simplicité volontaire

Soumission/ volontaire, comment sortir de cet oxymore ?

Nous aimerions une société idéale où l’individu ne serait conforme aux autres que si chacun répondait par son comportement aux exigences de l’éthique et de la solidarité. Mais éthique et solidarité sont souvent contradictoires. Il y a trop souvent EUX et NOUS, particulièrement dans une situation de pénuries. On accepte de partager les difficultés dans son groupe, on rejette d’autant plus violemment les autres. La montée de l’extrême droite dans le monde est le signe inquiétant de cette dérive. Pourtant sortir de la soumission volontaire à son groupe d’appartenance peut s’apprendre…

La soumission s’imprime dès l’enfance, c’est un passage obligé de notre élaboration cérébrale. Avec la socialisation primaire, la conformité sociale est acquise dans les premiers âges. On se soumet aux contraintes du milieu familial, l’enrobage affectif facilitant la reproduction des schèmes ancestraux. Ensuite l’école, attachant les élèves à leurs chaises pendant des années et des années, fait passer l’idée que réciter la vulgate enseignée par des professeurs est gage du succès dans la vie. Plus tard, le cursus dans une entreprise ou une administration apprendra le code spécifique à sa structure d’appartenance professionnelle. Tout passe par des filtres cognitifs, notre cerveau ne laisse passer que les informations qui nous confortent dans une vision du monde partagée par notre entourage. Nous sommes victimes d’un processus de conservatisme social auquel nous nous soumettons sans même y penser.

Le problème, c’est que notre comportement ainsi conditionné, s’il se révèle inadapté aux circonstances nouvelles, nous fait accepter une situation anormale. L’esclavage a été légitimité et accepté pendant des millénaires, de même l’infériorité imposée à la femme ou à d’autres « races ». Il n’y a que quelques personnes, rares, qui dès l’origine ont voulu combattre l’esclavage, la phallocratie, le racisme. Elles ont été marginalisées jusqu’à ce que l’évidence d’une autre conception s’impose socialement. Il faut pour cela un bouleversement interne ou un choc extérieur. La fin de l’esclavage n’a pas tellement découlé de l’action des abolitionnistes, mais de l’arrivée des esclaves énergétiques qui ont rendu la main d’œuvre servile moins attrayante. La fin du primat des hommes ne s’est pas opérée simplement par l’action des suffragettes et des féministes, mais par la découverte que le cerveau féminin avait des potentialités identiques au cerveau masculin, donnant droit à l’égalité des sexes. La condamnation du racisme a découlé des avancées de l’ethnologie, montrant qu’il n’y avait pas des « civilisations » supérieures ou inférieures, mais des organisations sociales différentes. La découverte de la structure génétique identique d’un bout à l’autre de la planète a rendu perceptible l’unicité de l’espèce humaine. Nous ne pouvons évoluer que si on peut nous (dé)montrer que nous pouvons penser autrement.

Aujourd’hui dans les démocraties occidentales, la fin de l’esclavage, l’égalité des sexes ou la diversité culturelle apparaissent comme des évidences. Mais les nouvelles thématiques à la mode, croissance économique et progrès technique, sont devenues les pensées incontournables du monde contemporain : une croyance sociale bien implantée. Le même processus de soumission volontaire est à l’œuvre. Quand la crise financière des subprimes a eu lieu, ce fut à la surprise générale, sauf pour de rares experts non-conformistes. Le sens commun avait accepté qu’on puisse vivre indéfiniment à crédit dans une société de croissance. L’alignement collectif était devenu une abdication partagée. En effet, la capacité d’un raisonnement personnel devient négligeable quand on se retrouve dans un milieu partisan, où la pression sociale tend à l’homogénéisation des comportements. Il y a interaction spéculaire, les autres sont le miroir dans lequel nous retrouvons notre propre attitude. La capacité d’avoir une action éthique ou raisonnée est de 100 % quand une personne est en situation de pouvoir juger personnellement. Elle n’est que de 50 % lorsqu’on se retrouve confronté aux attitudes d’une autre personne, la conscience de soi est divisée par deux. Dans un groupe, nos possibilités de faire différemment sont négligeables.

Se renouvelle l’enjeu : comment sortir de la soumission volontaire et échapper aux diktats du temps présent ? La fin de la société de croissance n’arrivera que quand l’activisme spéculatif se sera fracassé sur les limites écologiques de la planète ; nous ne pourrons plus relancer artificiellement les finances par injection de monnaie. Ce sera des chocs extérieurs qui nous feront évoluer culturellement. A ce moment, le mécanisme de l’interaction spéculaire pourra agir pour inverser nos sentiments. Les militants de la simplicité volontaire dont tout le monde se gausse à l’heure actuelle deviendront les exemples à suivre. Il y aura un phénomène boule de neige qui fera collectivement admettre l’austérité partagée. A la société du gaspillage nécessaire à sa perpétuation succédera l’économie, au sens propre de savoir économiser : une écologie du quotidien pratiquée par des individus éclairés.

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Pour un écolo, être barbu paraît naturellement seyant

La mode de la barbe aurait atteint son point zénithal, celui à partir duquel elle ne peut que retomber… probablement sous les coups de rasoir. Ce point de vue* nous semble erroné, la pilosité va au contraire devenir une norme durable. Laissons de côté les arguments fallacieux car relatif sur le sex appeal comparé des hommes glabres et de leurs camarades barbus. Envisageons l’essentiel, même coupée, la barbe repousse, inéluctablement. Car c’est un fait de nature que le rasoir a tort de remettre en question.

Le fait de se raser n’indique pas une convergence des sexes ou l’éloignement de l’homme  de son origine animale. Il s’agit uniquement d’une instrumentalisation des hommes par la publicité : le poil était devenu le cœur d’une nouvelle cible à des fins mercantiles. On a inventé les rasoirs mécaniques ou électriques, les jetables et les super-performants à trois lames, bravo les ingénieurs au service du profit ! C’est la civilisation thermo-industrielle, son rasoir et ses lames jetables, qui a transformé le monde occidental en cohortes de mâles bien propres sur eux.

                Il ne faudrait pas se raser quand on est écolo. Comme l’exprime Georgescu-Roegen** : « Il faut nous guérir du circumdrome du rasoir électrique, qui consiste à se raser plus vite afin d’avoir plus de temps pour travailler à un appareil qui rase plus vite encore, et ainsi de suite à l’infini… Il est important que les consommateurs se rééduquent eux-mêmes dans le mépris de la mode. » Les innovations représentent un gaspillage de base entropie. Autour de nous, toute chose  s’oxyde, se casse se disperse, etc. N’en rajoutons pas inutilement avec des lames jetables. Toujours plus de rasoirs signifie forcément un facteur d’entropie, une pollution et un épuisement plus important des ressources naturelles. Laissons la barbe pousser, et de temps en temps… un simple coup de ciseau !

* HYPERTRICHOSE – La barbe a-t-elle atteint sa masse critique ?

* La décroissance (entropie, écologie, économie) de Nicholas Georgescu-Roegen (1979, Sang de la terre 1995)

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Choisir l’égoïsme du présent ou l’altruisme envers avenir

Jean-Pierre Dupuy l’a dit : « Notre problème majeur est d’éviter la catastrophe suprême. De mauvaises nouvelles sur l’évolution du climat et pourtant, nous ne faisons rien. Pourquoi ?La façon la plus sûre de remplir notre obligation à l’égard des générations futures, c’est de faire qu’il n’y ait pas de générations futures, en détruisant les conditions nécessaires à leur existence. Les principes de la philosophie morale et politique ne s’appliquent pas à la justice entre les générations. Une théorie de la justice repose sur l’idéal de réciprocité, mais il ne peut y avoir de réciprocité d’intérêts entre générations différentes. La plus tardive reçoit mais ne peut rien donner en retour. Notre responsabilité ne s’adresse pas aux « générations futures », c’est par rapport au destin de l’humanité que nous avons des comptes à rendre.Si nous devions être la cause de ce que la porte de l’avenir se referme, c’est le sens même de toute l’aventure humaine qui serait à jamais détruit. Nous ne sommes pas les propriétaires de la nature, nous n’en avons que l’usufruit. De qui l’avons-nous reçu ? De l’avenir ! La sagesse amérindienne nous a légué la très belle maxime : « La Terre nous est prêtée par nos enfants. » »

Le philosophe Jean-Pierre Dupuy se trompe, rien ne fonde une obligation de faire des enfants tout en pensant à leur avenir lointain. Nicholas GEORGESCU-ROEGEN l’a exprimé d’une formule magnifique : « Peut-être le destin de l’homme est-il d’avoir une vie brève, mais fiévreuse, excitante et extravagante, plutôt qu’une existence longue, végétative et monotone. Dans ce cas, que d’autres espèces dépourvues d’ambition spirituelle – les amibes par exemple – héritent d’une Terre qui baignera longtemps encore dans une plénitude de lumière solaire ! »** Alors comment sortir de l’impasse conceptuelle ?

Le premier maillon d’une chaîne de raisonnements est indémontrable, il ne peut être prouvé. C’est ce qu’on appelle un axiome, un postulat ou un point de vue métaphysique, ontologique. Dit plus simplement, il s’agit d’un simple souhait du type « Je pense que Dieu existe » ou « C’est mon souhait que les êtres dotés d’un cerveau comme le nôtre, fruit d’un développement de plusieurs centaines de millions d’années en interaction avec toutes les formes de vie, défendent un mode de vie qui ne soit pas favorable uniquement à leur propre espèce mais à la totalité de l’écosphère dans toute sa diversité et sa complexité. (Arne Naess) » En fait il s’agit d’un choix fondamental d’existence, qu’on peut poser sur le mode binaire. D’un côté mon égoïsme, l’exubérance irrationnelle mais si merveilleuse du pillage total de la planète au profit de quelques-uns aujourd’hui mais au détriment de tous les autres. De l’autre l’altruisme, une austérité assumée pour laisser des ressources viables aux générations futures et de l’espace pour les autres espèces vivantes. On peut donc de façon contradictoire s’intéresser à l’avenir lointain ou adhérer aux codes d’une bande de prédateurs. Telle devrait être le postulat d’un écologiste, combattre l’égoïsme et favoriser l’altruisme.

* LE MONDE éco&entreprise du15 avril 2014, L’avenir n’a pas besoin de nous

** La décroissance (entropie, écologie, économie) de Nicholas GEORGESCU-ROEGEN (éditions Sang de la terre, 1979)

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La bonne conscience (écolo) vient aussi en mangeant

« Les Sustainable Restaurant Awards (SRA) sont, depuis 2010, décernés chaque année à des établissements exemplaires : approvisionnement local, traçabilité, « fait maison« , produits « responsables » (ingrédients de saison, issus de la pêche durable ou cultivés par des producteurs locaux), lutte contre le gaspillage, collecte des déchets organiques pour le compostage…  La propriétaire du premier hôtel-restaurant à avoir été certifié « Ecolabel » en France, Les Orangeries à Lussac-les-Châteaux : « Nous avons découvert qu’énormément de gens faisaient des choses merveilleuses autour de nous. Depuis, nous ne cuisinons quasiment plus qu’avec des produits de proximité. » Les chefs contemporains sont toujours plus nombreux à cultiver leurs jardins et à inverser le ratio végétal-animal dans leurs plats. Même des géants de la malbouffe (McDonalds, Unilever) ou de la restauration collective (Sodexo) n’hésitent pas à brandir les étendards de la « restauration responsable« . » Pour une fois LE MONDE magazine*, ce supplément sur papier glacé qui n’offre qu’illusions et paillettes, fait un tout petit peu d’écologie. S’il en faisait d’ailleurs un peu plus, il ne chercherait plus à imiter Le Figaro magazine* !

                Mais retenons l’essentiel de cet article : l’écologie diffuse dans la tête des gens du haut en bas de la chaîne alimentaire comme dans bien d’autres activités. Même s’il y a greenwashing (écoblanchiment), il y a quand même ce souci de la nature qui effleure. Il y aura donc un peuple écolo puisque commence l’effet boule de neige. La société est un système de représentations croisées entre individus : je me représente la manière dont les autres se représentent les choses et moi-même. Le comportement humain est tout à la fois modelé par le monde qui lui préexiste et modélisateur du monde par les actions qu’il entreprend. Cette réalité permet d’enterrer le vieux débat épistémologique sur l’antériorité de l’individu et de la société. L’un et l’autre se forment mutuellement, il s’agit d’une interaction spéculaire : nous agissons par mimétisme, ou plutôt comme dans un miroir : tu fais, parce que je fais, parce que nous faisons tous de même. Plus nous serons nombreux à manger autrement, plus la restauration publique et privée reposera sur des considérations écologiques, plus la nécessité de manger et vivre autrement se répandra dans la société.

Mais, particulièrement en France, la volonté d’exemplarité est trop souvent absente : les individus attendent surtout de l’Etat (et des autres) que l’on agisse à leur place. La situation est bloquée ! Il faut donc que quelqu’un commence à manger autrement, ce sera toi, ce sera moi, ce sera toi et moi, il suffit de s’y mettre. Prenons exemple sur les locavores, pratiquons le lundi végétarien, exigeons de notre restaurant son écolabel…

* M le magazine du MONDE, la conscience vient en mangeant (22 mars 2014)

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pipi sous la douche une fois par jour, cela ne suffit pas

« Faire pipi sous la douche une fois par jour économise 4380 litres d’eau potable par an et par personne. » Ainsi s’exprimait Florence Servan-Schreiber, l’animatrice de Mes recettes qui font du bien. Cette info montre que LE MONDE* contient aussi des détails aussi écolos que croustillants. Il est vrai que notre façon de faire pipi n’a pas été observée avec l’attention que cela mérite.

D’abord à la naissance. Un enfant qui porte des couches jetables jusqu’à ses 2 ans et demi génère, environ, 20m3 de déchets (l’équivalent d’une piscine de maison), soit 800 kg. Dépenser entre 760 et 1760 euros de couches jetables est un affront autant à la nature qu’à la culture alors que vivre les fesses à l’air est un véritable plaisir. Par la suite il y a les toilettes. L’homme est un tube digestif. Ses excréments le suivent comme son ombre et il projette son urine. La chasse d’eau se charge de tout cela. Or pisser dans des toilettes « hygiéniques » avec le « tout-à-l’égout » n’est pas le meilleur service à rendre à l’humanité… Même dans nos comportements les plus triviaux, nous devons nous considérer comme un élément des écosystèmes qui nous entourent. Autrefois nos déchets amendait la terre, nous faisions partie prenante d’une chaîne biologique, nous mangions par le haut et redonnions par le bas. Aujourd’hui nos mictions disparaissant on ne sait où dans des villes de plus en plus grandes. Or si le phosphore contenu dans l’urine n’est plus recyclé, la production agricole chutera. Il faut donc importer le phosphore depuis les mines de phosphates, peu nombreuses dans le monde. Le pic mondial du phosphore, ce qui veut dire baisse de la production agricole, devrait avoir lieu au milieu des années 2030. « Il est de plus en plus évident que l’altération des cycles de l’azote et du phosphore représente pour la planète un défi majeur qui n’a pas encore reçu assez d’attention », constatait le rapport Our Nutrient World du Programme pour l’environnement des Nations unies (PNUE).

Pour un avenir durable, la présence de phosphore dans la terre sera donc dépendante du réemploi de nos résidus. C’est l’urine qui contient la majeure partie du phosphore excrété. Elle est récupérable par l’usage de toilettes séparées pour la miction et la défécation**. Non seulement il nous faut revenir aux toilettes sèches, mais il ne faut uriner ni sous la douche, ni dans les WC…  seulement dans un récipient qu’on remettra directement aux agriculteurs !

* LE MONDE du 8 mars 2014, Cordon vert (chronique de Renaud Machart)

**  Pétrole apocalypse d’Yves COCHET

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L’héritage, instrument oublié de la décroissance

 « Consommer et produire moins, refuser le culte du travail, ralentir son mode de vie, démythifier le progrès… Oui, mais les objecteurs de croissance n’auraient-ils pas oublié de questionner un autre fondement de notre société : l’héritage ? » Le mensuel La décroissance* donne aussi la parole à des lecteurs avertis, ainsi de cette pensée de Laurent Flandin qui se poursuit de cette belle manière :

« L’héritage part a priori d’une bonne intention, sécuriser l’avenir de la filiation après le décès d’un proche. Encore faut-il ne pas se tromper d’objectif. Il est capital de questionner l’opportunité de cette transmission privée d’un patrimoine en tant que levier de la solidarité entre générations. Avec l’héritage, seule les familles les plus riches sont en mesure d’assurer la sécurité matérielle de leur filiation, ce qui est profondément inégalitaire. Tout citoyen devrait pouvoir disposer d’un accès garanti aux biens publics fondamentaux afin de ne plus craindre pour son avenir et celui de ses proches. La sécurité matérielle ne doit donc pas passer  par un hypothétique legs, fonction de sa classe sociale. En effet le propre de l’héritage dans un système  capitaliste est d’entériner le principe de l’accumulation infinie de richesses. Il permet à certains de désirer sans fin, en leur offrant la garantie que les richesses accumulées ne seront jamais perdues, mais bien transmise à leurs descendants. Dès lors le système de production peut fonctionner sans limite. Les individus sont encouragés à travailler toujours plus afin d’accumuler un maximum de richesse : d’une part pour subvenir à un besoin d’achats pulsionnels, d’autre part pour se constituer un patrimoine en expansion. La disparition de l’héritage serait un premier pas vers une société raisonnée, qui garantirait la sécurité de tous, plutôt que de favoriser la reproduction de privilèges… »

                Voici ce que nous pourrions ajouter : quand le patrimoine est transmis d’une génération à l’autre par famille interposée, les inégalités se reproduisent en effet dans le temps. Toute égalisation consisterait à donner à chaque personne le même capital de départ, ce qui est déjà difficile quand on considère qu’il y a à la fois un capital économique et financier (entreprise, patrimoine de rapport), mais aussi un capital culturel ( pouvoir de se faire entendre et de défendre ses intérêts et sa position sociale, qualités acquise par une socialisation spécifique), ou même un capital relationnel (le carnet d’adresses des parents ou de la grande école dont on sort). Ne transmettez pas à vos enfants tous ces biens, mais des valeurs morales. Instaurez  dans leur esprits la compréhension des équilibres de la Biosphère. Oubliez le pauvre argent des héritages financiers. En définitive la polarisation des raisonnements sur la reproduction sociale oublie un paramètre essentiel, le niveau de capital naturel qui est transmise non pas à l’intérieur d’une famille, mais d’une génération humaine à l’autre. C’est pourtant là l’essentiel, préserver l’avenir des générations futures en transmettant un capital naturel intact.

* mensuel La Décroissance n° 107 (mars 2014), et l’héritage alors ? (page 2)

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Des témoignages sur l’écologiste Alexandre Grothendieck

en hommage à Alexandre Grothendieck, un des pères de l’écologisme français :

Jean-François Pressicaud : « A l’occasion d’un voyage à Paris à l’automne 1971, j’ai rendu visite à Grothendieck chez lui. Son abord simple et direct, son tempérament ascétique (des vêtements simples, des sandales en toutes saisons, une natte pour dormir, un régime végétarien strict, etc.) cadraient bien avec sa personnalité refusant tout compromis. Nouvellement nommé pour deux ans professeur au Collège de France pour ses travaux mathématiques, Grothendieck avait souhaité aborder son cours, outre un exposé technique sur la théorie de Dieudonné, la question de la survie : Science et technologie dans la crise évolutionniste actuelle : allons-nous continuer la recherche scientifique ? On lui laissa la possibilité de traiter cet aspect sous sa propre responsabilité, off the records en quelque sorte. Au printemps 1972, il fut invité par deux lycées limougeauds. L’administration d’un des établissements scolaires, le préfet et quelques personnalités l’avaient convié à un repas. Grothendieck débuta le repas en vantant les qualités du pain biologique qu’il avait apporté et, en végétarien conséquent, refusa de faire honneur au copieux repas corrézien qui nous fut servi ! En salle de réunion, Grothendieck refusa de s’installer sur l’estrade où se tenaient les notabilités et élargit son propos sur l’agriculture biologique aux déséquilibres écologiques globaux et à la responsabilité des structures économiques et étatiques. Arrêté par les notables de la tribune arguant qu’ils étaient venus pour entendre parler de pollution et pas de politique, Grothendieck eut beau jeu de rétorquer qu’on ne peut sérieusement parler d’écologie sans mettre en cause les structures dominantes de la société. Après quelques échanges vifs, les notables quittèrent le terrain… 

Dans les derniers numéros de Survivre et Vivre, l’exaltation du désir comme énergie vitale conduisit à récuser l’écologie qui est recherche de l’autolimitation alors que le désir est sans limite. »

Jean-Paul Malrieu : « Les situationnistes avaient fait de la « survie » l’antithèse de la vie « pleine ». La survie était devenue un concept infamant. Il devenait impossible de garder seulement « survivre » pour titre, d’où l’adjonction « et vivre » au label de l’association pendant l’été 1971. Mais les dissonances ne s’effaçaient pas pour autant. Un soir de comité de rédaction, Grothendieck et Pierre Samuel vinrent avec un texte de mise au point. Il s’agissait d’une tentative d’identification des valeurs qui sous-tendaient notre action. Au mot de « valeur » le courant libertaire, désormais majoritaire, s’est récrié : concept vichyssois. Grothendieck a repris son texte, il est parti avant la fin de la réunion, on ne l’a plus revu. Je repense toujours avec honte à cette exécution idéologique sommaire. La question évacuée, celle des valeurs, que toute représentation du monde est forcée d’assumer était pertinente. L’invocation du désir et de la libération de l’individu, qui était l’alpha et l’oméga du courant situationniste, ne pouvait servir de boussole. Au nom de la liberté des sujets, de leur délivrance des entraves que pose le collectif, la guerre, certes sous des formes non sanglantes, fonctionnait désormais comme paradigme suprême. »

Michel Sourrouille : « En mars 1972, j’ai assisté à la fac de sciences à une conférence de Grothendieck. Il était complètement chauve, avec un accent étrange, mais sa parole était véridique : « Je ne suis pas venu pour faire un cours. Que ceux qui sont au fond veuillent bien descendre pour prendre part à la discussion ? » Je trouvais avec délice encore plus radical que moi. Grothendieck : « La plupart des scientifiques disent faire de la recherche pure parce que ça leur fait plaisir, les autres parce que c’est bon pour l’humanité. En réalité, c’est pour le salaire ! La fonction de l’enseignement n’est pas fonction de nos besoins mais consiste en une série d’obstacles inutiles  qui ne servent à rien. Il est difficile de parler de nous en public, or c’est de cela qu’il faut ici parler, et non de concepts théoriques, que ce soit le binôme de Newton ou la lutte des classes. » Grothendieck nous parle aussi de la plénitude de la vie contre la spécialisation abusive : « Une mutilation, une monstruosité que de faire des math à longueur de journées. » Trois heures après, la réunion continuait… La méthode Grothendieck consistait à parler de lui en introduction, puis le reste du temps il répondait directement aux questions avec un bon sens, une vision du monde extraordinaire. Mais le soir au lycée Montaigne de Bordeaux, les questions des lycéens ont montré à quel point « l’amour des études »  bloquait toute discussion. »

Daniel Caniou : « Comme j’habitais pas très loin de Grothendieck, j’ai pu assister à quelques réunions de Survivre. J’ai été particulièrement frappé par son empathie, sa curiosité, sons sens de l’écoute… et son sourire. Nous pouvions échanger sur l’aspect politique de telle ou telle science tout en partageant la recette d’un plat végétarien amené par l’un ou l’autre d’entre nous. Les liens se tissaient et cela nous amenait à définir notre place dans ce que nous percevions comme un indispensable décrochage par rapport à l’évolution techno-industrielle de la société. »

Jérôme Manuceau : « J’ai vu Grothendieck pour la dernière fois lors d’une virée à Montpellier avec ma compagne. Je lui ai rendu visite dans sa bicoque au milieu des champs : « Je te présente ma compagne. » Grothendieck m’a répondu : « Pourquoi, elle n’a pas un prénom ? » »

Source principale : Survivre et vivre (critique de la science, naissance de l’écologie), collectif coordonné par Céline Pessis

éditions Frankenstein 2014, 482 pages, 25 euros

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L’autoproduction, une voie vers la décroissance ?

Laurence Baudelet : « L’autosuffisance individuelle est quasiment inatteignable : seul, vous êtes vite confronté à vos limites. Vous pouvez éventuellement faire un petit potager, mais pas davantage. La coopération entre individus est nécessaire, essentielle. C’est pourquoi l’autoproduction c’est aussi un réseau de liens. C’est d’ailleurs une des motivations de ceux qui s’investissent dans les jardins potagers. Quand on a beaucoup de tomates, on en donne aux voisins, à la famille. On troque avec d’autres jardiners. L’autoproduction c’est aussi une voie vers la décroissance. Elle va avec une forme de sobriété. »

Matthew B. Crawford : « Cela prend des années de devenir bon dans n’importe quel domaine, et la vie est courte. Par conséquent nous nous spécialisons, et sommes nécessairement dépendants des autres. Notre dépendance envers nos contemporains forme la base de l’échange économique. Mais quand nous devenons dépendants de vastes forces impersonnelles, notre dépendance aux autres est évacuée de notre conscience. Nos habitudes de consommation peuvent alors facilement être accélérées. Ceci est non seulement néfaste pour l’environnement, mais aussi pour la connaissance de soi. En essayant d’être un peu plus indépendant, l’apprentissage et l’effort nécessaire pour cela a généralement l’effet surprenant de vous rendre plus conscient de votre dépendance envers les autres. »

Daniel Cérézuelle : « Depuis les débuts de la période industrielle et avec l’urbanisation croissante, la part de l’autoproduction a diminué au profit de l’achat de biens et de services. Depuis deux siècles le développement économique s’est nourri du transfert d’activités de la sphère domestique vers l’économie monétaire. Mais il y a fort à parier que l’autoproduction, loin d’être ringardisée, connaîtra un regain compte tenu des contraintes écologiques et des difficultés économiques actuelles. Une étude récente montre d’ailleurs que les ménages obtiennent aussi leur bien-être matériel en bricolant, préparant leur repas, améliorant leur logement, jardinant… Une évaluation de l’autoproduction ne doit pas se laisser entraîner dans une alternative artificielle entre le moderne ou l’archaïque. »

(quelques morceaux choisis d’un dossier du mensuel La Décroissance, février 2014)

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Interdisons les sodas, place à l’écologie responsable

Explosion de l’obésité mondiale, explosion de la vente de sodas, les deux sont liés. Au Mexique, l’achat d’une bouteille de Coca-Cola de 3 litres paraît être une dépense de première nécessité. Dans un pays devenu le premier consommateur mondial de sodas Sept Mexicains sur dix sont victimes d’obésité (IMC, indice de masse corporelle, supérieure à 30), ou de surcharge pondérale (IMC > 25)*.

Entre 1980 et 2008, le pourcentage de personnes affichant un IMC supérieur à 25 est passé de 23 % à 34 % au niveau mondial. Dans les pays émergents, le nombre de personnes trop grosses a presque quadruplé en moins de 30 ans, passant de 250 millions à 904 millions**. La majorité des gens en surpoids se trouvent désormais dans les pays « en développement ».

Les dépenses de santé explosent. Première cause de mortalité, le diabète, qui affecte de plus en plus d’enfants autrefois épargnés. Mais il y a aussi une très forte hausse du cancer et des AVC. C’est la responsabilité de l’industrie agroalimentaire qui remplace l’eau par des sodas et le régime alimentaire traditionnel par des produits trop riches en graisses, en hydrates de carbone et en sucre. Les multinationales provoquent une « transition nutritionnelle », la perte des modèles culturels à base de nourriture locale et de produits naturels. Du soda fourni à un village isolé du Mexique, et René Dumont se déchaînait il y a plusieurs années : « Coca-Cola est le meilleur allié du sous-développement. L’ouvrier agricole pauvre qui en a bu deux bouteilles dans sa journée n’a plus de quoi acheter du lait et des fruits à ses enfants. Et les bénéfices de l’usine d’embouteillage, repartent enrichir les Etats-Unis. »

Que faire ? Boycotter Coca-Cola ? Un impôt sur les aliments trop riches en calories ? Une taxe sur les boissons sucrées ? Des ateliers de formation à une bonne alimentation ? Une interdiction de la publicité à destination des enfants ? Tout cela est et sera détourné par le poids des lobbies sur les politiques. Quand on est un écologiste responsable, il faut donc programmer l’interdiction des sodas dans un premier temps et à plus longue échéance de la nourriture industrielle. Place aux circuits de proximité et aux produits naturels…

* LE MONDE du 7 janvier 2014, Un Mexicain consomme 163 litres de sodas par an

** LE MONDE du 7 janvier 2014, L’explosion de l’obésité menace les systèmes de santé des pays émergents

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fumer du cannabis est-il écolo ? Certainement pas !

Périodiquement le cannabis revient en page une des médias. LE MONDE* n’échappe pas au culte du sensationnalisme. Pire, un économiste s’y fait le chantre de la légalisation de la marijuana. Selon Pierre Kopp**, il n’y aurait que des avantages : s’éviter le coût exorbitant de la guerre à la drogue, éliminer l’économie parallèle, dégager de nouvelles recettes pour l’Etat, faire comme tout le monde. Pourtant, ne prendre en compte que la dimension policière et économique de l’usage du cannabis pour plaider en faveur de sa vente libre est une curieuse façon d’envisager le problème. En fait cela n’empêcherait pas le transfert de l’économie parallèle vers d’autres drogues. Approuver un Etat dealer paraît aussi très bizarre et  prendre comme exemple à suivre l’Uruguay et l’Etat du Colorado n’est pas une justification. Le problème, c’est que certains écolos sont sur la même ligne.

En tant que chef de parti Cécile Duflot avait déclaré publiquement en juin 2012 : « Il faut considérer que le cannabis, c’est comme l’alcool et le tabac, même régime ; une politique de santé publique et de prévention, notamment vis-à-vis des plus jeunes. » La dépénalisation du cannabis, c’est « la position » des Verts, depuis « très longtemps ». Ce positionnement résulte d’un amalgame au moment de la formation des Verts entre deux types de tendance. D’un côté un gauchisme issu de mai 1968 bercé par les illusions du slogan « il est interdit d’interdire » ; de l’autre l’écologie scientifique qui s’intéressait au devenir des écosystèmes et qui a débouché sur l’écologie politique. Il faudrait que l’écologie politique abandonne son aspect permissif pour atteindre sa maturité. Il faudrait que Cécile Duflot sache dire « Non, cela ne doit pas se faire ».

Rappelons que le principe actif du cannabis, le THC tétrahydrocannabinol, est inscrit sur la liste des stupéfiants. Des doses fortes entraînent rapidement des difficultés à accomplir une tâche, perturbant la perception du temps, la perception visuelle et la mémoire immédiate, et provoquent une léthargie***. Est-ce cela qu’on attend d’un écolo, l’inconscience citoyenne ? L’appareil respiratoire est exposé aux risques du tabac qui accompagne le joint. Il y a des difficultés de concentration, donc des difficultés sociales, une dépendance psychique possible, des dédoublements de la personnalité… Ces effets peuvent se traduire par une forte anxiété et favoriser la survenue de troubles psychiques. Est-ce cela que les écologistes défendent, des citoyens en difficulté ?

Nous savons combien il est difficile de résister à l’addiction à l’alcool ou au tabac, il n’est nullement besoin de favoriser une drogue supplémentaire. D’autant plus que le cannabis est un produit importé, un comble quand on prône la relocalisation. Quant au cannabis produit sous serre, bonjour la consommation d’énergie ! Aux surfaces cultivées pour produire de l’alcool, du tabac ou du cannabis, on ferait mieux de privilégier les cultures vivrières et de laisser le plus possible de surface non cultivées pour la biodiversité. Un peuple écolo est un peuple exemplaire, il ne fume ni tabac, ni cannabis. Simplicité volontaire oblige.

* LE MONDE du 3 janvier 2014, gros titre en Une, Cannabis : vers la fin de la prohibition

** LE MONDE du 3 janvier 2014, La légalisation du cannabis, « un jeu gagnant-gagnant économiquement »

*** Drogues, savoir plus, risquer moins (www.drogues.gouv.fr)

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De la self reliance au savoir-quoi-faire de sa vie

Matthew Crawford exprime l’idée que nous avons besoin d’un savoir-faire, notion encore plus importante que celle de self-reliance. En résumé :

« Nous avons de moins en moins l’occasion de nous montrer directement responsable face à notre propre environnement physique. Les voitures haut de gamme, chez Mercedes par exemple, ne contiennent même pas de jauge pour pouvoir vérifier où en est l’huile. Au lieu de cela, on vous envoie un e-mail lorsque votre niveau d’huile commence à baisser. La self-reliance, cela consiste simplement à prendre soin de nos propres affaires. Cette sensibilité semble être de moins en moins présente : nous nous complaisons dans la dépendance, que ce soit vis-à-vis de technologies ou d’autres personnes… qui peuvent nous lâcher en cours de route. Mais il faut dire aussi que cette idée a été pervertie. Pour le Tea party, une self-reliance serait celle où il n’y aurait pas de filet de sécurité, aucune sécurité sociale, des pensions privatisées… C’est donc une notion parfois employée à l’encontre de l’esprit collectif.

L’idée à défendre est donc plutôt celle de savoir-faire : observer les effets directs de nos actes dans le monde, et savoir que ces actes sont véritablement les nôtres. La question du « Que faire ? » est à rattacher à la question de ce qu’il faut considérer comme important ; mais c’est une question à laquelle on répond constamment à votre place, depuis les haut-parleurs de ceux qui on un intérêt commercial à vous insuffler une réponse. Dans la culture consumériste, on nous offre sans cesse des choix. Cela s’inscrit dans une anthropologie moderne pervertie qui insiste sur « l’autonomie »  en supposant que plus on reçoit de choix, plus on est libre. Mais dans la pratique du savoir-faire, tout le superflu disparaît : lorsque vous cuisinez un repas, toute votre attention est là, dans la cuisine, sur les légumes, les couteaux, ce que vous en faites. Nous avons véritablement soif de ce genre d’expériences, car ce type de concentration est primordial. Il s’agit de se tailler un espace à l’abri des écrans et du bruit.

Les pratiques de savoir-faire peuvent nous aider à structurer notre vie, elles constituent un secours face à cet excès de « liberté » dans un monde consumériste. »

Source : L’Ecologiste n°41, automne 2013, Qu’est-ce que l’autonomie ?

A lire : Made in local de Raphaël Souchier, Eyrolles 2013, 313 pages

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limiter notre pouvoir est-il le signe d’une répression ?

Comme fondement de nos analyses sur ce blog, il y a le rejet de tout ce qui prône l’illimité et en conséquence nous préconisons un retour au sens des limites. Certains auteurs vont dans le même sens, ainsi notre dernier livre de chevet : « Radicalité, 20 penseurs vraiment critiques ». Voici (par Guillaume Carnino) une présentation de Dany-Robert Dufour, philosophe à la croisée de la psychanalyse, de la philosophie du langage et de la critique politique. En résumé :

« Un invariant semble se dégager des antiques commandements en apparence arbitraires : la pléonexie (de pleon et echein, littéralement « plus avoir ») comme interdit. Ce « désir d’avoir toujours plus », voilà ce que les sociétés anciennes redoutaient et combattaient. Ainsi de l’interdit de l’usure.

A force de développer des fictions diverses et variées, l’être humain a fini par s’apercevoir qu’il se racontait des salades, et a donc décidé de toutes les balancer par la fenêtre. Après être passé par Dieu, le peuple, le prolétariat, et une fois que toute autre élucubration unificatrice a vraiment cessé de faire sens, l’être humain s’aperçoit que sa libération comporte un lourd tribu à payer : il n’a plus à dire sur le sens de la vie. L’avènement de la modernité a éclipsé l’ancien monde. Le cycle consistant à « donner-recevoir-rendre » est remplacé par l’acte de « prendre », médiatisé par l’argent. La totalité de l’anthropologie libérale est contenue dans ce programme, la libération des pulsions. Comme le note Dufour avec ironie, pour attraper un Européen moyen du XXIème siècle, il suffit de lui montrer des objets dans une boîte appelée télévision ou ordinateur, pour que sa main se referme sur l’appât et qu’il soit pris dans un cercle vicieux, voulant avoir toujours plus pour combler ce toujours moins d’être qu’il ressent confusément : c’est l’addiction. Désormais, nul grand récit ne nous donne une place dans l’univers et les injonctions contradictoires abreuvent notre ego au point de l’hypertrophier.

Toutes les limites apparaissent désormais comme l’indice d’une répression, plus rien n’est en mesure de faire barrage à ce déferlement d’ego. Le pléonexe préfère détruire le monde plutôt que de renoncer à l’illimitation. En art, la transgression permanente est devenue la règle. Désormais, des générations entières d’élèves sont donc sacrifiées aux seuls vrais parents qui les éduquent en les rabaissant : la télévision, Internet et le marché, main dans la main. Nous sommes asservis par nos désirs aux machines et au profit. Dufour s’en prend aussi aux théories queer, qui prétendent brouiller les identités de genre (masculin/féminin) sans s’attaquer aux fondements de la domination des femmes par les hommes. Le corps lui-même apparaît comme une intolérable barrière à la toute-puissance du moi, et on ne compte plus les techniques chirurgicales, sportives ou simplement esthétiques, visant à le ciseler selon les moindres désirs de l’ego.

                Dès lors il ne reste plus qu’à résister pour maintenir ou recréer des structures permettant le déploiement de limites indispensables à la formation d’individus heureux et libres. Il nous faut recréer l’écosystème naturel et social permettrant à l’humanité de se perpétuer pour éviter une évolution technologiquement instrumentée (biologie de synthèse), une destruction réelle de l’environnement et une guerre de tous contre tous. Dufour propose rien de moins que de transgresser le dogme de la transgression : après avoir cru qu’il était interdit d’interdire (mai 1968), il serait peut-être temps de comprendre qu’il est obligatoire de s’obliger. »

(éditions l’échappée 2013, 402 pages, 25 euros)

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Loin de la laideur de ce monde, limitons nos besoins

Sans avoir conçu le péril écologiste, juste conscient du péril que font courir de tout temps les hommes sur les hommes, Lanza del Vasto a préfiguré la simplicité volontaire des objecteurs de croissance. Voici quelques extraits de la pensée de Lanza pour vous inciter à en lire plus :

« Efforce-toi de désirer ce que chacun, comme toi, peut avoir.

Ne proteste pas contre ce que tu désappouves. Passe-t-en.

Passe-toi de toutes les organisations industrielles, commerciales, officielles.

Si tu désapprouves la laideur du siècle, jette loin de toi ce qui vient d’une usine.

Si tu désapprouves la boucherie, cesse de manger de la viande.

Si tu désapprouves la guerre, ne serre jamais les poings.

Si tu désapprouves la banalité, ne lis par le journal.

Si tu désapprouves la misère, dépouille-toi librement.

Si tu désapprouves le mensonge, quitte la ville.

Que font-elles de nécessaire les villes ?

Font-elles le blé du pain qu’elles mangent ?

Font-elles la laine du drap qu’elles portent ?

Font-elles du lait ? Font-elles un oeuf ? Font-elles le fruit ?

Elles font la boîte. Elles font l’étiquette.

Elles font les prix et la politique.

Elles font la réclame et du bruit.

Elles nous ont ôté l’or de l’évidence, et l’ont perdu. »

In Lanza del Vasto ou l’expérimentation communautaire (de Frédéric Rognon)

éditions les précurseurs de la décroissance, 110 pages, 8 euros

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Un enfant autonome ne reçoit pas de cadeaux à Noël

Fuyez les dépenses superflues qui épuisent les ressources naturelles et se transforment en déchets plus ou moins recyclables : n’offrez  pas de cadeaux à Noël. Nos enfants sont les petites victimes du marketing qui transforme le père Noël en fournisseur d’un bon de commande validé par l’industrie du jouet. Crise ou pas, l’infantilisation des masses jeunes et adultes se poursuit à chaque Noël. Les petits français ne savent même pas que le Christ dont Noël est la fête est né dans la plus pauvre des conditions. Le véritable message de Noël est celui du partage, certainement pas cette outrance des marchands du Temple qui nous proposent leurs gadgets plus ou moins chinois. Réagissez ! Ecoutez le message délivré en janvier 1973 par le mensuel La Gueule ouverte :

« Le Père Noël est le camelot immonde des marchands de rêve et d’illusion, véritables pirates des aspirations enfantines, colporteurs mercantiles de l’idéologie du flic, du fric, du flingue… Face à la grisaille géométrique des cités-clapiers, bidonvilles de la croissance, face aux arbres rachitiques, aux peuples lessivés, essorés, contraints, s’étale la merde plaquée or-synthétique, la chimie vicieuse des monceaux de jouets. Les jeux sollicitent de plus en plus de consommation électrique. Allez, tenez, on va fantasmer un peu : bientôt pour construire des centrales nucléaires, l’EDF s’adressera à nos gosses et leur proclamera la nécessité de l’atome pour fournir de l’électricité à leurs jouets !

Quelles sont les tendances d’enfants ouverts vers un milieu naturel ? Ils courent, ils jouent dans les flaques, se roulent dans la boue, ou tentent de percer les mystères de « papa-maman ». Ils vivent, pensent, créent, se contentent de quelques bouts de bois. Recouvrir ces apprentissages fondamentaux par une montagne de plastique animé par des piles électriques est le but criminel de notre société : n’offrez  pas de cadeaux à Noël. »

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Le Noël des marchands étouffe toute spiritualité

En Europe, les rituels liés à l’approche de l’hiver sont ancestraux. Fixer la naissance de Jésus près du jour le plus court de l’année, ce fut d’abord la tentative de l’Eglise catholique de nier un paganisme proche de la Nature.
La liturgie de la Messe de l’Aurore rappelle que la nuit est passée, le jour est avancé. L’invention du père Noël résulte d’un détournement historique complémentaire. L’Église catholique avait décidé de remplacer les figures païennes par des saints. Saint Nicolas de Lycie désignait le saint protecteur des tout-petits car, selon la légende, il aurait ressuscité trois enfants trucidés par un horrible boucher. Mais il était fêté le 6 décembre : un personnage, habillé comme on imaginait que saint Nicolas l’était (grande barbe, crosse d’évêque, grand vêtement à capuche), va alors de maison en maison pour offrir des cadeaux aux enfants sages.

C’est seulement en 1809 que l’Américain Washington Irving a créé le personnage du Père Noël. La mondialisation du Père Noël peut commencer, y compris avec sa couleur rouge, utilisée dès 1866. De nombreuses firmes avaient déjà utilisé cette symbolique dans des publicités, mais Coca-Cola a largement contribué à fixer l’image actuelle : à partir de 1930, une série de publicités pour la marque Coca-Cola utilise le costume rouge et blanc. En France les catholiques, qui depuis longtemps s’échangeaient des petits cadeaux à Noël le 25 décembre en l’honneur de la naissance du Christ, ont résisté un temps au « père Noël ». Mais entre le XIX et le XXe siècle, des chrétiens associent cette « fête des enfants » à celle de l’Enfant Jésus : Saint Nicolas fera désormais sa tournée la nuit du 24 décembre.

Le père Noël n’est qu’un hérétique dont la hotte va être garnie par les marchands du Temple. Aujourd’hui l’enfant Jésus est bien oublié, Noël est devenu la fête des marchands. Même des pays n’ayant pas de tradition chrétienne comme la Chine utilisent désormais le 25 décembre comme outil de vente. Rien n’est plus emblématique de l’esprit de notre temps que cette fête de Noël (censée représenter la naissance du fondateur d’une religion à l’origine ascétique) qui a dégénéré en un rite purement commercial et mène à son paroxysme la fièvre consumériste. Il nous faut trucider le père Noël.

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L’immonde père Noël vu au travers des yeux d’enfants

– Il s’agit d’enfants de CE1 mais cela peut se passer partout en France. Un garçon dit ne pas croire au père Noël. Les autres lui rétorquent : « Attention, si tu n’y crois pas, tu n’auras pas de cadeaux ! » Ce mécanisme d’intimidation est fréquent : « Attention, si tu ne crois pas en Dieu, tu iras rôtir en enfer… »

– Une fillette de cinq ans a fait une liste pour le père Noël longue comme un jour sans pain. Un membre de sa famille lui pose la question : « Si tu n’avais qu’un seul choix à faire, lequel ferais-tu ? » Et la petite fille de répondre sans sourciller, « Premièrement celui-ci, deuxièmement celui-là, et aussi… » Comme chacun sait, la société de consommation ne connaît pas de limites dès le plus jeune âge.

– Ce petit garçon ne croit plus trop au père Noël. Son oncle veut lui faire sentir les limites de toute chose : « Et si ta maman n’a pas assez d’argent pour t’offrir des cadeaux à Noël. » Sans se démonter, l’enfant envisage immédiatement de changer de mode de garde et d’aller vivre chez son père. L’affectif dans une famille n’est plus ce qu’il était.

– Dans cette famille, c’est terrible. Dès que les cadeaux sont achetés et cachés, les enfants ont un sixième sens pour le deviner ; ils exigent d’avoir ces cadeaux immédiatement tout de suite sans attendre le jour de Noël. Pourtant il y a de fortes chances que ces cadeaux soient oubliés aussitôt qu’ouverts.

Ainsi va le conditionnement dans la société des marchands. Cela commence très tôt, dès le jour de Noël et chaque fois qu’un enfant passe devant la caisse d’un supermarché où s’amoncelle (à sa hauteur !) les friandises. Mais on peut toujours rencontrer pire, par exemple l’objet en caoutchouc que machouille le bébé  et qui a la forme d’un portable.

Si vous avez d’autres histoires d’enfants intoxiqués par la société de consommation, prière d’en mettre en commentaire sur ce post, merci.

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pour un Noël autrement, s’abonner à Biosphere-Info

Ce blog édite un bimensuel électronique auquel vous pouvez vous abonner gratuitement. Il suffit d’envoyer un courriel à biosphere@ouvaton.org. Pour en donner un avant-goût, voici la présentation d’un numéro sur le Noël des marchands :

Les religions et l’écologie ne font pas bon ménage. C’est anormal. Le respect de la Création devrait être un devoir pour les juifs, les chrétiens et les musulmans, tous issus d’une même tradition. Pourtant rares sont les chrétiens qui prônent, à l’occasion de Noël, le retour à la simplicité biblique. Cette fête de Noël, censée représenter la naissance du fondateur d’une religion à l’origine ascétique, a dégénéré en un rite purement commercial et mène à son paroxysme la fièvre consumériste. Rien n’est plus emblématique de l’esprit de notre temps que cette perte du sens de la modération. Le mouvement « Vivre Noël autrement » montre que la résistance est possible. Des initiatives laïques comme les mouvement pour la simplicité volontaire et l’objection de croissance vont dans la même direction…

Pour lire le numéro complet, cliquez ICI.

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Se moucher sans mouchoir, tel sera notre avenir

Il n’y a pas meilleure invitation à la réflexion que les questions que vous pose un jeune enfant. Sa curiosité et son sens de l’observation font merveille. Ainsi une petite fille m’a dit à brûle-pourpoint : « Mais un chat, il n’a pas de mouchoir, comment fait-il quand il a la goutte au nez ? »

Un chat laisse la nature faire et la goutte couler, ou bien il souffle dans son nez pour faire partir ce qui gêne. Alors, pourquoi un être humain, cet animal parmi d’autres, n’en ferait-il pas autant ? On s’interroge doctement sur les vertus écologiques comparées du mouchoir en papier ou du mouchoir en tissu, on étudie lequel de cet ustensile de poche a le cycle de vie le plus court et l’impact sur la planète le plus doux. Mais personne ne conseille de se boucher une narine avec un doigt (avantage de l’homme sur le chat), souffler très fort pour vider l’autre, et réciproquement : soulagement garanti de la façon la plus naturelle qui soit. C’est la même démarche que Diogène avait initiée il y a bien lontemps. Ayant vu un jour une souris qui courait sans se soucier de trouver un gîte, sans crainte de l’obscurité, il la prit pour modèle. Cet écologiste avant la lettre pratiquait la vie la plus simple qui soit, marchant pieds nus en toute saison, dormant sous les portiques des temples et ayant pour demeure habituelle un tonneau. Le principe de sa philosophie ? Vivre simplement et sainement selon la nature. Il jeta un jour son écuelle en voyant un enfant boire l’eau de la fontaine avec ses mains : « Cet enfant m’apprend que je conserve encore du superflu. »

Oui, les enfants nous apprennent des choses que la civilisation matérialiste nous a fait oublier. Sur une planète exsangue, il nous faut dorénavant aller au plus simple, limiter nos besoins. Aujourd’hui, alors que nous voulons encore dépasser toutes les limites, cette tournure d’esprit devient indispensable. Se moucher à main nue ou avec un mouchoir n’est qu’une des innombrables questions que nous devrions nous poser sur notre comportement personnel, particulièrement en cette fête des marchands qu’on appelle Noël. A chacun ensuite de trouver sa voie du moment que c’est celle de la modération.

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Le café, ce breuvage amer au service des multinationales

Le café est le deuxième produit (en valeur) échangé dans le monde après le pétrole. C’est le produit dont les Français auraient le plus de mal à se passer, 80 % d’entre eux en boivent au petit déjeuner, 74 % après le déjeuner. Pourquoi donc buvons-nous du café ? Au XVe siècle, les soufis l’utilisaient comme dopant lors des cérémonies religieuses. Louis XIV a été séduit par ce breuvage en 1669. Cela fait travailler les esclaves, 500 000 noirs à Saint Domingue en 1790. Durant les années 1820-1840, le café prend son essor grâce à l’afflux d’esclaves au Brésil et représente plus de 60 % de ses exportations à la fin du XIXe siècle. Main d’œuvre à bas prix, usages d’une élite, industrialisation des processus de fabrication, propagande publicitaire pour la pause café, ce breuvage qui n’a même pas bon goût se répand dans toutes les couches de la société. Pourtant nous n’avons pas besoin de café pour notre équilibre alimentaire, c’est un désir créé de toutes pièces. L’urgence écologique nous demande de limiter nos besoins, nous pourrions commencer par nous priver de café.

La culture du café de la ceinture tropicale occupe 125 millions de personnes. Il s’agit uniquement d’une culture d’exportation, écologiquement et socialement néfaste. Non seulement l’agriculture d’exportation se fait au détriment de la culture vivrière, mais elle pousse à l’exode rural et à la paupérisation. De plus l’exportation de produits agricoles veut dire exportation d’une partie des qualités du sol. Or le maintien de la fécondité de la terre est la condition essentielle d’un système d’agriculture durable. Certains mettent en avant le café  « équitable » qui valorise le prix d’achat en faveur des petits producteurs. En Europe 75 % du commerce équitable est sous le contrôle de Max Havelaar : les normes sont maison et les contrôles aussi, laissant place à des dérives. Enfin le café doit parcourir de nombreux kilomètres pour aboutir dans notre tasse : adieu le breuvage de proximité et le choix locavore.

Bien entendu LE MONDE éco&entreprise* dont nous avons tirés les chiffres de ce post ne fait aucun critique de la consommation de café. Pour nos journalistes, nos dirigeants et nos maîtres de conférence, ce qui compte, c’est de consommer toujours davantage, ce n’est pas de réfléchir au bien-fondé de notre consommation…

* LE MONDE éco&entreprise du 28 septembre 2013, Le café, de la traite des Noirs au commerce équitable

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Faut-il être végétarien ? de Cl. Aubert et N. Le Berre

La deuxième partie du XXe siècle est une grande période de remaniement de l’alimentation humaine. Le langage courant en rend compte : en 1900 on gagne son pain avec son travail, vers 1950 on fait son beurre, vers 1970-80 on défend son bifteck, en 2000 il n’y a plus de référence à l’alimentation : on gagne tout simplement de l’argent. L’alimentation ne compte plus en tant que repère de base. Ce livre fait donc le point sur les dérives et  conséquences néfastes de nos modes alimentaires : importations frauduleuses, intoxications alimentaires, risque de maladies cardio-vasculaires et de certains cancers, énormes gaspillages d’eau et de terre, contribution à la déforestation et à l’effet de serre…

Dans un contexte d’inculture nutritionnelle grandissante, ce livre est surtout important car il nous donne des connaissances précieuses sur le contenu de nos assiettes. Le passage du « fait maison » au tout industriel a un effet pervers majeur : le consommateur ne sait plus ce qu’il mange et comment sont faits les plats qu’il ingère. Par exemple nous devrions tous connaître le raffinage. Il s’agit d’un ensemble d’opérations physiques et chimiques permettant d’obtenir un produit très stable, facile à conserver et de qualités gustatives reproductibles. Mais pour obtenir ce résultat, très pratique pour les industriels, on n’hésite pas à faire perdre au produit une partie de ses protéines et surtout une majorité de ses minéraux, vitamines, fibres et substance bioactives. C’est le triomphe du pain blanc et des viennoiseries, ou des soi-disant céréales au petit-déjeuner.

Le film de Morgan Spurlock, Super Size Me, devrait être projeté dans toutes les écoles. Le réalisateur, homme jeune, bien portant et sportif, décide de manger exclusivement pendant un mois les repas fabriqués par un fast food. De plus il arrête le sport. De semaine en semaine la dégradation de la santé s’installe ainsi que la prise de poids. Morgan Spurlock mettra six mois pour retrouver son état de bonne santé antérieur. C’est toute une culture agroalimentaire qui est en cause.

Ce livre « Faut-il être végétarien ? » laisse pourtant à chacun sa liberté : « Une dominante végétale n’est pas synonyme de suppression de la viande, et il faut redécouvrir les plats traditionnels dan lesquels la viande, au lieu d’être l’ingrédient principal, est un complément d’une base végétale…. Mentionnons le couscous, paella, pizza, riz cantonais, pot-au-feu, potées  de toutes sortes, petit salé aux lentilles (jadis appelé lentilles au petit salé !) » Quelques recettes viennent éveiller les sens à autre chose que la viande.

(Terre vivante, 154 pages, 14 euros)

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