera jamais assez les dommages créés à l’Europe par les verts allemands en interdisant à ce pays cette source d’énergie ! Mais peut-on, d’un autre côté, ignorer qu’avec la technologie actuelle nous produisons des déchets potentiellement dangereux et que les réserves d’uranium ne dépassent pas un siècle ? La solution ce n’est pas l’abandon du nucléaire, c’est de développer la technologie dite de «quatrième génération» qui utilisera 97 % de l’uranium multipliant les réserves par 100 et qui détruira les déchets à vie longue rendant cette filière plus sûre.
Biosphere : Sur le nucléaire, tu es donc sur la même ligne de pensées que Valéry Giscard d’Estaing et Nicolas Sarkozy, à savoir continuer dans l’erreur maintenant qu’elle a été commise. Mais c’est un changement de civilisation qu’on doit promouvoir, pas le prolongement des courbes exponentielles de notre consommation d’énergie.
Tu réponds à la question des réserves d’uranium et des déchets radioactifs pas le développement d’une improbable quatrième génération. Pourquoi diantre n’a-t-on pas construit ces monstres théoriques au lieu de persévérer dans le banal EPR ! Parce que la quatrième génération reste un mythe, comme ITER. La principale énergie à revendiquer est celle que nous ne consommons pas, la frugalité peut être heureuse.
6/14) Claude Allègre pour le productivisme agricole
Allègre: Second exemple, les pesticides, insecticides et engrais. Il est exact que le développement excessif de la «chimie agricole» a conduit à créer des problèmes de pollution alimentaire pour les humains, les animaux domestiques mais aussi les animaux sauvages. La décroissance des populations d’oiseaux, des rivières trouve sans aucun doute sa source dans la pollution. Faire semblant de l’ignorer n’est pas responsable pas plus qu’accuser les agriculteurs et leur interdire les moyens de continuer a être compétitifs sur un marché désormais international de plus en plus sévère. La solution, c’est de développer les plantes génétiquement modifiées qui permettront d’éviter les pesticides, les insecticides, en partie les engrais et qui permettront de minimiser les besoins en eaux ou les contraintes de salinité. L’avenir de l’agriculture est là !
Biosphere : Ah, la compétitivité ! Tu restes dans la vulgate libérale de la concurrence internationale au lieu de promouvoir l’agriculture de proximité et l’agriculture biologique. Tu donnes donc tort à Rachel Carson qui a montré dès 1962 que le printemps pouvait advenir sans oiseaux à cause de la nécessité pour la monoculture d’utiliser des pesticides.
Ah, les OGM ! Tu fais encore appel à l’innovation qui ne peut que nous sauver. Mais un scientifique ne doit pas être un croyant dans un éventuel saut technologique alors qu’on sait déjà que les OGM déstabilisent l’agriculture traditionnelle, n’ont pas un rendement supérieur aux semences classiques et ne font le profit que des multinationales de la semence.
7/14) Claude Allègre contre les climatologues
Allègre : Troisième exemple, le contrôle du gaz carbonique. Laissons de côté la question des prévisions climatiques car elle sera réglée par les faits d’observations à condition de ne pas les masquer (pourquoi cache-t-on ces jours-ci le fait que la banquise arctique s’est reconstituée cet hiver comme elle était il y a douze ans ?). Faut-il le faire en organisant de grandes conférences internationales, fixer des quotas théoriques et palabrer sous la houlette dispendieuse de l’ONU ?
Biosphere : Comme d’habitude Claude, tu te crois plus fort que les centaines de scientifiques qui oeuvrent au sein du GIEC (groupe intergouvernemental d’études sur le climat). Mais tu ne peux prendre un cas particulier, la banquise arctique, pour une analyse générale de l’effet de serre. Ton analyse n’est pas inductive, elle est volontairement tronquée. Tout cela n’est pas très scientifique.
Quant aux solutions, que propose-tu d’autre à la place des négociations internationales sur le climat ? Il ne suffit pas de pourfendre, il faut montrer des alternatives.