biodiversité

shifting baseline, l’amnésie écologique (2/3)

L’expression shifting baselines se retrouve chez l’ornithologue Philippe J. Dubois :

« Je tente de montrer comment la lutte contre l’oubli est primordial à l’égard de la biodiversité si nous ne voulons pas être un Homo eremus, l’homme dans le désert. Or la sélectivité de la mémoire s’accommode des pertes du vivant sans même en prendre conscience ; c’est le shifting baseline syndrome, processus de référence changeante. En 1995, il y a eu une étude explorant la perception des enfants citadins à l’égard de la nature. L’amnésie générationnelle, c’est lorsque la perte de connaissance se produit parce que les jeunes générations ne sont pas au fait des conditions biologique passées. Il n’y a pas eu transmission de l’information par leurs aînés. D’anciens cultivateurs ne savent plus ce qu’étaient telle race de vache ou variété de pomme du temps de leurs pères. L’amnésie personnelle apparaît lorsque l’individu a oublié sa propre expérience. Par exemple il ne se souvient plus que les espèces de plantes ou d’animaux aujourd’hui devenues rares étaient, dans son enfance, beaucoup plus communes. Le changement est oublié et le nouvel état devient la référence. Si nous ne prenons pas conscience de ce que nous sommes en train de perdre, nous risquons de nous réveiller trop tard.

Choisissez la façon dont vous voulez vivre, pensez à la Terre que vous allez laisser à vos enfants, nous n’avons plus le  choix. Ou alors ce ne sera plus une (r)évolution verte, mais une révolution violente qui laissera beaucoup de monde sur le carreau. Jusqu’au jour où la nature dira « stop », à notre plus grande surprise. N’oublions jamais que le vivant a de tout temps été capable d’inventer de nouvelles trajectoires dont l’espèce humaine pourrait être exclue. »

In « La grande amnésie écologique » de Philippe J. Dubois (delachaux et niestlé, 2012)

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shifting baseline, des références changeantes (1/3)

Une nouvelle expression est apparue dans la communauté des environnementalistes, « changement des états de références » ou shifting baselines en anglais. Cette expression a été inventée en 1995par le Biologiste Daniel Pauly, spécialiste de la pêche. Pour les environnementalistes, un « état de référence » est une « norme » importante pour mesurer la santé d’un écosystème.

Dans un monde idéal, l’état de référence pour chaque habitat devrait être l’état de cet habitat avant que l’homme n’influence sensiblement dessus. Si nous connaissons l’état de référence d’un écosystème dégradé, nous pouvons travailler pour le restaurer. Mais si cet état de référence a déjà changé avant que nous ayons une chance de le mesurer, alors nous pouvons arriver à considérer comme normal, voire amélioré, un état dégradé. Par exemple le nombre de saumons dans la rivière Columbia du pacifique Nord-Ouest est aujourd’hui deux fois plus élevé que dans les années 30. Cela semble une bonne nouvelle. si les années 30 constituent l’état de référence. Mais la population de saumons de la rivière Columbia dans les années 30 représentait seulement 10 % de ce qu’elle était dans les années 1800. Donc nous n’avons actuellement que 20 % du stock de saumons des années 1800.

L’une des plus grandes préoccupations des scientifiques tient dans le fait que les états de référence ont changé pour de nombreux écosystèmes sous-marins. Cela signifie que des personnes visitent actuellement des environnements côtiers dégradés, et les qualifient de « magnifiques », sans se douter de ce qu’ils étaient avant. Voilà pourquoi il est si important de documenter comment les choses sont, et comment elles étaient. L’institut Scripps de conservation des océans et la SurfRider fondation ont organisé une campagne médiatique afin d’attirer l’attention sur le problème de changement des états de référence. Nous devons tous nous poser les questions suivantes : A quoi ressemblaient les océans ? Est-ce que mes préférences alimentaires participent à mettre la santé des océans en danger ? Certains biologistes marins déclarent même qu’avec la disparition des espèces désirables, seules les plus résistantes et les moins désirables vont persister, vraisemblablement les méduses et les bactéries.

Cette expression shifting baselines se retrouve aussi bien chez l’ornithologue Philippe J. Dubois (La grande amnésie écologique) que chez le psychosociologue Harald Welzer (Les guerres du climat). Persévérer dans l’amnésie collective, c’est nous préparer à des lendemains qui déchantent.

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La biodiversité s’invite dans les présidentielles

Un questionnaire thématique prenant en compte l’ensemble des problématiques induites par l’érosion de la biodiversité a été diffusé le 22 novembre 2011 par Humanité et biodiversité aux candidats officiellement déclarés à l’élection présidentielle. Quatre mois après, le constat est sévère : C’est un sujet qui reste à la marge, cantonné dans une « niche écologique », et qui n’est pas considéré comme une opportunité pour porter un nouveau modèle social et imaginer le monde du XXIème siècle. C’est pourtant bien de cela qu’il s’agit ! Les propositions apportées par les candidats sur les différentes thématiques recensées dans le questionnaire souffrent d’ordre général d’un manque d’ambition et de faisabilité préjudiciable pour l’avenir de la biodiversité, donc pour notre avenir. Seule  Eva Joly a une ambition satisfaisante et une technicité correcte en matière de biodiversité, Mélenchon arrive peu après, les autres candidats ont un score insuffisant.

Hubert Reeves, président d’Humanité et biodiversité*, a droit à une petite tribune dans LE MONDE**. Hubert constate avec inquiétude l’érosion généralisée de la biodiversité. Mais il est difficile pour les politiques de réaliser combien le sort des humains est lié à celui des abeilles ou des vers de terre. Or l péril croît et on en connaît les causes. On connaît même les conditions pour l’enrayer : aménagement du territoire, lutte contre l’artificialisation des sols, réduction de l’impact de l’agriculture, protection des ressources halieutiques, etc. Quand on regarde les détériorations de notre planète et les menaces qui pèsent sur l’avenir de nos enfants et petits-enfants, on reste effaré de la distance qu’il y a entre les propositions de nos candidats et la réalité qui se profile à l’horizon.

* La ligue ROC (à l’origine Rassemblement des opposants à la chasse) est devenue Humanisme et biodiversité (ensemble protégeons le vivant) en mars 2012. En adoptant ce nouveau nom et de nouveaux statuts, l’association affirme avec force son engagement vers une prise en compte plus large et plus complète des liens qui unissent l’humanité à l’ensemble du vivant dans une communauté de destin.

** LE MONDE du 5 avril 2012, Le débat présidentiel fait fi de la biodiversité. Ce groupe de presse, qui a maintenant une rubrique Planète sur LE MONDE papier, n’est même pas capable avec lemonde.fr de donner cette thématique en lien sur son bandeau principal.

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gardons nos tigres et nos loups, diminuons notre nombre

Il y a un siècle, la population de tigres en Inde était de 100 000 individus. Ils ne sont plus que 1700 aujourd’hui. Si la population mondiale d’humains suivait la même pente, nous sommes 7 milliards aujourd’hui, nous ne serions plus que 119 millions en 2112. Une vraie bénédiction pour les autres espèces en général et pour les tigres en particulier… s’il en restait seulement un seul exemplaire pour se reproduire. Le dernier représentant du tigre de Tasmanie est mort en captivité en 1936. LE MONDE du 5 février 2008 nous parlait des derniers tigres de Chine qui tentent leur dernière chance en Afrique du sud. Ces animaux, issus de plusieurs génération de tigres captifs, doivent réapprendre dans un enclos plus vaste à chasser les gentilles antilopes qu’on met à leur disposition et entamer une reproduction dont ils ont oublié le mode d’emploi. L’UICN considérait que cette opération de sauvetage était sans espoir. L’humanité veut-elle garder ou non les derniers restes de la grande faune sauvage, ou ses seuls commensaux, les rats, les cafards et les pigeons ? Si oui, les humains doivent arrêter de procréer à tire-larigot s’ils ne veulent pas se dévorer entre eux faute d’autres gibiers.

LE MONDE du 2 mars 2012 énonce une autre solution : le gouvernement indien tente de garantir la survie des félins en leur réservant de nouvelles terres prises sur des villages qui seront déplacés. Cela pose le deuxième problème de la coexistence entre l’espèce humaine et les autres espèces, le partage de l’espace terrestre. L’expansion incontrôlée des humains sur l’ensemble des terres habitables réduit drastiquement l’espace vital de la plupart des grands mammifères. Déplacer des villages pour augmenter la superficie des réserves est donc un combat perdu d’avance face à la montée en puissance de la population indienne et de ses désirs d’exploiter l’ensemble des ressources de la terre. D’ailleurs le braconnage fait énormément de victimes parmi les tigres, les éléphants, les baleines… L’humanité ne semble exister qu’à partir du moment où elle réduit toute autre forme de vie. Alors les humains se dévoreront entre eux faute d’autres gibiers.

Le degré d’artificialisation des sols et d’extension de l’espèce humaine est devenu extrêmement contradictoire avec la perpétuation de la vie sauvage. Cessons de maltraiter la terre et nous-mêmes, cessons de nous multiplier. Suivons l’enseignement de l’écologie profonde ainsi défini par Arne Naess : « L’épanouissement de la vie et des cultures humaines est compatible avec une diminution substantielle de la population humaine. L’épanouissement de la vie non-humaine requiert une telle diminution. »

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Campagne présidentielle française et oubli des animaux

Il n’y a pas d’animaux dans la campagne électorale, pourtant cela serait nécessaire. Deux articles se télescopent sur lemonde.fr. D’une part la journaliste du MONDE, Audrey Garic, de l’autre une philosophe, Corine Pelluchon  :

Dans le reportage d’Audrey Garic*, l’élevage porcin paraît effrayant. Des rangées de cages où les animaux sont coincés dans 1,6 m2. Des agriculteurs qui sont coincés entre un prix au kilo ridicule (autour de 1,3 euro depuis dix ans) et des directives européennes qui se soucient du bien-être animal au prix de charges supplémentaires (2,75 m2 par animal !). Mais Audrey Garic ne va pas assez loin dans la condamnation du système. Pour J.Porcher et C.Tribondeau, « Les infirmières maintenant, elles travaillent dans des usines à bébé qui sont comme les maternités des porcheries.  Il faut faire vite et que ça rapporte des sous. Tout est programmé et les infirmières font des piqûres aux femmes comme maman en fait aux truies pour que les bébés naissent quand on veut. »**

Pour Corine Pelluchon***, nos rapports aux animaux sont un coup de projecteur sur l’organisation du travail et sur le type d’économie qui sont les nôtres. Nos usages des animaux révèlent les dysfonctionnements d’une organisation du travail et d’une économie dont les hommes sont aussi les victimes. La confusion entre l’élevage et l’industrie ne tient pas compte des êtres que l’on exploite ni des hommes qui y travaillent. Corine rejoint ainsi l’analyse d’Armand Farrachi : « L’objectif à peine dissimulé de l’économie mondialisée est de soumettre le vivant aux conditions de l’industrie. En ce sens le sort des poules en cage, qui ne vivent plus nulle part à l’état sauvage, qui n’ont plus aucun milieu naturel pour les accueillir, augure ainsi du nôtre. Si les poules préfèrent les cages, on ne voit pas pourquoi les humains ne préfèreraient pas les conditions qui leur sont faites, aussi pénibles, aussi outrageantes soient-elles. Il importe peu de savoir comment la volaille humaine s’épanouirait au grand air, mais à quel prix elle préférerait une cage : jeux télévisés et parcs de loisirs pour se sentir en sécurité, ne pas éprouver de douleur, ne pas présenter de symptômes d’ennui et de frustration ****. »

La question animale devrait être l’objet d’une réflexion fondamentale lors des présidentielles. Les animaux font partie de nous. L’absence de prise en considération de la question animale par les différents candidats à l’élection présidentielle est le signe d’une insouciance vis-à-vis des conditions indignes dans lesquelles on fait vivre les êtres vivants, humains et non-humains. Nous devons lutter pour le droit des animaux parce que les humains sont aussi des animaux. L‘animal (l’humain) est un sujet qui cherche son épanouissement selon des normes propres à son espèce. Les porcs sont des animaux fouineurs, qui aiment retourner la terre, manipuler, mâchouiller. La poule a besoin d’étendre ses ailes et de gratter le sol. Les humains ont besoin d’un contact étroit et fréquent avec la nature. Quand ce besoin est frustré, l’animal (l’humain) développe des stéréotypies qui ne témoignent pas seulement de sa souffrance, mais aussi d’une injustice.

* LEMONDE.FR | 24.02.12 | L’élevage porcin, étranglé entre productivité et bien-être animal

** Une vie de cochons de J.Porcher et C.Tribondeau (la découverte, 2008)

*** Point de vue | LEMONDE.FR | 24.02.12 | Condition animale et justice sociale

**** Les poules préfèrent les cages d’Armand Farrachi (Albin Michel, 2000)

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un seul ver de terre vaut autant que le tigre

WWF (le spécialiste du panda) ou l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature) privilégient des espèces emblématiques. On abandonne à leur sort ce qui n’est pas jugé gros et mignon : l’ours polaire attire plus l’attention que le ver de terre. Les grands prédateurs sont à l’image de l’homme, ils focalisent la sensibilité, donc les financements. Encore une dizaine de millions d’euros* qui viennent s’ajouter aux autres depuis des dizaines d’années pour des résultats insignifiants. Or l’équilibre de la biosphère tient non seulement à la richesse en espèces animales d’un bout à l’autre de la chaîne alimentaire, mais aussi au nombre de ver de terre et aux microbes. Charles Darwin a fait un récit fascinant sur le ver de terre qui participe activement à la vie complexe du sol. L’humus, qui résulte du processus croissance et décomposition, peut aussi être considéré comme un être vivant. Sans humus et ver de terre, il n’y a plus d’agriculture productive, il y a la famine. Or nous détruisons l’humus et les vers de terre aussi bien que les tigres. Chaque fois que vous mettez un grain de potasse sur un ver de terre, il est mort. Il faut prendre le point de vue des défenseurs de la nature pour qui toutes les espèces même les plus humbles sont essentielles.

Le problème de fond, c’est que les ONG comme WWF ou l’UICN veulent inciter les entreprises privées à contribuer à un fonds mondial pour la conservation des espèces. Autant dire au bourreau de ne pas faire son œuvre ! Nous devrions tous savoir que la perte de biodiversité est le fait de l’expansionnisme humain. Il faut donc limiter les activités humaines, donc limiter l’emprise des entreprises, mais pas seulement. La croissance de l’urbanisation, la multiplication des voitures et de leurs autoroutes, tout contribue à réduire l’habitat des autres espèces. La croissance de l’espèce humaine (1 milliard d’êtres humains ces 12 dernières années) a aussi pour conséquence l’élimination programmée de la biodiversité.

Il faut que WWF et UICN disent haut et fort que les humains sont responsables et coupables et qu’ils doivent changer, retrouver l’humilité, retrouver l’humus de la Terre. La simple défense des espèces emblématiques ne peut nous faire prendre conscience de la chose.

* L’UICN) s’apprête à lancer son programme SOS (Save Our Species, Sauvons nos espèces). Une initiative lancée en collaboration avec la Banque mondiale, le Fonds pour l’environnement mondial qui réunit déjà la somme de 13 millions de dollars (9,9 millions d’euros)

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Plantez un arbre dans votre trottoir

Dieu a dit : « Aimez la nature comme vous-même. » Mais le message est resté 2 secondes sur l’écran de mon ordinateur. L’actualité du jour, pleine de faits divers, a aussitôt retenu toute mon attention. Oh ! Un bateau de croisière a chaviré. Ah, il y a un mort ou beaucoup de mort, Paris sans nouvelles de 21 Français… J’avais déjà oublié ce que Dieu m’avait dit. J’y pense et puis j’oublie.

Lisez Philippe J. Dubois*, et puis plantez immédiatement un arbre dans votre trottoir, avant d’avoir oublié ce qu’il nous écrit : « Il devient difficile de se mobiliser au-delà de son écran d’ordinateur. La continuité dans l’action, nécessaire pour faire aboutir les grandes causes (et donc celle de notre biodiversité malmenée), se heurte au zapping immédiat et à la perte de mémoire. Le grand risque aujourd’hui, c’est l’emprise du virtuel sur nos consciences la désertification du monde au plus proche de la biodiversité. Rien n’est plus tangible, palpable, que la nature. Et rien ne se prête aussi mal à une appréhension virtuelle comme le propose Internet. Tout concourt à nous éloigner de ce qui nous fait vivre et à oublier que, sans la biodiversité, nous ne pouvons exister. Il faut que nous soyons embarqués dans une action pour sortir de chez nous. »

Plantez un arbre dans votre trottoir. N’oubliez pas de faire un grand trou pour lui donner de l’air, n’oubliez pas d’y mettre du compost…

* Philippe J. Dubois, La grande amnésie écologique (Delachaux et niestlé, janvier 2012)

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pas de foie gras dans l’assiette

Un débat après lequel chacun reste sur ses positions n’a pas été démocratique. L’intérêt de converser est de faire bouger les consciences pour arriver à un consensus. Voici une présentation d’un débat sur le foie gras qui devrait vous amener à ne plus manger les obèses.

Claude Laberdesque* : En 2005, l’Assemblée nationale déclarait le foie gras « patrimoine culturel et gastronomique » français. Cette déclaration s’accompagnait d’une préoccupation partagée par ceux qui, chaque jour, vivent au contact des animaux : veiller au « respect du bien-être animal ». On nous accuse de gaver les canards à trop haute dose. Ce que nos détracteurs ignorent, c’est que ce procédé est la reproduction d’un phénomène naturel.

Christian Scholtès : Qui accepterait d’être gavé avec un entonnoir et de souffrir d’une cirrhose graisseuse… personne. Alors pourquoi infliger ce traitement inhumain aux pauvres oies ou canards. Etre un fondamentaliste des droits de l’homme, c’est aussi être un fondamentaliste des droits des animaux.

Laurimont : L’expression  » cirrhose graisseuse  » n’est pas correcte puisqu’il s’agit d’une « stéatose hépatique », d’une particularité du métabolisme des oiseaux migrateurs, qui leur permet d’accumuler une source d’énergie pour effectuer leurs longues migrations.

Frank Corsiglia : la production de foie gras en France est dominée à 95 % par le canard mulard (hybride donc stérile comme le mulet) qui est obtenu par le croisement d’une cane commune type Pékin et d’un canard de Barbarie : malheureusement, aucune de ces deux espèces n’est un oiseau migrateur dans son milieu d’origine, Asie et Pérou. Contrairement à l’oie grise…

Un agronome : La cane Pékin n’est qu’une variété d’élevage du canard commun qui est bien migrateur, elle a donc bien les gènes qui favorisent la stéatose hépatique.

Pierre Guillemot : J’ai travaillé dans un élevage de canards gras (pas au gavage, il faut un tour de main). Les canards se pressaient autour de la gaveuse dès qu’elle entrait dans leur enclos, très pressés de se faire remplir de grains de maïs amollis dans l’eau tiède. Ensuite ils faisaient passer les derniers grains en secouant la tête avant d’aller cuver leur ventrée.

Michel Sourrouille : Les obèses de l’espèce humaine se pressent autour des plats (de foie gras), pressés d’enfourner des contenus si appétissants. Ensuite ils secouent la tête, ils en redemandent… Mais l’obésité, humaine ou non humaine, est-elle l’état normal d’un être vivant qui peut voler de ses propres ailes ?

* Claude Laberdesque, président de l’association des producteurs de canards d’Euralis

in LEMONDE.FR | 30.12.11 | Foie gras : pour rétablir la vérité sur une part essentielle du patrimoine gastronomique français

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boycottez les chiffres 2 et 3

Concernant les oeufs « coquille », il est simple au niveau individuel de boycotter les oeufs de batterie grâce à l’étiquetage et au code apposé sur chaque oeuf :

code 3 : élevage en cages

code 2 : élevage au sol sans accès à l’extérieur

code 1 : élevage plein air (au sol avec accès à l’extérieur)

code 0 : élevage biologique (au sol avec accès à l’extérieur).

A compter du 1er janvier 2012*, de nouvelles normes européennes, adoptées en 1999, entreront en vigueur pour tous les Etats membres. Les poules pondeuses de l’Union européenne devraient théoriquement disposer d’un peu plus de place dans les cages collectives des élevages en batterie : de 550 cm2 pour chaque poule, soit la surface d’une feuille A4, à 750 cm2, dont 600 cm2 de surface utilisable. La nouvelle législation prévoit également une mangeoire d’au moins 12 cm de long par poule et l’accès à un abreuvoir. D’autres aménagements sont également rendus obligatoires comme le nid et la litière permettant le picotage et le grattage, un perchoir et un dispositif de raccourcissement des griffes. Mais les gallinacés resteront pour la plupart parquées dans des batteries, qui hébergent actuellement 80 % des poules produisant les œufs consommés en France. Selon une enquête menée par L214 dans quelques élevages ayant déjà adopté les nouvelles normes en France, le « nid » se limite à quelques lamelles de plastique sur un sol grillagé, et un bout de papier de verre collé dans un coin de la cage fait office de raccourcisseur de griffes.

Sommes-nous là pour réaliser les rêves des poules pondeuses ? Pour l’instant nous avons fait en sorte de réaliser leurs pires cauchemars.

* LEMONDE.FR avec AFP | 29.12.11 | Les poules pondeuses rêvent toujours de grands espaces

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dialogue avec un partisan des OGM, membre de l’AFBV

Dialogue entre Michel Sourrouille, Journaliste-écrivain pour la Nature et l’Ecologie d’une part et Alain Deshayes, généticien, membre fondateur de l’AFBV (Association des Biotechnologies végétales).

Michel Sourrouille : Alain, j’ai assisté à Paris à la conférence de presse de Vandana Shiva le 19 octobre 2011. Cette militante présentait A Global Citizen Report on the State of GMO. Lors de la conférence de presse, Vandana dénonce les contre-vérités de la bio-ingénierie : « Au lieu d’endosser leurs responsabilités, les Firmes répondent par la propagande. Notre sécurité n’est préservée que parce que l’ignorance est privilégiée. Ce sont les Firmes qui présentent les données sur lesquelles la science peut délibérer ; c’est la fin de la science. » En tant que spécialiste des OGM, qu’en penses-tu ?

Alain Deshayes : J’ai lu ton texte avec attention, et tu ne seras pas étonné si je te dis qu’il m’a « irrité » ! Je connais effectivement Vandana Shiva pour ses engagements anti-OGM, je l’ai rencontrée à l’occasion d’un congrès. C’est une femme qui a du tonus, comme beaucoup de femmes indiennes. Je crois me souvenir qu’elle est physicienne de formation et qu’elle a changé d’activité pour militer en faveur de la biodiversité des variétés traditionnelles contre les variétés « améliorées ». Et,  c’est logiquement qu’elle s’est retrouvée dans le mouvement altermondialiste et qu’elle s’est engagée dans un combat contre les organismes génétiquement modifiés.

Ceci étant comme nombre de ses congénères, elle a dit beaucoup de contre-vérités sur les OGM, les deux principales étant  que les variétés de coton BT n’apportaient en Inde aucune amélioration de rendement et que le coton Bt étaient responsables des suicides de paysans indiens. Sur ces deux points il existe de nombreuses études qui ont montré qu’elles étaient fausses.

Michel Sourrouille : Méfions-nous des études parcellaires. En Chine, 96 % du coton est déjà transgénique. Ce coton Bt est efficace pour détruire une noctuelle, permettant ainsi à une niche écologique de se libérer. Comme la nature à horreur du vide, les miridés (ou punaises) deviennent une infection. On ne sait pas encore si les bénéfices sur l’exploitation du coton n’ont pas été effacés par les dégâts occasionnés sur les autres cultures (LE MONDE  du 15 mai 2010).

La responsabilité des suicides de paysans en Inde repose historiquement sur la révolution verte des années 1970 (semences à haut rendement), mais les OGM en reproduisent aujourd’hui causes et conséquences. Les variétés de semences « améliorées » sont traitées avec des engrais et des pesticides synthétiques. Ces intrants sont coûteux et ces semences doivent être fréquemment remplacées ; c’est inabordable pour la petite paysannerie.

Alain Deshayes : Je t’avais communiqué une étude qui montre clairement la non corrélation entre coton Bt et suicides. Norman Borlaug est considéré comme le père de cette Révolution Verte  pour ses travaux sur le blé, travaux pour lesquels il reçut le Prix Nobel de la Paix en 1970. Et, j’ai souvent dit que cette décision n’avait pas été très judicieuse.

J’ai moi-même, dans des conférences et dans des articles, souligné que les raisons politiques qui avaient été à l’origine de la « révolution verte » avaient conduit à certaines d’insuffisances et d’erreur en raison de la non prise en compte de certaines réalités sociales et économiques locales. Mais il est incontestable qu’à partir de 1960, les rendements ont augmenté dans de nombreux pays (pas dans tous avec la même importance) et amélioré les conditions de vie de nombreux paysans……qui auraient pu passer au communisme !

Michel Sourrouille : La remarque sur le « communisme » est intéressante car elle montre le présupposé idéologique des semences à haut rendement. Avec Borlaug, la révolution verte a reçu le prix Nobel de la paix sous le prétexte que les nouvelles technologies en chimie allait apporter la prospérité, et que la prospérité apporterait la paix. Vandana Shiva l’écrit : « Cela s’est appelé la révolution verte, par opposition à la révolution rouge qui se répandait en Inde, venant de Chine ». Les Américains se sont dit : « Diffusez les produits chimiques et vous éviterez le communisme. Malheureusement ces produits coûtaient cher et nuisaient à l’environnement. Tout cela s’est révélé au bout de dix ans, si bien qu’au lieu d’être en paix et de profiter de la prospérité, les jeunes ont connu une nouvelle pauvreté et pris les armes.  Après la répression très violente par les forces militaires contre les insurgés dans le Punjab, on ne pouvait plus prendre son fusil ; alors les agriculteurs ont commencé à boire les pesticides pour mettre fin à leurs jours. (in Solutions locales pour un désordre global – Actes Sud, 2010) »

La technologie OGM est la continuité d’un modèle mondial d’agriculture industrielle qui n’a pas réussi à donner à manger à ceux qui ont faim et a contribué à la disparition de la paysannerie traditionnelle. Bref, la recherche en milieu fermé est une chose, le développement des OGM par les firmes qui vendent leur insecticide et cherchent à contrôler les semences paysannes, une autre. Monsanto & Al n’œuvrent pas pour le bien de l’humanité !

Alain Deshayes : La culture d’une nouvelle variété végétale, « améliorée », est souvent associée à une pratique culturale nouvelle également ; et on a constaté en Inde ce qui se passe dans beaucoup de pays, à savoir que les potentialités génétiques ne sont véritablement et complètement exprimées que si les pratiques agricoles adaptées sont respectées. Vandana Shiva a reporté sur la technique d’obtention des cotons Bt tous les déboires de certains paysans qui n’avaient pas respecté ces pratiques.

Michel Sourrouille : Cela voudrait dire que les paysans n’appliquent pas les consignes qui leur sont imposées par les semenciers : à production alimentaire industrialisée, pratiques standardisées. Tout est lié, brevetage, génie génétique, concentration économique et dépendance des paysans.

Nous préférons dire que les « potentialités génétiques sont véritablement et complètement exprimées » quand et seulement quand des centaines d’années de sélection des semences par les paysans locaux ont permis d’atteindre un niveau de symbiose le plus grand possible entre une plante et son milieu particulier de vie. Cela, les industriels de variétés végétales « améliorées » ne savent pas faire, les variétés qu’ils vendent sont inadaptées à la plupart des milieux naturels. De plus l’homogénéité génétique rend les cultures plus vulnérables aux changements climatiques brusques, au contraire des semences natives adaptées aux différents microclimats. C’est pourquoi d’ailleurs Vandana Shiva s’est lancée en 1987 dans la défense des variétés locales de graines après la réunion de Bogève à laquelle elle avait assisté.

Comme l’a dit Vandana, les lois qui favorisent le monopole de l’industrie sur les graines sont comparables au monopole sur le sel dénoncé par le Mahatma Gandhi ; celui-ci avait déclenché le Salt Satyagraha, une lutte non violente basée sur la désobéissance civile. Satyagraha, l’étreinte de la vérité. Vandana va lancer à son tour la Bija Satyagraha, une « désobéissance des graines (in Vandana Shiva, victoires d’une Indienne contre le pillage de la biodiversité – Editions Terre vivante, 2011) ».

Alain Deshayes : D’un côté j’aurais envie d’argumenter point par point, de l’autre je me dis que cela ne servirait à rien parce que je sens que tout est déjà figé dans tes propos. Il y a un a priori que « toi et les tiens » seraient les seuls à se poser les bonnes questions et que « moi et les miens » ne seraient que des individus pervers incapables de se poser la question de l’intérêt général ! Mais peut-être que ces deux « populations » sont  non miscibles, les uns parce qu’ils partent de l’a priori que toute action de l’Homme dans la nature ne peut être, intrinsèquement, que néfaste à celle-ci, et les autres parce qu’ils persistent à penser que l’Homme peut utiliser son savoir pour vivre dans et par cette nature, et qu’il peut corriger ses erreurs.

Michel Sourrouille : Nous ne pouvons prêter aux autres nos propres sentiments. Et les sentiment ne sont jamais tout blancs ou tout noirs. Il y a des techniques douces, douces à l’Homme et à la Nature, d’autres qui le sont beaucoup moins. Vaste débat qui n’a jamais commencé si ce n’est dans les écrits d’Ellul ou Illich, bien oubliés. Ce débat reviendra…

Alain Deshayes : Il existe bien un courant de pensée qui tend à opposer les « semences industrielles » – symboles de la sélection variétale, de l’agriculture intensive, de l’appropriation du vivant et de la mondialisation – aux « semences paysannes », apparentées aux savoirs locaux d’amélioration et de conservation de la biodiversité. Les approches qui s’appuient sur la composante génétique  nous semblent mieux à même de répondre aux défis du XXIème siècle qui devra conjuguer l’obligation de nourrir 9 milliards d’individus et la nécessité de réagir aux changements climatiques. Si les défis à relever sont nombreux, ce ne sont pas à la base des problèmes biologiques ; la génétique est sollicitée pour élaborer des réponses sur une scène mondiale où l’homme doit prendre une place centrale.

Michel Sourrouille : C’est aussi cela le problème, la centralité de l’homme, l’anthropocentrisme dominant, la volonté de puissance, l’appropriation du vivant. Croire que la technique (pas seulement génétique) pourra indéfiniment résoudre les problèmes créés par la technique (y compris génétique) est un acte de foi, comme l’Homme à l’image de Dieu.

Il nous semble que les semences paysannes, au plus près du terrain et des femmes, sont plus adaptées que des techniques centralisées oeuvrant pour le profit. Prenons maintenant un  point de vue spécifiquement technique, l’équivalence en substance. Hervé Kempf écrit : « En 1986 sous Ronald Reagan, l’administration élabore un ensemble de règles qui pose le principe qu’il faut évaluer les risques du produit final et non de la technique utilisée. Ce principe dit d’équivalence en substance est crucial : il établit que, si un OGM n’a pas une composition chimique substantiellement différente de l’organisme dont il est dérivé, il n’y a pas besoin de le tester, comme on le fait normalement pour de nouveaux médicaments ou de nouveaux additifs alimentaires, pas plus que de l’étiqueter. Le coût d’autorisation d’un OGM devient moindre que celui d’un dossier d’autorisation de pesticide. (La guerre secrète des OGM  – Seuil, 2003) »

Alain Deshayes : L’équivalence en substance est une question scientifique : Si la composition des deux plantes (la plante d’origine d’une part et la même plante avec un gène supplémentaire) sont comparables, à la différence près de la protéine produite par le gène introduit, pourquoi y aurait-il un risque lié à la plante génétiquement modifiée ? Et donc, pourquoi y aurait-il une restriction à sa culture et à sa consommation par l’animal ou l’homme ? J’ai participé à plusieurs congrès aux Etats-Unis sur ce sujet, et après de nombreuses discussions, un consensus s’est établi pour dire que l’équivalence en substance de deux plantes ne justifiait pas qu’une réglementation spécifique soit appliquée à l’une d’entre elle. Je crois me souvenir que la décision de l’administration étatsunienne sur le principe d’équivalence a été prise en 1995.

Le principe d’équivalence suppose des analyses portant sur la composition chimique du produit. Par contre, dès 1985 (année d’obtention de la première plante génétiquement modifié, il faudra attendre 1987 pour la première expérimentation au champ) les scientifiques considéraient effectivement, qu’un produit, quel qu’il soit, ne devait pas être jugé sur la base de la technologie qui avait été utilisée pour le produire. Nous avions en effet l’expérience des controverses récentes sur les produits alimentaires qui avaient été stérilisés par irradiation aux rayons gamma et c’est cette logique qui a amené l’administration US à la position sur l’équivalence en substance.

Ceci étant, il y a une limite au concept d’équivalence lorsqu’il s’agit de plantes tolérantes à un herbicide ou à un insecticide : faut-il analyser la plante génétiquement modifiée sans que le pesticide ait été appliqué préalablement ou bien faut-il analyser la plante qui a été cultivée en condition agronomique, donc qui a subit un traitement pesticide ? La réalité est que c’est la plante sans application de pesticide qui est analysée. Il y a là une anomalie que nous reconnaissons volontiers.

Michel Sourrouille : Avec l’équivalence en substance, il y a effacement des frontières entre génie génétique et sélection génétique classique, affirmation partisane en faveur du génie génétique. La toxicité des aliments OGM ne peut être prédite à partir de leur composition.

Le concept d’équivalence en substance est directement dérivé des modes de pensée de la science moderne. Ceux-ci sont basés sur un réductionnisme rationaliste dans lequel l’objectivation joue un rôle prédominant. Cette approche s’est avérée à la fois opérationnelle et productive mais le résultat en est que la substance, et non le processus, est devenu le principal et souvent le seul axe d’étude de la science moderne. En d’autres termes, le concept d’équivalence en substance s’adresse aux aliments considérés hors de leur contexte, abstraction faite de la façon dont ils ont été produits et conduits jusqu’au consommateur en fin de parcours. pays d’origine du produit alimentaire, les méthodes agricoles de production, le mode de récolte, les méthodes de conservation et de transformation des aliments, etc. En d’autres termes, l’impact environnemental des filières agroalimentaires devrait être évalué à tous les niveaux du processus, de sorte qu’un bilan environnemental global puisse être établi.

Alain Deshayes : « Pays d’origine du produit alimentaire, etc… » Complètement hors sujet !  «  L’impact environnemental des filières agroalimentaires devrait être évalué à tous les niveaux du processus… ». Confusion totale ! Et voilà comment on passe d’un sujet à un autre en éludant les questions scientifiques et techniques.

Michel Sourrouille : Mais ce sont aussi « les questions scientifiques et techniques » qui doivent tenir compte de tous les autres sujets. La réalité est complexe, globale, interdépendante. Au réductionnisme rationaliste de la science actuelle s’oppose de plus en plus clairement une science holistique qui lie sciences « dures » et sciences « molles », recherche de laboratoire et contextualisation par les sciences humaines, expériences transgèniques et effets sur les structures de l’emploi, de la production et de la commercialisation. Les « questions scientifiques et techniques » ne peuvent être séparés des contraintes socioéconomiques et environnementales.

Au niveau technique, les systèmes de transgenèse s’inscrivent intrinsèquement dans une optique d’uniformisation. Cette tendance est déjà perceptible aux Etats-Unis où l’on cultive actuellement des plantes OGM fortement uniformisées sur de vastes territoires. Or les méthodes de protection phytosanitaire introduites par le génie génétique pour lutter contre les ravageurs reposent sur des mécanismes monogéniques, faisant intervenir un seul gène de résistance. Ces méthodes sont donc vulnérables car elles favorisent la sélection de parasites résistants et devront être remplacées dans le court terme.

Alain Deshayes : Je ne sais quelles sont tes lectures, mais voilà typiquement ce qui résulte d’une incompréhension/méconnaissance d’une réalité scientifique. Le fait que des résistances puissent apparaître et qu’il faille chercher de nouvelles formes de résistance, est un phénomène général, indépendamment des plantes génétiquement modifiées, et qui est bien connu de tous les sélectionneurs.

D’une manière rapide, et donc un peu simpliste, s’agissant du blé : en 1945, fallait-il/aurait-il fallu choisir entre d’une part le maintien des rendements moyens à 12 qx/Ha,  avec les variétés « traditionnelles » qui possédaient une rusticité assurant une stabilité des rendements quelles que soient les années (conditions climatiques, attaque de parasites et de pestes) et d’autre part entreprendre un travail d’amélioration qui a permis (sans OGM) d’augmenter les rendements jusqu’à aujourd’hui d’environ 1 ql/an, avec les risques avérés de voir périodiquement contournées les résistances à des parasites ou des pestes ? Je sais que certains de tes « frères » choisissent/auraient choisi la première voie. Cette question n’est pourtant pas triviale. Je connais de nombreux généticiens qui ont travaillé à l’amélioration de plantes tropicales, notamment  du millet en Afrique, qui se la sont posés. C’est la raison pour laquelle la diversité génétique des variétés locales est d’avantage prise en compte aujourd’hui dans les plans de sélection et de promotion des nouvelles variétés.

Michel Sourrouille : Il te faut admettre que la courses au rendement, avec ou sans OGM, n’est pas durable. Contrairement à la monoculture, les polycultures permettent une résistance naturelle. C’est la biodiversité qui permet la résilience, pas un OGM cultivé sur des milliers d’hectares.

La résistance aux herbicides présente d’ailleurs les mêmes inconvénients que la lutte contre les ravageurs. L’apparition de mauvaises herbes résistantes aux herbicides par dissémination de pollen et croisements interspécifiques imposerait le remplacement à la fois de la semence transgénique portant le gène de résistance et de l’herbicide lui-même. En fait de durabilité, ces méthodes favorisent des systèmes de protection des cultures éphémères, faisant appel à des variétés végétales et des produits phytosanitaires à courte durée de vie.

Alain Deshayes : Baratin en réponse à de vrais problèmes ! L’apparition de plantes résistantes à des herbicides est aussi vieille que l’utilisation des herbicides eux-mêmes ! Tu vas dire que l’argument n’est pas glorieux, dont acte, mais là encore cette question n’est pas directement liée aux OGM.

Michel Sourrouille : Nous sommes d’accord, les OGM se trouvent confrontés aux mécanismes de la sélection naturelle. Mais je répète que le risque est moins grand quand l’agriculture reste paysanne, diversifiée, adaptée à chaque terroir.

Alain Deshayes : Non, nous ne sommes pas d’accord, « le risque n’est pas moins grand », car dans ce que tu appelles « l’agriculture paysanne » il n’y a pas de pesticides. Je ne suis pas et ne raisonne pas dans la même logique. Tous  les agronomes savent que pour nourrir 9 milliards d’humains il faudra augmenter la production agricole globale –selon les hypothèses  sociétales – de 30 à 70 %. Et ce n’est pas l’agriculture paysanne qui le permettra.

Michel Sourrouille : Comment nourrir les hommes en 2050 ? Ca se discute ! Pour Sylvie Pouteau, dont j’ai repris précédemment l’argumentation technique, « la qualité des aliments ne peut être limitée à la seule substance car les aliments agissent sur les êtres humains non seulement au niveau nutritionnel mais aussi au travers de leurs relations avec l’environnement et la société. En sorte que, la question Au delà de l’équivalence en substance appelle en fait une autre question : l’équivalence au delà de la substance. »

Alain Deshayes : Je suis en fait d’accord pour dire que les OGM ne sont rien en soi et qu’ils doivent être positionnés dans une vision de l’agriculture et de sa place dans une problématique de développement. Le problème est que depuis le milieu des années 90, quand la culture des plantes génétiquement s’est développée (Quand même 145 millions d’hectares en 2010 cultivés par plus de 15 millions d’agriculteurs dans le monde !!) le comportement destructeur et, je le dis tout net, anti-démocratique des anti-OGM n’a plus permis aucun débat. Certes le comportement des Monsanto and Co n’a pas non plus facilité les choses.

Michel Sourrouille  : Si tout le monde se trompe, cela n’en fait pas une vérité. De plus, il faut comparer les 15 millions d’agriculteurs OGM qui accaparent les terres et les 2,5 milliards de paysans sur la planète qui se partagent des parcelles ; la balance n’est pas équilibrée.

Il te faut aussi admettre le caractère non démocratique des firmes semencières. Ainsi le traitement statistique de l’étude des effets d’un maïs transgénique par son inventeur et distributeur, la firme Monsanto, avait été publié en août 2005. Mais les données expérimentales brutes, plus d’un millier de pages, avaient été tenues confidentielles par la firme agrochimique jusqu’à ce que Greenpeace en obtienne publicité grâce à la Cour d’appel de Münster. Ce genre de firmes veut être à la fois juge et partie. Ce qui m’a surtout le plus impressionné dans une émission sur Monsanto vu à la télé en 2008, et je l’ai déjà dit sur mon blog biosphere, c’est l’usage par cette firme de tous les procédés d’une dictature : on cache l’information, on ment, on achète les politiques, on achète les opposants à défaut de pouvoir les envoyer en prison,  on licencie les  récalcitrants du jour au lendemain…

Face à cette toute puissance de l’argent, que peuvent faire les citoyens si ce n’est devenir faucheurs volontaires d’OGM ? José Bové agit contre les OGM en pensant que les paysans du Nord sont aussi victime que ceux du Sud du productivisme technicisé agricole. Il écrivait : « Quand les gouvernements encouragent les intérêts privés ou les laissent s’imposer aux dépens de tous et de la terre, il ne reste plus aux citoyens que d’affronter cet Etat de non-droit (Pour la désobéissance civique – édition La découverte). » La désobéissance civile est un aspect nécessaire de la démocratie.

Alain Deshayes : En fait la position initiale de José Bové était une opposition au productivisme, mais sans la destruction des plantes au champ, et, c’est sur cette base que j’ai souvent débattu des avancées technologiques en agriculture avec des militants paysans, d’abord des « Paysans Travailleurs » (organisation issue du PSU) puis de la « Confédération paysanne » ; à cette époque des convergences étaient possibles. Mais rapidement JB a glissé sur le terrain des risques pour l’environnement et la santé humaine, et à partir de ce moment là plus aucune discussion n’est devenue possible tellement sa mauvaise fois était patente.

D’ailleurs, on pourrait démontrer que les actions de « José Bové and Co » ont favorisé les grands groupes semenciers internationaux au détriment des petites structures et, dans le cas particulier de la France, des sociétés françaises.

Michel Sourrouille : Si la Confédération paysanne reste minoritaire, c’est pour plusieurs raisons notamment ses positions souvent d’extrême gauche et les avantages que l’on a si on est à la FNSEA.

                Il paraît évident que les grands groupes semenciers n’ont pas besoin de José Bové pour éliminer les petites structures, et, particulièrement, la petite paysannerie. Les OGM ne sont pas faits pour l’autosubsistance, mais pour le marché. Le rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l’alimentation avait écrit dans un rapport que la libéralisation du commerce « n’est pas plus favorable au consommateur, confronté à une forte hausse des prix, qu’au petit producteur, auquel on paye à un prix de plus en plus faible. En revanche, la chaîne de distribution s’allonge, ce qui contribue à enrichir divers intermédiaires. » L’approche selon laquelle les impacts négatifs résultant du libre-échange seront compensés par les secteurs exportateurs est contestable : « Cette approche, qui établi le bilan des gains et des pertes, n’est pas satisfaisant car les gouvernements ne sont pas en mesure de compenser les impacts négatifs pour leur population ». (Le Monde du 18 décembre 2008)

Alain Deshayes : Nous connaissons bien le rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit à l’Alimentation Olivier de Schutter, apôtre de l’agroécologie et grand mystificateur ! Si tu veux m’expliquer que le capitalisme et le libéralisme tel qu’ils se sont développés à partir du milieu des années 1970 n’ont pas entraîné un développement favorable aux populations, alors oui, on peut discuter, mais ce débat ne doit pas être un prétexte pour condamner une technologie qui pourrait être utile, dans certaines conditions.

Michel Sourrouille : Attaquer une personne ne vaut pas raisonnement. Les firmes semencières utilisent à la fois le capitalisme (l’appropriation privée, les brevets) et le libéralisme économique (le marché, son contrôle monopolistique) pour entraîner une évolution défavorable aux populations paysannes. Pourquoi défendre les techniques transgéniques ? Elle déstructure la paysannerie, accroît les inégalités entre ceux qui produisent pour le marché et les autres, ne supprime pas la famine dans le monde.

C’est le savoir actuel, beaucoup trop sophistiqué et compartimenté, qui est foncièrement anti-démocratique : seule une élite peut discuter d’un sujet comme le nucléaire, mais la même élite ne peut pas discuter d’un autre sujet comme les OGM. Le débat est bloqué, structurellement bloqué. Ne devrait-on pas se demander alors si un paysan illettré, mais ayant des connaissances héritées de sa communauté, n’est pas mieux placé qu’un bio-ingénieur pour gérer son avenir de manière durable ?

Alain Deshayes : Pourquoi toujours vouloir maintenir les paysans des pays pauvres dans «  l’autosubsistance ». Cela me rappelle le guide de haute montagne français avec lequel j’ai fait ma première virée en Himalaya : il donnait l’impression d’une grande jouissance interne en constatant « l’authenticité » des conditions de vie de paysans népalais à plus de 3000 m ; on aurait dit que plus les conditions de vie étaient difficiles plus il « aimait » les paysans népalais et vilipendait la société moderne – et cultiver la terre à ces altitudes n’est pas une partie de plaisir et qui rapporte « très peu » en raison, en particulier, des faibles rendements des variétés végétales cultivées.

Améliorer les conditions de vie des paysans népalais passe, entre autre, par une amélioration des conditions de culture et par une augmentation de la production agricole, non seulement pour qu’ils sortent enfin de cet état de d’autosubsistance et qu’ils aient une production telle qu’ils puissent en vendre une partie, non nécessaire à la « subsistance » de la famille, et pouvoir ainsi acquérir le nécessaire pour améliorer les conditions de vie ordinaires.

Michel Sourrouille : Helena NORBERT HODGE a vécu au Ladakh, un désert de haute attitude traversé d’énormes chaînes de montagne. La vie y est rythmée par les saisons, les températures peuvent tomber jusqu’à – 40°C en hiver . La pluie est si rare qu’il est facile d’oublier jusqu’à son existence. Pourtant Helena a admiré les capacités d’adaptation des Ladakhis à la nature, elle en est venue à remettre en question le mode de vie occidental : « Quand je suis entrée pour la première fois dans ce pays, en 1975, la vie dans les villages s’inspiraient encore de principes séculaires. Le manque de ressources de la région, son climat inhospitalier, la difficulté d’y accéder, l’avaient protégé du colonialisme comme du développement.

Mais ces dernières années, des forces extérieures ont fondu sur lui comme une avalanche, provoquant des bouleversements aussi rapides que massifs. Dans une économie de subsistance, l’argent ne joue qu’un rôle mineur. Le travail n’a pas de valeur monétaire, il s’insère dans un réseau complexe de relations humaines. Mais en un jour, un touriste peut dépenser autant qu’une famille ladakhi en un an. Alors les habitants du Ladakh se sentent très pauvres. Au début de mon séjour, des enfants que je n’avais jamais vus venaient m’offrir des abricots ; aujourd’hui, de petites silhouettes affublées de vêtements occidentaux élimés accueillent les étrangers en tendant la main : « Stylo, stylo » est désormais leur mantra. Mais ce que les enfants ladakhis apprennent aujourd’hui à l’école ne leur servira à rien. Leurs manuels sont rédigés par des gens qui n’ont jamais mis les pieds au Ladakh et ignorent tout de la culture de l’orge à plus de 4000 mètres d’altitude. (in Quand le développement crée la pauvreté) » Les OGM peuvent-ils pousser à 4000 mètres d’altitude ?

Alain Deshayes : Pourquoi, toi qui pose une question à faire rire tout agronome (« Les » OGM peuvent-ils pousser à 4000 mètres d’altitude ?) tu aurais raison scientifiquement sur une question que tu ne maîtrise pas ?

La question de savoir si « un » OGM peut pousser à 4000 m, n’a pas de sens. Il n’y a pas « LES » OGM et le reste. Le génie génétique est une technique qui peut être appliquée à tout organisme vivant, microorganisme, plante ou animal. La question est donc de savoir l’intérêt qu’il pourrait exister à introduire tel ou tel gène dans un organisme qui se développe dans un environnement donné. Ceci étant posé, la priorité dans les montagnes himalayennes n’est pas de « penser » génie génétique, mais de s’interroger sur les conditions qui permettraient, compte tenu de la technicité locale, d’augmenter la production agricole globale avec les espèces  existantes. Si des besoins spécifiques sont exprimés et qui ne peuvent être satisfaits avec les techniques disponibles, il sera éventuellement envisageable de recourir à d’autres types de techniques.

Michel Sourrouille : C’est vrai, je ne suis pas généticien, je ne suis que spécialiste en sciences économiques et sociales. Mais nous parlons de développement et de besoins, me voici dans ma « spécialité ». La mondialisation des échanges, à commencer par la commercialisation des denrées agricoles, a été une aberration historique qui remonte à la théorie de Ricardo et ses prétendus avantages comparatifs entre vin du Portugal et drap en Angleterre. Avec le libre-échange, l’Angleterre a gagné sa révolution industrielle, le Portugal a perdu ; depuis les écarts de développement entre pays deviennent de plus en plus grands. Ensuite le libre-échange repose matériellement sur l’abondance des énergies fossiles. Une fraise de Californie (cinq calories de nutrition) brûle 435 calories de fuel pour arriver sur la côte Est.

La descente énergétique qui s’annonce va relocaliser les productions alimentaires. Chaque territoire devra faire de plus en plus avec ce qu’il peut lui-même produire. Le Ladakh d’autrefois était durable, le Ladakh d’aujourd’hui est déstabilisé, le Ladakh de demain sera sans doute assez semblable à celui d’autrefois.

Alain Deshayes : Ce n’est pas parce que le libéralisme, débridé depuis le début des années 80, a produit les effets que l’on observe aujourd’hui dans nos sociétés que je vais abandonner cet idéal qu’un  jour, les conditions de vie de tous les hommes et de toutes les femmes de cette planète pourront être significativement améliorées.

Hier après midi, je faisais du soutien scolaire à des « jeunes du voyage » d’un collège de la région et j’ai beaucoup pensé à ces deux paragraphes. Je pensais aussi à ces jeunes népalais rencontrés au hasard  d’une étape dans un lodge et qui étaient la fierté de leurs parents parce qu’ils savaient lire et écrire. Les retombées financières du tourisme et des trecks ont permis à un grand nombre de famille népalaise d’améliorer considérablement leurs conditions de vie quotidienne : une maison en pierre, avec tout ce que cela peut représenter en « confort » supplémentaire, l’eau courante et chaude grâce à des réservoirs situés sur le toit à côté des panneaux solaires thermiques, et aussi l’électricité avec les panneaux solaires voltaïques. Et en l’espace de trois ans nous avons pu voir que le nombre de tous ces équipements avait augmenté considérablement.

Michel Sourrouille : Le titre du livre d’Helena NORBERT HODGE est parlant : « Quand le développement crée la pauvreté ». J’ose dire qu’une certaine façon d’aller à l’école est pernicieuse, je te rappelle cette phrase d’Helena : « Ce que les enfants ladakhis apprennent aujourd’hui à l’école ne leur servira à rien. Leurs manuels sont rédigés par des gens qui n’ont jamais mis les pieds au Ladakh. »

Cela veut dire qu’il ne faut pas raisonner avec nos lunettes d’occidental, qui fait librement du tourisme mais qui contrôle les migrants dans son pays. Pourquoi avoir besoin d’une maison de pierre et du confort moderne alors que la culture népalaise savait donner la joie de vivre à son peuple. Il nous faut accepter les différences culturelles  et admettre que le mode de vie occidental n’est pas compatible avec les conditions extrêmes de climat. A chaque territoire son mode de vie, nous ne sommes plus au temps des colonies.

Alain Deshayes : Ce qui, fondamentalement, nous sépare c’est une certaine conception de la Nature et des relations que l’Homme entretient avec elle. Pour faire simple, je suis en opposition  avec les thèses de Hans Jonas…et avec celles de Rousseau. Et le texte d’Helena Norbert Hodge illustre bien cette référence au mythe du « bon sauvage » cher à Rousseau et qui est perverti par la société. Qui sont donc ces petits bourgeois qui voudraient que le « bon sauvage » soit maintenu dans sa condition « d’authentique » sauvage, ignorant lui-même qu’il est sauvage ? Il est regrettable que notre enseignement insiste autant sur Rousseau et pas assez sur l’émergence des Lumières.

Ce qui aggrave la situation en France, c’est que nous ne savons pas ce qu’est un « compromis » … Je n’accepte aucun des oukases des écologistes.

Michel Sourrouille : L’émergence des Lumières ne veut pas dire acceptation d’une technique industrielle toute puissante ! Pour en revenir aux OGM,  la déclaration de Bogève qui définissait la position du Sud en 1987, montrait que la biotechnologie est inextricablement liée à la société dont elle est issue : « Comme celle-ci est injuste, la nouvelle technologie servira plus probablement les intérêts des riches et des puissants que les besoins des pauvres. Elle accroîtra probablement les inégalités au sein de la population paysanne, aggravera l’érosion de l’érosion génétique, minera les écosystèmes, accroîtra la dépendance des paysans et la concentration du pouvoir de l’industrie agroalimentaire internationale. (Hervé Kempf in La guerre secrète des OGM)  » Est-ce un oukase que de constater cela ?

Alain, tu es généticien et membre fondateur de l’AFBV (Association des Biotechnologies végétales). Les membres de cette association sont pour la plupart liés à des firmes comme Monsanto, Rhône Poulenc ou Nestlé… autant dire que l’on est en plein conflits d’intérêts. Je crois que tu es au-delà de cette compromission, mais comment échapper à une auto-intoxication induite par sa propre spécialisation ? On peut être trompé par soi-même, et il est alors difficile de s’en apercevoir.

Alain Deshayes : Là tu m’irrites profondément. L’AFBV regroupe des personnes  d’origines diverses, et, parce qu’il s’agit de « technologie », donc d’application et donc d’industrialisation, un certain nombre d’entre elles viennent de l’industrie. Est-ce pour autant que toutes ces personnes défendent des intérêts ? Est-ce pour autant qu’elles pensent toutes de la même façon ? Est-ce pour autant qu’il n’y a pas débat entre elles ? Est-ce pour autant que toutes ces personnes sont incapables de réflexion sur notre société? L’AFBV est l’expression du raz le bol vis à vis des politiques scientifiques et technologiques qui conduisent à marginaliser dans certains domaines notre pays, et l’Europe.

Michel Sourrouille : Esprit d’animosité de ta part ? Non, je te connais, tu sais aussi affirmer : « Ne recommençons surtout pas les erreurs que nous avons commises avec le nucléaire. Ne ratons pas, cette fois-ci, le dialogue science-société. (Hervé Kempf in La guerre secrète des OGM p.103)  » Mais il te faut reconnaître que l’AFBV est une machine de guerre contre ses opposants.

Alain Deshayes : Pas une machine de guerre, une machine à rectifier  les approximations et les mensonges de certains, mais aussi un outil pour promouvoir les biotechnologies végétales.

Michel Sourrouille : l’outil de promotion risque d’étouffer la recherche de la vérité ; à plusieurs reprises l’AFBV avait cherché à jeter le discrédit sur les travaux de G.E. Séralini… Le tribunal de Paris a condamné l’AFBV le 18 janvier 2011.

Alain Deshayes : C’est une manière de voir ! Nos accusations  à l’égard de GES ne sont nullement condamnées: le seul des 8 termes de la plainte de GES qui a été retenu comme diffamatoire  contre l’AFBV est celui qui concerne l’accusation de dépendance à l’égard de Greenpeace! Et donc aucune de  nos critiques sur les travaux de GES n’ont été retenues contre nous.

Michel Sourrouille : Cherchons le compromis, nous sommes tous écologistes. En effet, nous devons veiller collectivement à la bonne marche de notre maison commune, la Terre. Quel est le compromis qui pourrait nous rassembler autour de cet objectif de bonne gestion ? Il faudrait savoir déterminer ensemble les limites de la science appliquée, car toutes les techniques ne favorisent pas une société harmonieuse.

Par exemple la recherche OGM en milieu fermé peut ouvrir des perspectives. Tu avais reconnu que « rien n’a été fait en matière de risque de dissémination. Les industriels ne voulaient pas le faire, et la recherche publique n’y a pas vu d’intérêt suffisant » (Hervé Kempf in La guerre secrète des OGM p.96). Pourtant l’AFBV a demandé récemment aux pouvoirs publics de permettre l’expérimentation aux champs.

Alain Deshayes : Oui, bien sûr, et cela n’est en rien contradictoires avec la phrase que tu cites. A force de ne reprendre que « des fragments  de fragments » de mes déclarations, cela fini pas être tellement tronqué que cela n’a plus de sens. Pendant tout le temps où j’ai été responsable des biotechnologies à l’INRA, cela a été mon principal problème avec les journalistes.

Michel Sourrouille : Bien entendu le texte final de notre échange te sera soumis pour validation. Il n’empêche que l’AFBV développe diverses actions pour contribuer à faire accepter (toutes) les applications des biotechnologies végétales

Alain Deshayes : « Toutes », oui, bien sûr.

Michel Sourrouille :  L’AFBV est donc un lobby, il défend des intérêts particuliers. Quel compromis est-il possible avec les puissances financières ? Aucun, à l’heure actuelle. Mais la marginalisation de la recherche me semble un mouvement inéluctable. La recherche de pointe dans tous les domaines ne va plus avoir les moyens de ses ambitions : les endettements massifs des Etats vont automatiquement réduire les crédits.

Alain Deshayes : Voilà qui a le mérite d’être clair……et qui est bien éloigné d’un débat sur les risques liés à telle ou telle technologie. Ce que nous savions!  Mais autant le dire franchement : il s’agit bien d’une opposition aux sciences.

Michel Sourrouille : La science n’est plus une entité autonome, elle a besoin de laboratoires, d’ordinateurs, de chercheurs super-diplômés, d’un financement, elle est complètement dépendante du contexte social. Que la recherche soit financée par les grandes entreprises n’est pas un gage d’indépendance en soi, au contraire. Notre société devrait délibérer. L’industrialisation de l’agriculture est-elle un objectif durable ? La recherche permanente de la compétitivité internationale est-elle source de bonheur ? L’uniformisation des cultures agricoles permettra-t-elle d’éradiquer la famine ? L’uniformisation des cultures au sens sociologique permet-elle un monde meilleur ? Au cours de nos échanges, j’ai pu me poser toutes ces questions et je t’en remercie.

Alain Deshayes : Tes arguments sur le procès Séralini et ta position de fond sur la recherche montrent bien tous tes a priori idéologiques qui ne supportent aucun compromis. Ceci étant, je ne considère pas comme négatifs les échanges que nous avons eu.

 

dialogue avec un partisan des OGM, membre de l’AFBV Lire la suite »

Lilian Thuram, entre racisme et spécisme

« Nous avons été conditionné de génération en génération à des croyances sans fondements. » Bien vu. « Il y a beaucoup d’idées fausses et quotidiennes. » Exact. «  Il faut se mettre à distance pour mieux comprendre ce conditionnement, se décentrer.  » Admirable. «  On laisse croire aux femmes qu’elles sont inférieures. Le sexisme est le début de tous les préjugés, la matrice de tous les autres régimes d’inégalités. L’honnêteté est de s’avouer à soi-même ses propres préjugés, les dépasser en les comprenant. » Lilian Thuram* parle bien. Le racisme est infondé en nature. Cette avancée conceptuelle est un des rares acquis de l’Occident qui a enfin compris que le Noir n’était pas le chaînon manquant entre l’homme blanc et le singe. Mais Lilian Thuram serait-il capable d’aller jusqu’au bout de son raisonnement pour abandonner les croyances sans fondements.

Ne devons-nous pas renoncer à ce que Peter Singer appelle le «spécisme» (par analogie avec racisme et sexisme), c’est-à-dire à la préférence absolue accordée aux membres de notre propre espèce, et reconnaître que les autres êtres vivants ont des droits que ne respectent ni nos jeux du cirque ni nos pratiques alimentaires ? Toute réflexion sérieuse sur l’environnement a pour centre le problème de la valeur intrinsèque. Une chose à une valeur intrinsèque si elle est bonne ou désirable en soi, par contraste avec la valeur instrumentale qui caractérise toute chose considérée en tant que moyen pour une fin différente d’elle. Le bonheur a une valeur intrinsèque, l’argent n’a qu’une valeur instrumentale. Une éthique fondée sur les intérêts des créatures sensibles repose sur un terrain familier. Voyons ce qu’il en est pour une éthique qui s’étend au-delà des êtres sensibles. Pourquoi ne pas considérer l’épanouissement d’un arbre comme bon en lui-même, indépendamment de l’usage que peuvent en faire l’espèce humaine ? Entre abattre un arbre centenaire et détruire une vie humaine, n’y a-t-il pas une correspondance intime ?

La défense la plus célèbre d’une éthique étendant ses limites à tous les êtres vivants a été formulée par Albert Schweitzer : « La vraie philosophie doit avoir comme point de départ la conviction la plus immédiate de la conscience, à savoir Je suis une vie qui veut vivre, entouré de vie qui veut vivre. L’éthique consiste donc à me faire éprouver par moi-même la nécessité d’apporter le même respect de la vie à tout le vouloir-vivre qui m’entoure autant qu’au mien. C’est là le principe fondamental de la morale qui doit s’imposer nécessairement à la pensée. Un homme réellement moral n’arrache pas étourdiment des feuilles aux arbres ni des fleurs à leur tige, il fait attention à ne pas écraser inutilement des insectes et n’endommage pas les cristaux de glace qui miroitent au soleil. »

* LE MONDE du 29 novembre 2011 : Lilian Thuram, « le racisme, un conditionnement »

Questions d’éthique pratique de Peter Singer (1993, édition Bayard – 1997)

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biocides : la revanche du vivant

L’espèce humaine attaque le vivant, les autres formes de vie  se défendent. Deux articles du MONDE en témoignent. Non seulement les agents pathogènes résistent aux antibiotiques (tueurs de bactéries)*, mais les adventices (« mauvaises herbes ») résistent aussi aux  herbicides**. Dès 1962, Rachel Carson*** nous avait avertis à propos du DDT : « Vouloir “contrôler la nature” est une arrogante prétention, née des insuffisances d’une biologie et d’une philosophie qui en sont encore à l’âge de Neandertal (…) Le tir de barrage chimique, arme aussi primitive que le gourdin de l’homme des cavernes, s’abat sur la trame de la vie, sur ce tissu si fragile et si délicat en un sens, mais aussi d’une élasticité et d’une résistance si admirables, capables même de renvoyer la balle de la manière la plus inattendue (…) La démarche de pulvérisation (de DDT) semble nous entraîner dans une spirale sans fin. Les insectes, en effet, dans une splendide confirmation de la théorie darwinienne de la “survie du plus adapté”, ont évolué vers des super-races immunisées contre l’insecticide utilisé ; il faut donc toujours en trouver un nouveau, encore plus meurtrier. » Rachel Carson n’a pas été écoutée. Pourquoi ? Rachel Carson donnait déjà la bonne explication il y a cinquante ans :

« Les grandes sociétés de produits chimiques subventionnent abondamment les recherches sur les insecticides dans les universités ; il en résulte des bourses agréables pour les étudiants, et des postes intéressants dans les laboratoires. Personne, au contraire, ne fournit d’argent pour améliorer des méthodes biologiques qui n’offrent pas les fortunes promises par l’industrie chimique. Ceci explique pourquoi, contre toute attente, certains entomologistes se font les avocats des méthodes chimiques ; une rapide enquête permet en général de constater que la poursuite de leurs recherches dépend de la générosité des sociétés de produits chimiques. Nous ne pouvons espérer les voir mordre la main qui les nourrit. » Ce raisonnement vaut autant pour les entomologistes que pour les bioingénieurs qui défendent les OGM ou même les syndicats dans le nucléaire qui défendent leur réacteur dernière génération. Nous sommes victimes de l’impérialisme de la technoscience qui manipule depuis des années les travailleurs et les politiques. Le système actuel est un pari faustien, nous sommes gagnants à court terme, au prix d’une tragédie à long terme.

En 2010, les infections d’origine alimentaire ont touché 48 millions d’Américains, entraînant 128 hospitalisations et quelque 3000 décès. La grande herbe à poux s’est cuirassée à l’action du Roundup et environ 200 adventices ont développé ces dernières années des résistances  à toutes sorte d’herbicides. Concluons avec Rachel Carson, la pionnière de l’écologie scientifique et politique : « Nous voici maintenant à la croisée des chemins. Deux routes s’offrent à nous, mais elles ne sont pas également belles. Celle qui prolonge la voie que nous avons déjà trop longtemps suivie est facile, c’est une autoroute, où toutes les vitesses sont permises, mais qui mène droit au désastre. L’autre, le chemin le moins battu, nous offre notre unique chance d’atteindre une destination qui garantit la préservation de notre terre. »

* LE MONDE du 18 novembre 2011, Les animaux d’élevage malades des antibiotiques.

** LE MONDE du 18 novembre 2011, Les avantages lié aux végétaux tolérants aux herbicides ne sont pas pérennes.

*** Le Printemps silencieux de Rachel Carson (Wildproject, édition française 2009)

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Anthropocène, anthropocentrisme, anthropisation… extinction des espèces

Plus d’un oiseau sur huit, plus d’un mammifère sur cinq, plus d’une espèce de conifère sur quatre, un amphibien sur trois sont menacés d’extinction… dans l’indifférence générale. Pourquoi ? La Liste rouge de l’UICN* ne donne lieu qu’à 2/3 de page sur LE MONDE**. Pourtant dans le même numéro, le contre-budget de la gauche prend une page entière et une vague affaire de 1997 presque une page. LE MONDE est orienté surtout vers l’événementiel des petites affaires humaines, pas sur les débats de fond. Ainsi va la vie, humain, trop humain ! Il n’y a que le nombril de l’Homme qui intéresse. Dans l’article du MONDE, « la biodiversité est considérée comme une ressource essentielle… pour l’humanité » ! L’évaluation exhaustive de conifères « n’est qu’un premier pas dans le recensement des dangers qui guettent le règne végétal… et donc l’humanité » !

Nommons le responsable de cette tuerie de la biodiversité : c’est l’homme. Responsable et coupable. Si son espèce disparaît, il l’aura bien cherché ! LE MONDE aurait du montrer que l’extinction des espèces n’est qu’une partie du tout, et que l’existence de l’espèce humaine n’est qu’une toute petite partie de cette partie. L’hypothèse d’une hiérarchie au sein du Vivant est induite par l’erreur de croire que l’évolution va du plus simple au plus sophistiqué, de l’inférieur forcément stupide au supérieur doué d’une intelligence donnant prérogative à tous les pouvoirs. L’évolution se fait dans tous les sens et ne poursuit aucun objectif, si ce n’est la prolongation de la vie sur Terre. L’évolution ne conduit certainement pas de la bactérie à l’homme, mâle et Blanc de préférence. Notre espèce n’est qu’un support de l’ADN qui nous précède et qui nous survivra. Tant que nous ne manifesterons pas un profond respect pour la biosphère en particulier et notre planète en général, nous ne deviendrons pas grand chose, nous resterons un prédateur parmi d’autres prédateurs, le plus féroce des prédateurs, l’artisan tout puissant de l’anthropocène.

Pour être au plus profond de notre humanité, redonner d’une manière ou d’une autre à la biosphère ce que nous lui avons pris semble une évidence. Pour enrayer la sixième extinction des espèces, il nous faut condamner notre anthropocentrisme et l’anthropisation des territoires qui va avec. Les autres formes de vie ont, elles-aussi, besoin de conserver leur niches écologiques….

* UICN, Union internationale pour la protection de la nature.

**  LE MONDE du 11 novembre 2011, Plus d’une espèce de conifères sur quatre est menacée dans le monde.

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des HOLOTHURIES menacées

Plus d’un mammifère sur cinq, plus d’un oiseau sur huit, un amphibien sur trois sont menacés d’extinction. Voici un exemple, en provenance de nos correspondants* aux Comores :

«  Après une surexploitation des ressources naturelles (holothuries, ailerons de requins, tortues terrestres, etc.) à Madagascar, les trafiquants déguisés en chercheurs, touristes ou investisseurs se sont tournés vers les Comores. A Anjouan, des constats alarmants ont été faits sur le trafique illicite des holothuries ou concombres de mer appelés localement Chpapa Kojo.

Des exploitants chinois des holothuries – Holothuria scabra, Holothuria nobilis, Actinopyga miliaris –, ont opté pour une stratégie d’exploitation non durable qui conduira à la raréfaction, voire la disparition des espèces d’holothuries. Le moyen le plus efficace pour les exploitants est de passer un traité avec quelques pêcheurs anjouanais qui leur livrent la marchandise. Devant le refus catégorique de la communauté villageoise de Bimbini de céder à l’exploitation irrationnelle de sa ressource marine, les Chinois ont poursuivi leur activité de capture des holothuries sous la complicité des hommes du ministère, de commissariat chargé à l’environnement et de la gendarmerie. Ils ont su établir et étalé un réseau de corruption dans le pays. Des stocks  d’holothuries passent jusqu’à présent dans les mailles de service des douanes. Un fait marquant, lors d’un braconnage dans la réserve marine de Bimbini, leur matériel a été perquisitionné par les villageois le 26 juillet 2011. Le deuxième jour, quelques éléments de la gendarmerie sont intervenus au village pour chercher le matériel et le restituteur aux trafiquants chinois. Tout cela se fait en violation des conventions internationales (CITES, Diversité Biologique, Ramsar, etc.) et des lois locales. Le marché est lucratif pour ceux qui tirent la ficelle des exploitants d’holothuries mais le bien-être des générations futures est mis en jeu au profit des intérêts personnels.

Bref, en l’état actuel des choses, le gouvernement comorien reste impuissant. La mer reste la seule source d’espoir pour le développement économique du pays ; il est regrettable que ses ressources soient exploitées sans être valorisées et sans que les communautés locales en bénéficient. Seule une implication des institutions scientifiques dans les décisions politiques peut renverser ces tendances de contre-nature. »

* Nourddine MIRHANI1, Zamil M. MAANFOU2, Zakaria M. GOU3 et Anli MOHAMED4

1-Laboratoire ESO-Angers et LEESA, UMR du CNRS, EDGESTE – Univ. Angers et Univ. Toliara

2- PMF/PNUD/FEM- Projet de Renforcement de la conservation de la biodiversité de la mangrove de Bimbini

3- Direction Générale de l’Environnement et Forêts, Ile Autonome d’Anjouan

4- Projet Institut Français pour la Biodiversité, Lac Alaotra M/car – Mohéli, Univ. Antananarivo

pour les contacter, nourddine_mirhani@yahoo.fr

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LE MONDE complice de Bill Gates complice de Monsanto

LE MONDE donne une page entière* à Bill Gates, et Bill Gates soutient Monsanto. Dans l’interview de Bill Gates, il s’agit apparemment d’aide à l’agriculture en permettant d’acheter de « meilleures semences ». Quelles semences ? En fait, 30 % du fonds de développement agricole de la Fondation Gates a servi en 2008 à la promotion et au développement des variétés de semences OGM. En 2010, sa fondation a investi 23 millions de dollars dans l’achat de 500 000 actions de Monsanto. Cette acquisition, aussitôt dénoncée par le mouvement des paysans Via Campesina, montre que Bill Gates n’est pas un véritable philanthrope, mais un simple pion au service des multinationales semencières. Il n’est pas difficile de faire croire aux gens riches aux vertus du progrès par les technosciences. Or les OGM ne permettent pas de lutter contre la faim dans le monde, cela déstructure au contraire l’agriculture vivrière.

Bill Gates prône aussi la révolution « doublement verte ». Or sa Fondation a engagé en 2006 une collaboration avec la Fondation Rockfeller, « fondation caritative » privée initiatrice de la première révolution verte (semences « à haut rendement ») qui a été un échec socio-économique. Aujourd’hui la Fondation Rockfeller est un fervent promoteur des OGM à destination des populations pauvres. La collusion entre ces deux fondations « humanistes » s’intitule l’Alliance for a green revolution in Africa (Agra), qui est donc en train d’ouvrir le continent aux semences OGM et aux produits chimiques vendus par Monsanto, DuPont et Dygenta. La philanthropie au service des intérêts privés !

Bill Gates dit financer les recherches d’un « maïs résistant à la sécheresse » ; « 2 millions de paysans en bénéficient déjà ». Mais c’est là aussi un projet Monsanto. Il y a privatisation grâce à des « fondations » des politiques alimentaires. Satisfaire des actionnaires semble bien être le motif secret pour s’ingérer dans la santé et le bien-être de la planète et de ses habitants afin de faire du profit. Qu’un journal de référence comme LE MONDE marche dans cette combine montre le peu de recul que ce quotidien exerce à l’égard des intérêts économiques des multinationales !

* LE MONDE du 2 novembre 2011, Bill Gates : « l’agriculture pour réduire la pauvreté »

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fauchage des OGM, obscurantisme ou démocratie ?

Le jugement des faucheurs volontaires d’OGM est mis en délibéré à Colmar *. Acte anti-démocratique ? Acte de désobéissance civile ? Obscurantisme ? Condamnation d’une recherche devenue folle ? Voici quelques précisions pour étayer notre opinion :

Jusqu’en 1990, aucune association, aucune personnalité politique, n’entreprend en France de mettre la question des biotechnologies. La France devint terre d’élection des essais d’OGM. Le rapporteur de la loi de juillet 1992, Daniel Chevallier, introduit un amendement exigeant une procédure d’information préalable du public avant autorisation d’un essai en plein champ. Cette proposition se heurte au refus du ministère de la Recherche qui estime qu’il ne faut pas « céder aux sirènes d’une pseudo-démocratie qui consiste à faire participer à la discussion sur les dangers potentiels d’une manipulation génétique des représentants d’associations qui n’auraient pas la capacité d’appréhender la nature même de cette manipulation. » Voté en première lecture avec l’amendement, la loi est votée en seconde lecture sans information du public à cause de l’action d’Axel Kahn, du lobbying des chercheurs en biologie moléculaire et des entreprises privées. Antoine Waechter, alors porte-parole des Verts, estime même que « beaucoup de manipulations génétiques sont inoffensives ». La première conférence de citoyens sur les OGM est cependant organisée en juin 1998. Son avis final juge « indispensable de développer la recherche liée au risque écologique avant de développer la diffusion des OGM ».

C’est en 1999 que la situation bascule. Alors qu’en 1998 étaient en place 1100 essais OGM, cinq ans plus tard on n’en comptait plus que 48, dont plus de la moitié furent détruits. En 2008, les 9 essais que les semenciers s’étaient risqués à mettre en place furent tous détruits. A la différence des autres pays d’Europe, la destruction s’est faite en France en groupe et à visage découvert, sur un mode d’action inspiré du répertoire gandhien de désobéissance civile. Le Parti socialiste finit en mai 2004 (non sans tensions internes) par se déclarer « contre les essais transgénique menés en plein champ, compte tenu des incertitudes et des risques de dommages irréversibles pour l’homme et pour l’environnement ».

Le débat OGM passe d’un cadrage-risques, qui impliquait une prééminence de la parole des experts scientifiques, vers un cadrage socio-économique. L’avenir des paysanneries du Nord et du Sud, l’existence du droit des peuples à choisir leur alimentation, les dangers de l’appropriation du vivant (brevets) par quelques firmes globales guidées par la quête du profit, la concentration du secteur semencier… tous ces arguments sont mis en avant. Le paysan accède à une parole plus légitime que celle des scientifiques. On comptait près de 8000 « faucheurs volontaires » en 2007. Les médias et l’opinion réagissent positivement à ces actions de destruction. L’action non-violente reçoit un bon accueil car elle respecte les personnes. Si elle s’attaque aux biens d’autrui, ce n’est que parce que son usage est devenu un danger public. La désobéissance civile est la respiration de la démocratie…

Source : Les luddites en France (Editions L’Echappée, 2010)

* LE MONDE du 2-3 octobre 2011, Les « faucheurs » de Colmar risquent la prison avec sursis

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nature et sexualités : le débat sur le genre humain

Il y a les lois de la nature et il y a les lois humaines. Malheureusement les deux ne font pas souvent bon ménage à l’heure actuelle. Prenons la sexualité. Rien de plus simple pour la biologie, un homme, une femme, la reproduction. Mais le nouveau programme scolaire de sciences de la vie et de la Terre (SVT)* fait appel à la sociologie. Applicable à la rentrée de septembre 2011 dans les classes de première des séries L et ES, ce sera « l’occasion d’affirmer que si l’identité sexuelle et les rôles sexuels dans la société avec leurs stéréotypes appartiennent à la sphère publique, l’orientation sexuelle fait partie, elle, de la sphère privée ». Pas de quoi fouetter un chat ! Pourtant 80 députés de la majorité ont demandé mardi 30 août à Luc Chatel le retrait de nouveaux manuels scolaires élaborés dans la foulée des programmes**. Les parlementaires ciblent particulièrement un passage d’un manuel (Hachette) selon lequel « le sexe biologique nous identifie mâle ou femelle mais ce n’est pas pour autant que nous pouvons nous qualifier de masculin ou de féminin » , l’identité sexuelle étant « construite tout au long de notre vie, dans une interaction constante entre le biologique et le contexte socioculturel ». Les parlementaires ont tort, ils ne sont que d’affreux réac ignorant l’évolution de nos connaissances sur les interactions biologiques et sociales.

Les professeurs de sciences économiques et sociales (SES) enseignent les interactions dès la seconde. On apprend qu’on ne naît pas femme, on le devient (Simone de Beauvoir). On apprend que l’amour maternel n’est pas un instinct (Elisabeth Badinter). On apprend que dans le mariage, qui se ressemble s’assemble… Dans le nouveau programme***, il s’agit plus généralement d’expliquer comment nous devenons des acteurs sociaux et comment expliquer les différences de pratiques culturelles. Un extrait du livre de Simone de Beauvoir, Le deuxième sexe (1949), peut même être lu avec profit par les parlementaires de droite  : « Aucun destin biologique, psychique, économique, ne définit la figure que revêt au sein de la société la femlle humaine ; c’est l’ensemble de la civilisation qui élabore ce produit intermédiaire entre le mâle et le castrat qu’on qualifie de féminin. Seule la médiation d’autrui peut constituer un individu comme un Autre » (Hatier 2010 p.143)

Nos jeunes savent déjà qu’il y a des hétérosexuels, des homosexuels, des bisexuels, des transsexuels et même des travestis. Ils n’en font pas un drame. Les propos de Bernard Accoyer, le président UMP de l’Assemblée nationale, ne peuvent que les perturber : « Il faut rester sur les vérités scientifiques et se garder lorsqu’on est dans des livres de sciences de dériver sur des questions de société ». Oui, monsieur Accoyer, la sociologie est aussi une science, comme l’éthologie et l’ethnologie. Pour que nos enfants s’y retrouvent dans la vie, il ne faut plus séparer les sciences de la nature et les sciences de l’homme car tout est interdépendance. Les sciences de la Vie et de la Terre et les sciences économiques et sociales doivent marcher la main dans la main, comme un couple durable qui sait comment harmoniser le masculin et le féminin…

* texte publié au Journal officiel le 28 août 2010

** Le MONDE du 1er septembre 2011, Contre la « théorie du genre » au lycée, l’UMP se mobilise

*** BO du 29 avril 2010

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la chrysomèle, plus forte que Monsanto

En 1962, Rachel Carson écrivait : « Le tir de barrage chimique, arme aussi primitive que le gourdin de l’homme des cavernes, s’abat sur la trame de la vie, sur ce tissu si fragile et si délicat en un sens, mais aussi d’une élasticité et d’une résistance si admirables, capables même de renvoyer la balle de la manière la plus inattendue. »

Aujourd’hui la chrysomèle du maïs, Diabrotica virgifera, a donné raison à Rachel Carson. Les agriculteurs américains avaient vu l’efficacité des insecticides diminuer au fil des ans. Ils croyaient avoir trouvé la parade ultime avec un OGM capable de produire lui-même une toxine grâce à un gène transplanté d’une bactérie, Bacillus thuringiensis. Ce maïs Bt, mis en culture en 2003, a dû à son tour plier devant l’inventivité de Diabrotica : « La présence de chrysomèles capables de prospérer dans des champs transgéniques a été mise en évidence, pour la première fois, dans des parcelles de l’état de l’Iowa, en 2009. On a constaté que cette capacité à survivre était « non récessive » : il suffit d’une seule copie du gène de résistance, hérité d’un des parents (et non des deux), pour que ce caractère s’exprime. La nouvelle vient seulement d’être rendue publique, dans la revue PLoS One… »*.

Nous sommes en accord avec la conclusion de Rachel Carson : « Nous avons à résoudre un problème de coexistence avec les autres créatures peuplant notre planète. Nous avons affaire à la vie, à des populations de créatures animées, qui possèdent leur individualité, leurs réactions, leur expansion et leur déclin. Nous ne pouvons espérer trouver un modus vivendi raisonnable avec les hordes d’insectes que si nous prenons en considération toutes ces forces vitales, et cherchons à les guider prudemment dans les directions qui nous sont favorables. La mode actuelle, celle des poisons, néglige totalement ces considérations fondamentales. Ces extraordinaires possibilités de la substance vivante sont ignorées par les partisans de l’offensive chimique, qui abordent leur travail sans aucune largeur de vues, sans le respect dû aux forces puissantes avec lesquelles ils prétendent jouer.Vouloir « contrôler la nature » est une arrogante prétention, née des insuffisances d’une biologie et d’une philosophie qui en sont encore à l’âge de Neandertal ». (in Le printemps silencieux)

* LE MONDE du 1er septembre 2011, article d’Hervé Morin

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la place des non-humains

Superbe. Deux pages entières dans LeMonde * pour les non-humains. Il faudrait donc faire une place aux non-humains, mais quelle place ? Disons tout de suite que nous n’avons rien compris aux analyses sur les différents livres récemment parus sur la question, comme l’ouvrage « Humains, non-humains » ou « Ce à quoi nous tenons ». Seul surnage cette question : « Emmanuel Kant définissait l’homme comme le seigneur de la nature ; pour lui, les êtres dénués de raison n’avaient aucune valeur. Cette tradition de pensée est responsable de tous nos malheurs écologiques. Pourquoi ? » Pourquoi ? Parce que le roi est devenu fou**.

                « Ce qu’on appelle la crise de l’environnement est tout simplement le résultat d’une violation sans cesse aggravée des lois de l’écologie, fondées sur l’interdépendance des êtres vivants entre eux et avec leur milieu physique, c’est-à-dire sur la notion d’équilibres naturels. Un rapide coup d’œil sur les étapes de la situation de l’homme au sein de la biosphère, face aux autres éléments de la communauté biologique, peut aider à prendre une vue d’ensemble. Dans une première phase, l’homme reste un prédateur parmi d’autres, occupant une modeste place dans sa biocénose originelle ; ses prélèvements sur le milieu demeurent comparables à ceux des autres parties prenantes : le lion, le guépard, les autres singes. Mais avec le perfectionnement de ses techniques d’acquisition, avec le biface, la flèche, le feu, son efficacité s’accroît sensiblement. Avec la révolution néolithique apparaît l’animal domestique, la céréale cultivée, la poterie, la ville, le palais, le temple, la boutique, l’entrepôt, la caserne, le bordel et la prison : la civilisation est en marche. Le processus de déséquilibre entre le potentiel de destruction de l’homme et les capacités de récupération du milieu naturel est dès lors engagé : il mènera tout droit à la bombe atomique et aux autres merveilles que nous prépare une technologie emballée, devenue une fin en soi et médiocrement soucieuse, jusqu’ici, de ce qui devrait tout de même compter : l’homme. Une idéologie belliqueuse et orgueilleuse, la mythologie d’un « roi de la création » chargé de conquérir, de dominer, sans souci des droits des autres êtres vivants, devaient nous permettre de ravager la planète en toute bonne conscience. Et d’autant plus facilement que la religion du profit allait rendre licite n’importe quel méfait du moment que l’assurance d’un gain venait l’absoudre, voire le sanctifier. »

Constatons enfin qu’on agite dans LeMonde l’épouvantail de l’écologie profonde : « Le propos d’Emilie Hache est de se dégager de la deep ecology », « Vous (Stéphane Ferret) refusez les thèses de l’écologie dite profonde ». Les poncifs faux et éculés sur l’écologie profonde font encore  florès même parmi ceux qui se disent spécialistes des non-humains. Pour redonner sa vraie place à l’homme, c’est-à-dire un simple élément parmi l’ensemble des animaux et des plantes, il faudra d’abord nous rendre compte que les humains sont devenus fous et qu’il nous faut nous soigner.

* LeMonde des livres, 4 février 2011, Faire une place aux non-humains.

** le paragraphe suivant a été écrit par Théodore Monod dans le hors série du Nouvel observateur (juin juillet 1972), La dernière chance de la terre.

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Monsanto et la prophétie de Rachel Carson

En 1962, Rachel Carson* montrait que le DDT n’avait pas d’avenir. Aujourd’hui, c’est le Roundup de Monsanto qui lui donne raison. Rachel Carson écrivait : « Le tir de barrage chimique, arme aussi primitive que le gourdin de l’homme des cavernes, s’abat sur la trame de la vie, sur ce tissu si fragile et si délicat en un sens, mais aussi d’une élasticité et d’une résistance si admirables, capables même de renvoyer la balle de la manière la plus inattendue. Ces extraordinaires possibilités de la substance vivante sont ignorées par les partisans de l’offensive chimique, qui abordent leur travail sans aucune largeur de vues, sans le respect dû aux forces puissantes avec lesquelles ils prétendent jouer. Vouloir « contrôler la nature » est une arrogante prétention, née des insuffisances d’une biologie et d’une philosophie qui en sont encore à l’âge de Neandertal, où l’on pouvait encore croire la nature destinée à satisfaire le bon plaisir de l’homme. »

                Aujourd’hui dans l’Arkansas**, les fermiers les plus modernes du monde doivent revenir à des outils d’un autre âge, la houe et la pelle, pour déloger l’amarante de Palmer qui envahit leurs champs. Il arrive que ses racines cassent des moissonneuses. La plante peut pousser de 5 centimètres par jour et atteindre deux mètres de haut, chaque femelle contient 250 000 graines. A bout de quinze ans d’usage intensif et exclusif du glyphosate (Roundup), une dizaine de « mauvaises » herbes sont devenues résistantes au produit, dont l’amarante de Palmer. Le mécanisme de la sélection naturelle a joué. La firme Monsanto perd le contrôle du monstre qu’elle a créé avec les transgéniques résistants aux insecticides, ses créatures de laboratoire font face à des mutants naturels.

                Mère nature n’en a fait qu’à sa tête ? Non, elle se défend comme elle peut contre la folie des humains, viol de la barrière des espèces, monoculture, empoisonnement des sols…

* Le Printemps silencieux de Rachel Carson (1962)

** La mauvaise graine de Monsanto (LeMonde du 19 octobre 2010)

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