épuisement des ressources

François Hollande face aux présupposés du croissancisme

Le candidat à la présidence François Hollande n’avait qu’un mot à la bouche, croissance, croissance, croissance. Mais récemment, juste avant d’être élu*, son discours était plus nuancé : « Quant à l’opposition croissance/ décroissance, nous savons que la tendance pour les dix prochaines années est au mieux de retrouver 2 ou 2,5 points de croissance, c’est-à-dire la moitié de ce que nous avons connu pendant les « trente glorieuses ». D’où l’importance de donner à cette croissance un contenu en emplois, en écologie surtout. Il y a aussi des secteurs qui doivent décroître parce qu’ils sont source de gaspillage. » Hollande partisan de la décroissance sélective, c’est une bonne nouvelle. Puisse François ne pas suivre les présupposés d’Arthur Lewis (1915-1991), prix Nobel d’économie 1979 pour ses travaux en économie du développement. Arthur Lewis a cherché dans son livre The Theory of Economic Growth à invalider les objections écologiques que ses thèses croissancistes pouvaient soulever :

«  On avance parfois que l’objectif visant à élever continuellement le niveau de vie de toutes les nations du monde doit être illusoire, dès lors qu’il aurait pour conséquence d’épuiser rapidement les stocks mondiaux de minéraux et de combustibles. Cet argument repose cependant sur deux conjectures non démontrées. Premièrement, il présuppose que l’inventivité humaine sera à terme incapable de trouver de nouveaux substituts à ce qu’il aura été épuisé, alors même que cette hypothèse paraît aujourd’hui de plus en plus douteuse au regard de ce que nous découvrons sur la nature de l’atome et la transformation des éléments. Et secondement, il présuppose que les générations futures ont une droit égal aux ressources mondiales. Mais pourquoi devrions-nous rester pauvres au motif de prolonger la vie humaine sur terre ? Ne serait-il pas tout aussi justifié d’affirmer que les générations futures ont un droit égal d’utiliser pleinement les ressources qu’elles peuvent trouver et de laisser à leurs descendants dans les siècles à venir le soin de s’occuper d’eux mêmes ? »**

Pour les tenants de la durabilité (ou soutenabilité) faible comme Arthur Lewis, le capital naturel peut toujours être remplacé par des éléments fabriqués, donc par du travail et de capital technique. Les économistes considèrent donc une croissance économique sans se soucier des générations futures ni du reste de la Biosphère puisque selon leurs croyances on trouvera « sans doute » une solution technique à tous les problèmes que la technique a créé. Au contraire une durabilité forte nécessite que le patrimoine naturel reste constant puisqu’il est jugé absolument complémentaire de l’activité humaine. L’équilibre de la Biosphère doit être préservé et ses ressources utilisées uniquement si elles restent renouvelables dans le temps. Dans son premier discours de président élu, François Hollande a consacré tout un passage à la jeunesse… il aurait mieux fait de parler des générations futures.

* LE MONDE du 5 mai 2012, Du progrès au pacte social, les pistes pour sortir de la crise de civilisation

** éditeur Allen & Unwin, 1955, p. 424 – traduction Yohann Ariffin

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Chronique d’un effondrement annoncé, de Tainter à Greer

Dans un article de janvier 2011, The Onset of Catabolic Collapse (traduction française), John Michael Greer  fait le résumé de sa théorie centrale, l’effondrement catabolique, dont voici quelques extraits qui complètent l’analyse de Joseph Tainter :

Au fur et à mesure que les sociétés grandissent et commencent à dépendre d’infrastructures complexes pour satisfaire les activités quotidiennes de leur population, les besoins en maintenance des infrastructures augmentent progressivement jusqu’à ce qu’ils atteignent un niveau où ils ne peuvent plus être couverts par les ressources à portée de main. Le seul moyen fiable pour résoudre une crise qui est causée par des coûts de maintenance en hausse est de réduire ces coûts, et le moyen le plus efficace est d’envoyer une partie de ces choses qui devraient être entretenues dans la poubelle la plus proche. Ainsi, le rythme normal de l’histoire des sociétés complexes oscille entre la construction, l’anabolisme, et la dégradation, le catabolisme*.

Il est possible de fournir une date assez précise pour le début de l’effondrement catabolique aux Etats-Unis d’Amérique, c’est 1974, l’année où le cœur industriel des Etats-Unis a commencé sa brutale transformation en rust belt « la ceinture de rouille » lors du premier choc pétrolier. Les USA ont catabolisé la plupart de leurs industries lourdes, la plupart de leurs exploitations agricoles familiales et une bonne moitié de leur classe ouvrière. Notons que cette crise américaine correspond non seulement à l’action de l’OPEP, mais surtout au passage du pic pétrolier aux USA atteint en 1971-1972.

Nous sommes depuis les années 2000 dans les premières phases d’un second et probablement plus sévère round de catabolisme, ici en Amérique mais aussi dans toute l’Europe. Ce qui est arrivé à la classe ouvrière industrielle dans les années 1970 est en train d’arriver à une grande part de la classe moyenne, au fur et à mesure que les jobs disparaissent, que les services publics sont réduits et qu’une demi-douzaine d’Etats est en train de glisser sur une pente qui fera d’eux les équivalents de la « ceinture de rouille » au XXIème siècle.

Il est difficile de dire ce qui va se passer les prochaines années, tant le processus de catabolisation d’une société aussi opulente que la nôtre peut s’exprimer de manières différentes. A l’échelle du pays il faudra se battre pour sauvegarder ce qui est vraiment nécessaire, privilégier l’intérêt du plus grand nombre. A l’échelle personnelle, il faudra peut-être apprendre à planter des choux avec les mains.

* catabolisme : utilisation imagée d’une expression biochimique ; ensemble des dégradations de substances organiques qui aboutissent à la formation de déchets (par opposition à anabolisme)

Source d’inspiration : http://imago.hautetfort.com/archive/2011/01/26/le-debut-de-la-fin.html

 

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The world is on track for disaster…

Le Smithsonian Institution a rendu public une version actualisée pour 2012 du rapport Club de Rome de 1972*.  Il s’agit, en fait d’un second rapport, utilisant la même méthodologie que le premier, avec les mêmes acteurs, le Club de Rome commanditaire et le MIT exécutant. Les instruments d’analyse ont cependant été modernisés, pour tenir compte des importants progrès accomplis dans les méthodes d’observation et de prévision. Le point essentiel, que tous les gouvernements, que toutes les entreprises, tout les média auraient du noter, est que le rapport de 2012 confirme celui de 1972. Celui-ci donnait soixante ans au système économique mondial pour s’effondrer, confronté à la diminution des ressources et à la dégradation de l’environnement.

La situation est confirmée par la formule du Smithsonian Magazine, « The world is on track for disaster…», autrement dit, « tout se déroule comme prévu pour que survienne le désastre ». Ce désastre, comme le résume le physicien australien Graham Turner, qui a succédé à Dennis Meadows comme rédacteur coordonnateur, découlera du fait que, si l’humanité continue à consommer plus que la nature ne peut produire, un effondrement économique se traduisant pas une baisse massive de la population se produira aux alentours de 2030. Le désastre n’est donc plus loin de nous, mais tout proche. 2020 est d’ailleurs considéré par certains experts comme une date plus probable. L’effondrement pourrait se produire bien avant 2030. Autrement dit tous les projets envisagés pour le moyen terme de 10 ans seraient impactés, voire rendus inopérants. Les rapporteurs font cependant preuve d’optimisme, en écrivant que si des mesures radicales étaient prises pour réformer le Système, la date buttoir pourrait être repoussée.

Mais nous devons pour notre part considérer, y compris en ce qui concerne nos propres projets, collectifs ou individuels, qu’aucune de ces mesures radicales ne seront prises. Le système économico-politique, selon nous, ne peut se réformer. Une preuve peut en être fournie par le fait que pratiquement aucune publicité n’a été donnée de cette seconde version du Rapport par les gouvernements, les entreprises et les médias. Il suffit de voir comment, lors des élections françaises de cette année, la question a été évacuée des enjeux politiques. Insistons sur le fait que ce n’est pas seulement le réchauffement global qui est incriminé par les rapporteurs, mais plus généralement l’épuisement des ressources et, au-delà, d’une façon plus générale, le saccage catastrophique de l’environnement sous toutes ses formes, autrement dit « la destruction du monde ». Pour l’empêcher, il ne faudrait pas seulement réduire notre production de gaz à effets de serre, mais s’imposer une décroissance radicale, à commencer par celle qui devrait être mise en oeuvre dans les pays riches, qui sont les plus consommateurs et les plus destructeurs.

(résumé de l’article de Jean-Paul Baquiast publié par blogs.mediapart.fr)

* Note : Le Club de Rome vient de célébrer le quarantième anniversaire de son célèbre rapport sur les limites de la croissance, dit aussi Rapport Meadows, du nom de son principal rédacteur. Ce rapport avait été présenté au public le 1er mars 1972, à partir d’une commande faite par le même Club de Rome (créé en 1968) au Massachusetts Institute of Technology (MIT) en 1970. Cette célébration a donné lieu à un symposium le 1er mars 2012, dont les conclusions sont présentées sur le site du Club de Rome.

 

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Demain c’est le foutoir, même l’OCDE le dit

L’OCDE ou Club des pays riches s’inquiète : « La dégradation du capital naturel de la planète risque de mettre en péril les acquis de deux siècles d’amélioration des niveaux de vie… Au-delà de certains seuils, les transformations subies par le climat ou la biodiversité ou encore la dégradation des sols deviennent irréversibles. » Il faut, dit le rapport, « trouver de nouvelles voies », mais le commentaire du MONDE* insiste toujours sur la croissance qui, même « verte », entraîne la dégradation du capital naturel :

« Les ministres mettent en avant leurs difficultés à garantir la croissance… Le représentant de l’Organisation mondiale du commerce ou celui des pays émergents ont insisté pour que le développement durable ne soit pas un « alibi » pour des mesures protectionnistes qui brideraient la croissance… Le porte-parole du Brésil précise « Pour être efficace, la croissance verte doit contribuer à développer l’emploi »… Angel Gurria, secrétaire général de l’OCDE résume : « La croissance verte n’est pas une manière parmi d’autres d’avancer, c’est la seule croissance possible ». » Le journaliste Rémi Barroux a une façon très croissanciste de faire un article !

Pourtant le « scénario de référence pour 2050 »** de l’OCDE ouvrait beaucoup de pistes, pas très révolutionnaires, mais au moins non centrées sur la croissance économique : prix mondial du carbone, écotaxes et systèmes d’échange de permis d’émission, tarification de l’eau, réglementations et normes efficaces, innovation verte. Nous trouvons surtout  essentiel la demande de suppression des subventions préjudiciables à l’environnement alors que dans les pays de l’OCDE la production et l’utilisation de combustibles fossiles ont bénéficié ces dernières années de 45 à 75 milliards USD par an de subventions. Même les économies émergentes ont accordé en 2010 plus de 400 milliards USD de subventions à la consommation de combustibles fossiles. Bientôt nous allons manquer de pétrole et de gaz, mais les gouvernants poussent à consommer encore plus ! Qu’en disent les présidentiables français ! Rien, si ce n’est demander encore plus de croissance… qui entraîne la dégradation du capital naturel

* LE MONDE du 1-2 avril 2012, Pour l’OCDE, il est urgent de « verdir » l’économie

** http://www.oecd.org/dataoecd/54/8/49884240.pdf

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fin programmée de l’exploitation du sous-sol

Le président panaméen Ricardo Martinelli a promulgué une loi qui interdit l’exploitation minière sur les territoires indigènes (©AFP / 26 mars 2012). Selon cette loi, l’attribution de concessions pour l’exploration, l’exploitation et l’extraction minières est interdite dans la région de Ngöbe Buglé.

Si une telle mesure était prise par les pays de l’OPEP pour le pétrole, ce serait l’effondrement de la civilisation thermo-industrielle. Mais de cela les Américains n’ont qu’une très vague idée. La réalité du chiffre « 4 dollars le gallon » semble incompréhensible à l’automobiliste. Ce prix qui lui semble exorbitant découlerait  de considérations conjoncturelles : incurie du gouvernement, avidité des compagnies pétrolières, spéculation, problème iranien… jamais de l’épuisement des nappes de pétrole. De leur côté les candidats républicains ont une recette bien à eux, « Drill baby drill » (forons, forons). Il suffirait d’investir suffisamment et le pétrole va à nouveau couler d’abondance. Erreur ! Les économistes s’imaginent que l’augmentation du prix du pétrole se traduit par une proportionnelle des réserves : ont-ils seulement réalisé que les augmentations de prix seront incapables de créer le moindre gisement de pétrole dans le sous-sol ? Pourtant les géologues pétroliers ont donné l’alerte dès la fin des années 1980, quand il est apparu de façon indiscutable que les quantités de pétrole nouvellement découvertes déclinaient sans cesse et étaient devenues, en année moyenne, durablement inférieures aux quantités consommées. La prochaine bulle spéculative, après celle de l’immobilier américain, sera celle du pétrole, et les effets en seront bien plus graves ! Cette situation va entraîner une compétition croissante pour l’approvisionnement en énergie.*

De tout cela, la journaliste du MONDE, Claire Gatinois**, n’a semble-t-il aucune connaissance. Claire pense que nous prêtons une attention disproportionnée au prix de l’essence qui ne serait au fond pour les ménages qu’un prix parmi d’autres. Elle ne connaît pas l’analyse de Jean-Marc Jancovici : « Si demain nous n’avions plus de pétrole, ni gaz, ni charbon, ce n’est pas 4 % du PIB que nous perdrions (la place de l’énergie dans le PIB), mais près de 99 %. »  Claire pense que les Etats-Unis pourraient même supporter un baril à 140 dollars sans trop souffrir*. Elle n’a aucune conscience de l’avenir prévisible, un baril à 200 dollars, 300 dollars, 400 dollars… la rareté croissante du pétrole faisant exploser les prix.

* La crise pétrolière de Bernard Durand

** LE MONDE du 28 mars 2012, Pétrole : un prix pas comme les autres

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Les limites de la croissance (1972-2012), quarante ans de perdus

Hervé Kempf dans sa chronique* nous rappelle à juste titre les quarante ans du rapport du club de Rome. (The Limits to Growth, Universe Books, 1972). Complétons son analyse, les politiques ont été allergiques aux limites de la planète, en 1972 comme en 2012 !

En 1972, la croissance reste pour Georges Pompidou le critère de la réussite politique : « Si la croissance s’arrêtait, l’opinion se retournerait. Les gens sont pour ce qu’ils n’ont pas. » Son ministre des finances Giscard d’Estaing organise en juin 1972 un colloque sur les conclusions fort alarmantes du Club de Rome… en mai 1974, le candidat aux présidentielles Giscard d’Estaing ne leur accorde plus la moindre considération : il ne parle que de croissance ! Au second tour des élections présidentielles 2007, Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy proposaient à leurs électeurs le même objectif : intensifier la croissance des productions, des consommations et des déplacements sans s’interroger sur leur contenu. Nicolas Sarkozy a instauré une commission pour « libérer la croissance » dont il disait à l’avance qu’il respecterait toutes les indications. Aujourd’hui le challenger François Hollande se polarise toujours sur l’idée de « croissance à long terme ».

Pourtant en 2004 l’équipe Meadows a repris ses travaux sur les limites de la croissance avec des bases de données réactualisées (the Limits to Growth,  the 30-Year Update). Les conclusions n’ont pas changé : « La croissance exponentielle ne peut que conduire à un sommet de pollutions, de dégradations et à un effondrement de la population. Enfin, il sera très difficile d’éviter d’ici à la fin du siècle une augmentation de la température moyenne de plus de 3 °C,  avec une montée générale des mers qui pourrait aller jusqu’à deux mètres. » En 2008, Graham Turner, chercheur au CSIRO**, a publié un article où il reprenait les trois scénarios les plus caractéristiques du rapport Meadows de 1972 (scénarios « business as usual », « monde super-technologique » et « monde stabilisé »), qu’il confrontait à des données mondiales pour la période 1970–2000 : population, natalité/mortalité, production de nourriture, production industrielle, pollution et consommation de ressources non renouvelables. Il constatait que, sur la période 1970-2000, ces données numériques étaient étonnamment proches des valeurs que le rapport Meadows présentait pour le scénario « business as usual ». Il terminait son analyse en disant que « la comparaison de données présentée ici vient corroborer la conclusion de Halte à la croissance ? selon laquelle le système mondial suit une trajectoire qui n’est pas durable, sauf s’il se met à réduire, rapidement et de manière substantielle, son comportement consomptif tout en accélérant ses progrès technologiques. »

Jacques Grinevald, qui a introduit en France la notion de décroissance, est fondamentalement réaliste : « Au lendemain du tollé qui accueillit le premier rapport au Club de Rome sur les limites de la croissance (1972), on n’avait pas encore compris l’accélération de la dynamique d’un système aussi complexe que la Biosphère, altérée par l’activité humaine, et on ne croyait pas sérieusement à l’imminence d’une double menace comme celle du changement  climatique et de la déplétion mondiale du pétrole brut ! On a oublié que ce rapport scientifique illustrait déjà le problème des courbes exponentielles de notre croissance. On nous parle beaucoup des impératifs économiques de la mondialisation, mais il est grand temps de réfléchir aux impératifs de la mondialisation écologique, parce que le monde vivant auquel nous appartenons est un phénomène à l’échelle de la Terre. Dans cette perspective planétaire, tous nos problèmes prennent un autre sens, y compris nos problèmes métaphysiques et religieux. Redonner au vivant une place centrale dans notre théorie de la Terre n’est pas encore une évidence pour tout le monde. »***

Redonner une place centrale au vivant est  le cadet des soucis de nos présidentiables 2012.

* LE MONDE du 18-19 mars 2012, Bon anniversaire ?

** CSIRO, Commonwealth Scientific and Industrial Research Organisation  : organisme gouvernemental australien pour la recherche scientifique. Le rapport de Graham Turner, Confronter « Halte à la croissance ? » à 30 ans de réalité, août 2008.

*** La Biosphère de l’Anthropocène de Jacques Grinevald  (Georg, 2007)

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Définitions de la dette écologique

La dette économique est une somme d’argent due à un créancier. En termes simples, le créancier, c’est celui qui prête le capital emprunté. Pour le  capital naturel, le créancier est donc la Terre, ou la biosphère ou la nature, peu importe le nom. D’où une dette écologique des humains envers la Terre. Le fait par exemple de pêcher une espèce de poisson plus que ce qui permet son renouvellement est bien un découvert vis-à-vis des richesses de la mer. Ce découvert, on est normalement obligé de l’acquitter, par exemple en fixant un moratoire sur la pêche, sinon nos contemporains et successeurs seront appauvris. C’est comme si on avait brûlé notre maison… plus d’héritage possible !

On peut toujours refuser de rendre l’argent à l’oligarchie financière qui vit « au détriment des peuples ». Il n’en est pas de même avec la dette écologique : les richesses non renouvelables prêtées par la biosphère ont été définitivement dilapidées par les peuples qui vivent à l’occidentale. En effet l’humanité ne peut rendre les barils de pétrole, les tonnes de charbon ou les possibilités de recyclage naturel du CO2 qui permettent le niveau de vie actuel des « honnêtes gens ». C’est pourquoi la cure d’austérité que va traverser l’espèce humaine sera bien plus terrible que lors d’un tsunami financier où on peut refinancer l’économie en faisant tourner la planche à billet (nouveaux crédits).

Chaque année, la New Economics Foundation calcule la date à laquelle la consommation de ressources par l’humanité dépasse la capacité de renouvellement de la planète. au-delà de cette date, on est en situation d’épuisement des réserves. Cette date anniversaire a été baptisée « Jour de la dette écologique » ou Jour du dépassement (« Overshoot day« ). En 1987, l’humanité était passée dans le rouge le 19 décembre. En 1995, cette date était intervenue le 21 novembre. Pendant l’année 2008, l’humanité a basculé du côté obscur le 9 octobre, et le 27 septembre en 2011. Cette date intervient chaque année de plus en plus tôt, ce qui signifie que les ressources disponibles pour une année sont consommées de plus en plus vite. Nous vivons en ce moment écologiquement « à découvert ». En vivant au-delà de nos moyens environnementaux, nous privons des millions de personnes dans le monde de la possibilité de satisfaire durablement leurs besoins.

Historiquement, le concept de dette écologique a été conçu dans les années 1980 comme contre-partie à la dette financière des pays latino-américains : nous vous devons des dollars mais vous, pays riches, vous nous devez le trou de la couche d’ozone. Plus récemment, on a estimé qu’il faudrait comptabiliser dans les négociations internationales sur le climat toutes les émissions de gaz à effet de serre déjà effectuées par les pays développés pour rétablir plus de justice dans les émissions futures. Mais, lors de la Convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique à Rio en 1992, on a pris l’année 1990 comme « année zéro » : cela signifiait que l’on ne ferait aucune reconstitution du patrimoine des réserves mondiales de combustibles fossiles pillées auparavant. D’un trait de plume, on effaçait ainsi la dette écologique des pays riches. De toute façon, c’est impossible de rembourser cette dette en permettant aux pays pauvres d’émettre beaucoup plus de CO2 dans l’avenir. Les pays sous-développés ne peuvent reproduire la même erreur que l’Occident puisqu’il y aurait alors certitude d’un emballement climatique.

Concluons. La dette écologique, ce n’est pas des bouts de papier qu’on pourrait rembourser avec d’autres bouts de papier. La dette écologique est différente d’une dette financière, c’est concret, c’est l’affaiblissement de notre capital naturel. Cette perte est irrémédiable quand il s’agit de ressources non renouvelables comme le pétrole, le gaz, ou l’uranium. Elle sera très douloureuse à rembourser quand le système climatique sera déréglé. Il n’y a là rien de réjouissant, mais tant que les dirigeants feront croire aux peuples que « demain ça ira mieux », avec un peu plus de croissance économique, la situation ne pourra qu’empirer. S’il n’y a pas décroissance voulue et partagée, il y aura dépression économique subie par les exclus.

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Contradictions du discours croissanciste dans LE MONDE

Prenons le quotidien du 16 mars 2012, l’idée de croissance est bien présente. Le chef du SPD allemand veut un « pacte pour la croissance », mais il n’a à proposer comme politique de relance rien d’autre que le soutien à l’énergie solaire. Un débat en France  est relaté sur « les moyens de renouer avec la croissance »: il suffirait d’être compétitif, mais comme tous les pays désirent la même chose, les efforts de chacun s’annulent. Alors, soyons clair, les effets négatifs de la croissance l’emportent largement.

Dans le même numéro abondent en effet les informations qui montrent que les conséquences de la croissance économique sont néfastes : le malaise en Malaisie à propos des terres rares, des mineurs en grève tués par la police au Pérou, le problème de l’indigénisation des ressources minières au Zimbabwe, une sécheresse exceptionnelle qui frappe l’Europe (le réchauffement climatique ?), encore l’exposition des travailleurs aux fibres d’amiante, un emprunt à 100 ans de la GB (même les pays riches sont endettés), un cadre de Goldman Sachs qui dénonce un environnement toxique et destructeur (mépris des clients), le suicide d’un cadre de la poste (victime  des éternelles restructurations), un spécial MONDE des livres sur Fukushima.

Résumons. La croissance économique résulte principalement de deux choses, l’exploitation minière de la terre et l’exploitation des travailleurs. Aucun des thuriféraires de la croissance ne peut s’enorgueillir d’un tel processus. Comme les ressources du sous-sol s’épuisent et comme les travailleurs sont épuisés, il faut trouver un moyen de perpétuer quand même la croissance. Il a fallu avoir recours au mécanisme d’endettement, à la croissance à crédit. D’où les méfaits de Goldman Sachs (produits dérivés) et l’endettement de 1000 milliards de livres de la GB. Nous allons bientôt découvrir, après la dette financière, la profondeur de la dette écologique. Alors nous nous apercevrons que ceux qui ont prôné la croissance économique étaient des fous dangereux.

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4/4) Serge Latouche, l’Europe de Charlemagne va éclater

Tous les discours médiatisés ont un point commun : la croissance va revenir, on va s’en tirer, le cours ordinaire des choses reprendra à terme. C’est là l’illusion qui expose au danger. Car si rien ne change, nous savons que nous allons à la catastrophe.

Le modèle systémique World 3 (Limits to Growth, The 30-year Update – 2004), testé sur plus d’un siècle est un bon outil pour prévoir les tendances lourdes. Selon que l’on prenne des mesures palliatives plus ou moins sérieuses, l’effondrement – le collapse – se situe en 2030 et 2070 : 2030, en raison de la crise des énergies non renouvelables (pétrole, gaz, charbon, uranium, terres rares, autres minéraux) ; 2070, en raison des pollutions, des dérèglements climatiques, de la désertification  dans un monde qui compterait entre neuf et dix milliards d’habitants.

Les études des historiens nous apprennent que la vie perdure, tant bien que mal. En raison de la logique routinière, les grands projets programmés se poursuivent : autoroutes, aqueducs, aéroports, tunnels, centrales nucléaires et autres projets insoutenables comme le Grand Paris – alors que très probablement, il n’y aura bientôt plus de pétrole pour les faire fonctionner. Les avions repartent jusqu’à ce que, de blocages des dépôts de pétrole en faillites de compagnies aériennes, de plus en plus de destinations ne soient plus assurées. Et puis un beau jour plus un seul avion ne vole dans le ciel. Mais à ce moment-là, cela ne dérange plus personne. Les supermarchés ont fermé leurs portes, mais les Villes en transition s’efforcent de résoudre les problèmes d’intendance, y réussissant tant bien que mal.

Les mouvements antisystèmiques se développent, dans les villes en transition, les cités postcarbone, au sein des AMAP, par le biais d’échanges effectués avec des monnaies locales… Tout cela va dans un sens favorable au renforcement des organisations résilientes, autonomes et conviviales, constituant des oasis qui peuvent féconder le désert ou, au contraire être étouffées par lui. Outre le jardin familial et le bricolage qui résistent en toutes circonstances, deux institutions témoignent depuis le Néolithique d’une extraordinaire résilience : la petite exploitation paysanne et l’atelier artisanal. Ces deux institutions expliquent pourquoi et comment les Russes ont survécu à la décomposition de l’Union soviétique. Le message final est simple : le bonheur, la félicité se trouve dans la capacité à savoir limiter ses besoins.

in Où va le monde ? Une décennie (2012-2022) au devant des catastrophes

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3/4) Où va le monde ? Dans le mur si nous laissons faire

Tous les discours médiatisés ont un point commun : la croissance va revenir, on va s’en tirer, le cours ordinaire des choses reprendra à terme. C’est là l’illusion qui expose au danger. Car si rien ne change, nous savons que nous allons à la catastrophe.

Nous aurons dépensé 14 000 milliards de dollars en Occident pour sauver les banques et remettre le système financier en place depuis le début de la crise financière en septembre 2008. Un audit de la Réserve fédérale, en juillet 2011, révélait des prêts et garanties d’urgence de 16 000 milliards de dollars aux banques américaines et étrangères. Un chercheur indépendant arrive au total ahurissant de 29 000 milliards. On a convaincu les banques qu’on allait les sauver quoi qu’elles fassent, elles ont donc tout encouragement pour prendre à nouveau des risques inconsidérés. L’économie de casino est repartie de plus belle. Je prévois donc dans les dix ans qui viennent une autre crise financière qui sera plus dévastatrice encore.

Avec la finance, il est cependant possible de dire : « On s’est trompé et il faut se réorganiser du tout au tout. » Avec le climat, ce n’est pas possible. Je pense que la conscience qu’ont les gens de la gravité de la situation augmente, de façon probablement exponentielle. Nous voyons des initiatives absolument partout. Il faut en quelque sorte reconnaître la planète comme la « loi suprême ».

Susan George in Où va le monde ? Une décennie (2012-2022) au devant des catastrophes

 

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1/4) Yves Cochet devant la catastrophe

Tous les discours médiatisés ont un point commun : la croissance va revenir, on va s’en tirer, le cours ordinaire des choses reprendra à terme. C’est là l’illusion qui expose au danger. Car si rien ne change, nous savons que nous allons à la catastrophe.

Il y a des domaines qui dépendent d’un accord entre humains, d’autres des ressources naturelles. Or la nature ne négocie pas avec les humains. A cet égard, le projet de loi sur les retraites, adopté en octobre 2010, est non seulement injuste lorsqu’on examine ses fondements socioéconomiques, mais il est surtout irréaliste dans sa conception même, fondé sur un rapport du Conseil d’orientation des retraites publié en avril 2010. Celui-ci fondait ses calculs les plus pessimistes sur une croissance annuelle moyenne de 1,5 % jusqu’en 2050, soit une augmentation du PIB de 100 % à cet horizon. Comment peut-on sérieusement supputer cela aujourd’hui ? Aucun de ces auteurs ne partage le point de vue écologiste de la singularité absolue de la situation actuelle. Je suis du côté des objecteurs de croissance. J’estime que la récession probable – voire la dépression – sera un passage fatal vers toute société de décroissance.

En effet, à la manière de Marx, je crois que ce sont les circonstances matérielles qui déterminent les consciences et non l’inverse. Notre existence  sociale n’est pas déterminée par notre conscience, mais dépend plutôt d’une réalité qui nous dépasse : les rapports de production chez Marx, la géologie chez moi.

Ce sont ceux qui nient la proximité de la catastrophe, ceux qui croient à la continuité, ceux qui s’enivrent de l’illusion de la croissance, qui sont catastrophistes sans le savoir, par aveuglement.

Yves Cochet in Où va le monde ? Une décennie (2012-2022) au devant des catastrophes

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pour un peuple écolo, l’austérité est notre destin

Le peuple communiste existe avec l’avènement de la révolution industrielle et la polarisation entre facteur travail et facteur capital. Contre le pouvoir du capital, le peuple communiste avait ses mots d’ordre et son catéchisme marxiste : exploitation de l’homme par l’homme, lutte de classes, syndicat courroie de transmission, dictature du prolétariat, etc. Le peuple communiste avait sa solidarité de classe, dans l’atelier, dans les banlieues rouges, dans les mutuelles, dans le syndicat. Le peuple communiste existait, il n’existe presque plus. Le peuple écolo n’existe pas encore, il existera un jour.

Le facteur travail et le facteur capital sont aujourd’hui surdéterminés par la raréfaction du troisième facteur qu’on croyait inépuisable, les ressources naturelles. Il n’y a plus seulement les travailleurs contre les capitalistes, il y a l’activité humaine confrontée avec les limites de la planète. Comme le pensait Marx, ce sont les circonstances matérielles qui déterminent les consciences et non l’inverse. Notre existence sociale est conditionnée par une réalité qui nous dépasse : les rapports de production chez les communistes, la géologie des richesses minières et l’état des écosystèmes pour un écologiste. Notre activité économique dépend étroitement des ressources fossiles que nous avons dilapidées et de la dynamique de l’écosphère que nous avons gravement détraquée. Or la nature ne négocie pas, que ce soit à Fukushima ou en termes de réchauffement climatique. Aux humains de s’adapter. Il est trop tard pour éviter la catastrophe, mais plus tôt nous agirons, plus nous réduirons la violence du choc. Les richesses naturelles étant en quantité limitées et rapidement décroissantes pour les non renouvelables, la seule solution pour vivre en paix est le partage équitable de la pénurie. Un parti politique définit le sens de l’histoire. L’écologie politique relaye le constat de l’écologie scientifique, l’austérité est notre destin.

Devant la catastrophe en marche, nous n’avons que deux solutions, soit subir dans le désordre et la violence une récession économique sévère, soit faire preuve de coordination et d’exemplarité. Une crise écologique, donc économique, pourrait avoir un effet déstructurant sur nos sociétés complexes. Mais nous savons aussi que la société dépend des perceptions croisées entre individus : je me représente comment les autres se représentent les choses et moi-même. En termes savants, on dit qu’il y a interactions spéculaires, comme devant un miroir. Il y aura un peuple écolo quand il y aura effet boule de neige : tu fais parce que je fais parce que nous voulons tous faire de même. Cela commence par des petits gestes, économiser l’énergie, prendre l’escalier plutôt que l’escalator ou l’ascenseur, boire bio, c’est-à-dire boire de l’eau. L’écolo utilise des techniques douces et rejette les techniques sophistiquées. Il sait que marcher à pied vaut mieux que de prendre un vélo, mais le vélo est bien préférable à l’autobus ou au train. L’écolo fait plutôt du covoiturage et rapproche son domicile de son lieu de travail, il isole sa maison et baisse la température dans ses pièces. Il choisit de vivre à l’étroit plutôt qu’augmenter son emprise sur les sols arables, il fait ce qu’il doit et le bonheur lui est donné de surcroît.

Car le bien-être n’est pas lié à la somme des objets que nous pouvons posséder, tout au contraire. L’achat d’un téléphone portable qui est démodé dans le mois qui suit n’entraîne pas un sentiment de satisfaction, mais un perpétuel sentiment de manque. La publicité nous formate pour avoir toujours envie d’autre chose, alors nous ne pouvons plus trouver la plénitude d’être. Un écolo refuse la pub, refuse la cigarette, refuse le verre d’alcool de trop. Pour chanter et s’épanouir, pas besoin d’être alcoolisé. Un écolo est sobre, il n’est pas austère même s’il pratique l’austérité. Il y aura un peuple écolo quand la majorité des citoyens refusera le voyage en avion, la voiture individuelle et les trois heures de télé par jour. Le peuple écolo préférera jouer au ballon plutôt que regarder un match de foot, il préférera une partie de belote plutôt qu’une séance télé. La simplicité volontaire des uns se conjuguera avec la décroissance conviviale des autres.

Toute personne qui a compris que nous avons dépassé les limites de la planète devrait savoir qu’il lui faut vivre autrement. Un parti écologiste sera adulte quand ses adhérents agiront en ce sens. Un parti politique digne de ce nom est composé de militants qui vivent ce qu’ils prêchent. Il y aura un peuple écolo quand les militants d’EELV commencement à donner l’exemple de la sobriété énergétique et de la simplicité volontaire. Le peuple écolo existera quand EELV nous donnera une certaine cohérence, des éléments de langage, le sens de la solidarité, l’exemplarité de ses membres. L’équilibre compromis entre les possibilités de la planète et l’activisme humain entraîne nécessairement l’avènement du peuple écolo… ou l’écolo-fascisme !

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Les illusions de la productivité agricole

Alors qu’ils n’avaient cessé d’augmenter depuis les années d’après-guerre, les rendements des grandes cultures plafonnent depuis une dizaine d’années. En France, abstraction faite des variations climatique, c’est le cas aussi bien pour le blé tendre et le maïs que pour d’autres céréales comme le blé dur et l’orge. Mais aussi pour les oléagineux, colza et tournesol. L’appauvrissement en matière organique, relevé par la Commission européenne sur 45 % des sols de l’Union, est un facteur explicatif prépondérant de la baisse des rendements.*

On nous a écrit pour contester ce point de vue en s’appuyant sur les statistiques récentes de la FAO. Notons d’abord que la raison d’être des statistiques, c’est de vous donner toujours raison. Il suffit de considérer uniquement ce qui vous arrange. Notre correspondant ajoute : « La raison la plus probable du plafonnement des rendements (agricoles), c’est parce que depuis 2 décennies, on a plafonné l’utilisation des intrants. » Il touche là un point essentiel sans en apercevoir les prolongements. Pour calculer un indice statistique globalisé du rendement, il faut faire le rapport production/intrants : combien de calories ont été utilisées pour produire, combien de calories délivrent les champs cultivés. Précisons.

L’agriculture est normalement une illustration parfaite de l’échange constant entre matière et énergie. Basée sur l’assimilation chlorophyllienne, elle devrait donner plus qu’elle ne coûte puisqu’elle transforme l’énergie du soleil et les éléments de la terre. C’est ce qui a été fait pendant plusieurs millénaires, ce n’est plus le cas aujourd’hui de l’agriculture productiviste : on doit investir directement sous forme d’hydrocarbures deux fois plus d’énergie pour les engrais, l’irrigation, la culture sous serre que ce qu’on récolte avec la mécanisation.

Encore plus globalement, une étude réalisée aux Etats-Unis montrait que l’énergie consommée par l’ensemble de la chaîne alimentaire, compte tenu du processus de transformation et de la distance parcourue par les produits agricoles, représente 10 fois l’énergie restituée sous forme de calories utilisées pour l’alimentation humaine. Et encore, nous n’avons pas développé sur la détérioration des sols et du climat par l’agriculture productiviste !

Quand l’appareil agro-industriel affiche un bilan énergétique négatif, on ne peut même plus parler de rendements décroissants, mais de fuite en avant. C’est cette situation qui est ubuesque, ce n’est pas l’argumentaire écolo, l’argumentaire qui essaye de comprendre la totalité des interrelations entre les humains et la biosphère.

* LE MONDE du 28 juin 2008

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pic pétrolier, pic de la mondialisation, pic de notre civilisation

Le pic pétrolier ne signifie pas que le monde soit à court de pétrole. Cette expression décrit le moment où la production pétrolière ne peut plus augmenter. A ce moment, il reste encore beaucoup de pétrole. Mais il est tout simplement beaucoup plus difficile à découvrir et à extraire, ce qui signifie qu’il devient très ardu, voire impossible, d’accroître la production mondiale. L’offre reste stable pendant un temps (en plateau), puis finit par entrer en phase de déclin terminal. La perspective du pic pétrolier n’est plus une théorie marginale soutenue par quelques alarmistes. C’est une réalité géologique. Compte tenu du rôle fondamental du pétrole dans nos économies, cela signifie le début d’une nouvelle ère dans l’histoire humaine.

Face à une production pétrolière stagnante, la demande continue de croître considérablement : La Chine, l’Inde, la Russie… , ce qui implique une concurrence croissante pour accéder à une offre limitée. Les principes économiques de base indiquent qu’avec une offre qui stagne et une demande qui augmente, le pétrole va devenir beaucoup plus cher – une configuration qui est déjà à l’œuvre. Le problème du pic pétrolier, par conséquent, n’est pas que nous soyons à court de pétrole, mais que nous soyons déjà à court de pétrole bon marché. Actuellement, le monde consomme environ 89 millions de barils par jour, soit 32 milliards de barils par an. Ces chiffres stupéfiants expliquent pourquoi le pétrole est comparé à un élément vital de la civilisation industrielle. Comme pratiquement tous les produits d’aujourd’hui sont dépendants du pétrole, l’âge du pétrole cher renchérira les prix des marchés du commerce mondial. Le pic pétrolier se traduira donc probablement par un « pic de la mondialisation ». Certains spécialistes de l’énergie estiment même que le pic pétrolier pourrait signifier la « fin de la croissance économique », car les économies ont besoin d’énergie bon marché pour se développer. Ce qui pourrait bien provoquer une relocalisation des économies – non pas en raison de décisions de responsables politiques, ni d’une revendication citoyenne – mais simplement comme la conséquence de marchés réagissant à la hausse des cours du pétrole.

L’avenir ne ressemblera en rien au passé, et nous devrions nous préparer à cela – psychologiquement, socialement, économiquement et politiquement. La montée des sociétés de consommation depuis la révolution industrielle n’a été possible qu’en raison de l’abondance des combustibles fossiles bon marché. A titre d’exemple, en l’absence de pétrole, l’australien moyen devrait mobiliser environ 130 « esclaves énergétiques », travaillant huit heures par jour, pour maintenir son style de vie. Les consommateurs du monde entier devraient commencer à se préparer à une forte révision à la baisse de ces styles de vie si intensifs en énergie et ressources qui sont largement prisés aujourd’hui. Bien que l’exigence de consommer moins de choses provoquera un grand – et désagréable – choc culturel pour tous ceux qui ne l’ont pas anticipé, on pourrait bénéficier de cette transition en adoptant volontairement un mode de vie plus simple. Consommer moins, vivre plus. Cela vaut la peine d’y réfléchir.

Nous devons réinventer une « bonne vie », au-delà de la culture du consumérisme. Si nous attendons que le consumérisme soit abandonné sous la contrainte des circonstances, la transition vers l’après ne sera pas une bénédiction mais une malédiction.

Samuel Alexander, Sydney Morning Herald, 11 janvier 2012

Le Dr Samuel Alexander est co-directeur du Simplicity Institute (www.simplicityinstitute.org), un institut de recherche qui traite des questions liées à la consommation durable, au pic pétrolier et à l’économie post-croissance.

http://contreinfo.info/article.php3?id_article=3163

 

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Croissance économique, décroissance ou état stable ?

Superbe, cette chronique d’Hervé Kempf*: « La croissance économique implique un fort dégât environnemental… Or l’idéologie dominante reste obsédée par l’objectif de maximisation de cette croissance… Mais la réduction du chômage par l’augmentation du produit intérieur brut est donc vouée à l’échec, d’autant que la hausse de la productivité réduit mécaniquement le besoin de travail… Du point de vue écologiste, l’enjeu prioritaire actuel de l’activité économique est de modérer son impact sur la biosphère, en raison de la gravité des conséquences de la crise écologique sur la société humaine… Un levier essentiel d’une économie écologique (c’est-à-dire visant la prospérité dans le respect de l’environnement) est le partage du travail… la recherche de « l’état stable » de l’économie (conceptualisé par Herman Daly) est souhaitable… » Quelques précisions avec cette préface d’un livre** écrite par Daly :

« Lorsque l’économie croît, elle devient plus grande. Et donc, cher économiste, à quel point ce quelque chose pourrait-il être grand à l’avenir ? Cette question n’est pas du tout posée. Le mérite de Prospérité sans croissance est de contribuer à combler cette lacune. Car qu’est-ce qui grandit exactement. Il y a certes le flux de biens et de services (le PIB), mais il y a également le flux métabolique des matières et d’énergie qui part de sources environnementales, traverse le sous-système économique de la production et de la consommation et qui revient dans l’environnement sous forme de déchets. Les économistes se sont focalisés sur le ¨PIB, ils ont négligé ce « throughput ». Le sous-système économique a donc acquis une taille réellement grande quand on le réfère à l’écosystème sur lequel il s’appuie.

Au vu de la longue tradition de léthargie intellectuelle des économistes universitaires, il n’est sans doute pas étonnant que le rapport qui a inspiré cet ouvrage soit le fruit d’une initiative gouvernementale. Si nous étions de vrais économistes, nous mettrions un terme à la croissance du « throughput » avant que les coûts sociaux et environnementaux qu’elle provoque ne dépasse les bénéfices qu’elle génère. Il y a fort à parier que certains pays sont désormais entrés dans une ère de croissance non économique qui accumule plus rapidement ses impacts négatifs qu’elle n’accumule de la richesse. C’est la raison pour laquelle on ne peut faire appel à la croissance pour combattre la pauvreté. Bien au contraire, elle rend plus difficile la lutte contre la pauvreté ! »

* LE MONDE du 15-16 janvier 2012, Emploi, les solutions par Hervé Kempf

** Prospérité sans croissance (la transition vers une économie durable) de Tim Jackson

(de boeck, 2010) ; 1ère édition 2009, Economics for a finite planet)

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L’effondrement social avant 2030 ? Parions !

Pour Yves Cochet*, c’est certain : « L’époque actuelle est marquée par les symptômes d’un début d’effondrement, qui se sont manifestés autour de 2008 par la crise financière et le pic pétrolier. C’est la victoire inéluctable de l’entropie**. On appelle effondrement de la société mondialisée contemporaine le processus à l’issue duquel les besoins de base (eau, alimentation, logement, énergie, mobilité, sécurité) ne sont plus fournis à une majorité de la population par des services encadrés par la loi.

Au regard des bénéfices sociaux, la  complexification d’une société se déroule en trois phases. La première se caractérise par une forte augmentation des bénéfices. C’est le « progrès ». Puis la hausse de la complexité produit encore des bénéfices, mais à des coûts supérieurs aux bénéfices. La population se sent moins solidaire. Enfin il arrive que l’accroissement de la complexité entraîne une diminution des bénéfices sociaux. L’effondrement socio-économique est alors probable. Ce déclin catabolique est qualifié d’oscillant. L’économie oscille par paliers vers un niveau d’activité de plus en plus bas. Par exemple : croissance économique => hausse des prix de l’énergie => récession => chute des prix de l’énergie => reprise économique, mais à un niveau inférieur à cause de la déplétion des ressources.

A la suite des travaux de Joseph Tainter, Jared Diamond, John Michael Greer et François Roddier, il est possible de dessiner les contours de cet effondrement :

–          Déspécialisation : le nombre d’empois spécialisés diminuent. Les individus, les groupes et les territoires deviennent plus multifonctionnels ;

–          Décomplexification : Les quantités et la diversité des échanges d’information, de services et de marchandises se réduisent ;

–          Déstructuration : Les instituions centrales deviennent plus faibles ou impuissantes, les modes de vie locaux plus autonomes ;

–          Dépeuplement : les densités de population baissent.

La vitesse de l’effondrement est une fonction de l’intégration, de la connectivité. L’effondrement de l’Empire romain a duré plusieurs siècles. Celui de notre société mondialisée est probable avant 2020, certain avant 2030. »

* La civilisation thermo-industrielle va s’effondrer avant 2030, LaRevueDurable n° 44 (décembre à février 2012)

** entropie = mesure de la disparition irréversible de l’énergie d’un système.

Joseph Tainter, The collapse of Complex Societies (Cambridge University, 1988)

Jared Diamond, Effondrement (Gallimard, 2006)

John Michael Greer, The Long Descent (New Society Publishers, 2008)

François Roddier, du Big Bang à l’homme (à paraître en 2012)

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Inventer l’avenir sans Nathalie Kosciusko-Morizet

La ministre française de l’écologie NKM* s’imagine avoir du recul pour envisager le long terme : « La raréfaction des ressources naturelles et les pollutions menaçant les équilibres vitaux de notre planète… Importations de matières premières aux prix voués inexorablement à la hausse… La consommation à outrance a vécu. » Elle propose donc la sobriété, basée sur « le simple bon sens » et les économies d’énergie ! Mais dans le même temps, elle fait toujours confiance aux technologies de pointe : « Airbus, fusée Ariane, TGV, aciers spéciaux… » !! Car elle rêve encore d’une « nouvelle croissance » !!!

Nathalie Kosciusko-Morizet n’a pas encore compris que la sobriété assumée est incompatible avec la recherche de la croissance. Son diagnostic est bon (équilibres vitaux menacés), ses perspectives déplorables. Car aucune civilisation n’a survécu à la destruction continue de son écosystème. NKM fait comme tous ces prétendus experts qui ne voient dans la récession de 2088-2009 qu’un simple incident de parcours avant le retour à une croissance « nouvelle ». La pensée dominante ignore le seuil de reproduction durable des écosystèmes. Cette vision est aux antipodes de la réalité écologique.

Début 2009, John Beddington, premier conseiller scientifique du gouvernement du Royaume Uni, a déclaré que le monde ferait face d’ici 2030 à une « crise absolue » de pénuries d’eau et de nourriture et à une explosion des prix du pétrole. Une semaine plus tard, l’ancien président de la Commission du développement durable britannique Jonathan Porritt exprimait son accord ; mais il écrivait que la crise frapperait à une date plus proche de 2020 que de 2030. Il parle de « récession ultime », celle dont il pourrait être impossible de se relever. NKM ferait mieux de lire le livre de Lester Brown, Basculement, pour savoir comment éviter l’effondrement économique et environnemental.

* | LEMONDE.FR | 27.12.11 | Trois clés pour une croissance durable

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rendement maximal durable… des pêcheries ?

Les pouvoirs politiques sont trop libéraux en matière d’autorisation de captures, trop laxistes quant à la répression des infractions et trop tardifs dans leur prise de conscience de la gravité de la situation. Le marchandage politique à Bruxelles l’emporte donc sur l’analyse écologique. Après une discussion de marchands de tapis entre ministres européens de l’agriculture, les amis des pêcheurs sont contents. Les pêcheurs français pourront donc pêcher autant, voire plus en 2012 qu’en 2011*. Le ministre Bruno Lemaire exulte : « Il s’agit d’un résultat extrêmement positif, car il permet de maintenir les capacités de capture des pêches françaises ». Les pêcheurs espagnols ont obtenu des hausses de 110 % de leurs quotas de lotte et de 500 % du merlan bleu du nord.

La commission européenne souhaitait se référer au « rendement maximal durable »** dès 2012, le ministère français trois ans plus tard (« La France est prête pour 2015, lorsque ce sera possible et sans casse de bateau »), c’est-à-dire en 2020, c’est-à-dire jamais. En repoussant aux calendes grecques l’optimisation de l’exploitation des stocks, on pêche plus de poissons que les capacités de renouvellement des ressources halieutiques. Les ministres à Bruxelles votent ainsi contre les générations futures, mais cela reste l’objet d’un article confidentiel dans LE MONDE, article qui cite en passant les opposants comme Stephan Beaucher*** sans reprendre leurs arguments. La surexploitation des principaux stocks oblige à augmenter constamment l’effort de pêche pour maintenir artificiellement des volumes de prises et érode en permanence la rentabilité de l’activité. Les captures ont déjà atteint leur apogée autour des années 1970 ; pour pêcher la même quantité de poissons, il faut aller plus loin, pêcher plus profond, avec des bateaux toujours plus puissants.

En France, la politique publique de la pêche n’a jamais été pensée sur le long terme, n’a jamais répondu à une stratégie autre que le maintien de la paix sociale dans les ports. Un certain nombre de bateaux, quand ils quittent le port, ne partent plus pêcher des poissons mais des subventions. On consomme en moyenne 1 litre de gazole pour pêcher un kilo de poisson. Alors que l’approvisionnement mondial (quantité disponible par habitant) a culminé à 17,2 kilos en 1988, il est passé à 16 kg en 2003 et devrait être à 10 kg en 2050 sous la double pression de la diminution des stocks et de la croissance de la population. Par analogie au peak oil que nous redoutons, le peak fish a été atteint lors de la décennie 1990. Le rendement maximal durable est derrière nous.

* LE MONDE du 20 décembre 2011, Les pêcheurs ont obtenu le maintien de leurs quotas pour 2012

** rendement maximal durable : encore appelé Rendement Soutenable  Durable, c’est la plus grande quantité de biomasse que l’on peut extraire en moyenne et à long terme d’un stock halieutique dans les conditions environnementales existantes sans affecter le processus de reproduction. Mais ce rendement est une notion imparfaite. Ce n’est pas le seuil biologique au-delà duquel le stock n’est plus capable de se reproduire et disparaît brutalement. Les exemples récents d’effondrement sont malheureusement de plus en plus nombreux, particulièrement chez les petits pélagiques côtiers (harengs, sardines). Le niveau exact du seuil biologique critique est le plus souvent inconnu a priori. Pour observer le principe de précaution, il ne faut donc pas exploiter la totalité du stock.

*** Plus un poisson d’ici 30 ans ? de Stephan Beaucher (Les petits matins, 2011)

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François Hollande et le peuple de barbares

Nous sommes tout à fait d’accord avec Jean François Mouhot*, il est tout à fait « plausible que les générations futures nous maudissent pour les dégâts irréparables que nous aurons causés à la planète. Sans aucun doute, diront-ils, c’était là un peuple de barbares ». Autrefois l’esclavage semblait tout à la fois normal et indispensable, aujourdhui les esclavagistes sont jugés à juste titre barbares. Aujourd’hui l’esclavage mécanique semble tout à la fois normal et indispensable, faire rouler une voiture, se chauffer confortablement, prendre l’avion… Demain ce mode de vie sera jugé à juste titre comme le fait de barbares qui ont saccagé les ressources non renouvelables (et même renouvelables) pour une frange de la population qui vivait à l’occidentale.

C’est pourquoi nous ne pouvons pas être d’accord avec la transition énergétique de François Hollande** : beacoup trop mou face aux enjeux : « L’industrie nucléaire sera renforcée »… « Le CEA et Areva seront les fers de lance du renouvelable »… « Il faut préserver le pouvoir d’achat des Français »… Hollande n’est pourtant pas dupe, il sait que le prix de l’énergie va augmenter, mais l’après-pétrole reste totalement absent de son discours. C’est pourquoi il propose des mesures de protection des consommateurs en se gardant bien de préciser ce qui va différencier besoins essentiels et confort dans la facture énergétique. Les entreprises ne seront pas touchées par le coût de l’énergie pour « la préservation de leur compétitivité ». François Hollande veut aussi « ouvrir un grand débat sur l’énergie ». Rappelons que quand il était premier secrétaire du parti, l’énergie n’a jamais été soumis au débat alors que cela était prévu. Les promesses n’engagent pas celui qui les formule. La « sobriété énergétique » dont il parle reste un slogan !

En définitive, François Hollande ne veut fâcher personne, il prend les électeurs pour un peuple de barbares. Nous sommes loin d’une politique qui demande rigueur et efforts pour sauvegarder les générations futures et mettre un terme aux inégalités scandaleuses qui existent dans la consommation mondiale d’énergie. N’oublions pas que si tous les habitants de la Terre avaient une empreinte écolgique comme celle du Français moyen, il nous faudrait déjà plusieurs planètes… ce qui est impossible. Nous avons encore une mentalité d’esclavagistes ! François Hollande ne prépare par l’avenir, il nous maintient dans nos mentalités franco-françaises d’égoïstes. Mais bien entendu avec Sarkozy, ce serait pire… avec lui les barbares sont déjà là !

* Point de vue | LEMONDE.FR | 28.11.11 | Et nos enfants nous appelleront « barbares »

** LE MONDE du 29 novembre 2011, Réussir la transition énergétique

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