Le 24 avril 1968, le Premier ministre Georges Pompidou annonce l’introduction de la publicité à la télévision. Son discours est significatif des mauvaises décisions prises avec de faux arguments :
Pompidou : « La publicité est inéluctable, je n’ai rencontré personne qui me dise le contraire. »
Biosphere : Il n’y a rien d’inéluctable quand on est un véritable politique. Aujourd’hui, quarante ans plus tard, un président de la république voudrait même la suppression totale de la publicité sur les chaînes publiques ! Aucun politique digne de ce nom ne peut se retrancher derrière les « on dit », mais uniquement sur sa propre volonté de sagesse.
Pompidou : « Quand, d’ailleurs, a-t-on vu les hommes renoncer à user d’un moyen nouveau, né du progrès et particulièrement puissant. »
Biosphere : Encore cette vision défaitiste de l’inéluctable ! Nulle part on ne trouvera un axe de mesure de l’amélioration qui permettrait de parler de « progrès » en un sens absolu. La notion de progrès est une notion essentiellement politique, nous pouvons toujours rejeter les illusions du progrès. Quant à la volonté de puissance, mieux vaut la simplicité volontaire, on s’en rend chaque jour davantage compte.
Pompidou : « J’ai déclaré publiquement que nous n’accepterions pas de chaîne de télévision publicitaire remise à des intérêts privés. »
Biosphere : Le 16 avril 1987, TF1 est privatisée.
Pompidou : « Il est de la plus grande importance que notre appareil économique soit en mesure d’affronter la concurrence. La publicité est présente dans toutes les télévisons occidentales, à la seule exception… »
Biosphere : Ah la concurrence, sensée faire baisser les prix et promouvoir l’innovation ! Mais la publicité est-elle un gage de la concurrence quand on sait qu’elle profite aux plus gros annonceurs et favorise donc le processus de concentration aux mains des intérêts privés.
Pompidou : « Nous fûmes pendant de longues années le dernier des grands pays pour le développement de la télévision. Aujourd’hui encore, nous avons un retard à combler par rapport à nos voisins. »
Biosphere : En 1950, il y avait 3 794 postes de télévision en France, en 1958 déjà 958 000 postes déclarés, soit une multiplication par 252 en huit années seulement. Ce n’est pas la statistique qui est mensongère, c’est Pompidou. De toute façon, un pays pouvait très bien rester à l’écart de la télévision, la radio suffit amplement à informer de l’essentiel à savoir. Pour le reste, mieux vaudrait cultiver des activités avec autrui que rester branché 3 heures 27 en moyenne par jour devant son poste.
Pompidou : « Aucun des programmes, qu’ils soient d’information, de culture et de distraction ne doit être patronné par un annonceur. »
Biosphere : Je laisse à chacun le soin d’apprécier l’aveuglement d’une telle déclaration au vu du sponsoring actuel.
Pompidou : « Je déduis de ces principes que le téléspectateur doit toujours pouvoir refuser de regarder les émissions publicitaires sans être pour autant forcé de fermer son poste. Ce qui suppose qu’aux heurs où il y aurait de la publicité sur une chaîne, il y ait un programme normal sur une autre, résultat qu’on pourra également obtenir en ayant une chaîne sans publicité. »
Biosphere : Pour vérification, je donne donc rendez-vous ce soir à 20h30 devant la chaîne 1, la 2, la 3, la 4, la 5, la 6.
Pompidou : « Je déduis enfin de ces principes que le pourcentage du temps d’émission consacré à la publicité ne doit pas être tel qu’il dénature la succession des programmes, en abaisse le niveau global et gêne le téléspectateur. »
Biosphere : Le premier spot publicitaire est diffusé le 1er octobre 1968, la publicité est alors limitée à 4 minutes par jour. Le 1er octobre 1969, on passe à 6 minutes par jour. Aujourd’hui, la publicité peut officiellement envahir l’antenne des chaînes publiques 8 minutes par heure, 12 minutes sur les chaînes privées. Pompidou avait mis le doigt dans un engrenage qui a broyé notre savoir être et nos façons de penser.
Moralité : Dix jours après l’intervention de George Pompidou éclatent les événements de mai 68. A l’époque les deux chaînes de télévision sont placées sous la tutelle du ministre de l’information, et ses rédacteurs en chef sont convoqués chaque jour pour que soit vérifiés les sommaires des journaux télévisés. Nous passons avec l’introduction de la publicité d’un extrême à l’autre : au contrôle politique direct se substitue le contrôle indirect et pernicieux de l’audimat : il faut dorénavant faire le vide dans les cerveaux pour que les consommateurs achètent du coca-cola sans se poser de questions.
Source : Le Monde2, 15.03.2008