BIOSPHERE-INFO, un nouveau monde en marche
mensuel avril 2017
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Normalement il y a un va-et-vient entre les décisions étatiques et les comportements individuels, surtout dans un contexte d’impératif écologique où il faut envisager collectivement des modifications de nos façons de nous nourrir, de nous déplacer, de travailler, etc. Les candidats de la présidentielle 2017 ne font qu’effleurer un tel projet de société. Par contre le film « Demain » de Cyril Dion et Mélanie Laurent démontre que l’action individuelle venant de la base est partout présente. Voici quelques extraits du livre tiré du film, « Demain, un nouveau monde en marche (partout dans le monde des solutions existent) » (Domaine du possible 2015, 360 pages pour 22 euros).
1/5) La fin de la planète en 2100 ? Des solutions existent !
Cyril Dion : « Juillet 2012, je remarque un article du MONDE, « La fin de la planète en 2100 ? ». Je comprends que ce post d’Audrey Garric évoque une possible disparition d’une partie des êtres vivants d’ici quelques décennies. J’ai du mal à y croire. L’information provient pourtant d’une étude publiée dans la revue Nature par 22 scientifiques du monde entier. Nous sommes à la veille d’un point de bascule, où la dégradation en chaîne des écosystèmes pourrait profondément modifier les équilibres biologiques et climatiques de la planète. Ce changement se produirait de façon si brutale qu’il ne permettrait pas aux espèces vivantes de s’y adapter. Pendant plusieurs heures, je suis sur le choc.
Puis je raconte ma perception. Personne ne réagit comme je m’y attendais : « On sait bien que c’est la catastrophe… Qu’est-ce que tu veux qu’on en fasse ? » Une part de moi est atterrée. Mais dans le fond, que voulez-vous faire d’une nouvelle pareille ? Cette information ne change rien de spécial à notre quotidien, alors que nous parlons d’une série d’événements dont l’impact sera au moins aussi grave qu’une guerre mondiale. Le journal télévisé n’aborde qu’une poignée de faits divers et quelques guéguerres entre politiciens. Rien de véritablement important. Les gouvernements continuaient à réfléchir à court terme, régulièrement orientés dans leurs choix par les poids lourds du monde économique et financier, et par l’obsession d’être réélus. La majorité des citoyens continuaient à faire tourner la machine consumériste, enferrés dans leur quotidien et leurs tracasseries administratives. Et pendant ce temps, la moitié des populations d’espèces sauvages disparaissaient, la température du globe continuait à augmenter, les monceaux de déchets s’accumulaient, 1 milliard de personnes n’avaient pas de quoi se nourrir tandis que près de 1,5 milliard souffraient d’obésité. Que fallait-il faire pour que nous réagissions ?
Une part de nous croit que les actions individuelles ne servent à rien. Et personne n’a envie de faire des efforts pour rien. Peut-être avions-nous besoin de construire du sens, de l’enthousiasme, des histoires, qui parlent aussi bien à nos intelligences qu’à nos cœurs. Ce que nous avons appelé le « rêve du progrès » est une fiction qui, par sa capacité à faire fantasmer, a incité à la mettre en œuvre. Une voie plus écologique ne peut s’engager sans les bases d’une nouvelle fiction. En février 2013, l’actrice Mélanie Laurent a accepté de réaliser un film avec moi. Un financement participatif a permis de lever 450 000 euros. Nous avons pu voyage dans dix pays, rencontrer près de cinquante scientifiques, activistes, entrepreneurs, élus, qui posent les base d’un monde nouveau. Ce livre et le film DEMAIN en sont les témoignages. » (résumé du texte introductif de « DEMAIN, un nouveau monde en marche) »
2/5) Transformons notre ville en jardin potager
Le livre « Demain » nous donne des recettes pour mettre en œuvre le monde à venir. Ainsi de l’expérience des Incroyables comestibles (Incredible Edible) à Todmorden, 14 000 habitants, qui démarre en 2008. En résumé :
Il n’est plus possible d’attendre, le cul sur une chaise ou bavassant de colloque en colloque. L’idée ? Encourager les habitants à planter des fruits et des légumes partout dans la ville, à s’en occuper ensemble et à partager les récoltes, gratuitement. Car la nourriture, c’est une des rares choses à propos de laquelle vous pouvez avoir une conversation avec un parfait étranger. Le second pilier des Incroyables comestibles, c’est de ne pas attendre l’autorisation de qui que ce soit pour commencer à agir. Dans la politique, il y a des rapports, des comités, des votes, qui déclenchent de nouveaux rapports… c’est du baratin ! Si on se soucie de nos enfants, il ne faut plus attendre que d’autres fassent les choses à notre place. La stratégie est de faire des jardins de propagande qui suscitent les conversations, de coloniser la ville, de faire des routes potagères. Pour commencer, Mary Clear et une équipe de bénévoles abattent le mur de son propre jardin, arrachent les rosiers, y plantent du chou frisé, de la menthe, des baies, des salades… et la pancarte « Nourriture à partager ». Par la suite les habitants de Todmorden plantent un peu partout, cours d’école, jardins de la mairie, devant la gare, l’hôpital, le commissariat et même à l’agence pour l’emploi. En sept ans, plus de 1000 fruitiers sont disséminés aux quatre coins de la commune. On instaure une Incredible Farm sur un terrain marécageux, on forme à la permaculture des centaines de personnes…
Le type d’agriculture que nous avons aujourd’hui, c’est un minimum de personnes pour un maximum de machines. Ici on veut le contraire, plus de fermes, plus d’emploi. Ce que les exploitations industrielles font parfaitement, c’est produire de l’argent, Mais ce n’est pas d’argent dont nous aurons besoin dans le futur, ce n’est pas l’argent qui nous permettra de survivre, c’est la nourriture. Il faut savoir cultiver la terre, Incredible Farm produit maintenant l’équivalent de 14 tonnes de nourriture à l’hectare. Passé le premier moment de surprise, les autorités locales répertorient dans le comté de Calderdale (200 000 habitants) tous les terrains vacants et inconstructibles ; désormais chaque habitant souhaitant cultiver une parcelle n’a qu’a en prendre une photo, déposer sa demande et payer un montant symbolique pour obtenir le droit de l’exploiter. Une organisation, Locality, travaille à promouvoir ce programme à travers le pays. Plus de 80 villes ont emboîté le pas de Todmorden en Grande Bretagne ; en France, des initiatives sont lancées dans plus de 400 villes et villages ; l’initiative se répand dans le monde entier… En 1943 pendant la guerre, les Victory Gardens cultivés par plus de 20 millions d’Américains, produisaient 30 à 40 % des légumes du pays.
3/5) NégaWatt, rencontre avec Thierry Salomon
Les énergies fossiles posent quatre problèmes. Évidemment les problèmes de pollution et de dérèglement du climat. Ensuite celui de la finitude des ressources, qui va conduire les prix à augmenter. Troisièmement elles créent des tensions géopolitiques, leur appropriation est un enjeu majeur. Enfin la fausse abondance de ces énergies crée un effet d’éviction des énergies renouvelables. Elles sont concentrées, efficaces, faciles à utiliser, nous les avons sous la main et elles enrichissent une classe dominante.
Pourtant nous pourrions totalement nous en passer à condition de travailler assidûment à réduire nos consommations d’énergie. C’est le sens du mot négaWatt, l’énergie que nous sommes susceptibles de ne pas consommer. Est-il bien raisonnable de circuler en ville avec une voiture de 1300-1500 kilos pour transporter un bonhomme qui en pèse 70 ? Un calcul a montré que 2 réacteurs nucléaires en France servaient uniquement pour les appareils en veille.
Nous devons réfléchir en termes de besoins, les classer selon une grille qui va de l’indispensable au nuisible, en passant par le nécessaire, le superflu… Et cette grille doit faire l’objet d’une législation. Ai-je vraiment besoin de me déplacer ? Quels sont les déplacements de loisirs et les déplacement contraints ? Ce qu’il faut, c’est intégrer dans l’ensemble de nos actes les externalités négatives, les conséquences néfastes de nos consommations d’énergie. Et nous avons besoin d’une régulation mondiale sur ces questions. La problématique du temps est importante, c’est une réorientation pour les trente-cinq ans à venir.
4/5) Faisons de l’économie véritable, c’est-à-dire économisons
Cyril Dion : « L’économie est devenue la discipline la plus invoquée pour justifier les prises décision politiques ou entrepreneuriales. Comme si elle primait sur toutes les autres. Or, curieusement, personne ne s’y connaît vraiment en économie. Demandez à n’importe qui (hormis si c’est son métier) de vous parler de la balance commerciale, du mécanisme de création monétaire, des ressorts de la croissance, vous risquez au mieux de déclencher une migraine, et au pire d’avoir une conversation sur la météo, le cinéma ou le sport. Malheureusement aucun de ces sujets n’influence la trajectoire du monde des humains comme l’économie peut le faire. »
Pierre Rabhi : « Étymologiquement, l’économie n’a rien à voir avec ce système dissipateur. Oïkos nomos, c’est l’art de bien administrer une maison. Le gaspillage est antinomique avec l’économie. Si je gaspille, je n’économise pas. Quand on voit qu’une bonne partie de la créativité des pays riches est mobilisée pour créer des déchets, je ne peux pas imaginer qu’on puisse appeler cela de l’économie. »
5/5) La synthèse de Cyril Dion : « Être plutôt qu’avoir »
Un changement de civilisation est complexe et demande la participation de tous, individus et institutions diverses. Voici ce qu’en dit Cyril Dion :
« Il y aurait de quoi se demander si mettre des enfants au monde dans le contexte actuel était bien raisonnable… Car la plupart d’entre nous le savent désormais, la situation ne va pas s’améliorer. Du moins pas toute seule. Nous sommes confrontés à deux enjeux majeurs : l’un concerne l’augmentation intenable des inégalités ; l’autre, la disparition des ressources naturelles et des espèces vivantes à une vitesse étourdissante, qui ne leur permet plus de se renouveler. Ce sont d’ailleurs ces deux facteurs qui, lorsqu’ils se combinent, précipitent la chute des civilisations. De nombreuses études pointent désormais le risque d’un effondrement écologique sans précédent, susceptible de déclencher conflits, migrations de masse, ruptures alimentaires, cracks économique et financier… Et il pourrait intervenir dans les vingt à trente ans. Une grande part d’entre nous attend patiemment que quelqu’un résolve le problème à notre place . Mais un système aussi global et complexe que le nôtre ne pourra pas changer de cette façon. Nous devrions être mobilisés, unis, comme à l’aube d’une guerre mondiale.
D’abord en mettant en œuvre dans notre propre vie tout ce qui est en notre pouvoir pour inverser la tendance : manger bio, local et moins de produits animaux, économiser l’énergie, acheter tout ce qui peut être fabriqué localement à des entrepreneurs locaux et indépendants, systématiquement recycler, réutiliser, réparer, composter… Mais la société ne changera pas simplement en additionnant des gestes individuels. Il est également nécessaire de transformer nos entreprises, nos métiers, pour qu’ils contribuent à résoudre ces problèmes. C’est l’économie symbiotique (l’économie circulaire, l’économie du partage, le biomimétisme…). Enfin, des mesures politiques devraient être prises. D’abord en termes de fiscalité et de régulation : taxer le carbone pour accélérer la transition énergétique, alléger la fiscalité du travail, réorienter les subventions agricoles pour stimuler une agriculture vivrière et locale, transformer le mécanisme de création monétaire pour progressivement se libérer de la dette.
(LE MONDE du 16 août 2016, Cyril Dion : « Être plutôt qu’avoir »)
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