Tikopia, un exemple démographique… à ne pas suivre !
Michel Tarrier : « Il existe un modèle de « la possibilité d’une île », dont l’exemplarité est rapportée par Jared Diamond, dans son livre Effondrement. C’est Tikopia qui ne se situe pas pour autant en Utopia ! Sur cette île mélanésienne des Salomon, perdue dans le Pacifique, une conscience écologique aiguë semble chevillée au mode d’existence et le millier d’habitants vivant parcimonieusement sur 5 petits km2 est stable depuis 3.000 ans ! Mariage tardif, utilisation de plantes contraceptives et abortives, recours aléatoire à l’infanticide, définissent une vraie politique de régulation démographique se superposant aux limites extrêmes des ressources locales. Les arbres, pour la plupart productifs, y sont sacrés. La surpêche fut évitée en limitant la consommation de poissons. Jugés trop coûteux en ressources, des porcs introduits furent sciemment éradiqués. On y observe aucune disparité sociale, les chefs coutumiers ne jouissent d’aucun privilège et partagent pour l’essentiel le sort commun. Libre à nos gouvernants de nous indiquer la voie à suivre pour que l’avenir de l’île Terre soit sur le modèle borné de Rapanui ou des Tuvalu, ou sur celui avisé et futurible de Tikopia. Libre à nous de vivre en toute myopie écologique, en peuplant à l’excès le globe, avec une empreinte démesurée et en complète inadéquation avec des ressources dont la finitude est une évidence. »
Théophile de Giraud : « On a trop souvent brandi l’atroce exemple de Tikopia comme modèle de « gestion durable », ce dont je m’offusque vertement car cette île (sur laquelle je ne mettrai jamais les pieds, car avec une densité de population de 240 habitants au km2 – l’insupportable moyenne planétaire n’étant « que » de 45 – je risque d’être assiégé de spasmes agoraphobiques, sinon de pulsions homicides) est à vrai dire complètement anthropisée par des millénaires d’exploitation, sertie d’une biodioversité mammiférine frisant le zéro, et ce malgré des siècles de guerres, de famines cycliques, d’émigration et d’infanticides afin de réguler vaille que vaille la prolifération d’individus qui n’ont dû leur survie qu’à la surabondance des ressources halieutiques et végétales d’un climat tropical (le « modèle » Tikopia n’est décidément pas exportable au Népal) et n’ont même pas réussi à partager leur espace vital avec quelques timides cochons… Importées comme nourriture au XII° siècle, les pauvres bêtes furent exterminées au XVI° car consommant trop de calories par rapport à leur viandesque rentabilité. Voilà qui me rappelle les préoccupations post-modernes visant à transformer le singe omnivore que nous sommes en végétarien forcé, ou en insectivore au dégoût dûment déconditionné. Pour en revenir à nos ignames, on sent qu’un sanglier sauvage, une girafe en fringale ou une tribu de bonobos demandant l’asile politique pour échapper à l’extinction qui les menace en Afrique n’ont pas du tout leur place sur Tikopia, ce chiffon de volcan criblé de fertiles homo sapiens veillant jalousement sur leur garde-manger. Bref, Tikopia est peuplée d’humains et de plantes vivrières : cela me semble maigre, et nullement compatible avec l’idée qu’il conviendrait de se faire, sans fascisme anthropocentrique, de la biodiversité. Pour le dire autrement, Tikopia est effroyablement surpollupeuplée (à densité égale, la Terre compterait 37 milliards de prédateurs humains !), et ce malgré le mode de vie plutôt austère de ses habitants qui préfèrent toujours, fort sagement du reste, le pagne à la cravate, et le taro à la moto.
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