un enfant par famille (suite)

La politique chinoise de l’enfant unique est une monstruosité relative. Mais l’hyperconsommation des riches est une monstruosité absolue. En toute  chose, il faut savoir raison garder, et ne comparer que ce qui est comparable.

« Ce n’est pas un hasard si la plupart de ceux qui sont obsédés par la croissance de la population mondiale sont de riches hommes blancs, trop âgés pour se reproduire : il s’agit de la seule question environnementale dont ils ne peuvent être tenus responsables. En mai, le Sunday Times publiait un article titré : « Un club de milliardaires annonce qu’il veut réduire la surpopulation. » Il révélait que « plusieurs éminents milliardaires américains se sont rencontrés secrètement » afin de décider quelle bonne cause ils devraient défendre. « Un consensus a émergé, consistant à soutenir une stratégie s’attaquant à la croissance démographique, dénoncée en tant que menace environnementale, sociale et industrielle potentiellement désastreuse. » En d’autres termes, les ultra-riches ont décidé que ce sont les très pauvres qui polluent la planète. James Lovelock, comme Sir David Attenborough et Jonathan Porritt, est l’un des soutiens du Optimum Population Trust. Ce n’est qu’une des campagnes et des organisations caritatives parmi des douzaines dont le seul but est de décourager les gens d’avoir des enfants au nom du sauvetage de la biosphère. Mais je n’ai pas réussi à trouver une seule fondation dont le seul objectif soit de s’occuper des impacts sur l’environnement des très riches.

Le sixième de la population mondiale est si pauvre que ses émissions de gaz à effet de serre ne sont absolument pas significatives. Ceux qui dorment dans la rue ne consomment presque rien. Ceux qui vivent en fouillant les ordures (une part importante des citadins déshérités) ont le plus souvent un solde négatif d’émission de GES. Alors qu’il n’y a qu’une très faible corrélation entre réchauffement global et croissance démographique, il y a par contre une forte corrélation entre réchauffement global et richesse. Le véritable problème n’est pas celui de la démographie mais de la consommation excessive des pays riches, dont les hyper-fortunés donnent une image caricaturale. Cent mille personnes vivant comme des banquiers de la lower Thames valley épuiseraient les écosystèmes indispensables à la vie plus rapidement que 10 milliards de personnes vivant comme les paysans africains. Comme le montre le mode de vie des super-riches, il n’y a pas de limite à la recherche du luxe chez l’homme. Les gens ont moins d’enfants à mesure qu’ils s’enrichissent, mais ils ne consomment pas moins – ils consomment plus. On peut s’attendre à ce que la consommation se développe parallèlement à la croissance économique jusqu’à ce que les compteurs de la biosphère atteignent la butée. Mais personne ne cherche à prévoir une évolution de la surconsommation.

Où sont donc les mouvements manifestant contre ceux qui sont pourris de fric et détruisent nos écosystèmes ? Où sont les actions menées contre les super-yachts et les jets privés ? Où donc est la Lutte de Classes quand on en a besoin ? C’est le moment d’avoir des tripes et d’appeler un chat un chat. Ce n’est pas le sexe le problème, c’est l’argent. Ce ne sont pas les pauvres le problème, ce sont les riches. »

(George Monbiot, The Guardian, le 28 septembre 2009)

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un enfant par famille

Même les objecteurs de croissance (médiatisés) sont anti-malthusiens. Leur organisme de théorisation, l’IEEDS (institut d’études économiques et sociales pour la décroissance soutenable) répond ainsi à la question, La décroissance est-elle malthusienne ? : « La décroissance pense qu’il n’y a pas trop d’êtres humains sur terre, mais trop d’automobilistes. » (décembre 2006, supplément inséré dans La décroissance n° 35). Frédéric Lemaître (rubrique analyse du Monde, 26 novembre) trouve cette réponse un peu courte. La biosphère aussi ! LeMonde  perçoit  la  tentation du retour au malthusianisme, cette question longtemps tabou revient dans les débats, confronté que nous sommes à l’insécurité alimentaire ou au réchauffement  climatique. En 2007, le GIEC confirmait que « le PIB par habitant et la croissance démographique ont été les principaux facteurs de l’augmentation des émissions mondiales de gaz à effet de serre durant les trois dernières décennies du XXe siècle ». Je sais déjà que les éternels contempteurs de ce blog vont dire que le réchauffement climatique, c’est pas grave, le GIEC n’a rien compris (et trafique ses données), et quant à la production agricole, le progrès technique nous sauvera, et la géo-ingénierie aussi.

 Frédéric Lemaître parie de son côté sur la croissance verte (l’imposture de notre décennie) et sur une diminution de notre consommation de viande. (une solution nécessaire). Pour la démographie, il pense avec Hervé Le Bras qu’il n’existe aucun institution  capable d’imposer une législation destinée à limiter la croissance démographique. Notre illustre démographe oublie simplement la Chine dont Frédéric Lemaître rappelle d’ailleurs que s’ils n’avaient pas limité les naissances, l’état de la planète serait bien pire. En conclusion, aucun consensus sur la question démographique, comme d’habitude.

Souvenons-nous alors du message essentiel de Malthus : «  Si les humains ne sont pas raisonnables, famine, guerres et épidémies deviendront leur quotidien ».

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2,7 Terres pour les Français

En ce temps de pensée unique, on ne parle que du réchauffement climatique, mais il ne faudrait pas oublier que la crise écologique est multiple. La concentration moyenne en CO2 atmosphérique s’est établie en 2008 à 385 ppm alors que ce taux n’était que de 280 ppm environ avant l’ère industrielle. C’est un mauvais signe (sauf pour Poutine qui pense qu’on n’aura plus besoin de se couvrir chaudement en Russie). Mais nous avons aussi les problèmes de l’épuisement des ressources fossiles, les problèmes de l’eau, les problèmes de la productivité des sols, les problèmes de baisse des ressources halieutiques, la 6e extinction des espèces, etc. Mathis Wackernagel a essayé de mesurer l’empreinte écologique globale de l’humanité (LeMonde du 25 novembre) et montre que nous sommes dorénavant au-dessus des  capacités de régénération de la planète. Il faudrait une planète et demie ou presque pour que la Terre puisse produire les ressources que nous consommons pour manger, se vêtir, se déplacer,  se chauffer et absorber nos déchets. En terme simple, cela n’est possible que parce que nous puisons dans le capital naturel, nos enfants auront à disposition une planète complètement dégradée.

            Bien entendu on peut toujours reprocher des imprécisions ou des oublis au Global Foot Print Network qui fait ce calcul. Il n’empêche, nous devrions tous savoir que notre civilisation thermo-industrielle vit globalement au-dessus des moyens de la biosphère. Pour ceux qui veulent approfondir la notion d’empreinte écologique :

1) Notre empreinte écologique de Mathis WACKERNAGEL et William REES (écosociété, 1996)

2) L’empreinte écologique d’Aurélien Boutaud et Natacha Gondran (La Découverte, 2009)

Bien entendu j’aurais beaucoup de plaisir d’échanger sur ce blog avec celui ou celle qui a lu au moins un de ces livres…

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non aux négateurs du réchauffement

La faiblesse des arguments des climato-sceptiques (les négationnistes du réchauffement) n’a d’égal que la virulence de leurs propos. Il suffit pour s’en rendre compte de lire les quelques commentateurs récurrents de ce blog. Des pirates informatiques ont essayé récemment de discréditer les climatologues en déformant leurs propos :  sur 1073 échanges piratés de courriels dans l’unité de recherche climatique (CRU) de l’université d’East Anglia, ils n’ont retenu qu’une expression sortie de son contexte, « trick » ou astuce. En fait ce n’était pas pour masquer « frauduleusement » quelques données, mais simplement pour faire quelque chose d’intelligent (« astucieux »). LeMonde du 24 novembre, qui donne cette information, titre : « Climat, les négateurs du réchauffement climatique ignorent les faits  établis ». Thomas Stocker, coprésident du GIEC, dénonce une propagande similaire à celle de l’industrie du tabac. Selon son point de vue, ces négationnistes ne sont pas des sceptiques, parce que le scepticisme est une démarche nécessaire au progrès de la science. Ils sont des « négateurs » car ils veulent ignorer les faits mis au jour par les sciences du climat depuis 40 ans.

Sur mon blog, la lecture de ces négateurs m’a montré que ce sont des personnes avec lesquelles on ne peut pas discuter vraiment. Dorénavant sur ce blog, tout message à propos du climat qui ne présentera pas une expertise véritable sera supprimé. La liberté d’expression a aussi ses limites.

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capitalisme vert-de-gris

Texte dédié aux contradicteurs récurrents de ce blog :

« Quand on veut tuer son chien, on l’accuse de la rage. Pour tenter de se débarrasser des écologistes, on les taxe de fascisme. On suggère ainsi une proximité entre la décroissance et l’extrême-droite. Cette thèse ne résiste pas à l’examen des propos abondants des objecteurs de croissance dont la lecture atteste sans ambiguïté qu’ils s’inscrivent dans la perspective d’une démocratie et d’une gauche renouvelée par le questionnement écologique. Notons que l’obsession de la croissance ne distingue pas l’UMP, du MoDem ou du PS. Le fait que ces partis sacrifient comme le FN à la déesse croissance les range-t-il à l’extrême droite ?
Mais comme la croissance du PIB et de plus en plus freinée par le désordre financier et la crise écologique qu’elle aggrave, les tensions sociales se durcissent. Cela conduit au raidissement autoritaire du capitalisme. Répression policière accrue, fichage généralisé, contrôle des médias, recours au nationalisme (« identité nationale »). Dans l’avenir, la logique inhérente au capitalisme le conduira à limiter les libertés. La question qui se pose : le capitalisme devient-il brun ? »

Ainsi s’exprime Hervé Kempf dans sa chronique du Monde du 22-23 novembre (page 2). Pour moi la question ne se pose plus, le capitalisme est déjà devenu vert-de-gris, croissance verte et lois répressives.

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« EUX » et « NOUS »

Le hukou est un passeport intérieur chinois qui permet de maîtriser les flux de population. Il divise la population entre urbains et ruraux et c’est une condition indispensable pour avoir une existence administrative légale : sécurité sociale, accès à l’éducation, aux soins, etc.  Les paysans qui travaillent en ville sans hukou urbain deviennent des citoyens de seconde zone, corvéables et taillables à merci pour un salaire de misère (LeMonde du 21 novembre). Rien de nouveau sous le soleil. La carte d’identité française permet de recevoir tous les bienfaits d’une société développée et d’exclure les sans-papiers. D’un côté se trouvent des gens appartenant à la classe globale mondiale, qui ont des connaissances d’anglais, ont accès au fax et à la télévision par satellite, sont munis de dollars ou de cartes de crédit et peuvent partir en voyage où ils veulent ; de l’autre côté l’on trouve ceux qui sont exclus des processus mondiaux ; dont la capacité de déplacement est limitée par des barrages routiers, des visas, et qui sont menacés d’être affamés délibérément, victimes de mines, et autres.

Une fois un conflit défini comme opposant des groupes « nous » et « eux » comme des catégories différentes, les solutions de conciliation deviennent impensables, et cela a pour effet que ces conflits sont partis pour durer, en tout cas jusqu’à ce qu’un côté ait vaincu l’autre. Le fait de faire de groupes humains des catégories distinctes aboutit régulièrement au meurtre. On constate, de la part des Etats-Unis en position d’attaqués, que les mesures de sécurité prennent de plus en plus le pas sur les libertés : torture de prisonniers, création de camps censés jouir de l’exterritorialité, stratégie d’arrestations illégales ; le déséquilibre entre liberté et sécurité s’accroît progressivement. Or de tels glissements ne sont pas l’apanage de l’Amérique. Une radicalisation des conséquences du changement climatique pourrait entraîner un changement radical des valeurs. Quelle sera la réaction d’un Etat le jour où augmentera le nombre de réfugiés chassés par leur environnement et où ils causeront aux frontières des problèmes massifs de sécurité ?

NB : Pour approfondir cette question brûlante, lire Les guerres du climat de Harald Welzer

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des riches moins riches, des pauvres moins pauvres

Pour Borloo, un plan d’aide aux pays pauvres est prioritaire pour sauver la conférence de Copenhague qui capote avant même d’avoir commencé. Mais il s’agit de financer un plan justice-climat « pour aider les pays les plus vulnérables à s’adapter aux changements climatiques » (LeMonde du 20 novembre). Ce n’est pas sérieux ! Il ne s’agit pas de s’adapter au réchauffement climatique, mais d’enrayer les émissions de gaz à effet de serre de la classe globale, celle qui croit encore qu’elle pourra toujours rouler en automobile individuelle. Ce plan repose sur une contribution « volontaire » des pays riches et émergents. Il suffit de se rappeler le % du PIB des riches qui a été promis pour l’aide publique au développent, bonne intention qui n’a jamais été suivi d’effet (sauf par les pays scandinaves). Les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent…

Soyons sérieux. Combien de temps pourrons-nous encore faire semblant ? Si nous voulons en finir avec un monde mal développé, il faudra apprendre à partager, à vivre sobrement au Nord pour vivre dignement au Sud. Cela ne peut se faire dans le laisser-faire, la simplicité volontaire est en route et les gouvernements seront jugés à leur sens de la solidarité et de l’anticipation. Ce n’est pas Madame Biosphère qui le dit, mais Jean-Louis Bianco, ancien ministre (LeMonde du 21 novembre). Cela veut dire aussi distribuer un quota d’émissions de gaz à effet de serre entre les pays en proportion de leur population. Dit autrement, chaque citoyen du monde aurait le même droit, par exemple celui d’émettre 200 ou 300 kg de carbone/an. Donc un rationnement drastique des émissions actuelles du Français moyen. Ce n’est pas Monsieur Biosphère qui le dit, ce sont des économistes célèbres, Roger Guesnerie et Thomas Sterner (LeMonde du 21 novembre).

            Et arrêtons de laisser croire qu’il peut en être autrement puisque « le progrès technique nous sauvera »…

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riches contre pauvres

J’y crois pas. On stigmatise encore une fois les pays pauvres. Selon une obscure officine de l’ONU, la natalité galopante des pays en développement est l’un des principaux moteurs du réchauffement climatique (LeMonde du19 novembre). « L’un des principaux », pourquoi pas le premier, avant même les émissions de GES des Américains ! On postule que les pays en développement connaissent une croissance rapide et très émettrice en carbone. Mais il est peu probable  que ce sont les plus pauvres des pays pauvres qui vont participer de l’abondance à l’occidentale. Il paraît qu’un dollar investi dans la planification familiale (la réduction des naissances) réduit les émissions de GES autant qu’un dollar dépensé dans l’énergie éolienne. Avec des comparaisons de ce type, y’a plus de discussion possible, les pauvres auront toujours tort. Cela ne veut pas dire que je suis anti-malthusien, mais seulement qu’il ne faut pas faire porter le chapeau par les pauvres d’un réchauffement climatique dont les pays riches sont responsables depuis la venue de la civilisation thermo-industrielle il y a deux siècles et qu’ils aspirent encore à continuer  à brûler sans se limiter l’énergie fossile.

            Par contre, le scénario démographique moyen de l’ONU nous assurait que la population mondiale se stabiliserait en douceur à 9 milliards d’humains en 2050. Cela supposerait une baisse considérable du taux de natalité dans le tiers-monde, ce qui n’est pas le cas. Sans reprise de l’effort malthusien (arrêté entre autres par les Américains de Bush), on pourrait en réalité atteindre 11 milliards d’habitants en 2050, soit la perspective de multiplier les conflits violents. La régulation des naissances est donc nécessaire, mais ne mélangeons pas cette nécessité avec l’obligation pour les plus riches de baisser drastiquement leurs émissions de gaz à effet de serre !

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De la viande une fois par semaine

J’apprécie Fabrice Nicolino. C’est l’un des rares penseurs en France à penser vraiment. Nos intellectuels qui trônent en haut de nos médias n’ont plus rien à dire, ils ne disent rien de la viande. Fabrice, lui, nous parle de viande à chaque paragraphe de son article dans LeMonde du 18 novembre. La viande n’était pas au sommaire du sommet mondial pour la sécurité alimentaire qui vient de s’achever à Rome. Pourtant la surconsommation de viande affame les moins favorisés de la planète. La viande ne sera pas au sommaire du forum planétaire de Copenhague sur le dérèglement climatique. Pourtant la viande  est responsable de 18 % des émissions des gaz à effet de serre, soit plus que les transports. Comme dit Fabrice, ces conférences mondiales sont de pures foutaises. Comme  dit le communiqué conjoint de FNE et de la CFDT ce jour, le Sommet de Copenhague devrait seulement aboutir à la conclusion d’un accord politique et non à celle d’un accord juridiquement contraignant. Le résultat est tragique, les gens meurent déjà de faim par centaines de millions et les réfugiés climatiques se compteront par centaines de millions.

Alors, je t’en supplie, ne mange de la viande qu’une fois par semaine, cela libérera de la terre pour les affamés (il faut 7 à 9 calories végétales pour obtenir une seule calorie animale) et provoquera moins de gaz à effet de serre… La solution aux crises écologiques ne reposent pas principalement sur des négociations de politiques soumis à des groupes de pression et aux intérêts nationaux, mais sur le  comportement de chacun de nous. 

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l’oxymore des Emirats arabes unis

Le propre de l’oxymore est de rapprocher deux réalités contradictoires. Développement durable, agriculture raisonnée, marché civilisationnel, financiarisation durable, flexisécurité, moralisation du capitalisme, vidéoprotection, etc. La montée des oxymores constitue un des faits révélateurs de la société contemporaine. Le clip publicitaire qui nous montrait la chevauchée d’un 4×4 dans un espace vierge cherche à nous conditionner à l’idéologie consumériste : en associant deux réalités contradictoires, l’espace naturel et la machine qui le dévore, il nous suggère perfidement la possibilité de leur conciliation. Si la contradiction et le conflit sont inhérents à tout univers mental, ils atteignent dans le nôtre une dimension inégalée. (La politique de l’oxymore de Bertrand Méheust)

Un exemple frappant d’oxymore nous est offert par LeMonde du 17 novembre : « Les Emirats arabes unis préparent l’après-pétrole en misant sur l’aéronautique. » Sachant que les avions utilisent du kérosène, et que le kérosène c’est du pétrole, on ne voit pas pourquoi des pièces détachées pour les A330 et autres plus lourds que l’air serait un investissement d’avenir. Le pétrole conventionnel, y’en a pour moins de 40 ans. L’émirat d’Abu Dhabi n’en est pas à sa première folie Alors qu’Abu Dhabi affiche l’empreinte écologique la plus élevée de la planète, il a posé cette année les premières pierres d’une cité écologique, Masdar city. En plein désert. Là où ne peuvent vivre que les campements de tentes et les chameaux.. C’est ici le lieu de rappeler l’étymologie grecque d’oxymore, qui signifie « folie aiguë ».

Plus l’on produira des oxymores, plus les gens seront soumis à une sorte de double bind permanent. Ils seront désorientés et inaptes à penser et à accepter les mesures radicales qui s’imposeraient dans l’ère de l’après-pétrole. Comme disait le perspicace Sheikh Rashid ben Saïd al-Maktoum, émir de Dubaï : « Mon grand-père se déplaçait en chameau. Mon père conduisait une voiture. Je vole en jet privé. Mes fils conduiront des voitures. Mes petits-fils se déplaceront en chameau. »

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Le Monde, malthusien !

Je tiens à féliciter la rédaction du Monde, l’éditorial du 15-16 novembre aborde sans compromission un sujet tabou en France : la limitation des naissances. On montre que le « dynamisme » démographique en Afrique est synonyme de pauvreté, de vie écourtée et de risque majeur pour les femmes de mourir en couche. On ajoute qu’il est difficile de ne pas voir dans la démographie l’un des facteurs aggravants de la malnutrition. On enchaîne en inversant le raisonnement des natalistes pour lesquels il n’est de richesse que d’hommes: «  Si la baisse de fécondité n’est sûrement pas une condition suffisante de développement, elle apparaît, partout dans le monde, comme une tendance concomitante au décollage économique. » L’évolution de la Chine doit donc être regardée avec envie.

Cet éditorial incisif serait parfait si, en d’autres occasions, LeMonde ne soutenait pas la hausse de fécondité en France. Pourtant le poids que va faire peser sur la planète un bébé africain en devenir est bien moindre que la boulimie de consommation des ressources naturelles qui sera dévolue à un bébé français pendant toute sa vie. La baisse de fécondité, à notre époque où la surpopulation et la surconsommation épuise la biosphère, devrait être un mot d’ordre général.

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Décroissance comme Destin

La décroissance économique est notre destin. Qu’on l’appelle croissance négative, récession ou dépression, la crise écologique et financière devient une composante structurelle de la civilisation thermo-industrielle. Même un journal aussi croissanciste que LeMonde commence à se poser la question de manière de plus en plus affirmée dans son numéro du 14-15 novembre 2009.

Ainsi Pierre-Antoine Delhommais, qui ne savait parler que de croissance économique, s’inquiète : « Après le spectre de 1929, celui de 1937. Seule la seconde guerre mondiale a vraiment permis à l’économie américaine de surmonter sa grande Dépression. » Ainsi l’article de Sylvia Zappi sous le grand titre La crise relance le thème de la décroissance : « Jusqu’alors cantonnées à des économistes en marge ou d’écologistes radicaux, les théories des décroissants progressent. Il y a deux ans à peine, la thématique effrayait. Parler de sobriété économique était synonyme de limitation du progrès, on raillait ceux qui voulaient revenir à la bougie, même les Verts se méfiaient du mot. le jugeant trop « raide ». if (provenance_elt !=-1) {OAS_AD(‘x40’)} else {OAS_AD(‘Middle’)}
Depuis, la crise a sévi, la récession est là. La critique d’un système économique fondé sur la seule croissance des biens et de la consommation est générale. Le vocabulaire présenté dans cet article fluctue : « Plutôt que de décroissance, il s’agit d’une autre croissance » ; « croissance verte » ; « croissance sélective » ; « croissance des « biens essentiels » et/ou décroissance des « biens superflus » » ; « décroissance sélective et équitable » ; « décroissance des activités inutiles et polluantes ». Mais la tendance à la décroissance volontaire est bien présente.

Médias ou citoyens, nous commençons tous à prendre conscience de la stupidité d’une croissance matérielle exacerbée confrontée aux limites de notre petite biosphère.

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saloperie de parfum

Il y a la saloperie que nous n’achèterons pas ce mois-ci (mensuel La Décroissance, journal de la joie de vivre, novembre 2009) : « Quand une personne achète un parfum, avant d’acheter une odeur, elle achète une image : celle que livre la publicité. On est un homme « Dior » ou une femme « Samsara ». Quand on achète un parfum, on achète à 90 % de la pub. Et c’est cher ! Le parfum pousse à son paroxysme la logique consumériste : on achète les moyens de son endoctrinement. »

            Il y a la saloperie que nous devons acheter  (LeMonde quotidien, 14 novembre), Le parfum, un secteur rentable pour les marques de luxe : « La crise n’a pas retardé ni reporté le placement de nouveaux parfums. Le plus emblématique sera pour Balenciaga Paris, en février 2010. Il est chypré, aux essences de vétiver, de cèdre et de patchouli, à base de violettes rehaussées d’une pointe de piment. Il sera vendu cher, 75 euros les 50 ml. » Pas étonnant que ce soit un secteur rentable, cela fait le parfum à 1500 euros le litre !

C’est ça la perversité de nos médias actuels. D’un côté un mensuel à diffusion restreinte qui dénonce l’aliénation que nous impose à notre insu de notre plein gré la publicité, de l’autre un quotidien d’envergure internationale qui est obligé de célébrer les parfums puisque cela rapporte des pleines pages de publicité financées par Dior, Samsara ou Balenciaga, donc par les cocottes parfumées.

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L’Homme, moins qu’un Animal

LeMonde (supplément du 12 novembre) se pose la question : « Qui sont les animaux ? ». La présentation du forum du Mans tenu ce WE parle de tradition aveugle du type « anthropocentrée », des avancées de la recherche qui remettent en question la frontière entre l’Homme et l’Animal, de communauté de destins. Mais la critique principale que je peux faire, c’est que la foi humaniste dans le « propre de l’homme » est à dure épreuve. L’homme est moins qu’un animal, l’homme est souvent pire qu’un loup pour l’homme et la civilisation occidentalisée est en train de perturber complètement les équilibres des écosystèmes dont même les animaux dénaturés que nous sommes ont besoin. Pourtant les auteurs cités par LeMonde ne vont pas très loin dans la critique. Philippe Descola, dans son livre Par-delà nature et culture, est beaucoup plus incisif :

« Les philosophes se sont rarement demandé : « Qu’est-ce qui fait de l’homme un animal d’un genre particulier ? », préférant à cela la question typique du naturalisme : « Quelle est la différence générique entre les humains et les animaux ? » Force est de constater pourtant que bien des esprits rebelles se sont élevés au cours des siècles contre le privilège ontologique accordé à l’humanité, mettant en cause la frontière toujours instable au moyen de laquelle nous tentons de nous distinguer des animaux.

« L’anthropologie est confrontée à un défi formidable : soit disparaître avec une forme épuisée d’humanisme, soit se métamorphoser en repensant son domaine de manière à inclure dans son objet bien plus que l’anthropos, toute cette collectivité d’existants liée à lui et reléguée dans une fonction d’entourage. En même temps que les Modernes découvraient la paresseuse propension des peuples barbares à tout juger selon leurs propres normes, ils escamotaient leur propre ethnocentrisme derrière une démarche rationnelle de connaissances dont les errements devenaient dès lors imperceptibles. La situation est en train de changer, fort heureusement. L’analyse des interactions entre les habitants de monde ne peut plus se cantonner au seul secteur des institutions régissant la vie des hommes, comme si ce que l’on décrétait extérieur à eux n’était qu’un conglomérat anomique d’objets en attente de sens et d’utilité. »

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le retour de Malthus

Quant aux enjeux environnementaux, Al Gore lie  dans son dernier livre la lutte contre la consommation effrénée et la maîtrise de la croissance démographique. LeMonde du 11 novembre remarque que sur le premier point, les lobbies de l’énergie, défavorables à une législation contraignante pour lutter contre les gaz à effet de serre, rivalisent pour ne pas inquiéter le chaland.

Sur le second point, la limitation volontaire des naissances, j’entends déjà les cris d’orfraie des repopulateurs et autres natalistes. Pourtant Al Gore ne dit que des choses qui me semblent incontestables ; il prône l’éducation des jeunes filles, le renforcement du rôle des femmes dans les communautés, la lutte contre la mortalité infantile et le planning familial. Cet ensemble doit être considéré à juste titre comme « sujets environnementaux ».

Biosphere n’a presque rien à ajouter, sauf répondre à un commentaire de ce blog : « Ne pensez-vous pas que l’homme fait partie de la nature et que sa population s’autorégulera (comme toute population animale) ». Le problème, c’est que l’animal humain sait modifier son milieu pour l’épuiser au maximum et donc proliférer sans commune mesure avec les possibilités de son écosystème. La régulation naturelle intervient bien sûr à un moment ou à un autre, mais pas de façon raisonnée. La nature ne raisonne pas…

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connaître l’écologie profonde

L’écologie sera un élément déterminant du XXIe siècle. Ce blog en reflète les nombreuses composantes en pensant que le mouvement écologique sera radical car les crises écologiques (à répercussions économiques et sociales) que nous allons traverser pendant ce siècle seront sans aucune mesure avec tout ce qu’a connu l’humanité dans son passé. Pour mieux connaître un des éléments de ce radicalisme, l’écologie profonde, voici en langue française quelques références :

  L’écologie profonde de Roger RIBOTTO (éditions du Cygne, 2007)

Arne Naess, Ecologie, communauté et style de vie (éditions MF, 2008)

Ecopsychologie pratique, retrouver un lien avec la nature de Joanna Macy  et M.Y. Brown (éditions Le souffle d’or, 2008)

Ecoterroristes ou Ecoguerriers ? de Roger Ribotto (éditions du Cygne, 2008)

Arne Naess, vers l’écologie profonde ; entretiens avec David Rothenberg (éditons wildproject, 2009)

  Bonne lecture…

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chute du Mur, effondrement de notre Maison

Le Monde du 10 novembre s’interroge : la chute du Mur, il y a vingt ans, et après ? L’éditorial ne va pas loin, « la faiblesse du moment prépare aussi l’identité de l’Europe et sa cohésion de demain » ! Soyons plus précis, la chute du Mur le 9 novembre 1989 n’a fait que généraliser la conception occidentale de l’économie : demain notre Maison s’effondrera.

Une époque de remise en question comme la chute du mur de Berlin était propice à une réflexion sur l’avenir. L’interrogation aurait du porter sur ce qui devait être imité par l’Est du modèle occidental. On peut légitimement soupçonner que l’attrait qu’exerce l’Occident sur de nombreux citoyens du bloc de l’Est était essentiellement imputable à leur volonté de rattraper le niveau de vie occidental. D’un autre côté, il aurait été inquiétant que ce souhait-là se substitue à toutes les autres valeurs. En définitive, le besoin de liberté intellectuelle est largement passé après l’assouvissement prioritaire des besoins consuméristes. Les pays de l’Est ont importé principalement les vices occidentaux. On peut donc s’attendre à ce que la plupart de leurs concitoyens, à l’instar des classes privilégiées des pays du tiers-monde, deviennent des répugnantes caricatures de l’Européen de l’Ouest moyen, et multiplient les besoins.

Or l’universalisation du niveau de vie occidental est un processus qui ruinerait écologiquement la Terre. De ce constat suit, en vertu de l’impératif catégorique, un principe simple selon lequel le niveau de vie occidental n’est pas moral. Si tous les habitants de cette planète gaspillaient autant d’énergie, produisaient autant de déchets, rejetaient autant de produits toxiques dans l’atmosphère que les populations des pays riches, les catastrophes naturelles vers lesquelles nous nous dirigeons auraient déjà eu lieu. Il paraît insensé que les pays dont l’économie était planifiée aient adopté le système social occidental sans songer à le corriger. S’approprier un tel système revient à s’exposer prochainement à un nouveau séisme d’amplitude encore plus grande que celui de 1989.

NB : pour en savoir plus, lire Vittorio Hösle, Philosophie de la crise écologique, dont l’ouvrage vient d’être traduit en français, éditions Wildproject)

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sexualité éclairée

En 1971 dans la Bombe P (P pour population), Paul Ehrlich écrivait : « Nous avons besoin d’une loi qui rende obligatoire l’éducation sexuelle ».

Trente huit années plus tard, le Royaume-Uni inscrit au programme scolaire l’éducation sexuelle dès la maternelle (LeMonde du 8-9 novembre). Ce n’est pas trop tôt ! Combien de grossesses non désirées de la part d’adolescentes aura-t-il fallu attendre pour arriver enfin à cette politique. Tous les ans, près de 40 000 jeunes filles de moins de 18 ans sont enceintes, en 2007 on a même compté près de 4400 avortements chez les moins de 16 ans. Dans le secondaire, les adolescent(e)s pourront dorénavant réfléchir collectivement à ce qu’est une relation stable, aux effets des ruptures, aux différences entre les gens. Mais cette éducation sexuelle ne sera obligatoire que pour les plus de 15 ans, les milieux religieux ont encore frappé, englués qu’ils sont dans une conception morale d’un autre âge.

Paul Ehrlich poursuivait : « Quand je parle d’éducation sexuelle, je ne pense pas à des cours d’hygiène ou bien des histoires du genre « fleurs et papillons ». Il s’agit de présenter la fonction reproductrice comme une composante parmi d’autres de l’activité sexuelle, qui demande à être maîtrisée selon les besoins de l’individu et de la société. L’humanité devrait trouver le moyen de réduire l’importance conférée au rôle reproductif du sexe ». C’est là une belle illustration du malthusianisme moderne : la nécessaire limitation des naissances doit découler d’un apprentissage collectif  du rôle de la démographie dans les difficultés sociales, de l’importance de la sexualité libérée du poids de la procréation subie, de la nature des relations humaines sur une planète dont on  a dépassé la capacité de charge. En définitive, l’éducation sexuelle n’est validée que si elle dépasse une simple connaissance des techniques de la contraception pour aborder une vision systèmique permettant aux humains de se situer face à une crise systémique.

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identité nationale, contrôle d’identité

L’identité nationale n’est pas une notion qui divise, mais une réalité construite qui rassemble. Grâce à un bourrage de crâne, il y a « nous » et il y a « eux », mon ethnie et les étrangers, les inclus et les exclus. Si l’expression ne date que des années 1980, son origine est plus ancienne. Se réclamer de l’identité nationale, c’est la formule modernisée pour inciter encore et toujours à l’amour de la patrie, au nationalisme. Que de crimes n’a-t-on commis en son nom : le choc des nations et toutes ses guerres sur deux siècles, le colonialisme et son cortège d’atrocités, le culte du drapeau et ses flots de sangs « impurs ». Je suis en total accord avec Claude Lévi-Strauss, « J’ai connu une époque où l’identité nationale était le seul principe concevable des relations entre les Etats. On sait quels désastres en résultèrent ».

Je ne peux que rejeter une fabrication de l’histoire qui n’est que bricolage : choix d’une langue unique, service militaire obligatoire, papiers d’identité, contrôle à tous les coins de rue. Nos langues maternelles ne sont pas uniques mais nous pourrions adopter un espéranto. Le service militaire ne fait que préparer à la guerre de tous contre tous, soyons objecteurs de conscience. Car je suis membre de la race humaine et mon territoire, c’est notre Terre. Mais l’identité « nationale », c’est aussi le support d’une communauté d’intérêt. Nous savons tous les ravages qu’a entraîné la conquête de « nouvelles frontières » par les peuples et l’extermination physique ou mentale des peuples autochtones pour conquérir de nouvelles ressources (cela commence sans doute avec homo sapiens contre les néandertaliens). Nous voyons aujourd’hui le processus mondial d’acculturation sous l’égide du modèle de croissance des pays occidentaux et l’accélération de notre course vers le mur des limites de notre planète. Nous ressentons que demain il y aura des guerres du climat ponctuées de guerres pour l’eau et la terre.

Donc l’avenir sera double s’il est pacifique, une relocalisation des hommes et des activités (à chacun son territoire) mais aussi une ouverture d’esprit à la multiplicité des formes de vie et de culture de notre biosphère ; nous penserons global et nous agirons localement (identification au glocal, plutôt qu’identité nationale). Le « nous » sera toujours relatif ou bien il nous projettera violemment les uns contre les autres.

NB :  Pour aller aux racines de l’identité nationale, lire LeMonde du 7 novembre

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Lévi-Strauss, in memoriam

Une source d’inspiration de ce blog, Arne Naess, est mort au début de cette année 2009.  Un autre de mes maîtres à penser, Claude Lévi-Strauss, vient de mourir. Plutôt que de vaines éloges, je lui laisse la parole, une parole qui à mon avis donnera une colonne vertébrale à notre XXIe siècle :

« J’ai connu une époque où l’identité nationale était le seul principe concevable des relations entre les Etats. On sait quels désastres en résultèrent. (…) Puisque au cours du dernier siècle j’ai assisté à une catastrophe sans pareille dans l’histoire de l’humanité, on me permettra de l’évoquer sur un ton personnel. La population mondiale comptait à ma naissance un milliard et demi d’habitants. Quand j’entrai dans la vie active vers 1930, ce nombre s’élevait à deux milliards. Il est de six milliards aujourd’hui, et il atteindra neuf milliards dans quelques décennies à croire les prévisions des démographes. Ils nous disent certes que ce dernier chiffre représentera un pic et que la population déclinera ensuite, si rapidement, ajoutent certains, qu’à l’échelle de quelques siècles une menace pèsera sur la survie de notre espèce. De toute façon, elle aura exercé ses ravages sur la diversité, non pas seulement culturelle, mais aussi biologique en faisant disparaître quantité d’espèces animales et végétales.

De ces disparitions, l’homme est sans doute l’auteur, mais leurs effets se retournent contre lui. Il n’est aucun, peut-être, des grands drames contemporains qui ne trouve son origine directe ou indirecte dans la difficulté croissante de vivre ensemble, inconsciemment ressentie par une humanité en proie à l’explosion démographique et qui – tels ces vers de farine qui s’empoisonnent à distance dans le sac qui les enferme, bien avant que la nourriture commence à leur manquer – se mettrait à se haïr elle-même, parce qu’une prescience secrète l’avertit qu’elle devient trop nombreuse pour que chacun de ses membres puisse librement jouir de ces bien essentiels que sont l’espace libre, l’eau pure, l’air non pollué.

Aussi la seule chance offerte à l’humanité serait de reconnaître que devenue sa propre victime, cette condition la met sur un pied d’égalité avec toutes les autres formes de vie qu’elle s’est employée et continue de s’employer à détruire.

Mais si l’homme possède d’abord des droits au titre d’être vivant, il en résulte que ces droits, reconnus à l’humanité en tant qu’espèce, rencontrent leurs limites naturelles dans les droits des autres espèces. Les droits de l’humanité cessent au moment où leur exercice met en péril l’existence d’autres espèces.

Le droit à la vie et au libre développement des espèces vivantes encore représentées sur la terre peut seul être dit imprescriptible, pour la raison très simple que la disparition d’une espèce quelconque creuse un vide, irréparable, à notre échelle, dans le système de la création.

Seule cette façon de considérer l’homme pourrait recueillir l’assentiment de toutes les civilisations. La nôtre d’abord, car la conception que je viens d’esquisser fut celle des jurisconsultes romains, pénétrés d’influences stoïciennes, qui définissaient la loi naturelle comme l’ensemble des rapports généraux établis par la nature entre tous les êtres animés pour leur commune conservation ; celle aussi des grandes civilisations de l’Orient et de l’Extrême-Orient, inspirées par l’hindouisme et le bouddhisme; celle, enfin, des peuples dits sous-développés, et même des plus humbles d’entre eux, les sociétés sans écriture qu’étudient les ethnologues.

Par de sages coutumes que nous aurions tort de reléguer au rang de superstitions, elles limitent la consommation par l’homme des autres espèces vivantes et lui en imposent le respect moral, associé à des règles très strictes pour assurer leur conservation. Si différentes que ces dernières sociétés soient les unes des autres, elles concordent pour faire de l’homme une partie prenante, et non un maître de la création.

Telle est la leçon que l’ethnologie a apprise auprès d’elles, en souhaitant qu’au moment de rejoindre le concert des nations ces sociétés la conservent intacte et que, par leur exemple, nous sachions nous en inspirer. »

Source : L’ETHNOLOGUE DEVANT LES IDENTITES NATIONALES

Discours de Claude Lévi-Strauss à l’occasion de la remise du XVIIe Premi Internacional Catalunya, 2005.

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