Michel Sourrouille, auteur en 2017 du livre « On ne naît pas écolo, on le devient », a décidé avant de mourir de partager sa pensée avec tous les Internautes qui fréquentent ce blog biosphere. La parution se fera chaque jour pendant le mois de juillet. Il dédie ce livre aux enfants de ses enfants, sans oublier tous les autres enfants… car nous partageons tous la même maison, la Terre, si belle, si fragile…
Amour, une construction sociale trop orientée
La première fois qu’une fille m’a dit « je t’aime », j’ai osé répondre : « Que veux-tu dire par là ? » Autant dire que la rupture était déjà consommée dès les prémices. J’étais devenu sans le savoir féru de sociologie. Devenu par la suite professeur des sciences économiques ET sociales, j’ai pu argumenter que le relativisme culturel était une donnée de base. Dans mes cours de seconde, je lançais cette question en classe : « Le sentiment amoureux (dans un couple) est-il naturel ou culturel ». Les mains se lèvent, le verdict est unanime ou presque, ce sentiment est naturel. Le naturel pour les élèves correspond à la spontanéité. Je précise que « naturel » veut dire en réalité qu’un comportement est dicté par la génétique ; il s’agit d’un instinct, pré-programmé par notre biologie. Le naturel relève de l’inné, le culturel dépend de normes sociales. Comme il est très difficile de mettre à distance sa propre culture quand on ne possède aucune autre référence, les élèves confondent sans y penser « naturel » et « normal ». Je montre aux élèves que nos pensées et nos sentiments doivent bien surgir de quelque part. C’est notre cerveau qui nous permet de voir, sentir, ressentir. Notre comportement dépend de la socialisation effectuée dans un groupe ethnique particulier.
En Inde, en Afrique et dans les terres d’islam, on livre de jeunes adolescentes à un « promis » qu’elles ne connaissent souvent même pas. Dans les sociétés modernisées, la liberté de choix est valorisée, donc le sentiment amoureux. Dans l’un et l’autre cas, cela s’apprend. Dans notre culture occidentale très freudienne, les enfants vivent le complexe d’Oedipe vers trois-quatre ans : ils s’identifient à leur propre sexe, puis essayent d’imiter la relation amoureuse qui lie le père et la mère. Pourtant la tendance homogamique est toujours bien présente : qui se ressemble, s’assemble. Rares sont les femmes cadres qui épousent des ouvriers. La démonstration ainsi faite du conditionnement social de nos sentiments est un véritable choc pour les élèves. C’est pourquoi j’accompagne leur réflexion par une autre problématique amoureuse : « L’amour maternel est-il naturel ou culturel ? » La procréation étant naturelle, les élèves imaginent qu’au phénomène biologique de la grossesse doit correspondre une attitude maternelle prédéterminée, instinctive : « Mais monsieur, c’est obligé, une maman, elle aime son enfant ! » Pourtant une mère qui porte un enfant en son sein peut nourrir à son égard la haine la plus farouche, un enfant adopté peut être chéri par son père adoptif. Comme pour le sentiment amoureux, l’amour de l’enfant que témoigne le père ou la mère résulte d’un apprentissage.
Chez l’animal, il n’en est pas de même, le comportement est guidé principalement par des odeurs. Chez les mammifères (y compris les grands singes), la relation entre les sexes est soumise à une horloge biologique et hormonale qui détermine les périodes de rut ; les comportements sont dictés par des signaux chimiques, les phéromones. Pour les humains au contraire, la perte de l’œstrus met la sexualité sous le signe de la disponibilité permanente. Cette liberté totale est encadrée, comme le reste du comportement humain, par des normes et des interdits qui fixent les usages et les pratiques de la sexualité. La contrainte culturelle peut aller dans des sens complètement différents, endogamie ou exogamie, monogamie, polyandrie ou polygynie, homosexualité, bisexualité, hétérosexualité ou transsexualité… Tout ça pour dire que le mot « amour » possède une infinité de modes d’expression chez les humains. On ne naît pas amoureux, alors de quoi faut-il tomber amoureux ?
Personnellement je trouve le terme « amour » tellement galvaudé que je préfère l’expression « attention à autrui », altruisme. Mais cela n’est qu’une facette de l’amour, limitée aux relations inter-humaines. Trop souvent nous oublions l’intensité de l’amour qu’on peut porter à la nature et aux autres espèces vivantes. Aujourd’hui il y a encore des fous de dieu, parfois terroristes. Heureusement commence à se multiplier les amoureux de la nature. Ni la bible, ni le coran, ils veulent lire dans le livre de la Nature l’amour de toutes les formes de vie. En termes savants, on parle d’abandonner sa conception anthropocentrique (centré sur les humains) pour adopter une position biocentrique (ouvert au vivant) qui dépasse largement l’amour que certains portent à leur animal domestique (attitude encore anthropocentrique). Mais la réflexion est complexe, faut-il abandonner tous les insecticides, herbicides, fongicides, pesticides, raticides et autres biocides ? J’avoue tuer de temps en temps un moustique ou une mouche, avec la main ou la tapette…
(à suivre… demain sur ce blog biosphere)
Déjà paru :
On ne naît pas écolo, on le devient, introduction
Abécédaire, la façon la plus simple pour s’y retrouver
Abeille, qui ne pique que si on l’embête
Abondance, s’éloigne dès qu’on lui court après
Absolu, un mot à relativiser, un mot indispensable
Acteurs absents, dont on a eu tort d’ignorer l’existence
Tout est mystère dans l’amour,
Ses flèches, son carquois, son flambeau, son enfance :
Ce n’est pas l’ouvrage d’un jour
Que d’épuiser cette science.
Je ne prétends donc point tout expliquer ici :
Mon but est seulement de dire, à ma manière,
Comment l’aveugle que voici
(C’est un dieu), comment, dis-je, il perdit la lumière,
Quelle suite eut ce mal, qui peut-être est un bien ;
J’en fais juge un amant, et ne décide rien.
La Folie et l’Amour jouaient un jour ensemble :
Celui-ci n’était pas encor privé des yeux.
Une dispute vint : l’Amour veut qu’on assemble
( Extrait de L’ Amour et la Folie de Jean de La Fontaine )
– « Trop souvent nous oublions l’intensité de l’amour qu’on peut porter à la nature et aux autres espèces vivantes. Aujourd’hui il y a encore des fous de dieu, parfois terroristes. Heureusement commence à se multiplier les amoureux de la nature. »
À elles seules ces trois phrases concentrent toute la difficulté pour cerner la chose.
L’amour (ou l’Amour) est un de ces sujets sur lesquels il vaudrait mieux ne rien dire. Nous devrions seulement nous contenter de le vivre, en silence. De le savourer, d’en jouir, quand ce n’est pas d’en souffrir. Mais non, nous avons besoin de le raconter, de le partager, de le chanter, sur tous les toits, de le conjuguer, à tous les temps, et à toutes les sauces.
Je t’aime… un peu, beaucoup, passionnément, à la folie… Et oui, à la folie !
Et puis pas du tout ! L’amour n’est évidemment pas qu’une «simple» histoire d’hormones. Pas plus qu’il n’est qu’une construction sociale.
Qu’il soit porté sur une femme, les femmes… un homme, les hommes… la montagne, la mer, la musique, le sport, le travail, la guerre, une drogue etc. etc. voire même la sagesse… on sait que l’amour peut rendre fou. Comme le pouvoir.
L’amour du pouvoir … c’est tout simplement la folie.
On sait qu’il existe des fous de dieu. On sait que l’enfer est pavé de bonnes intentions. etc. etc. Tout ça, on le sait depuis bien longtemps déjà. Comment l’amour de la nature (ou de la Nature) pourrait-il être au dessus de cette folie ?
– « Le pouvoir sans amour est dangereux et abusif, l’amour sans pouvoir est sentimental et anémique. Le pouvoir à son meilleur est l’amour implémentant la demande de justice, et la justice à son meilleur est le pouvoir corrigeant tout ce qui fait obstacle à l’amour.» (Martin Luther King)
– « Quand le pouvoir de l’amour l’emportera sur l’amour du pouvoir, le monde connaitra la paix. » (Jimi Hendrix)
– « De même que tout est mortel dans la nature, de même toute nature atteinte d’amour est mortellement atteinte de folie.» (Shakespeare)
– « Il y a toujours un peu de folie dans l’amour mais il y a toujours un peu de raison dans la folie. » (Nietzsche)
– « Qu’est-ce que l’amour ? C’est le comble de l’union de la folie et de la sagesse.» (Edgar Morin)
– « Colère, folie, amour, le plus court est le meilleur » (Proverbe Français)
Mouai… En attendant, bon courage pour démolir cet autre proverbe qui dit que plus c’est long, plus c’est bon. Bref, l’amour (ou l’Amour) est bien un de ces sujets sur lesquels il vaudrait mieux ne rien dire. 🙂 🙂 🙂