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Vivre sans pétrole, l’enjeu du XXIe siècle
« L’économie mondiale ne croîtra pas éternellement. Mais elle ne s’arrêtera que lorsque l’économie de Thomas Malthus écrasera l’économie de Joseph Schumpeter – autrement dit lorsque les contraintes de ressources surpasseront l’innovation. » (Martin Wolf, Financial Times)
Les politiques s’intéressent marginalement au réchauffement climatique et pas du tout au pic pétrolier. Pourtant les quantités de pétrole commencent à plafonner au niveau de la production mondiale. C’est le début de la fin, ce que nous pouvons appeler la Crise Ultime, la Longue Catastrophe ou Pétrole-apocalypse. Des livres nous avertissent, des blogs nous interpellent… personne ou presque ne réagit ! Pire, le prix du baril est descendu à 27 dollars en février 2016 alors qu’il avait presque atteint 150 dollars en 2010. Notre réveil sera brutal, c’est ce que disait le livre prémonitoire de 1979 résumé ci-dessous.
1979 Vivre sans pétrole de J.A. GREGOIRE (Flammarion)
Note préliminaire : l’auteur du livre « Vivre sans pétrole », Jean Albert Grégoire (1899-1992), a eu un parcours atypique : joueur de rugby, champion de France du 100 mètres, docteur en droit et polytechnicien. Jeune ingénieur, il débute comme garagiste en 1925. En 1927, il fonde avec un ami la Société des Automobiles Tracta. Leur invention commune, le joint homocinétique Tracta rendit concevable la traction avant des automobiles. Des lycées professionnels portent d’ailleurs son nom en France.
Son livre de 1979, « Vivre sans pétrole », envisage tous les scénarios, les énergies de substitution au pétrole, l’amélioration de la technique de fabrication des automobiles, l’évolution des ressources pétrolières, la fusion et même le réchauffement climatique… Il pose la question fondamentale de l’arrivée prochaine de ce qu’il appelle la « crise ultime ».
Ce livre est d’une absolue actualité des décennies plus tard, des décennies trop tard. Dès le premier choc pétrolier de 1973 (quadruplement dans l’année du prix du baril), nous aurions du constamment préparer une civilisation post-carbone. (Yves Cochet). Dommage que nous soyons passés à côté de ce livre au moment des premiers chocs pétroliers, le futur va devenir beaucoup plus difficile à vivre puisque le rationnement n’a pas eu lieu dès cette époque. Voici quelques extraits recomposés de ce livre prémonitoire :
» L’observateur ne peut manquer d’être angoissé par le contraste entre l’insouciance de l’homme et la gravité des épreuves qui le guette. Comme le gouvernement crie au feu d’une voix rassurante et qu’on n’aperçoit pas d’incendie, personne n’y croit. Jusqu’au jour où la baraque flambera. Comment l’automobiliste pourrait-il admettre la pénurie lorsqu’il voit l’essence couler à flot dans les pompes et lorsqu’il s’agglutine à chaque congé dans des encombrements imbéciles ? Cette situation me paraît beaucoup plus inquiétante encore que celle des Français en 1938. Ceux qui acceptaient de regarder les choses en face apercevaient au-delà des frontières la lueur des torches illuminant les manifestations wagnériennes, ils entendaient les bruits de bottes rythmant les hurlements hystériques du Führer. Tous les autres refusaient de voir et d’entendre. On se souvient de notre réveil en 1940 !
Apercevoir la fin des ressources pétrolières, admettre son caractère inéluctable et définitif, provoquera une crise irrémédiable que j’appellerai « crise ultime ». Nous n’en souffrons pas encore. Les premières ruptures sérieuses d’approvisionnement du pétrole la déclencheront. Alors on reverra, comme au temps de Suez ou de la guerre du Kippour, un brutal renversement de l’opinion, définitif cette fois. Il ne s’agira pas, comme on le croit et comme les économistes eux-mêmes l’affirment, de surmonter une crise difficile, mais de changer de civilisation. L’humanité devra passer de l’ère d’abondance factice à celle de la pénurie, de l’orgueil insensé à celle de l’humilité. Elle devra répartir des richesses qui, au lieu d’être infinies comme elle le pensait naïvement, lui apparaîtront à l’heure du bilan bien modeste en face de ses besoins. Les pays riches devront réduire leur train de vie, ce qui pour chaque individu représentera une contrainte douloureuse à laquelle il n’est aucunement préparé.
En avril 1977, le président Carter s’adresse par télévision à la nation. En général détendu dans son langage et ses vêtements, il surprend ce soir-là par son costume aussi sombre que ses propos : « Ce que je vous demande est l’équivalent d’une guerre. Il s’agit bel et bien de préparer un monde différent pour nos enfants et nos petits-enfants. » Puis il énumère les mesures d’économie. La revue Newsweek chiffre le gaspillage moyen d’énergie qu’il veut supprimer à plus de la moitié de la consommation totale. C’est une douche froide pour ce peuple si sûr de sa richesse et de ses immenses ressources. Sans largeur de vue, sans générosité, tous ceux qui sentent leur intérêt et même leur simple confort menacé se mettent à hurler. Le royaume automobile de Détroit, dont les experts comprennent pourtant la nécessité du projet, déclare la guerre au président Carter. Les syndicats de l’automobile suivent, le peuple suit, bien entendu. Carter ne perd pas quinze points de popularité, mais trente-cinq ; sa cote passe de 70 à 35 au début de 1978. Aucun gouvernement n’imposera les cruels sacrifices de la pénurie sans le consentement du peuple. Le peuple américain n’est pas mobilisable pour des sacrifices dont il ne voit pas la nécessité en un âge ou la technologie – et non l’austérité – lui paraît constituer la solution à tous les problèmes du monde moderne. On retrouve là les illusions fondamentales des penseurs du XIXe siècle. La science toute-puissante : erreur. Les réserves de matières premières inépuisables : erreur. Le progrès indéfini : erreur. La crise va se terminer : erreur. Car non seulement ce qu’on appelle crise va devenir l’état normal de l’humanité mais cet état imposera l’austérité.
Aujourd’hui nous consommons du pétrole comme nous respirons. Son manque nous paraît aussi inconcevable, aussi mortel que le manque d’air. Comme dans toute maladie sournoise, les symptômes apparaîtront tard. Jusqu’aux premières manifestations de la pénurie, la situation restera normale, l’humanité continuera à dilapider son irremplaçable richesse, les constructeurs continueront à augmenter leurs cadences et le parc mondial continuera à s’accroître. Mais l’économie est un colosse fragile créé par la civilisation du pétrole. Ce pétrole en est le sang, l’automobile son support le plus solide. Restreignez l’arrivée du « sang pétrole », une anémie pernicieuse envahira ce corps. Coupez le support automobile, l’équilibre du colosse sera d’autant plus menacé qu’en même temps les maladies endémiques, inflation, chômage, feront une poussée violente. Peut-on imaginer l’intelligence et le travail que devront déployer nos enfants, les souffrances qu’ils devront endurer pour faire tenir à peu près debout ce colosse chancelant ? Aujourd’hui, sans pétrole, l’infortuné ne saurait plus travailler dans ses usines, cultiver ses terres, circuler, s’éclairer, se chauffer, se loger, se vêtir. Sans lui, il ne saurait plus comment vivre…
Un affolement contagieux s’étendra sur la terre dès que le pétrole commencera vraiment à manquer. A partir de ce moment-là, selon que vous serez puissant ou misérable, vous aurez ou non du pétrole. Si le monde échappe à une guerre militaire, il sera plongé dans une guerre économique sans merci bien plus meurtrière puisqu’elle exterminera une partie du quart-monde par la faim. L’homme acceptera tous les sacrifices, se privera du superflu et même du nécessaire pour conserver son automobile. L’expérience de la dernière guerre où le ticket d’essence atteignait au marché noir des tarifs astronomiques l’a prouvé… Rationnement. Voici le mot lâché, ce mot qui indispose, ce mot qui fait frémir. Il ne faut pourtant pas hésiter à le prononcer et à l’écrire. Car le rationnement est inéluctable pour le pétrole d’abord, pour l’énergie ensuite. Les jeunes gens ignorent l’esclavage du rationnement qui traîne derrière lui le marché noir. Ceux qui ont vécu les guerres en connaissent les servitudes : restriction de circulation en automobiles, coupures d’électricité, restriction de chauffage dans les logements. Et combien d’autres restrictions… On ne peut pas en prévoir la fin.
Comment réagiront nos enfants ? Fureur de constater que leurs ancêtres ont gaspillé ce pétrole irremplaçable ? Ou désespoir de ne pouvoir assouvir ce besoin devenu héréditaire de rouler en automobile ? »
bibliographie sur le pétrole
1979 Vivre sans pétrole de J.A.Grégoire
2003 Pétrole, la fête est finie (avenir des sociétés industrielles après le pic pétrolier) de Richard Heinberg
2005 la fin du pétrole (le vrai défi du XXIe siècle) de James Howard Kunstler
2005 Pétrole apocalypse d’Yves Cochet
2005 la vie après le pétrole de Jean-Luc Wingert
2006 le plein s’il vous plaît (la solution au problème de l’énergie) de Jean-Marc Jancovici et Alain Grandjean
2009 la crise pétrolière (analyse des mesures d’urgence) de Bernard Durand
2010 Manuel de Transition (de la dépendance au pétrole à la résilience locale) de Rob Hopkins
2011 Carbon Democracy. Le pouvoir politique à l’ère du pétrole (Timothy Mitchell)
2013 La faim du pétrole (une civilisation de l’énergie vue par des géologues) de Pierre Mauriaud, Pascal Breton et Patrick de Wever
2013 La fin de l’abondance, l’économie dans un monde post-pétrole (John Michael Greer)
2015 L’énergie des esclaves (le pétrole et la nouvelle servitude) d’Andrew Nikiforuk
Blogosphère :
http://petrole.blog.lemonde.fr/ le blog de Matthieu Auzanneau
http://www.avenir-sans-petrole.org/ le blog de Matthieu Thévard
www.manicore.com le site de Jean-Marc Jancovici
Sur notre BLOG biosphere
avril 2008 : Le pic pétrolier aux USA, en GB et en Russie
janvier 2009 : le pic pétrolier de la demande
août 2008 : la date du pic pétrolier mondial
novembre 2010 : le pic pétrolier dans le quotidien LE MONDE
novembre 2010 : après le pic pétrolier, le pic charbonnier
novembre 2010 : la date du pic pétrolier selon Bernard Durand
décembre 2010 : les livres consacrés au pic pétrolier
décembre 2010 : après le pic pétrolier, la crise ultime
décembre 2010 : pic pétrolier et décroissance démographique
février 2011 : le pic pétrolier vu par les politiciens
février 2011 : le pic pétrolier vu par Yves Cochet
février 2011 : le pic pétrolier vu par Jean-Marc Jancovici
février 2011 : le pic pétrolier vu par Bernard Durand
avril 2011 : laissons le pétrole sous terre
février 2012 : pic pétrolier, pic de la mondialisation, pic de notre civilisation
février 2012 : campagne présidentielle française et déni du pic pétrolier
décembre 2013 : Pic pétrolier : l’alerte ignorée d’un expert du FMI
mars 2013 : transition énergétique, rien sur le pic pétrolier
Un texte de Matthieu Auzanneau pour conclure
Un choc pétrolier (augmentation brutale du prix du baril et récession) succède toujours à un pic pétrolier (maximum de production) :
« Dans Or Noir (éd. La Découverte, 2015), j’ai tâché de montrer que loin d’être primordialement le fruit d’une crise politique, le choc pétrolier de 1973, sorte de mi-temps ou de solstice d’été dans l’histoire de la révolution industrielle, constitue fondamentalement (d’un point de vue physiciste, mais également historique), la conséquence directe et explicite du pic atteint en novembre 1970 par la production américaine d’or noir (p. 369 et suiv.).
J’ai en outre montré qu’au cours de cette séquence historique fatidique, parmi les économistes et financiers américains ayant plaidé auprès de l’administration Nixon en faveur de l’abandon de l’étalon-or (et du big bang de l’argent-dette) figuraient d’abord et avant tout des hommes de l’or noir (p. 360 et suiv.).
Tout se passe comme si avec la fin du système de Bretton-Woods le 15 août 1971, l’humanité avait échangé, comme mesure de la valeur économique, un symbole de rareté (l’or) contre un symbole trompeur d’abondance : l’or noir, ou « pétrodollar ». »
(2015 risque d’être l’année du pic pétrolier et des limites physiques de la croissance