Une étudiante a envoyé un questionnaire pour son mémoire de fin d’année : « Je traite les enjeux sociaux de la reproduction, sous forme d’étude diachronique pour comprendre comment des acteurs se réapproprient la question de la reproduction et de son contrôle à des fins de changement social ou de révolution. »
Voici les questions et les réponses de notre chroniqueur spécialiste de la question démographique.
ENGAGEMENT POLITIQUE ET SOCIAL
– Au cours de mes recherches, il me semble revenir à l’anarchisme en permanence. Avez-vous une idée du lien entre le non-désir d’enfant et la pensée anarchiste ? Vous rapprochez-vous vous-même de cette pensée politique ?
Le « non-désir d’enfant » me paraît une vision réductrice de la problématique qui importe, celle de faire des enfants ou non en toute connaissance de cause. Historiquement le courant néo-malthusien est porté par un anarchiste, Paul Robin. En 1896, celui-ci fonde la Ligue de la régénération humaine dont la devise sera « bonne naissance-éducation intégrale ». Il se propose de « répandre les notions exactes de science physiologique et sociale permettant aux parents d’apprécier les cas où ils devront se montrer prudents quant au nombre de leurs enfants, et assurant, sous ce rapport, leur liberté et surtout celle de la femme ». Mais il est resté isolé, même parmi les anarchistes.
– Considérez-vous les individus refusant d’avoir des enfants pour des questions de non-désir, d’engagement politique écologique ou philosophique comme constituant d’un mouvement ? Ou simplement comme des individus ? Avez-vous l’impression d’appartenir à un mouvement ?
La psychologie d’une personne résulte d’une multitude d’influences sociales, et la norme actuelle reste encore pour beaucoup de mères le « désir d’enfant ». Il faut donc une capacité de résistance pour aller à l’encontre de ce contexte nataliste. Eve Libera a écrit « Arrêtez de faire des gosses ! », mais son livre relève de motivation très égoïstes. Un mouvement plus altruiste découle de considération écologiques, pourquoi faire un enfant de plus sur une planète déjà surpeuplée et surexploitée ! C’est par exemple le cas des ginks (Green Inclinations No Kids). Personnellement je milite au sein de l’association Démographie Responsable. J’ai coordonné en 2014 un livre collectif, « Moins nombreux, plus heureux (’urgence écologique de repenser la démographie) » aux éditions Sang de la Terre. En 2020, j’ai publié « Arrêtons de faire des gosses ! (Comment la surpopulation nous mène à notre perte) aux éditions Kiwi. Dans une société vraiment démocratique, un individu doit faire des choix de vie responsables, adhérer à une association pour agir collectivement, et faire politiquement tout ce qui est en son pouvoir pour constituer une société désirable, avec des enfants durablement heureux de vivre sur une planète préservée.
CHILDFREE/DENATALISTE/ANTINATALISTE
– Au cours de mes recherches j’ai pu remarquer une porosité entre les frontières de ces trois catégories et de fait lors de mes entretiens, personne ne s’est défini comme uniquement childfree ou uniquement dénataliste, … Que pensez-vous de ces définitions, des frontières entre-elles, et des manières dont certains se distinguent des autres (les childfree qui disent ne pas vouloir d’enfant par non-désir mais pour aucunes raisons politiques par exemple) ? En bref comment ces catégories redéfinissent la manière dont les différentes personnes ne voulant pas d’enfants interagissent entre-elles malgré des buts communs ?
Le mot malthusien est dans le dictionnaire ordinaire, il est pourtant inconnu de la majorité de la population. Il y a même un courant anti-malthusien très fort dans la société française, faisant en sorte qu’évoquer la décroissance démographique reste tabou. Il est symptomatique que François Bayrou, Haut-commissaire au plan et à ce titre chargé des propectives à long terme, ait recommandé récemment d’augmenter la natalité française. Entre les injonctions sociales à devenir mères, les politiques étatiques françaises carrément natalistes, et un malthusianisme ignoré, il n’est pas étonnant que les individus aient du mal à se situer quant à la question de leur fécondité. Personnellement je pense qu’un écologiste doit se définir comme antinataliste, la capacité de charge de la France et de la planète est dépassée, notre nombre est devenu trop imposant, la fécondité doit être maîtrisée, responsable comme l’indique l’association DR. L’idée de childfree (nullipares) ne fait que témoigner du penchant social à l’exagération, le fait de n’avoir aucun enfant n’est qu’un choix individuel (assumé par exemples par les prêtres ou les personnes qui s’épanouissent dans leur travail) sans enjeu collectif. Par contre un gouvernement responsable pourrait proposer le modèle d’un seul enfant par femme comme idéal à atteindre, et ce démocratiquement cela va de soi.
DESIR D’ENFANT
– Comment définir le désir d’enfant pour vous ?
Votre questionnaire est trop centré sur la psychologie. Or le comportement individuel est tellement différent d’une personne à une autre qu’on ne peut en retenir de leçon générale. Il faut replacer le « désir d’enfant » dans un contexte sociologique, la pression du groupe, l’état des politiques publiques, les traditions religieuses ou familiales, etc. Il est d’ailleurs remarquable qu’à l’heure actuelle même des personnes homosexuelles désirent avoir un enfant et ne questionnent pas leur désir…
HISTOIRE DES ENJEUX SOCIAUX DE LA REPRODUCTION
– Que pensez-vous des liens entre les néo-malthusiens fin 19e début 20e et l’antinatalisme aujourd’hui ? Et leurs différences ?
J’ai déjà évoqué Paul Robin. Il avait déjà tout dit à son époque, y compris sur la nécessaire libération de la femme et un système scolaire mieux adapté à nos besoins réels. Il n’a pas été écouté, il y a même eu les lois répressives anti-malthusiennes de 1920 et des combats difficiles pour la contraception et l’avortement. En 2021, nous sommes encore trop peu à nous définir comme néomalthusien(ne)s ; c’est un des signes comme quoi notre société croissanciste désire aller au désastre.
CAPITALISME ET REPRODUCTION
– Du rapport capitalisme/reproduction on sait que le lien est fort. Sans armée de réserve par exemple, les ouvriers auraient le choix de négocier leurs salaires, et si une réforme pour le plein emploi ou des propositions comme le salaire universel peuvent le permettre, une baisse de la natalité pourrait également aller dans cette direction. Cependant aujourd’hui les grandes entreprises multinationales ont tendance à laisser entendre aux femmes de leur entreprise qu’elles devraient faire des enfants plus tard, l’employée modèle étant celle qui n’aura jamais d’enfants et dont le corps sera donc au service de l’employeur sans repos (sauf celui qui permet de revenir au travail le lendemain). Que pensez de ce changement de situation ?
Ce questionnement est plus une réponse qu’une question ! Je précise que la volonté de faire plus d’enfants pour assurer la puissance d’un pays, pour faire de la chair à canon, pour payer les retraites ou pour constituer une armée de réserve n’est pas la marque spécifique du capitalisme, mais aussi des régimes socialistes, communistes et surtout totalitaires. Rares sont les pays, quel que soit leur régime politique, qui ont mis en place des politiques malthusiennes, et même la Chine revient actuellement en arrière.
Michel SOURROUILLE
– « CHILDFREE/DENATALISTE/ANTINATALISTE : Au cours de mes recherches j’ai pu remarquer une porosité entre les frontières de ces trois catégories […] Que pensez-vous de ces définitions, des frontières entre-elles, et des manières dont certains se distinguent des autres [etc.] ? » (L’étudiante)
Pour commencer il aurait intéressant d’expliquer clairement tout ça. Notamment la différence entre dénataliste et antinataliste. Dans un texte daté du 15 juillet 2015 le professeur David Benatar explique «La philosophie de l’antinatalisme.» Extraits :
– « L’antinatalisme est le point de vue selon lequel nous devrions cesser de procréer – qu’il est mauvais d’avoir des enfants. Plusieurs routes mènent à cette conclusion […] Il est important de souligner que l’antinatalisme, bien qu’encourageant l’extinction humaine, est un point de vue sur des moyens particuliers menant à cette extinction – à savoir la non-procréation ».
Un antinataliste encourage donc l’extinction humaine. Rien que ça !
Encourager ou souhaiter, faudra m’expliquer. «L’humanité disparaîtra, bon débarras !» (Y.Paccalet)
Michel Sourrouille pense qu’un écologiste doit se définir comme antinataliste.
C’est son point de vue, d’écologiste, ce n’est pas le mien. Or quelques lignes il dit :
– « L’idée de childfree (nullipares) ne fait que témoigner du penchant social à l’exagération […]
Par contre un gouvernement responsable pourrait proposer le modèle d’un seul enfant par femme comme idéal [etc.]»
Autrement dit un ça va, deux bonjour les dégâts.
Mon point de vue : En plus d’être poreux, tout ça est loin d’être clair.
David Benatar : « L’antinatalisme est le point de vue selon lequel nous devrions cesser de procréer – qu’il est mauvais d’avoir des enfants. »
Michel Sourrouille : Cette définition est orientée, aucun antinataliste ne décrète qu’il est mauvais d’avoir des enfants et qu’il faut donc cesser d’en avoir, mais seulement qu’il est dangereux pour la paix sociale et l’état de la planète d’avoir trop d’enfants. La définition de l’antinatalisme est neutre, « Qui vise à réduire la natalité ». Un raisonnement ne peut s’appuyer sur la déconsidération préalable de argumentation contraire sauf à vouloir parler tout seul.
Esprit critique : Un antinataliste encourage donc l’extinction humaine. Rien que ça !
MS : ce commentateur s’appuie sur l’avis de Benatar. Or cet obscur sud-africain a dit aussi : « Le fait que l’enfant puisse être malheureux est une raison morale importante pour ne pas les créer ».
Si je comprends bien… l’antinatalisme a lui aussi plusieurs versions. Et si ça se trouve, il y a autant de définitions qu’il existe d’antinatalistes. Finalement c’est comme avec écologiste, dont je n’ose plus me revendiquer. Ecologiste et tant d’autres choses aujourd’hui, d’où cette grande confusion, bonjour le grand n’importe quoi. Ceci dit je suis d’accord avec obscur pour qualifier ce sombre professeur, de philosophie. Obscur : pas clair du tout.
Deux autres questions, auxquelles pourra peut-être répondre notre chroniqueur spécialiste de la question démographique.
1) Nous savons aujourd’hui qu’il est plus que probable que (contrairement à ce qu’il a été longtemps dit) notre planète ne comptera jamais 15 milliards d’habitants. Que le taux de fécondité baisse partout dans le monde, que la population mondiale vieillit, qu’un nombre croissant de pays connaissent une réduction de la taille de leur population. Compte tenu de ça nous pouvons dire aujourd’hui que la «bombe démographique» est désormais désamorcée.
Certes la population mondiale va continuer à augmenter. Mais un certain temps seulement. Avant de décroître fortement, et ce quoi que nous fassions. Quoi que fassent et racontent les malthusiens et autres dénatalistes.
Question : Sachant tout cela, à quoi bon se focaliser sur le problème du (sur)nombre ?
2) On pourra me répondre qu’il vaut mieux une planète à 8 ou 9 milliards d’humains plutôt que 10. Ce qui est loin d’être une évidence vu que certains individus consomment et polluent X fois plus que certains autres. Et qu’en plus ils en désirent toujours plus.
Nous avons vu ce qu’ont donné les politiques dites malthusiennes, nous pouvons deviner où nous mèneraient de telles politiques aujourd’hui. Le courant néo-malthusien a certes été porté en France par Paul Robin, n’allons pas pour autant confondre anarchisme et malthusianisme. Nous savons les liens entre malthusianisme et eugénisme etc.
Question : À quoi BON en rajouter avec ça ?
Autrement dit, n’y a t-il pas plus urgent aujourd’hui ?
Pour un «véritable écologiste»… la défense des libertés passe-t-elle après celle des baleines ? Des baleines ou du Climat et tout ce qu’on voudra.
Michel C., vous nous aviez demandé des réponses,
mais vous vous êtes empressé de faire vous-mêmes vos propres réponses…
ce qui ne demande donc aucune réponse de notre part !
Biosphère, on ne peut pas d’un côté déplorer que le sujet soit «tabou» et d’un autre procéder comme vous le faites là. C’est à dire se foutre royalement des arguments qui n’iraient pas dans votre sens, et les esquiver par des stratagèmes. Ce n’est pas ça que j’appelle un dialogue, ni un débat. Encore une fois vous ne faites là que me conforter dans ma conviction que ce «débat» est miné, qu’il ne peut rien amener de bon.
Je ne réponds nullement à mes 2 questions, je les laisse en suspend. Certes j’anticipe une éventuelle réponse à la première, mais si vous avez d’autres arguments je suis à l’écoute. Quant à la seconde je voudrais quand même savoir. Les baleines ou la liberté ?
Michel Sourrouile procède de même avec cette étudiante, notamment à sa dernière question (CAPITALISME ET REPRODUCTION) à laquelle il répond «Ce questionnement est plus une réponse qu’une question ! »
Bien que pertinente la question reste là aussi en suspend. Personne ne peut nier qu’il existe une pression sociale qui va à l’encontre de celle que condamnent les (néo)mathusiens. Dans les entreprises les femmes sont encouragées à faire passer leur vie de femme (maternité, vie privée etc.) APRÈS leur carrière professionnelle. D’une manière quelque peu différente, évidemment, cette pression s’exerce également sur les hommes. L’intérêt (certes discutable) du pays passe donc ici APRÈS celui de la Carrière, de l’Entreprise et du Business.
Michel C : « à quoi bon se focaliser sur le problème du (sur)nombre ? »
Michel Sourrouille : Les malthusiens ne privilégient pas en soi la bombe démographique, ils ne font que constater que le nombre d’humains est un multiplicateur de notre puissance de détérioration de la planète.
Serge Latouche a écrit : « Le livre écrit par Michel Sourrouille, « Malthus, un précurseur de la décroissance », a été refusé par les éditions « Le passager clandestin »»
Pourtant Serge était le directeur de la collection « les précurseurs de la décroissance », il avait validé mon manuscrit. Mais l’éditeur a estimé qu’on n’avait pas le droit de parler de Malthus… même contre l’avis de son directeur de collection. L’anti-malthusianisme est en vogue jusqu’à présent, une association comme Démographie Responsable ne peut que jouer un rôle de lanceur d’alerte face aux censures médiatiques.