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Difficile de nommer le meilleur livre de l’année 2017 quant à la prise de conscience écologique. En avril 2017, nous avions consacré notre mensuel Biosphere-Info à « Demain, un nouveau monde en marche », en septembre 2017 à « Gouverner la décroissance » et en décembre 2017 au livre de Michel Sourrouille, « On ne naît pas écolo, on le devient ». Ce mois-ci nous résumons le livre de George Marshall, « Le syndrome de l’autruche (Pourquoi notre cerveau veut ignorer le changement climatique) » aux éditions Actes sud/colibris (2017), traduit de Don’t Even Think About It (2014)
Nous apprenons beaucoup dans ce livre de Marshall sur les blocages psycho-sociologiques qui nous empêchent de faire ce qu’il faudrait face à la menace climatique. Ajoutons que cette menace planétaire ne fait que s’ajouter aux risques de la descente énergétique, de l’extinction de la biodiversité, du stress hydrique, de l’épuisement halieutique, de la stérilisation des sols, de la surpopulation, de l’excroissance insoutenable des villes, etc.
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Quatre degrés séparent la civilisation de l’apocalypse
En 2012, la Banque mondiale, qu’on peut difficilement qualifier d’écologiste, publia un rapport intitulé « Pourquoi nous devons éviter un monde quatre degrés plus chaud ». Voici quelques instantanés d’un monde quatre degré plus chaud.
– pour reprendre les mots de la Banque mondiale, il y aurait une nouvelle catégorie de vagues de chaleur d’une amplitude jamais connue, avec des températures que la surface de la Terre n’a pas connue dans les cinq millions d’années qui viennent de passer. Quatre degrés étant une moyenne mondiale, de vastes territoires terrestres connaîtront un réchauffement bien supérieur.
– 40 % des espèces végétale et animale seraient en voie d’extinction. Un tiers des forêts tropicales asiatiques serait menacé et la plus grand partie de l’Amazonie risquerait de brûler.
– Il y aurait un déclin de toutes les récoltes dans leur région de culture d’origine. Les rendements s’effondreraient d’un tiers en Afrique. La production américaine de maïs, de soja et de coton serait réduite de 63 à 82 %. Ces problèmes seraient exacerbés par les inondations, les tempêtes, les invasions de mauvaises herbes et de parasites. Comment une planète portant neuf milliards de personnes surmonteraient-elle ces drastiques diminutions du rendement des principales régions agricoles.
– La fonte de la totalité de l’inlandsis du Groenland élèverait le niveau des mers de 10 mètres en moyenne. Les deux tiers des principales villes mondiales ainsi que tout le sud du Bangladesh et la Floride se retrouveraient sous l’eau. Qu’adviendra-t-il des populations des régions déjà limites pour la survie de l’être humain quand elles deviendront inhabitables.
Une équipe de chercheurs britanniques, examinant les études réalisées à ce jour, en a conclu que nous atteindrons l’étape des quatre degrés supplémentaires d’ici aux années 2070, voir 2060. Pour John Schellnhuber, l’un des climatologues les plus influents au monde, « la différence entre deux et quatre degrés, c’est la civilisation humaine ». Or rien ne garantit que les températures cesseraient d’augmenter. A ce stade, de puissantes rétroactions et points de bascule pourraient mener à une hausse des températures de six, voir huit degrés. La décision collective de ne rien faire ou presque nous mène sur une voie qui aboutira à un cul-de-sac : nous n’aurons plus ni contrôle, ni options à notre disposition.
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Peur du terrorisme, insouciance totale pour le climat
Pourquoi des personnes estimant que le changement climatique n’est pas plausible se laissent-elle, en revanche, aisément convaincre des dangers imminents que représentent les attentats terroristes, les impacts d’astéroïdes ou les invasions extraterrestres ? Avec des menaces aussi visuellement impressionnantes que le terrorisme après les attentats du 11 septembre, on a perdu tout sens des proportions et on réagit avec force à des probabilités très faibles. Depuis 2001, les politiciens américains ont approuvé 300 milliards de dépenses publiques pour défendre les États-Unis contre de nouveaux attentats terroristes. Cette prodigalité en réaction à un risque incertain et totalement impossible à quantifier est soutenue par la vaste majorité des Américains, y compris par ceux qui s’opposeraient avec véhémence à des dépenses publiques dans le domaine du réchauffement climatique. Nous constatons que les biais cognitifs qui apparaissent dans les expériences de psychologie sont, dans la vraie vie, subordonnés à la culture, aux normes sociales et à l’identification à l’endogroupe.
Le bais de disponibilité, qui s’appuie sur le vécu récent, maintient la menace au premier plan, et l’incertitude quant à la date du prochain attentat ne diminue en rien cette peur : elle l’amplifie. Par contre le changement climatique n’est pas aussi médiatiquement stigmatisé, et les phénomènes météorologiques extrêmes nous sont dans une certaine mesure familiers. C’est pourquoi l’incertitude concernant ses effets n’instille pas un sentiment de crainte ; il donne la marge de manœuvre nécessaire pour nous laisser croire ce que nous avons envie de croire. La perception du risque est aussi déterminée par l’angle social sous lequel il est observé et c’est l’un des puissants aspects qui tend à diviser les gens.
Les politiciens jouent sur l’incertitude pour justifier les capacités d’intervention des forces armées. Mitt Romney, premier candidat à la présidentielle à nier ouvertement l’existence du réchauffement climatique, justifiera l’augmentation des dépenses militaires en affirmant : « Nous ne savons pas ce qui nous attend. Nous devons prendre des décisions sur la base de l’incertitude. » L’ancien vice-président Dick Cheney, lui aussi fervent climato-négationniste, a déclaré que « même s’il n’y a que 1 % de chances que des terroristes se procurent des armes de destruction massive, nous devons agir comme si c’était une certitude. » A les entendre, 1 % des chances d’un attentat terroriste suffit à prendre des mesures, mais 90 % de chances d’un bouleversement climatique majeur n’est pas suffisant. Dans tous ces arguments, le facteur incertitude n’a en fait que peu d’influence et n’est invoqué que pour appuyer des décisions orientées par une idéologie politique.
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Un spécialiste du climat devrait donner l’exemple
Le public doit se rappeler que les professionnels travaillant sur les questions climatiques sont certes intelligents mais qu’ils sont des humains comme les autres, guidés par des degrés variés d’ambition, de curiosité, d’entêtement et d’altruisme.
L’Anglais Kevin Anderson, ancien directeur du Tyndall Centre, sort du lot par sa réticence à prendre l’avion quel qu’en soit le motif. Son public lors d’une récente conférence en Chine fut stupéfait d’apprendre qu’il était venu (et repartirait) en train. Il est persuadé que cette information a renforcé la légitimé de ce qu’il avance. Anderson juge « extrêmement perturbant » le fait que les personnes qui façonnent les lois contre le changement climatique prennent autant l’avion. Il me rapporta une conversation qu’il avait eue avec le directeur de l’un des plus gros fournisseurs d’énergie britannique qui lui annonçait nonchalamment qu’il partait le week-end suivant en Chine avec son cheval pour faire de l’équitation. Anderson ne parvint pas à retenir son indignation : « Nous étions sur le point de présenter nos conclusions au gouvernement lors d’une audience sur le changement climatique et il me parlait d’emmener son foutu cheval en Chine !… Et lorsque je lui ai pointé ce fait, il m’a regardé comme si j’étais un gauchiste radical ! » D’après Anderson, les experts semblent penser que la sagesse qu’ils répandent sur la Terre depuis leur siège en première classe à 10 000 mètres d’altitude est si importante qu’elle pèse plus lourd dans la balance que leurs propres émissions de gaz à effet de serre. Ils ne comprennent pas que le problème est causé par des gens comme eux.
Ou comme moi, me faut-il ajouter. Moi aussi je prends souvent l’avion. J’essaie de voyager le moins possible et de justifier chacun de ces vols. Mais comme le révèle le verbe justifier, je suis aussi enclin à bâtir une histoire susceptible de résoudre le conflit intérieur qui sourd en moi chaque fois que je prends place dans un avion. Les entretiens avec de grands voyageurs révèle qu’ils emploient les mêmes termes que les toxicomanes. Ils parlent d’extase, de désinhibition, de ses nouveau qu’ils trouvent à la vie, et de la déprime au moment de la descente. Les justifications de nos voyages personnels sont aussi semblables à celles que les toxicomanes inventent au sujet de leur dépendance : j’en ai besoin, je ne fais de mal à personne, tous les autres le font, je peux m’arrêter à tout moment, d’autres font bien pire. Mais les experts du changement climatique ne sont pas des êtres humains comme les autres en ce qui concerne un aspect essentiel : ils sont les principaux communicants sur cette question, et leurs actions seront toujours passées à la loupe comme preuve de leur fiabilité. Est-il vraiment surprenant que l’aviation internationale n’ait été intégrée ni dans les calculs des émissions nationales, ni dans le protocole de Kyoto ?
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Nous ne voyons que ce que nous voulons voir
Comment est-il possible, alors que nous avons toutes les preuves en main, parfois même sous nos yeux comme la fonte des glaciers, que nous choisissions d’ignorer quelque chose tout en en ayant parfaitement conscience ? J’en suis venu à considérer le changement climatique sous un jour nouveau : non plus comme une bataille médiatique opposant science et intérêts personnels, mais comme le défi ultime posé à notre capacité de donner un sens à ce qui nous entoure. Notre cerveau révèle un talent hors du commun pour ne voir que ce que nous voulons voir et mettre de côté ce que nous préférons ne pas savoir. La division entre cerveau émotionnel et cerveau rationnel est profondément ancré dans notre culture et se manifeste très clairement dans l’écart culturel qui sépare la religion de la science. Je constate que tout le monde, experts comme profanes, traduit le réchauffement climatique en histoires qui illustrent ses propres valeurs, postulats et préjugés. J’explique que le récit le plus éloquent est celui qui n’est pas formulé : la norme de son groupe social.
Les militants du Tea Party détestent les climatologues, Al Gore, les Nations Unies, le gouvernement, l’énergie solaire, ces hypocrites d’écologistes. Pour eux le réchauffement climatique, ou plutôt l’histoire qu’ils avaient bâtie autour de ce concept, avait parfaitement sa place dans un ensemble de doléances idéologiques préexistantes sur le partage du pouvoir. Les histoires ont une fonction cognitive fondamentale : elles sont le moyen par lequel le cerveau émotionnel donne du sens aux informations recueillies par le cerveau rationnel. Les gens peuvent retenir les informations sous forme de données ou de chiffres, mais les croyances qui s’y attachent ne se manifestent que sous la forme d’histoires. Est-ce que tout cela correspond à mes propres croyances et valeurs ? Nous croyons à une histoire captivante même si on sait que c’est de la fiction. C’est pourquoi il est très difficile pour un récit peu engageant fondé sur des faits d’entrer en concurrence avec une histoire convaincante bâtie sur un mensonge. Face à la démonstration par les scientifiques du réchauffement climatique, il est plus tentant de croire à l’histoire : « Des escrocs scientifiques complotent pour fabriquer de fausses preuves afin d’obtenir de plus grosses bourses de recherche. »
Il y a plusieurs chemins qui mènent de l’information à la conviction. Notre cerveau rationnel et émotionnel fonctionnent ensemble sur des tâches complexes, mais l’implication du cerveau émotionnel est essentielle pour passer à l’action, particulièrement sur le plan social. De nombreuses preuves montrent que l’informatif ne fait pas évoluer les comportements. Sans ressentir une émotion, il est impossible de prendre une bonne décision. Or la tâche des scientifiques est d’informer, pas de motiver. Nos système cognitifs demandent que les questions complexes soient transformées en histoire, principal biais par lequel le problème et les codes sociaux qui orientent notre attention sont transmise au sein des populations. Quand la question climatique a pris de l’ampleur, les climato-négationnistes se sont faits plus bruyants et plus forts, ils ont créé leurs propres histoires qui sont venues « polluer « le discours. Comment impliquer des groupes sociaux rivaux pour s’accorder sur la répartition des pertes, puis sur l’attribution de biens communs atmosphériques considérablement diminués ? Cette menace climatique n’a rien qu’il nous serait impossible de résoudre. En effet, nous avons aussi une capacité presque sans limites à accepter des idées nouvelles une fois qu’elles font partie de convictions partagées, qu’elles sont renforcées par les normes sociales et communiquées par des récits qui s’adressent à nos « valeurs sacrées ». Le changement climatique est l’une des questions essentielles qui pourraient nous rapprocher et nous permettre de surmonter nos divisions historiques.
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Pour connaître nos biais cognitifs
Nous sommes extraordinairement compétents pour distinguer nos alliés de nos ennemis, mais le réchauffement climatique n’est pas causé par un ennemi externe. Le changement climatique nous dit que notre propre mode de vie que nous associons à notre confort et à la protection de notre famille est une menace. C’est une menace d’une ampleur qui n’a d’égale que la guerre nucléaire. Il est menaçant à tous les niveaux : pour notre habitat, notre identité, notre mode de vie, nos attentes pour l’avenir. Il faudrait donc accepter des pertes à court terme dans notre réalité immédiate pour réduire le risque de pertes indéfinies à long terme. Mais comme le changement climatique peut être interprété de différentes façons, nous tendrons à le concevoir de la manière qui nous arrange le plus. Le changement climatique ne porte aucun traits distinctifs qui mèneraient normalement notre cerveau à passer outre à nos intérêts à court terme, et nous mobilisons nos biais pour le maintenir à l’arrière-plan.
D’abord nous sélectionnons les codes sociaux qui renforcent le plus le positionnement que nous avions préalablement choisie. C’est ce qu’on appelle la « chambre d’écho ». Nous limitons nos sources d’information à quelques médias, site, blogs ou publications qui viennent renforcer nos idées. Ce biais de confirmation est la tendance à privilégier les preuves qui étayent nos connaissances, idées et croyances préalables. Lorsque nous sommes confrontés à une nouvelle information, nous la modifions pour l’insérer au schéma pré-existant, selon une assimilation biaisée. Il n’y a même pas de rapport étroit entre l’opinion concernant le réchauffement climatique et le niveau d’intelligence. Les personnes au QI élevé utilisent leur capacité de réflexion pour créer davantage d’arguments justifiant leur conviction préexistante. Par exemple, quand le consensus scientifique de l’origine anthropique du changement climatique rassemble 97 % des scientifiques, cela ne fait que renforcer le statut des 3 % de scientifiques dissidents.
Et puis il y a « l’effet du témoin », ce qu’on appelle en France « interaction spéculaire » : plus le problème est connu par d’autres, plus nous faisons abstraction de notre bon sens et observons les comportements autour de nous pour savoir comment réagir. Ne pas être en phase avec le groupe est synonyme d’exclusion, parfois violente. Même une communauté en train de se remettre d’une catastrophe climatique fait le choix collectif de raconter des récits positifs sur l’entraide et la reconstruction, et réprime la délicate question du réchauffement climatique, qui implique de remettre en question valeurs et mode de vie. De 2005 à 2012, la région des Grandes Plaines a été, année après année, la plus touchée par des catastrophes climatiques. Pourtant, aux élections sénatoriales, tous les candidats républicains élus avaient publiquement contesté la climatologie ou rejeté des mesures visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Dans ce contexte, de quoi sera fait l’avenir ? Le Future of Humanity Institute a réalisé un sondage auprès d’universitaires sur les risques mondiaux. Ils estiment à 19 % la probabilité que l’espèce humaine s’éteigne avant la fin de ce siècle. Selon les calculs figurant dans le rapport Stern, le risque d’extinction au cours des cent ans à venir s’élève à 9,5 %. Selon une enquête menée après de préadolescents américains, la moitié d’entre eux estiment que le monde est en chute libre et un tiers pensent qu’il n’existera plus lorsqu’ils seront adultes. L’extinction est un schéma émergent autour du changement climatique.
Sauver la planète ! Quoi ?! Ils déconnent, ces gens-là ! La planète va pas s’envoler. Nous, par contre, oui ! On s’en va, faites vos valises, les gars. On n’est qu’une mutation qui a foiré parmi tant d’autres, le maillon final d’une chaîne d’erreurs génétiques. La planète va se débarrasser de nous comme un chien de ses puces. Des parasites de surface.
Ce monologue de George Carlin a déjà été visionné plus de 5 millions de fois sur YouTube.
En guise de conclusion
Pour changer les choses, il faut des mouvements sociaux. Pour qu’il y ait des mouvements sociaux, il faut des cibles physiques. Et pour qu’un récit d’opposition fonctionne, il faut déterminer un ennemi. J’ai passé une grande partie de ma vie dans le mouvement écologiste, menant des campagnes contre les gouvernements, les grosses entreprises et la finance internationale. C’était une lutte contre des intérêts privés, distincts et identifiables. Mais le réchauffement climatique, c’est différent. Nous tirons volontairement profit de ce que les multinationales proposent et des modes de vie incroyable que les combustibles fossiles permettent. La vérité est que, dans les sociétés gourmandes en énergie, tout le monde contribue aux émissions à l’origine du problème ; tout le monde a dont une bonne raison d’ignorer le problème ou de s’inventer un alibi. Mon ami Mayer Hillman, un écologiste convaincu, était à table avec d’autres gauchistes à la retraite. Les convives se remémoraient leurs dernières vacances… Mayer ne put s’empêcher de parler du réchauffement climatique et des incidences de tous ces trajets en avion pour les générations à venir. Le silence se fit d’un coup. Puis l’une des invités se décida à briser la glace : « Dites donc, cette tarte aux épinards est un délice. » Et tout le monde de renchérir avec empressement, ça oui, quel délice ! Ils passèrent les dix minutes suivants à parler de ladite tarte, des épinards frais et de la recette. Si la problématique actuelle a fait naître quelques récits où pointe la culpabilité, il n’en existe aucun pour nous inciter à accepter pleinement notre responsabilité individuelle. Un engagement devient problématique s’il ne rapporte que des pertes et pas de gains.
Pour mobiliser les gens, il faut que la question revête un aspect émotionnel. Elle doit être immédiate et faire le poids. Une menace distante, abstraite et contestée comme le réchauffement climatique n’a tout simplement pas les caractéristiques nécessaire pour mobiliser sérieusement l’opinion publique. Les psychologue qui travaillent sur la prise de décision qualifient souvent le réchauffement climatique de problème parfait, tellement parfait qu’on pourrait facilement en conclure qu’il ne nous laisse aucune chance. Il est parfaitement conçu pour mettre à l’épreuve les limites des capacités de réaction de n’importe quelle société. Des économistes comme Nicholas Stern le décrivent comme le « parfait échec du marché », tandis que pour le philosophe Stephen Gardiner, c’est « la tempête morale parfaite ». Pourtant ! Nous sommes parfaitement capables de nous rappeler à quoi correspondait le quotidien dans une société qui n’émettait pas autant de carbone et nous savons pertinemment que ce n’était pas si terrible. A certains égards, c’était même mieux. Tous les indices montrent que le bonheur, dans les pays développés, a atteint un pic au début des années 1970. Les choses les plus importantes, la famille, les amis, la joie, la beauté, l’esprit de communauté… ne pourraient qu’être accentuées dans une société peu gourmande en énergie. Et le sexe, lui, ne rejette pas de dioxyde de carbone dans l’atmosphère.
Je suis de plus en plus convaincu que la vraie bataille ne pourra pas être remportée à l’aide d’histoires de lutte et que nous devons au contraire trouver des récits fondés sur la coopération, sur nos intérêts mutuels et sur notre humanité commune. Si par contre nos récits s’appuient sur l’existence d’ennemis, il y a de fortes chances pour que, à mesure que les indices du dérèglement climatique s’aggravent, de nouveaux récits d’opposition bien plus vicieux surgissent, en se fondant sur des divisions religieuses, générationnelles, de nationalismes… L’histoire nous a par trop montré que les récits de batailles nous préparent à la violence, à la désignation de boucs émissaires ou aux génocides qui s’ensuivent.