anthropisation

Introduction à la catastrophe avec « Momentum »

On observe un triple mouvement dans la pensée contemporaine. D’abord, massivement, une continuation des thèmes classiques des Sciences Humaines et Sociales (SHS), dominées par les idéologies libérales ou marxistes, c’est-à-dire une indifférence conceptuelle et méthodologique à l’égard de la nature, de l’écologie et de la collapsologie. Ensuite, de la part de quelques laboratoires publics ou Think Tanks privés, une tentative de centrer leur recherche sur l’écologie, l’anthropocène ou le climat, dans une perspective réformiste, i. e. en se donnant un horizon de temps indéfini (le développement durable). Enfin, une petite minorité de groupes ou de personnes tentent une percée intellectuelle ou politique sur les thèmes de l’anthropocène et de la collapsologie, sur les limites désormais visibles dans la géosphère et dans le temps, donc sur le bouleversement total et global que ceci produira, qu’on le veuille ou non (le catastrophisme).

Toutes les SHS sont « humanistes » au sens où l’anthropocentrisme est la valeur suprême : ni les non-humains, ni les écosystèmes ou l’écosphère ne sont pris en compte pour eux-mêmes ou en relation partenariale avec les humains. Cette réticence des SHS pour inclure l’écologie politique et les sciences de la nature dans leurs études des phénomènes humains provient de la crainte de justifications naturalistes aux inégalités sociales ou aux différences culturelles (présenter comme « naturelles » des entreprises de domination d’une personne sur une autre, d’une classe sociale sur une autre, d’une société sur une autre). Plusieurs esprits (Hans Jonas, Philippe Descola…) entreprirent récemment de concevoir ensemble la nature et la culture au moyen de regards et d’outils nouveaux. Quelques clubs de pensée ont fondé leur légitimité sur le succès médiatique de l’expression ambigüe « développement durable » : des réformes radicales parviendront à améliorer la situation ; une transition forte et persévérante nous conduira graduellement vers l’intégrité écologique et la justice sociale ; de nombreuses solutions techniques, sociales et politiques existent déjà pour apporter plus de bonheur pour toutes et tous. Quelques personnes estiment désormais que les deux postures précédentes (la High Church et la transition écologique) ne sont plus tenables. Non qu’elles aient abandonné toute rationalité : au contraire ! C’est parce qu’elles ont pris au sérieux les rapports des scientifiques que ces personnes et associations sont aujourd’hui devenues catastrophistes, discontinuistes, collapsologues. Oui, l’effondrement du monde est proche ; oui, l’événement sera brusque et brutal ; oui, il importe d’urgence d’essayer de le penser. Cette posture – la posture de l’Institut Momentum – est étayée par de nombreux rapports internationaux. Par exemple, la synthèse « Global Change and the Earth System » du Programme international Géosphère-Biosphère, ou bien le « Millenium Assessment Report 2005 » des Nations-Unies, ou bien le « Global Environment Outlook 5 » du PNUE en 2012, et le cinquième rapport du GIEC sur le changement climatique (2014). Outre ces rapports volumineux, de nombreux articles scientifiques corroborent l’idée d’un effondrement global du système-Terre à brève échéance. Ces rapports et articles ont pourtant tendance à minimiser l’état des choses et l’accélération des processus parce qu’ils doivent parvenir à un consensus. Une des conséquences de cette retenue est la publication journalistique régulière de papiers indiquant que c’est plus grave et que ça va plus vite que prévu dans le précédent rapport (exemple : les cinq rapports du GIEC depuis vingt cinq ans).

Ces propos ne sont pas fatalistes, ils sont au contraire une aspiration à une imagination et une créativité nouvelles. A l’Institut Momentum nos convictions profondes sont catastrophistes. C’est notre mission intellectuelle et éditoriale. Momentum, le think tank des politiques de décroissance du Second Anthopocène ? Il s’agit de refonder les politiques à l’intérieur des limites écologiques. Pour éviter les injustices sociales qui résultent de la contraction des ressources, des politiques de partage égalitaire seront le socle de la gestion de la rareté. En raison du dépassement des seuils écologiques, les politiques de décroissance devront réinventer l’ensemble du système industriel mondial, laisser les fossiles sous terre et plafonner l’exploitation des éléments non renouvelables par un protocole international. Les basses technologies (low tech) pourraient réhabiliter le geste humain, enrayer l’obsolescence programmée, et utiliser des ressources de proximité… Quel avenir pour le consumérisme dans les sociétés en voie de simplification ? Quelles évolutions psychologiques face au changement ? La bonne échelle politique est-elle vaste, européenne, mondiale, ou plutôt celle des biorégions ?

Quelques livres catastrophistes :

Erik M. Conway et Naomi Oreskes, L’effondrement de la civilisation occidentale, LLL, Paris, 2014.

Pablo Servigne et Raphaël Stevens, Comment tout peut s’effondrer, Le Seuil, Paris, 2015.

Carolyn Baker, L’effondrement, Écosociété, Montréal, 2015.

Paul Jorion, Le dernier qui s’en va éteint la lumière – Essai sur l’extinction de l’humanité, Fayard, Paris, 2016.

 

 

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No limits, nous n’avons pas quitté l’âge de nos deux ans

Carolyn Baker : « A deux ans, un enfant aime croire qu’il est omnipotent et qu’il n’a absolument aucune limite. Cependant son développement nécessite qu’en plus de pouvoir dire non il puisse admettre qu’on lui dise non sans appel. L‘une des raisons pour lesquelles les parents et les psychothérapeutes parlent de cet âge comme d’un âge terrible est qu’ils doivent toujours maintenir un équilibre délicat entre le droit des enfants de dire non et la nécessité d’imposer certaines limites à leur comportement. La technique d’infantilisation de la civilisation industrielle est insidieuse à cause de sa capacité à capter l’enfant de deux ans en nous et à laisser croire qu’il n’existe pas de limites et que nous pouvons avoir tout ce que nous voulons. Le refus de la civilisation industrielle d’accepter des limites n’a pas seulement rendu les humains narcissiques, cupides et possessifs, il les a aussi empêché de développer la maturité suffisante pour s’engager à laisser à leurs enfants un monde sain et sécurisé.

La raréfaction de l’énergie et la crise économique mondiale garantissent que les ressources qui nourrissent actuellement le mode de vie de la classe moyenne des États-Unis ne seront plus accessibles. Le pic pétrolier signifie non seulement des prix à la pompe follement volatils, mais des prix qui montent en flèche pour les aliments et beaucoup d’autres biens. La génération de la Grande Dépression a connu les pénuries et nous en ferons aussi l’expérience, mais les États-uniens sont incapables d’imaginer à quel point l’effondrement rognera leur mode de vie. En fait, quand j’ai soulevé ces questions en public, les réponses laissaient parfois entendre que de devoir limiter sa propre consommation n’était rien moins qu’anti-patriotique, reflétant ainsi le sentiment d’exception de citoyens à qui tout semble dû. Une autre réaction fréquente est de m’accuser d’être désespérément négative et obtuse puisque la technologie trouvera toujours une solution…

Bien que l’effondrement apporte des épreuves et des sacrifices, il apporte aussi des opportunités. Ceux qui le savent seront capables de naviguer consciemment dans les méandres de la grande transition. L’enfant de deux ans omnipotent qui refusait auparavant d’accepter des limites aura la possibilité de grandir et de devenir un adulte capable de choisir ce qui est souhaitable pour lui, la communauté et la terre. »

in L’effondrement (petit guide de résilience en temps de crise)

aux éditions écosociété 2015, 154 pages pour 10 euros

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Nous coupons les arbres plus vite qu’ils ne repoussent

Lester Brown : « Nous coupons les arbres plus vite qu’ils ne peuvent repousser et nous surexploitons les pâturages qui, peu à peu, se transforment en déserts. Parallèlement nous épuisons les nappes phréatiques un peu partout. Une autre contrainte vient s’ajouter aux deux premières, les limites de la photosynthèse. Les productions de céréales stagnent déjà. Pour 1 degré d’augmentation de la température, nous devrions même connaître une baisse de 17 % de leur production. Nous perdons aussi trop de terres, à cause de l’érosion, de l’industrialisation et de l’urbanisation. Chaque année, nous ajoutons 80 millions de personnes à la planète. Dans le même temps, 3 milliards de personnes veulent adopter un régime alimentaire beaucoup plus gourmand en ressources. Mais cela ne sera pas possible, nous n’aurons pas suffisamment de ressources. Tout cela nous place dans une situation dramatique et totalement inédite. Il est fort probable que la situation se transforme en instabilité politique et en perturbations de toutes sortes.

Comment convaincre les gens de transformer radicalement leur mode de vie ? La réalité est que nous allons devoir changer, que nous le voulions ou non. L’autre question, c’est : pourrons-nous le faire avant que le système ne s’effondre ? Il y a eu un effondrement de civilisation, les Sumériens et les Mayas par exemple. La différence est qu’aujourd’hui, pour la première fois dans l’histoire, c’est l’ensemble de la civilisation humaine qui est en danger. Nous sommes désormais dans une situation où notre futur dépend de notre capacité à travailler ensemble, à une échelle que nous n’avons jamais expérimenté. Je pense que nous devrions tous être un peu effrayés, mais je pense aussi que nous avons la capacité de changer rapidement. Je me souviens de la Seconde Guerre mondiale. Après l’attaque de Pearl Harbor, les États-Unis sont retrouvés en guerre du jour au lendemain, sans avoir rien planifié. Le président Roosevelt a interdit, du jour au lendemain, de vendre une voiture neuve aux États-Unis. Point à la ligne. Il ne nous a pas fallu des décennies pour réorienter l’économie, ni même des années. Nous l’avons fait en quelques mois.

Si nous avons réussi à l’époque, nous pouvons aussi empêcher le climat de se dérégler hors de tout contrôle. Nous avons besoin d’un Pearl Harbor. Peut-être une sécheresse et la perte de la plupart de nos récoltes. C‘est impossible à prévoir. La seule chose que nous savons est que nous ne pouvons pas continuer sur cette voie. »

Extraits de DEMAIN, un nouveau monde en marche » aux éditions Domaine du possible

PS : notre article précédent sur Lester Brown en mars 2008, « Sauvons la Terre »

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L’homme peut-il s’adapter à lui-même ? Pas du tout !

D’une manière paradoxale, le problème le plus urgent est la protection de notre espèce contre elle-même : pollutions de l’air, de l’eau, des sols appauvrissement des sols, surexploitation des mers… Ainsi s’exprimait Jean Dorst en 1965 dans « Avant que nature meure ». Un colloque sur les possibilités d’adaptation a eu lieu à Paris en 2010 dont on a tiré un livre*. Cet ensemble à 28 auteurs, disparate, est à la fois très descriptif et trop centré sur la vie génétique et animale. En voici quelques éléments-clés utilisables :

– On a trop vite oublié que l’évolution, c’est le succès de la descendance, à condition qu’on lui laisse les possibilités de s’adapter !

– Le poids moyen d’un Français était d’environ 45 kg au XVIIe siècle, l’abondance alimentaire a contribué à l’épidémie d’obésité actuelle associée à une croissance de la masse globale de l’humanité (la démographie).

– Avec les OGM, il y a un gros problème d’un point de vue évolutionniste : alors que les paysans n’ont cessé d’inventer de nouvelles variétés animales et végétales par sélection artificielle afin de mieux adapter leurs productions à environnement, de nouvelles pratiques motivées par des gains de productivité tendent à éliminer les autres variétés, – donc à réduire la biodiversité artificielle – et à modifier les environnements au bénéfice des rares variétés retenus, ce qui est proprement auto-adaptatif.

– Nous passerons au cours des prochaines années d’un univers stable et prévisible, avec des modèles agricoles bien définis, à un univers incertain, composé d’une multitude de situations locales, particulières, et dont la viabilité économique sera temporise.

– La technologie a tué la pêche car elle rend incompatible l’adéquation entre les taux de renouvellement des espèces et leur exploitation. Pour le futur nous devons envisager des pêches lentes avec des technologies adaptées permettant d’aller lentement, de rester petit, de manger moins et mieux.

– La conférence de Johannesburg a fixé un objectif de frein de l’érosion de la biodiversité pour 2010. La conférence de l’Unesco de 2010 à Paris se donne pour ambition de l’arrêter d’ici à 2020. Or pourquoi réussirons-nous mieux entre 2010 et 2020 dans un domaine où nous avons manifestement échoué entre 2002 et 2010 ?

– La pression sur les milieux naturels croît de façon exponentielle avec la richesse économique.

– La motivation des penseurs de l’eugénisme est un diagnostic d’inadaptation de l’espèce humaine à son nouvel environnement. L’eugénisme apparaît comme une mesure permettant de réadapter en partie l’être humain à son milieu.

– Les maladies infectieuses ont imposé une pression sélective majeure au cours de notre histoire et elles continuent de le faire dans différentes régions du monde.

– La médecine générale est actuellement confrontée aux maladies auto-immunes, allergiques et métaboliques pour lesquelles la composition génétique varie pratiquement d’un individu à l’autre.

– Contrairement à ce qu’affirment les thuriféraires d’un progrès sans limite, les civilisations meurent avant tout de leur incapacité à reconsidérer ce qui a fait leur puissance.

– On pourrait s’imaginer qu’après avoir éliminé tous les êtres vivants de son écosystème proche, l’homme, dernier compétiteur en lice, puisse rechercher le moyen de s’éliminer en tentant de s’ailler avec ses artefacts.

* L’homme peut-il s’adapter à lui-même ? Éditions Quae 2012, 190 pages pour 24,50 euros

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La croissance française fait pschitt en  2016, tant mieux

Le PIB est devenu le mythe de référence médiatique et politique, pourtant il ne dit rien de la réalité de notre système. Selon les chiffres officiels de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), l’économie française devrait croître d’« à peine 1,3 % » en 2016*. Une révision d’importance par rapport aux précédentes prévisions de l’Institut, qui tablait, en juin, sur une hausse de 1,6 % du produit intérieur brut (PIB) pour 2016. Finalement, la croissance sera « comparable » à celle de 2015 (+ 1,2 %). Pourtant, l’économie française a connu, depuis deux ans, une conjonction inédite de facteurs favorables (euro faible, taux d’intérêt au tapis, chute du baril de pétrole). L’exécutif prévoyait, jusqu’ici, une hausse du PIB de 1,5 % pour 2016, et a construit son budget 2017 sur une augmentation équivalente pour l’an prochain. On rappellera cruellement les prévisions de croissance « prudentes et réalistes » du candidat François Hollande dans son programme présidentiel de 2011/12 : croissance 2016, entre +2 et +2,5%. En fait, que ce soit un taux de 1 % ou de 3 %, il ne s’agit nullement de bonheur, mais de comptabilité marchande ignorant les pertes socio-écologiques.

Le PIB ou produit intérieur brut se mesure par la somme de toutes les valeurs ajoutées, c’est-à-dire la production issue de l’activité des entreprises. Cela veut dire plus de marchandises à disposition des consommateur, plus d’accumulation de capital pour les entreprises, plus d’ouverture sur l’extérieur dont nous importons ce que nos exportations nous permettent de financer. Cette croissance économique appelle à une main d’œuvre supplémentaire (travailleurs immigrés, population féminine) et procure l’emploi, donc la disparition du chômage. En apparence, tout va bien dans le meilleur des mondes possibles. Mais le PIB n’est pas en réalité un indicateur véritable de résultats (niveau de vie, bien-être), il n’est qu’un indicateur de moyens, une mesure de la production qui résulte de l’emploi organisé de manière productiviste. Toutes les femmes qui depuis la seconde guerre mondiale sont entrées sur la marché du travail n’ont souvent que remplacé sous forme monétaire les activités qu’elles accomplissaient précédemment de façon bénévole (élever des enfants, faire la cuisine, s’occuper de la maison). Toutes les activités productives qui échappent aux règles du marché ne sont pas pris en compte : le travail domestique des personnes au foyer, le travail non rétribué des bénévoles… Notre conception de la croissance n’envisage qu’une partie de l’activité humaine et laisse de côté la gestion du quotidien comme l’engagement au service de la société. Plus grave, le PIB compte comme positif ce qui devrait être soustrait. Lorsqu’une entreprise pollue, on fait entrer dans l’accroissement de la richesse nationale a la fois sa production et le coût de la dépollution. De même, un alcoolique fait augmenter le PIB grâce à ses achats ; il le fait aussi augmenter quand il a un accident grâce aux réparation matérielles et physiques et à l’achat induit de nouveaux moyens de locomotion. Un « mal » plus son « remède » sont considérés comme deux « biens ». Si on soustrayait les maux du PIB, il ne aurait plus croissance, mais taux négatif.

De plus, pour ce qui constitue la majorité des valeurs ajoutées agrégées par le PIB, il s’agit de mesurer une richesse artificielle : par exemple la consommation d’essence n’a pas en soi une valeur, c’est une indication d’un certain niveau de vie basé sur le déplacement, pas d’un sentiment réaliste de satisfaction ; la vente de bijoux n’est pour rien dans le bonheur des générations futures sauf à privilégier la parure aux nécessités de la survie. Beaucoup de producteurs, qui croient sincèrement apporter une contribution positive au produit national brut, seraient étonnées de constater que leur activité est en fin de compte plus nuisible qu’utile. Comme on ne peut découpler croissance économique et impact négatif sur l’environnement, l’expansion du PIB est néfaste. La croissance du transport routier détruit la capacité a atteindre des objectifs environnementaux et cette détérioration compense largement les réductions des émissions polluantes obtenues par l’industrie. Par ailleurs, l’urbanisation morcelle les espaces naturels par les infrastructures nécessaires et le mitage résidentiel, rend plus difficile le contact entre les humains et impossible le juste rapport à la nature. Même le Produit Intérieur Net n’est qu’un indicateur superficiel puisqu’il considère seulement l’amortissement du capital technique (machines…). Or quand on coupe par exemple des arbres, il faudrait déduire en plus le coût du renouvellement de ces arbres. De façon plus globale, il faudrait comptabiliser en négatif toute dépréciation du capital naturel qu’il faudra un jour remplacer. Sinon il y a destruction nette de notre patrimoine terrestre et aucun futur pour l’humanité. En définitive, les mesures officielles de la croissance par le PIB comportent de plus en plus un aspect illusoire, elles nous masquent cette réalité, l’impossibilité d’une croissance indéfinie dans un monde fini.

Nos médias et nos politiques ont oublié le sens des limites en répétant constamment : « croissance, croissance, croissance. » D’ailleurs le président français François Hollande ne s’est pas exprimé autrement tout au cours de son mandat ! La mondialisation des échanges commerciaux est source de déséquilibres durables. La course à la consommation est une course à l’abîme. La multiplication des véhicules individuels est une aberration à l’heure où le pétrole se raréfie. L’appétit gargantuesque de société de croissance pour les ressources naturelles contribue à leur raréfaction ; elle est source de conflits entre nations. Nous savons que la croissance économique démesurée des pays « émergents » s’accompagne aussi d’un bilan social et écologique désastreux. Economistes et politiques raisonnent en termes simplistes car ils oublient les réalités géophysiques, l’épuisement de la biosphère. Un bon économiste est d’abord un bon écologiste, sinon il ne peut pas être un bon économiste. Il en est de même pour les politiques, ceux qui n’envisagent pas les contraintes biophysiques ne peuvent pas mener une bonne politique pour la France. Un journal qui ne raisonne pas ainsi ne fait pas du bon journalisme.

* LE MONDE du 8 octobre 20016, La croissance française en 2016 encore une fois décevante

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Démondialisation, synonyme de spirale de la violence

Partout en Occident, les opposants à la mondialisation représentent entre un tiers et la moitié des électeurs, et cela au moment même où la chute du commerce mondial se confirme dans les chiffres. Selon l’Organisation mondiale du commerce, les échanges internationaux devraient progresser moins vite que la croissance mondiale en 2016. Un ralentissement d’une ampleur jamais vue depuis plus de trente ans*. Le journaliste Philippe Escande en tire la conclusion que l’hostilité croissante à la mondialisation nous entraîne dans une spirale mortifère, la baisse des échanges internationaux pénalisant la croissance mondiale (et donc l’emploi), et ainsi de suite.

Il est vrai que la démondialisation est notre destin, la concurrence internationale s’est accompagnée de délocalisation, de surproduction, de chômage et de déséquilibres socio-écologiques. Par réaction on recherche de plus en plus les moyens d’un protectionnisme, la souveraineté alimentaire, la relocalisation, les communautés de résilience, etc. Mais cela va s’accompagner obligatoirement d’une montée des violences. Dans une étude publiée mercredi 28 septembre par la revue Nature, une équipe espagnole considère que la violence létale humaine plonge ses racines dans la théorie de l’évolution : sur les 1 024 espèces de mammifères étudiées, 40 % étripent joyeusement les leurs**. En fait cette étude n’explique pas les causes de la mortalité provoquée, elle ne fait que constater. Les causes de notre agressivité ne sont pas issues de notre patrimoine génétique, elle sont en rapport étroit avec notre perception de l’espace vital : plus une espèce est sociale et déterritorialisée, plus la violence létale s’y exprime. Une organisation tribale génère de la violence à travers le repli identitaire qu’elle créé. Réciproquement la mondialisation commerciale et le sentiment d’abondance qui en résulte avait desserré un temps la contrainte spatiale ; les États ont eu moins de problèmes pour gérer le niveau de violence dans leur pays. On note un déclin de la violence depuis la révolution industrielle (si on excepte les guerres mondiales liées d’ailleurs à une conception de l’espace vital, cf. le lebensraum allemand).

Quel est donc avenir pour l’agression intraspécifique ? On vit sans doute de façon plus paisible dans une ville américaine actuelle que dans l’ancien Far West, mais cela est en train de changer ; Donald Trump ou Marine le Pen se font l’écho du malaise socio-économique entraîné par la mondialisation. Les isolats identitaires se multiplient partout dans le monde et le repli nationaliste est même porté par une droite « décomplexée ». Cela nous amènera à coup sûr vers une remontée des violences, y compris interétatiques. Cette situation catastrophique est sans doute le prix à payer pour aller vers des sociétés relocalisées qui se retrouveront dans l’avenir plus en harmonie avec leur propre écosystème. Comme l’exprime une figure médiatique de l’écologie politique, Yves Cochet, la tâche des politiques sera bientôt de minimiser le nombre de morts…

* LE MONDE économie du 29 septembre 2016, Un monde de plus en plus étroit

** LE MONDE du 30 septembre 2016, Les racines de la violence humaine plongent dans l’arbre de l’évolution

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Initiative verte en Suisse, réduire l’impact écologique

Le 25 septembre 2016 les citoyens suisses voteront lors d’un référendum d‘initiative populaire « Pour une économie durable et fondée sur une gestion efficiente des ressources (économie verte) ». Cette votation voudrait réduire – d’ici 2050 – l’impact écologique de la Suisse à un niveau que la nature puisse supporter. En suivant 3 axes : protection climatique, efficience des ressources et importations « propres ». Son objectif permettrait de répondre à l’accord climatique de 1,5-2°C conclu à Paris. La transformation vers une économie verte permettra de contribuer considérablement à la lutte contre des problèmes écologiques pressants tels que le changement climatique, la déforestation et la surpêche. Pour y parvenir, il faut transformer notre économie du tout-jetable en économie circulaire qui mise sur des produits durables et la revalorisation des déchets comme matières premières. Les Verts avaient déposé l’initiative populaire pour une économie verte en automne 2012. Quatre ans pour arriver au vote !

L’initiative «verte» prend implicitement acte de l’avènement de l’Anthropocène, ce temps géologique qui en deux siècles a altéré pour l’éternité ou presque le système Terre, estime Grégoire Gonin, historien : « Si le libéralisme économique a pu s’imposer, c’est parce qu’une «grande alliance verte» n’a pu voir le jour, car trop disparate (intellectuels romantiques, ouvriers et artisans opposés au machinisme, villageois défendant l’autonomie communale, révolutionnaires utopistes). En invisibilisant les dégâts du «progrès», l’idéologie anglo-saxonne n’a fait que retarder une prise de conscience qui désormais, telle une bombe environnementale à retardement, menace toute la planète. En quelque sorte, la volonté affichée par les initiants de revenir à l’équilibre «naturel» (une empreinte écologique d’une planète) efface deux siècles d’imposture scientifique, et, prêchant la culture du suffisant, met fin à la démesure d’un train de vie occidental mené à crédit sur les ressources du Sud. Car «que ferons-nous quand les mines […] auront été épuisées?» s’interrogeait déjà en 1754 l’écrivain Edward Moore. »

Source : http://www.gruene.ch/gruene/fr/campagnes/economie_verte.html

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Nous mangeons la planète, nous aurons une indigestion

Voilà comment les humains s’en prennent irrémédiablement à leur planète : ils la mangent. C’est en substance ce que dit le travail d’une douzaine de scientifiques*. Il y a étroite corrélation entre la pression humaine globale et l’agriculture : la moindre parcelle, même très peu fertile, est exploitée. Les arbres cèdent la place aux cultures et aux pâtures. Les chercheurs considèrent que 9 % des habitats – soit 23 millions de kilomètres carrés – qui étaient à l’abri des pressions humaines en 1993 ne le sont plus. Les derniers havres préservés sont à chercher dans les toundras et les déserts du Sahara, de Gobi et d’Australie, ou dans les parties les plus reculées des forêts de l’Amazonie et du bassin du Congo. Les pays les plus prospères confient à d’autres pays la mission de produire pour leur compte de quoi les nourrir et de les fournir en matières premières : ainsi 40 % des bœufs élevés dans le secteur de l’Amazonie sont exportés vers l’Union européenne.

Redresser la barre sans casse n’est pas envisageable. L’explosion démographique mondiale est toujours en cours, la population double encore tous les soixante ans. L’urbanisation, c’est-à-dire la dépendance absolue de populations enfermées dans les villes, résulte de la surexploitation des terres à l’extérieur. Plus de la moitié de la population mondiale est concernée, sans autonomie alimentaire et énergétique. Les rares avancées en matière de protection des sols résulte du faible prix des ressources fossiles pourtant en voie de disparition rapide : le pétrole favorise actuellement les miracles, cela ne durera pas.

Le rôle des politiques sera bientôt de limiter le nombre des morts quand il seront conscients, de provoquer guerres et massacres quand ils feront selon les traditions de notre humanité grégaire et clanique.

* LE MONDE du 28-29 août 2018, La pression des activités humaines sur la planète s’accentue dangereusement

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Déplorons l’anthropisation de l’espace sonore

Même au cœur de la vallée de la mort en Californie, où il n’y a rien, on entend… les nombreux avions de la base aérienne située à l’Est. Ça gâche tout. Le bioacousticien américain Gordon Hempton n’a pu répertorier dans le monde qu’une cinquantaine de zones à l’abri des nuisances sonores humaines*. L’espace est de plus en plus affecté par l’anthropophonie (sons d’origine humaine). Nous perdons le lien indispensable avec la biophonie (le son des êtres vivants) et la géophonie (le son des éléments naturels tels que le vent ou l’eau), la nature devient dénaturée. Il resterait seulement une douzaine de zones de silence (anthropique) en Amérique du Nord, quelques-unes au Nord de l’Europe, mais aucune en France,

Oublier le bruit des humains est pourtant nécessaire pour ressentir profondément la nature. Impossible de parvenir à des états mentaux méditatifs quand on est citadin sans possibilité de se réfugier au cœur d’une forêt. C’est pour permettre à tous de retrouver notre matrice originelle que Gordon Hempton enregistre et partage le bruissement du vent dans les feuilles, le pépiement des oiseaux et les clameurs de l’orage. Mais rechercher la nature par l’intermédiaire de nos instruments à faire du bruit, est-ce vraiment la solution ?

Heureusement qu’un jour disparaîtront avions et véhicules motorisés. Quand il n’y aura plus de pétrole et plus de moteurs à combustion, l’anthropophonie reviendra à un niveau supportable en retrouvant le simple son de nos pas sur le sol…

* LE MONDE du 19 août 2016, L’homme qui cherchait le silence

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Mauvaises nouvelles concentrées sur une seule journée

Prenons la première page du MONDE*. Mauvaises nouvelles. Le grand titre, qui barre toute la page : «Le climat s’est brutalement dégradé en 2015 ». Mais encore, preuve que nous n’avons encore rien compris, «Le cours du pétrole baisse encore». Mais encore, misère de la politique : «Le candidat Trump n’est pas qualifié pour être président». Sans oublier l’influence délétère de la religion : «Islam, les illusions d’une réforme». Dans le reste du journal, il paraît encore plus évident que la planète est à feu et à sang. Nous sommes sur une poudrière : «Après des années d’impuissance de l’UE contre le djihadisme… Évacuation d’un camp de migrants à Paris… L’Afghanistan est en guerre depuis 40 ans, la Syrie depuis 5 ans… Attaque chimique sur la ville de Saraqeb (Syrie)… Les travailleurs indiens (non payés, passeport confisqué) en Arabie Saoudite ont faim et ont soif… A Tokyo, une nationaliste révisionniste nommée à la défense… La Corée du Nord tire un missile au large du Japon… Des militants des droits humains condamnés par la justice chinoise… Il fait toujours plus chaud sur la planète terre… Le baril est retombé à moins de 40 dollars… Ils sont 63,5 millions à avoir fui la guerre ou un régime dictatorial…»

Nous demandons à nos lecteurs de faire un petit effort, essayer de relier tous ces événements entre eux. Le mérite de l’écologisme est de montrer qu’il y a interdépendance forcée dans une société humaine mondialisée, surpeuplée, économiquement folle et politiquement à la dérive. La cause première de nos déboires est l’impuissance humaine à concrétiser une intelligence collective, englués que nous sommes dans le court terme et les nationalismes. Notre imbécillité profonde est vraiment apparente dans notre traitement du choc climatique.

Le constat est incontestable, les nouvelles n’ont jamais été aussi mauvaises. Des dizaines de records sont battus sur la cinquantaine d’indicateurs présentés dans l’Etat du climat en 2015. Et la plupart d’entre eux montrent indiscutablement une tendance au réchauffement de la planète. Températures de l’air et de l’océan, montée du niveau des mers, émission de dioxyde de carbone, fonte des glaces, multiplication d’événements climatiques extrêmes, pluies diluviennes et incendies gigantesques… Au vu de ses six premiers mois, 2016 s’annonce plus brûlante encore selon l’Organisation météorologique mondiale. Nous savons parfaitement pourquoi, la raison tient à l’augmentation de la consommation de charbon, de pétrole et de gaz qui a fait exploser la production de CO2. Ce dernier comme les deux autres principaux gaz à effet de serre, méthane et protoxyde d’azote, a atteint de nouveaux sommets en 2015. Normal, le marché pétrolier ne vois pas plus loin que l’offre et la demande à un instant donné, sans tenir aucun compte ni des perturbations climatiques qui en résulte durablement, ni de la raréfaction croissante de cette ressource non renouvelable. Et politiquement nous sommes irresponsables, nous refusons d’aborder de front les solutions. Les accords de la COP21 à Paris fin 2015 visaient à contenir – à défaut de réduire – les émissions de gaz à effet de serre. Applaudi alors par 195 pays et organisations, 177 l’ont signé depuis, mais seulement vingt-deux l’ont ratifié. Ils ne représentent que 1 % des émissions de gaz à effet de serre ! L’abondance (provisoire) des ressources fossiles n’a pas amené la félicité pour tous, mais le désastre dans la plupart des domaines. Quand nous mettrons en place la carte carbone (rationnement de la consommation individuelle d’énergie fossile), la planète sera encore plus à feu et à sang qu’aujourd’hui.

* LE MONDE du 4 août 2016

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A partir du lundi 8 août, l’humanité vivait à crédit

Au retour des «grandes vacances et des JO, voici la seule nouvelle qui compte vraiment. A partir du lundi 8 août, l’humanité va vivre à crédit, puisant au-delà de ce que la planète peut lui procurer comme ressources naturelles en une année*. Que disent les commentateurs sur le monde.fr :

écureuil : Nous consommons le capital, au lieu de profiter des intérêts/dividendes; bref, nous nous appauvrissons, alors qu’en s’endettant, généralement on s’enrichit, temporairement souvent mais on est un peu plus riche qu’avant le crédit
Nawak : En même temps, c’est le développement du crédit qui a permis à nos sociétés de se développer! 😉
Ben Ihouioui : Là est le vrai enjeu pour notre avenir. Les conflits armés, les crimes intégristes sont terribles et doivent être combattus (on est obligé d’écrire cette évidence ici pour prévenir les sermons) mais dans l’histoire du monde ne sont que des péripéties comparées à la destruction de la biosphère et donc de la Vie autour de nous, au quotidien du simple fait des activités humaines régulières, « normales » !
sylvain le gleut : Il est facile de comprendre que cette dégradation ne pourra qu’augmenter les migrations et les conflits de toutes sortes: Et plus personne, pauvre ou riche, ne sera à l’abri.
Démographie responsable : La biocapacité globale de la planète augmente peu, car ce qui est gagné d’un côté (en rendements par exemple) est perdu de l’autre (urbanisation entre autre). Le déficit écologique est donc, in fine, dû en grande partie à la croissance démographique. Si l’on veut donc tenter d’inverser la tendance, il faut aussi stopper la croissance de notre effectif.
Roland Petit : Quel que soit le prix que l’on paie le baril de pétrole, il n’y a jamais, dans ce prix, de dollars pour la nature. Nous sommes, de ce point de vue-là, comme les chasseurs-cueilleurs de la Préhistoire : on prend et c’est tout. Il faudrait ouvrir un compte en banque à la nature, et y verser un prix, son salaire, pour qu’elle puisse renouveler ses propres ressources.
Jean-Marie Luijkx : Le pétrole est une énergie renouvelable: il suffit de laisser macérer quelques matières organiques pendant quelques millions d’années dans de bonnes conditions de température et de pression pour obtenir du beau pétrole tout neuf.
tout va bien : Inutile de s’alarmer, l’essentiel c’est que les très coûteux JO puissent se dérouler, les multinationales continuer à échapper à l’impôt, l’agriculture et la pêche intensives d’alimenter l’industrie agroalimentaire, les constructeurs de bagnoles de renouveler leurs gammes, les firmes de la chimie de vendre leurs poisons, les banques de financer l’extraction du gaz de schiste ou du pétrole de l’Antarctique, etc, etc. Le monde merveilleux des hommes, quoi…
😡😡😡 :Plus de 4 mois à crédit ….sans réserve de ressources naturelles, dans les années qui suivent, ….le découvert sera de plus en plus long et difficile à gérer, ….nous, devrions par déduction,….nous mettre au pain sec et à l’eau , mais personne ne le fera …moi, non plus .. sauf les pays déjà touchés par la famine, la guerre, le manque d’eau, ce gâchis ne pourra pas être permanent …on paiera les arriérés , plus tard !!!!, …la facture sera lourde, très lourde !!!!

* LE MONDE du 9 août 2016, Sols, forêts, poissons… A partir de lundi, l’humanité vivra à crédit

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« Le futur a-t-il un avenir ? », l’interrogation qui tue

En tant qu’espèce biologique, Homo  sapiens nous semble avoir peu de risques de disparaître à brève échéance même si, à l’échelle géologique il est bien évident que le monde a commencé sans l’homme et s’achèvera sans lui. Notre nombre, notre polymorphisme génétique, notre polyvalence et notre adaptabilité sont en effet tels qu’il restera bien quelque part des poches de résistances pour ré-ensemencer l’anthroposphère.

Plus probable à terme est une dégradation de notre milieu par nos actions délétères. Car l’homme, néoplasme de l’évolution, est bien le «cancer de la planète», dont les métastases peuvent d’ores et déjà être observées dans tous les recoins de la planète. On dirait que l’homme est destiné à s’exterminer lui-même après avoir rendu le globe inhabitable. Quant à l’ambition qui consisterait à piloter la biosphère, de la remodeler par l’invention, de maîtriser par une technologie supérieure les effets néfastes de cette technologie, et ainsi de suite à l’infini, cette prétention est par définition condamnée à l’échec et avec elle la folie «tranhumaniste ». La nature est bien plus complexe que l’intelligence qu’elle a engendrée.

Ce qui est bien plus probable et tout aussi inquiétant que la disparition de l’homme est celle de nos civilisations. Tétanisés par les enjeux électoraux, les politiciens n’osent pas aborder la question de fond et dire les choses en face : nous avons vécu au-dessus de nos moyens depuis plus d’une génération, la porte de l’eldorado se ferme. Comment satisfaire les revendications exacerbées par le consumérisme ? Comment dessiller les yeux éblouis par une illusion technoscientiste ?  Comme la déplétion du gaz suivra de peu celle du pétrole, comme aucune autre source d’énergie n’est susceptible de les remplacer, l’avenir de notre civilisation me paraît singulièrement compromis. Il est de moins en moins douteux que la société occidentale, dont l’opulence globale est fondée sur le pillage des ressources planétaires, et qui a abdiqué tout idéal pour exalter le profit, est voué à l’échec.  Bref, le temps du monde fini commence… »

(extraits du livre «Le futur a-t-il un avenir ? (pour une responsabilité socio-écologique)« de Philippe Lebreton
éditions Sang de la Terre 2012, 380 pages pour 24,50 euros)

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Les zadistes, un autre conception de l’intérêt général

Les termes «ZAD» et «zadistes» ont été déposés auprès de l’Institut national de la propriété industrielle par un militant anti-aéroport. Le terme de ZAD est le détournement ironique d’un sigle familier aux aménageurs, la Zone d’Aménagement Différé. Sur décision du préfet, elle permet à une collectivité locale ou à un maître d’ouvrage public de préempter des terrains très en amont du début des travaux afin de constituer les réserves foncières nécessaires à un prix relativement bas et d’éviter ainsi toute spéculation. La captation du sigle par les opposants au projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes s’explique par l’existence de ce projet d’aménagement différé créé en 1974, réactivé par le gouvernement Jospin fin 2000 et devenu aujourd’hui «Zone A Défendre». Depuis 2008, une quinzaine de conflits locaux ont été qualifiés de ZAD par les médias. Les sites disputés font l’objet d’une occupation permanente et relativement durable, non pour favoriser l’aménagement, mais pour l’empêcher. Les zadistes préfigurent une nouvelle conception du territoire. Un livre* relate ce débat dont voici quelques extraits :

« La situation créée par les ZAD n’est pas sans rappeler certaines guerres de décolonisation gagnées du point de vue militaire mais perdus sur le plan politique. La supériorité tactique peut conduire à une défaite stratégique. La bataille des zadistes se joue sur deux terrains distincts. Le premier, réel et matériel, est le site lui-même de la ZAD, où cette bataille prend la forme d’affrontements physiques avec les forces de l’ordre. La gendarmerie utilise parfois de grands moyens : à Décines, l’expulsion des zadistes a été réalisé par une unité spécialisée dans le «traitement des individus entravés ou situés en hauteur», la cellule nationale d’appui à la mobilité. L’autre, virtuel, est le terrain de l’opinion publique et des médias. Un référendum comme celui annoncé par François Hollande en février 2016 à propos de l’aéroport de NDDL ne résout rien. Qui aura le droit de voter et dans quels termes la question soumise au vote sera-t-elle posée ? Combien de temps la campagne référendaire doit-elle durer ? Pour un aménagement d’intérêt général, un référendum local est de toute façon inadapté. Et la démocratie ne se réduit pas à la seule application de la règle majoritaire.

En cas de victoire définitive, la zone à défendre peut devenir une Zone d’Autonomie Définitive. Car les zadistes sont avant tout des militants altermondialistes qui s’en prennent à la mondialisation libérale et aux multinationales pour une cause planétaire. Les projets d’aménagement ne sont plus seulement critiqués pour des nuisances précises, ils entrent dans la vaste catégorie des «grands projets inutiles et imposés» néfastes pour la planète. Les ZAD françaises s’apparentent à d’autres luttes menées en Europe ou ailleurs

* Zones A Défendre (de Sivens à Notre-Dame-des-Landes) de Philippe Subra
éditions de l’aube 2016, 126 pages pour 14 euros

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La fin des temps faciles, nous y sommes déjà

L’une est économiste et professeure à l’université Lille 1, l’autre est sociologue et professeure à l’Université Paris-Dauphine. Elles écrivent dans une collection de la «Direction de l’information légale et administrative». Pourtant elles prennent fait et cause contre le croissancisme et le productivisme. Comme quoi la pensée dominante commence à se lézarder… Voici quelques extrait de leur livre* :

« Certains économistes, les techno-optimistes, guettent l’avènement de la Troisième Révolution industrielle censée découpler les taux de croissance. D’autres plaident pour une réduction radicale de la protection sociale, qui seule permettrait un retour de la croissance. Aucun d’entre eux ne semble prendre en considération l’urgence de la menace écologique et la nécessité de rompre avec la croissance et la productivité telles que nous les avons connues. La troisième voie, étroite, consisterait à organiser une transition comportant un changement radical de paradigme et permettant une réorientation de notre modèle de développement vers une société post-croissance dont la production serait organisée sous une condition très stricte : prendre soin du patrimoine naturel et de la santé sociale (dont la qualité du travail reste un élément déterminant).

L’activité économique, notamment dans ses modalités productivistes, a été le moteur de l’accélération des crises écologiques majeures. On peut donc s’interroger sur le sens à donner aux politique entièrement dédiées à la croissance alors que celle-ci contribue en plus à creuser les inégalités et n’a pas le caractère redistributif dont on la crédite trop souvent. L’évidence s’impose ainsi peu à peu : il nous faut apprendre à nous départir de la croissance, même verte, comme horizon de développement et de progrès.

Il est intéressant de lire l’auteur de l’expression «les Trente Glorieuses», qui termine son livre écrit en 1979 par un chapitre intitulé : la fin des temps faciles : «Depuis 1968, j’attendais la fin des Trente Glorieuses. Ma raison était simple. Une grandeur qui double dix fois de suite devient plus de 1000 fois plus forte qu’à son origine. Voyez-vous les gens consommer 1000 fois ou seulement 60 fois plus qu’aujourd’hui ? La production française a été multipliée par 5 en 27 ans, de 1947 à 1974. Cela fait une multiplication par 25 en 54 ans, par 125 en 81 ans, par 625 en 108 ans. Le maintien d’une telle croissance supposerait une production française de 100 milliards de tonnes d’acier vers l’an 2100, et mondiale de 25 000 milliards de tonnes.» Pourtant ce n’est pas ce mode de raisonnement qu’ont tenu les économistes et les responsables politiques dans les années qui ont suivi. l’augmentation du taux de croissance reste un objectifs absolument central. Il ne faut pas souhaiter renouer avec les taux de croissance de «l’Age d’or» ni attendre leur retour, car cela nous conduirait tout droit à la catastrophe.»

* Faut-il attendre la croissance ? de Florence Jany-Catrice et Dominique Méda
La documentation française 2016, 174 pages pour 7,90 euros

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Dès 1940, nous savions déjà l’agriculture en danger

L’équilibre agricole est rompu ; la terre se rebelle ; les maladies de toutes sortes se multiplient ; dans bien des contrées du globe, l’érosion emporte le sol épuisé. Dans son Testament agricole, pour une agriculture naturelle, Albert Howard (1873-1947) en avait conscience. Les thèses de l’agriculture biologique d’aujourd’hui se situent dans la droite ligne de son « Testament ». La réflexion sur l’humus des praticiens contemporains de l’«AB» est déterminante dans la gestion des matières organiques fertilisantes. Pourtant la mentalité NPK (azote, phosphore, potassium) prédomine encore. Un gouvernement devrait soutenir une agriculture biologique contre les monocultures et l’agriculture intensive.

Le maintien de la fécondité de la terre est la condition essentielle d’un système d’agriculture durable. Le cycle de la vie consiste en deux processus, croissance et décomposition., l’une étant la contrepartie de l’autre. Au cours du processus normal des récoltes, la fertilité diminue constamment : sa reconstitution continuelle est donc absolument indispensable. Dans le règne végétal, il ne se produit jamais de tentative de monoculture. La règle est : productions mixtes. Une grande variété de plantes et d’animaux coexistent. La terre est toujours protégée contre l’action directe du soleil, de la pluie et du vent. Rien qui ressemble à de l’érosion. La forêt se fertilise elle-même, elle fabrique son propre humus. Il s’établit une division naturelle entre le minéral et l’organique. L’humus fournit l’engrais organique ; le sol, la substance minérale. Rien de nocif, pas d’incinérateurs, pas d’épuration artificielle, pas d’épidémie due à l’eau, pas de conseillers municipaux et pas d’impôts.

« La population humaine, concentrée principalement dans les villes, est entretenue presque exclusivement par la terre. Il en résulte qu’une grande quantité des déchets agricoles est concentrée dans les villes, loin des champs qui les produisent. La plupart des déchets municipaux sont enterrés ou bien brûlés dans des incinérateurs. Pratiquement, aucun déchet ne revient à la terre. Il faut donc considérer les villes comme des parasites de l’agriculture. Elles n’existeront avec le système actuel seulement autant que la fertilité de la terre le permettra. Ensuite, tout l’échafaudage de notre civilisation devra s’écrouler.

Notre mère, la terre, n’a eu que peu ou aucun représentant pour plaider sa cause dans les conseils municipaux. Une catastrophe quelconque, telle qu’une pénurie mondiale d’aliments puis une famine, ou bien la nécessité de disséminer la population urbaine dans la campagne, peuvent seules être l’occasion de discuter une pareille question. Il s’agit d’amener le plus possible de communautés disposant d’une terre suffisante à produire elles-mêmes leurs propres légumes, leurs fruits, le blé et la viande. Il serait nécessaire de prendre des mesures pour protéger le pays des transactions du monde financier. » (Testament agricole de Sir Albert Howard, 1ère édition 1940, Dangles 2010)

L’extrait ci-dessus montre tout l’intérêt du livre de Michel Sourrouille « L’écologie à l’épreuve du pouvoir » (éditions Sang de la Terre, en librairie depuis juillet 2016, 370 pages pour 19 euros)

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Hubert Védrine, le monde au défi (de l’écologie)

Le livre* de cet ancien ministre des Affaires étrangères n’est pendant ses deux tiers que blabla géopolitique. Hubert Védrine décrit le choc des cultures et la décomposition du monde malgré la volonté d’universalisme de la communauté internationale. Pour échapper aux conflits de toutes sortes et retrouver une sorte d’homogénéité, il croit cependant au passage de la géopolitique à la géo-écologie : « On en arrive donc à la conclusion que seule la nécessité, vitale à proprement parler, de garder la Terre habitable, pourrait et devait concerner tous les êtres humains, et ce quelles que soient leur situation et leurs croyances. C’est de «l’habitabilité» de la biosphère pour tous ses habitants, en étendant ce concept à tous les êtres vivants, qu’il est question.»  

Mais Védrine reste très superficiel et succinct dans son analyse de la crise écologique même s’il critique l’anthropocentrisme : «Le lien vital entre la nature et nous, lien commun a tous les êtres vivants, n’est pas réellement admis par les êtres humains qui se croient à part, différents ! Nous sommes bel et bien schizophrènes devant cette interdépendance organique. Et tant que ce sera le cas, l’humanité divisée en antagonismes récurrents, poursuivra sa course folle.» Surtout il constate ce qui empêche toute prise de conscience : «Les peuples aspirent à vivre à l’occidentale (p.83)… Quand aux classes moyennes des pays émergents, elle veulent avant tout et massivement accéder à ce mode de vie régulièrement décrié chez nous! (p.96)» Par exemple il ne croit pas à des restrictions dans la consommation de viande, maintien de l’emploi oblige. Il confond aussi écologie politique et écologie punitive : «Selon les maximalistes, le futur ne devait être que privation, mortification, expiation, dénonciation, retrécissement et, en prime, gauchisme sociétal!» En fait Védrine croit encore à la technologie qui sauve : « Dans le domaine de l’automobile, les progrès vont être spectaculaires. L’écologisation de l’aéronautique sera plus compliquées, mais il y aura quand même des avancées

Il n’y a donc pas d’espoir dans ce livre en un rejet du croissancisme, il n’y aura pas selon Védrine de grande rupture vers l’écologisme, mais la distinction droite gauche sera un jour «supplantée par d’autres distinctions, peut-être aussi clivantes, mais sur d’autres bases». On n’en saura pas plus et au sortir de ce pensum, il faut se contenter de ce genre d’analyse sommaire. Par contre le livre sorti en librairie le 11 juillet 2016, « L’écologie à l’épreuve du pouvoir » de Michel Sourrouille vous dira tout sur la géopolitique du XXIe siècle et l’avenir de la distinction droite/gauche !

* Hubert Védrine, le monde au défi (Fayard 2016, 120 pages  pour 13,50 euros)

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Trop tard pour éviter l’effondrement thermo-industriel

Pierre Thiesset : La perspective d’un effondrement de civilisation fait l’objet d’un nombre croissant de publications scientifiques. Comme cette étude retentissante de 2014, financée par la Nasa, qui montre à l’aide d’abstractions mathématiques que les niveaux actuels de surconsommation et d’inégalités galopantes conduisent au chaos. Ce qu’annonçait déjà le fameux rapport au Club de Rome sur les limites à la croissance en 1971.

Joseph Tainter : Seulement quelques personnes se prépareront à la perspective d’un effondrement. Pour la plupart, il n’est pas possible de penser à acquérir la terre et à cultiver sa propre nourriture. Il n’y a pas assez de terres disponibles pour que chacun puisse en acheter, et beaucoup de personnes n’auront pas assez d’argent pour un tel investissement. Et puis, les gens n’ont plus la connaissance et le savoir-faire pour cultiver. Dans tous les cas, la plupart ne croiraient pas qu’un effondrement soit susceptible d’arriver, et ne se prépareraient donc pas. La part de l’avenir qui est peut-être la plus difficile pour nous à accepter, c’est qu’il est hors de notre contrôle.

François Roddier : Lorsque j’étais jeune, je m’étonnais que les habitants de l’île de Pâques aient pu abattre tous leurs arbres sans se rendre compte de ce qu’ils faisaient. Je pensais qu’en aucun cas une civilisation comme la nôtre ne ferait une telle bêtise. C’est pourtant ce que nous avons fait en brûlant nos ressources fossiles au point de provoquer un réchauffement climatique. Aujourd’hui les technocrates appellent au secours les chercheurs. Ma réponse est : c’est trop tard !

Matthieu Auzanneau : Entendons-nous bien : c’est cuit. Chacun sait qu’il faut très vite baisser le feu sous le grand fait-tout de la thermo-industrie. Au rythme actuel, il ne nous reste plus que 20 ans (2035) avant d’épuiser notre budget carbone, la quantité de CO2 que nous pouvons encre émettre dans l’atmosphère sans trop risquer d’aboutir à un réchauffement supérieur à 2°C d’ici à la fin du siècle. Et ce, à condition qu’après 2035, l’humanité n’émette plus du tout de gaz à effet de serre ! Sauf à rêver d’un sursaut radical, seuls une divine surprise et/ou un cataclysme économique semblent pouvoir encore nous empêcher d’altérer irréversiblement le climat.

Agnès Sinaï : la culture de la catastrophe n’est pas du côté de ceux qui pointent le risque d’un effondrement par l’excès (ce sont ceux-là qui sont raisonnables, et non pas «catastrophistes»), mais du côté de ceux qui arguent de la possibilité de prolonger le système sans se heurter à un mur.

source : Quelques extraits du livre « Le progrès m’a tuer »
(éditions Le pas de côté, 230 pages pour 20 euros)

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À lire, The Breakdown of Nations (Leopold Kohr, 1957)

Auteur en 1957 de The Breakdown of Nations (non traduit en français) et prix Nobel alternatif en 1983, Léopold Kohr (1909-1994) estime que si quelque chose ne fonctionne pas, c’est que c’est trop grand. Inspirateur du titre de l’ouvrage de Schumacher (Small is beautiful), il pensait que les problèmes sociaux n’étaient pas engendrés par telle ou telle forme d’organisation économique ou sociale, mais par sa taille. Socialisme, anarchisme, capitalisme, démocratie, monarchie, tout cela pouvait fonctionner… à une échelle humaine : une échelle où les gens peuvent avoir une influence sur les systèmes qui gouvernent leurs vies. Mais à l’échelle des Etats modernes, toutes les organisations deviennent tyranniques. Car le problème, c’est la démesure. Le gigantisme peut seulement mener à des problèmes d’une proportion ingérable ; il faut encore plus de pouvoir pour gérer le pouvoir en question et il n’y a alors qu’une fin possible, l’effondrement. Nous connaissons aujourd’hui cette crise du gigantisme, et nous cherchons à y remédier par de fausse solutions : des unions fiscales, une gouvernance mondiale, plus de croissance. La décentralisation doit devenir un impératif politique. Les petites nations, les petites économies sont les plus paisibles, les plus prospères et les plus créatives.

« Aucune organisation locale, nationale ou internationale satisfaisante ne peut fonctionner si ce n’est sur la base d’un modèle de petites unités. C’est le seul modèle qui résout le problème de l’administration efficace. En conséquence il semblerait que ni un Monde Uni ni une Europe Unie ne peut durer pendant quelque temps sur la base des dispositions existantes en unissant comme ils le font un mélange indigeste de petits aussi bien que de grands états. Les organisations de cette nature manquent de l’équilibre interne essentiel qui pourrait donner à leur structure fédérale plus qu’un succès temporaire. Dans leur forme actuelle les différents essais contemporains d’unions internationales peuvent donc être maintenus seulement au moyen d’une force externe comme la menace d’une agression. Une fois qu’elle disparaît ils doivent ou éclater, ou s’effondrer, ou se transformer en tyrannies mono-pouvoir. En tant qu’unions libres, démocratiques de nations ils ne peuvent pas survivre.

Pour tous les buts pratiques, donc, les unions internationales doivent rechercher, au lieu du lourd équilibre stable d’organisations de grandes puissances, l’équilibre mobile et fluide d’arrangements multicellulaires de petits états. La solution de leurs problèmes se trouve dans le champ micro- et non macro-politique. » (source : http://lanredec.free.fr/polis/BoN_chap10_fr.html)

extrait du livre« L’écologie à l’épreuve du pouvoir » (Michel Sourrouille aux éditions Sang de la Terre) en librairie depuis le 11 juillet 2016

 

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dématérialisation, histoire de la catastrophe monétaire

La monnaie est actuellement l’instrument de tous les pouvoirs. Mais la valeur de l’argent est fragile, elle ne repose que sur la confiance. Et même l’Etat le plus fort pourrait se retrouver en banqueroute si, par exemple, le dollar ne valait plus rien comme l’a été le reichsmark à une époque. Pour nous l’effondrement monétaire est inéluctable. En voici un historique :

Etape 1. Sociétés non monétaires, groupes restreints. Plutôt que le troc, ces communautés reposent sur un échange ritualisé et sur une complémentarité des fonctions de chacun dans le groupe social. Tout est organisé de façon stable sans passer par l’intermédiaire d’une monnaie. L’introduction de la monnaie va déséquilibrer complètement ce genre d’organisation.

Etape 2. Introduction de la monnaie marchandise (or et argent) pour assurer un commerce souvent lointain pour des denrées de luxe. Cela va permettre l’expansion des échanges suivant la formule M = Q, les Quantités échangées sont fonction de la Monnaie en circulation et réciproquement. Nous entrons dans un engrenage croissanciste, plus la monnaie sera abondante plus il y aura d’échanges (sauf inflation si l’activité ne suit pas l’expansion monétaire).

Etape 3. Le goût de l’échange généralisé et la division croissante du travail incite à la création de billets qui, rapidement, ne vont plus être convertibles en or. Il n’y a plus de limites à la création monétaire (planche à billets), donc à l’expansion des échanges. La monnaie devient fiduciaire, reposant sur la confiance dans un billet comme moyen de paiement assurant une contrepartie marchande. Le système se fragilise toujours davantage.

Etape 4. Le chèque ou monnaie scripturale facilite encore plus la création monétaire : il suffit d’écrire une ligne de compte sur un papier ou dans le bilan d’une banque. Cela accompagne la croissance vertigineuse des échanges économiques lors des Trente glorieuses (1947-1974). Or une croissance démesurée dans un monde fini est impossible,

Etape 5. La monnaie électronique avec la carte bancaire est le summum de la dématérialisation de la monnaie : celui qui paye n’a plus aucun contact direct (or, billet, chèque) avec le système monétaire. Cela facilite la financiarisation de l’économie, l’union des banques de dépôt et des banques d’investissement en un seul organisme. En fait la spéculation devient telle que la monnaie en circulation dépasse de beaucoup la valeur monétaire des quantités réelles à acheter. La carte bancaire se transforme pour un nombre de plus en plus de personnes en carte de crédit. L’endettement se généralise, que ce soit celui des ménages ou de l’Etat. Nécessairement, à un moment ou un autre, le système s’effondre puisqu’il n’y a plus de cohérence entre la masse monétaire en circulation et l’économie réelle : ainsi la crise des subprimes en 2008, qui succède à bien d’autres crises financières. Un refus de la carte bancaire est un préalable pour en revenir à l’essentiel de nos besoins.

Etape 6, en gestation à l’heure actuelle : les systèmes d’échange local sont une réaction à cette démesure de la création monétaire qui favorise le fait d’exploiter plus que ce que la planète peut nous fournir durablement. Une monnaie locale ou un système de SEL (système d’échange local qui peut se faire aussi sans monnaie) peut accompagner une relocalisation de l’activité et la formation de communautés de transition écologique. Les communautés qui seront les plus résilientes pourront peut-être limiter au niveau local l’effondrement du système financier et de l’appareillage énergétique qui va avec. L’histoire est cyclique, nous en revenons à l’étape 1 des groupes restreints qui peuvent se passer de monnaie…

Pour en savoir plus, lire « L’écologie à l’épreuve du pouvoir » de Michel Sourrouille (parution en librairie le 11 juillet 2016 aux éditions Sang de la Terre)

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À lire, La planète au pillage (Fairfield Osborn, 1948)

La présentation du livre de Fairfield Osborn Jr (1887-1969) est prémonitoire,  « L’humanité risque de consommer sa ruine par sa lutte incessante et universelle contre la nature plus que par n’importe quelles guerres » et la dédicace parfaite, « à tous ceux que l’avenir inquiète ». Juste après Hiroshima, il est quasiment le premier à prendre conscience d’une catastrophe écologique en marche. Il ne pouvait avoir l’idée du pic pétrolier et du réchauffement climatique, il consacre donc surtout son analyse à l’appauvrissement des sols. Il doit être en bonne place sur la table de chevet d’un président de la République, pour se rappeler tout le temps perdu à ne pas agir contre le pillage de la planète.

« L’idée d’écrire ce livre m’est venu à la fin de la seconde guerre mondiale. Il me semblait que l’humanité se trouvait engagée non pas en un, mais en deux conflits, cette autre guerre mondiale qui est grosse d’un désastre final pire même que celui qui pourrait provenir d’un abus de la bombe atomique. Cette autre guerre, c’est celle de l’homme contre la nature. Nul ne saurait envisager les relations entre l’homme et la nature sans en même temps se demander : « Quelle est au juste la signification de notre existence ? »

Seul un grand effort de la nation tout entière peut donner pour l’avenir des garanties suffisantes. Il n’y faut rien de moins qu’une complète coopération du gouvernement et de toute l’industrie, appuyée par la pression unanime de l’opinion publique. Un programme doit être enseigné dans toutes les écoles de façon à ce que les générations à venir puissent dès leur enfance se rendre compte de la situation exacte de ce qui est la base même de toute vie, un enseignement de la conservation. De même les cours d’économie politique, travaux publics, sociologie, etc. prendraient une vie nouvelle si l’on y faisait figurer des considérations bien comprises sur les relations de l’homme avec le milieu physique dans lequel il est appelé à vivre. Une seule solution est possible : l’homme doit reconnaître la nécessité où il se trouve de collaborer avec la nature. » (1ère édition 1948, Actes sud 2008)

extrait du livre« L’écologie à l’épreuve du pouvoir » (Michel Sourrouille aux éditions Sang de la Terre) en librairie depuis le 11 juillet 2016

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