Démographie et environnement, le débat (24 oct. 2012)
Conférence-débat organisée par l’association Démographie responsable. Après un PowerPoint présenté par Hugues Stoeckel, auteur de La faim du monde, Michel Sourrouille a énoncé les termes du débat.
INTRODUCTION
Un sondage préalable auprès de l’assistance montre que personne ne voudrait d’une population de plus de 9 milliards d’habitants après 2050. A peine 10 % souhaiterait une stabilisation à ce chiffre, les autres désirant une baisse de la population mondiale. L’état d’esprit malthusien, en faveur d’une limitation des naissances, est donc un état d’esprit fréquent que ne reflète pas le comportement nataliste des politiques et des intellectuels. Alors qu’au cours des années 1970 la surpopulation mondiale était un thème qui se retrouvait dans des livres comme la Bombe P de Paul Ehrlich, avec la problématique Malthus/ Marx dans les cours de Sciences économiques et sociales et lors des conférences mondiales sur la population (1974 au Caire, 1984 à Mexico), le « politiquement correct » est sorti vainqueur de la conférence du Caire en 1994 sur la population. Le résultat principal a été l’exclusion systématique de toute considération numérique dans les discours autorisés. L’attention à la taille de la population était devenue à tort associée à une approche coercitive, souvenir des politiques de stérilisations forcées en Inde et de la politique de l’enfant unique en Chine.
Démographie et environnement ? Il y a ceux qui gardent une option anthropocentrée : l’environnement est ce qui est tout autour de l’homme, la nature est donc au service de l’homme, peu importe l’évolution de sa population. Significatif était ce sous-titre du MONDE (14-15 octobre 2012) : « Face à l’explosion démographique, seule une réorientation de l’agriculture permettra de lutter contre la faim. » Soyons plus productif et la faim disparaîtra ! Mais il y a aussi ceux qui préfèrent parler de nature ou de biosphère plutôt que d’environnement : l’homme n’est pas au centre, il dépend des écosystèmes. On peut parler à cet égard d’écocentrisme. La fécondité humaine redevient alors une variable sur laquelle il faut agir. Car en fait la question de fond est bien celle-là : l’espèce humaine est-elle compatible avec le milieu naturel ? D’où les deux parties de l’exposé de Michel Sourrouille.
1/2) OUI, l’espèce humaine peut se multiplier
Notons d’abord que le terme « démographie » empêche toute vision idéologique. Il s’agit d’une simple description de la population, les statistiques sont reines : taux de fécondité, taux d’accroissement, niveau de population dans chaque pays, dans chaque secteur d’activité, etc. Le jugement de valeur est exclu. Depuis cinquante ans la population mondiale augmente en moyenne d’un milliard tous les douze ans : rien à craindre pour les démographes, c’est une évolution normale, attendons la transition démographique (passage à la baisse conjointe de la natalité et de la mortalité grâce au développement économique).
On considère que la notion d’optimum démographique est inopérante. Personne ne peut définir le niveau de population qui serait le meilleur en soi. Pour un débat, on peut avoir un certain nombre de personnes assises dans une salle, un plus grand nombre en les laissant debout, un nombre plus grand encore en diffusant sur écran la séance. Culturellement, l’être humain est malléable, il peut aussi bien s’épanouir dans les grands espaces naturels que s’entasser dans des tours à plusieurs étage et des villes tentaculaires. Techniquement il croit qu’il peut pourvoir à tout problème. Actuellement Barry Commoner a gagné contre Paul Ehrlich. Il s’appuie sur la possibilité d’une transformation technique radicale « pour satisfaire aux exigences indéniables de l’écosystème ». Les techniques agricoles ont en effet dopé la production alimentaire depuis plus d’un siècle.
Puisque tout est possible, l’intelligentsia est devenue anti-malthusienne. Les religions du « croissez et multipliez votre nombre pour dominer la planète » luttent contre l’avortement et même le préservatif. La droite, conservatrice en matière de mœurs, a combattu ardemment Simone Veil en 1974 lors du débat sur l’interruption volontaire de grossesse. Comme cette droite est aussi nationaliste, productiviste et expansionniste, fi de la maîtrise de la fécondité ! La gauche, dans le droit fil du marxisme pour lequel il faut changer les structures productives sans se soucier du nombre d’hommes, tient le même langage que la droite en soutenant les incitations publiques à la procréation. Paradoxalement le mensuel La décroissance garde une optique anti-malthusienne : « Il y a trop de voitures, le nombre d’hommes ne compte pas. » Ils rejoignent le courant humaniste qui sacralise la personne humaine et le libre choix des gens en matière de procréation.
Tout cela est une alliance au sens propre « contre nature », de ceux qui gardent une optique anthropocentrique en ignorant les contraintes naturelles.
2/2) NON, l’espèce humaine a dépassé la capacité durable de la Terre
Contrairement aux approches subjectives de la culture humaine, une démographie responsable se penche sur les réalités objectives. Les lois de la nature conditionnent les activités humaines, que ce soit le circuit économique ou le cycle reproductif. L’économie devrait être encastrée dans le social, lui-même conscient de la détermination ultime que constitue l’écologie : l’homme n’est qu’un animal au milieu des autres animaux.
Tout n’est pas possible, il y a une population limite ou capacité de charge ainsi définie par l’ONU : « nombre d’hommes qui peuvent être entretenus sans réduire irréversiblement la capacité à les entretenir dans le futur. » Sans rentrer dans les détails, il suffit de rappeler que l’empreinte écologique de l’homme dépasse de 30 % les capacités de régénération de la planète, ce qui veut dire que nous détruisons une partie du capital naturel au détriment des générations futures. Cette année, le jour du dépassement a eu lieu le 22 août.
Robert Malthus a été le premier, à la fin du XVIIIe siècle, à porter un regard d’écologiste sur la condition humaine. Il a mis en relation l’évolution de la population et des ressources alimentaires pour en tirer une loi : alors que la population augmente très vite (de façon exponentielle dite géométrique), la production agricole, à cause des rendements décroissants, n’augmente que de façon linéaire, arithmétique. Si la révolution de Liebig a permis artificiellement une hausse des rendements agricoles au XXe siècle, cette parenthèse enchantée se termine pour en revenir à des rendements en souffrance sur des terres épuisées.
C’est l’énergie fossile qui a permis les engrais, l’irrigation et la mécanisation : nous mangeons du pétrole, même si c’est indirectement. Or le passage actuel du pic pétrolier nous annonce une descente énergétique inéluctable. Il nous faudra un jour revenir à une population compatible avec l’agriculture biologique d’avant la « révolution » agricole, soit un milliard de personnes… comme en 1804. Comme l’homme a entre-temps fortement dégradé les terres arables de multiples façons, on ne peut même pas dire que le milliard pourra être nourri convenablement.
Enfin nous avons oublié que nous sommes au bout de la chaîne trophique, ce qui permet notre survie par l’alimentation.. Beaucoup de végétaux font vivre moins d’herbivores qui nourrissent beaucoup moins de carnivores. L’espèce humaine devrait donc être peu nombreuse, sauf que pour son avantage est bientôt son malheur, elle est omnivore. Il y a des végétaliens, des végétariens et une fraction croissante de la population qui mange de plus en plus de viande. Selon le régime alimentaire, on peut nourrir plus ou moins de personnes.
Notre analyse devrait aller encore plus en profondeur. Contrairement à ce que pensent beaucoup de personnes, l’homme est un animal parmi d’autres, ce qui veut dire que la Terre héberge à la fois les humains et les non-humains. L’expansion humaine empiète sur l’habitat et la nourriture des autres espèces, ce qui entraîne une perte de biodiversité rapide et généralisée : on peut parler d’une 6ème extinction des espèces. La conférence de Nagoya sur la biodiversité en 2010 comme celle qui vient de se terminer en Inde ne peuvent résoudre le problème tant que la croissance démographique de l’espèce humaine n’est pas maîtrisée. Arne Naess nous invite à adopter la position philosophique de l’écologie profonde : « L’épanouissement de la vie non-humaine requiert une diminution de la population humaine. »
CONCLUSION
Il ne faut pas avoir peur de le dire, l’homme est le cancer de la terre. Cette expression est utilisée aussi bien par Cioran, par Yves Paccalet ou par Paul Ehrlich. Notre expansion démographique est semblable à une cellule du corps (terrestre) qui se développe anarchiquement au détriment de la santé de l’ensemble. En conséquence, quoi qu’en pensent certains, la décroissance est forcément malthusienne : on a à la fois trop de voitures et trop d’êtres humains. Nous devons agir à la fois sur la quantité de biens et sur la quantité de personnes.
Si nous avions à exprimer un idéal de population, ce serait 6 à 8 millions de terriens, un chiffre qui nous ramène aux débuts du néolithique, où il fallait vivre de chasse et de cueillette sans empiéter sur son écosystème… condition qui n’a d’ailleurs pas toujours été respectée, même à l’époque ! A titre de comparaison, les grands carnivores comme les lions et les tigres, ne sont plus au total que 20 000 à 40 000 seulement sur la planète. Contre plus de 7 milliards pour la seule espèce humaine, le super-prédateur.
Il faut retrouver le sens des limites alors que notre système croissanciste a complètement occulté cette réalité, la finitude de la biosphère : le temps du monde fini commence, l’enjeu du XXIe siècle sera l’écologie (la science de l’environnement) aux prises avec plusieurs milliards d’habitants. Comme l’écrivait Yves Cochet dans sa préface au livre de Stoeckel, « l’ère industrielle va se contracter et disparaître bientôt… Faute de pouvoir éviter cela, nous avons désormais la responsabilité politique de minimiser le nombre de morts ». Une des actions possibles est d’adhérer à Démographie responsable…
(texte communiqué par Michel Sourrouille)
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