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C’est un constat, les foules aiment le sport de masse, elles préfèrent ça à la réflexion. Une telle attitude n’est-elle pas l’indice de la chute prochaine de notre civilisation comme « panem et circenses » (du pain et des jeux) a été celui de l’empire romain ? Nous nous attachons dans ce Biosphere-Info au Mondial des footeux. Tout nous ramène dans ces grandes messes planétaires à des histoires de nationalisme et de fric : rien de bon pour la santé de la biosphère. Dans un monde qui voit ses ressources diminuer de plus en plus rapidement, il faut se poser la question de l’existence de tout ce qui est superflu, donc de la société du spectacle qui déplace internationalement les foules pour des raisons futiles. Ce numéro reprend plus particulièrement les analyses de Jean-Marie Brohm, spécialiste de la sociologie politique du sport et critique éclairé des grandes manifestations sportives. La conscience écologique aura progressé le jour où il y aura bien plus de gens mobilisés par le pic pétrolier ou la disparition de la biodiversité que de gens intéressés par le sport-spectacle.
Déjà en juin 2008, nous faisions sur notre réseau de documentation ce résumé du livre de JM Brohm et M.Perelman, « Le football, une peste émotionnelle, sous-titré la barbarie des stades » : le foot-spectacle n’est qu’une activité dont l’objectif est la sidération des masses, l’encadrement d’un troupeau dont chacun fait partie et auquel tous sont assujettis. C’est l’infantilisation d’une foule qu’on a rendu hystérique, qu’elle se rassemble d’ailleurs dans les stades ou qu’elle reste avachie devant sa télé. Le foot est devenu le plus puissant des opiums du peuple, l’utilisation politique de l’hystérie collective est historiquement habituelle ! »
En 2010, nous avons montré l’importance du livre « Divertir pour dominer (la culture des masse contre les peuples) » issu du collectif Offensive : « Les nazis auraient été les premiers à comprendre l’importance de la culture de masse. Avec tous les moyens à leur disposition, ils ont créé un monde d’illusions qui a entraîné un peuple entier au désastre avec sa complicité active. En fait, ce résultat n’est que la continuation logique de la Révolution industrielle. C’est en Angleterre, le berceau de l’industrialisation, que sont nés le sport et le tourisme. A la naissance de la production de masse au début du XXe siècle correspond l’émergence d’une consommation de masse et le développement d’une culture de masse. Elle se définit comme un ensemble d’œuvres, d’objets et d’attitudes, conçus et fabriqués selon les lois de l’industrie, et imposés aux humains comme n’importe quelle autre marchandise. L’impuissance et la malléabilité des masses s’accroissent en même temps que les quantités de biens qui leur sont assignées. A partir du moment où le salariat s’étend à une majorité de la population, les dominants ne peuvent plus se contenter uniquement des rapports de force bruts. A ceux-ci, toujours nécessaire en dernier recours, s’ajouter la fabrication du consentement. La culture de masse est un élément essentiel de la reproduction de la société dominante. La lutte contre le divertissement n’est pas marginale ou périphérique, elle est essentielle. » Jean-Marie Brohm précisait : « Comment des militants peuvent-ils oublier que le sport a un effet politique massif de diversion, d’illusion et d’abrutissement de la classe ouvrière, C’est une manière de redoubler l’aliénation capitaliste. La corruption gangrène le football professionnel, des matchs sont truqués à travers des mafias qui organisent des paris clandestins, etc. Les supporters le savent, mais ils ne veulent pas briser le rêve. C’est très exactement ce qu’on appelle l’aliénation, ce qu’Engels a appelé la fausse conscience : la conscience d’un monde qui fait croire mensongèrement que le football, c’est du jeu, la liberté, la culture… Mais l’ethnologie montre que celui qui critique les mythes est banni, car ceux-ci permettent de renforcer la cohésion sociale. »
En 2014, nous faisions la publicité du livre « Football, la colonisation du monde (collectif) » et du numéro Quel sport ? (n° 25-26, juin 2014). Jean-Marie Brohm dénonçait une nouvelle fois la lobotomisation des esprits : « La dépolitisation massive par le football représente aujourd’hui la forme la plus insidieuse de l’endoctrinement idéologique, qui consiste à occulter les questions essentielles de l’existence sociale au profit de préoccupations infantilisantes, d’anecdotes futiles, de faits divers dérisoires. La fête, et rien que du bonheur, glapissent à l’unisson les fans, mordus et autres accros pour occulter la précarité sociale et la misère culturelle ! Le bavardage sportif, il faudrait même parler de commérage, qui sature de plus en plus l’espace public, les salles de rédaction, les couloirs d’école, les partis politiques… est non seulement la forme ordinaire de l’abrutissement des consciences, mais plus subtilement l’alignement des masses sur l’idéologie dominante. La servitude volontaire se dissimule derrière le déferlement médiatique associant dans la même crétinisation unanimiste les politiques, de l’extrême gauche à l’extrême droite et les entreprises multinationales qui participent grassement au foot business. »
A l’heure du Mondial de foot 2018, Jean-Marie Brohm est interviewé par le mensuel La Décroissance (juillet-août 2018). En voici quelques extraits :
« Pierre de Coubertin a façonné cette idéologie sportive. C’était un admirateur de Hitler, raciste bon teint, colonialiste farouche, misogyne absolu. Pour lui, le sport serait un besoin ancestral, il a donc imaginé une continuité trans-historique du sport antique au sport moderne en passant par les tournois de chevalerie. Il était incapable de comprendre l’évolution de l’humanité selon le développement forces productives et les formes politiques qui en découlent.
Pour la sociologie du sport dont je suis le fondateur en France, le sport ne peut se comprendre qu’en tant qu’institution. L’institution sportive apparaît en Angleterre, le pays de naissance du capitalisme, au XVIIIe siècle. Le sport anglais avait pour but de développer la volonté, la compétitivité, l’endurance, des qualités conquérantes pour coloniser les sauvages comme l’écrivait Pierre de Coubertin en 1912 dans son article « Le sport et la colonisation ». Toutes les idéologies fascistes, les nazis, les staliniens, se sont servis du sport pour mobiliser les foules, encadrer la jeunesse, la discipliner, diffuser le culte du héros, du guerrier, du stakhanoviste. Ces meutes sportives qui se rassemblent dans les stades pour hurler, c’est le pire du grégarisme. Le culte de la performance, on le retrouve à la fois dans le sport et dans l’entreprise. Avec une vision tronquée du corps, totalement formaté par la technique. Macron et sa bande de parvenus sont dans ce registre-là : la réussite individuelle à tout prix, en oubliant que la compétition, c’est toujours l’élimination des faibles (les losers) par les forts (les winners).
Aujourd’hui le sport de masse est globalisée, marchandisé, financiarisé. Le tennis, le foot, le Tour de France, la Formule 1 sont des institutions façonnées par le capitalisme financier. Le sport nécessite tout un appareillage technologique : chronométrage électronique, vidéo-scopie… il participe ainsi de l’arraisonnement du monde par la technique. Il suffit de voir comment l’espace est bétonné par la construction des circuits, des stades, et les infrastructures qui vont avec, des stations de ski etc. Le sport participe directement au saccage de la nature et nous enferme dans la futilité. Les matchs passent, les champions sont remplacés, mais les problèmes sociaux et écologiques restent. Pendant que les inégalités sociales s’accentuent et que le capitalisme détruit massivement les océans, la faune, la flore, le sport divertit les foules. C’est un facteur de légitimation d’un ordre inique
Le problème, c’est qu’il n’y a pas de force politique de contestation capable de porter la critique du sport : la gauche n’a jamais fait campagne contre les JO pour 2024 ; au contraire elle veut en faire des « jeux citoyens », « écologiques », un enfumage au quinzième degré. Si par malheur la France gagnait la Coupe du monde, il faudrait s’attendre à une nouvelle déferlante sur les Champs-Élysées, comme en 1998. Le rôle idéologique du sport n’est plus pensé aujourd’hui. Au contraire, universitaires, journalistes et hommes politiques sont contents de se faire photographier comme des crétins parmi des foules de supporteurs. »
Vous pouvez retrouver des articles de Jean-Marie Brohm dans « Total football. Une arme de diversion massive » (Quel sport ? n° 33-34 de mai 2018)
Quelques articles complémentaires sur notre blog Biosphere
– Mondial 2018
Mondial 2018, pour l’élimination de l’équipe de France
… Le foot est une religion, habillé des mêmes oripeaux, une tenue spéciale sur le stade ou dans les gradins, des chants comme à la messe, le culte des sanctifiés du ballon rond, des trophées en forme de calice, la ferveur d’une communauté en transe, des foules de supporters confites en dévotion. Plus besoin d’aller à la messe quand on aime le foot. Dieu n’aime pas le foot, c’est devenu un concurrent trop en vogue, un substitut trop parfait. L’écologie aime encore moins le foot…
– Mondial 2014,
Mondial de foot, gabegie et inutilité se terminent enfin
… Après un mois de péripéties sans intérêt, le Mondial de foot est enfin terminé. LE MONDE, autrefois quotidien de référence, commet un édito débile célébrant les côtés positifs et bénéfiques de la fatuité, de la gabegie et de l’inutilité. Après que la Fifa ait imposé ses règles afin d’engranger des dividendes indus et qu’on expulse par milliers les gens de chez eux, ou qu’on pose un cache pour que le Brésil n’exhibe pas sa pauvreté… Mais le comble de l’absurde est atteint en Allemagne. L’entraîneur Joachim Löw s’épanchait après la victoire de son équipe en finale : « Ce profond sentiment de bonheur est éternel… » Le site du Bild. « Merci, Jogi (Löw) ! Merci les garçons ! Vous nous avez rendus infiniment heureux ». L’éternité et l’infini, les attributs de l’univers pour un simple match de foot, l’un parmi les innombrables matchs de foot qui se jouent chaque année dans le monde ! Si les supporters mettaient autant d’enthousiasme que les pantins médiatisés de la FIFA pour essayer d’agir contre les émissions de gaz à effet de serre, la fonte des glaciers pourrait peut-être s’enrayer…
Peut-on être écologiste et aimer le foot ? Certes non
… Dans quelle mesure peut-on aimer le foot ? Pourquoi tant d’attention envers ces gamins attardés qui courent derrière un ballon ? Les écologistes véritables condamnent tout ce qui est aliénation de la pensée et de l’acte : pourquoi des stades, ces grands projets inutiles, alors que la marche et la course à pied (avec ou sans ballon) peuvent se faire sans béton ni spectateurs…
Mondial 2014, le football va-t-il quitter les stades ?
… Le coup d’envoi de la Coupe du monde de foot sera donné le 12 juin à Sao Paulo. Mais jamais dans l’histoire du Brésil une vague de mécontentement ne s’était exprimée avec une telle ampleur : près de 40 % des Brésiliens interrogés se disaient opposés à la tenue de l’événement. Les manifestations que n’en finissent pas de traverser tout le pays ont contribué à asseoir l’idée que la Coupe du monde est bien le symbole de la gabegie des deniers de l’Etat…
– Mondial 2010
Surinformés et désinformés, donc infantilisés
… Nos sociétés occidentalisées sont à la fois surinformées, sous-informées et désinformées. La coupe du monde 2010, qui n’apporte pourtant aucune information véritable, prend plusieurs pages et souvent les grands titres, même dans Le Monde. Cette prédominance du sport-spectacle, le foot un jour, le tennis le lendemain et la F1 entre-temps est renforcée par la main-mise de la culture de masse sur les informations…
Le Mondial fait grossir
… Pour savoir ce qui compte vraiment dans ce Mondial, il faut vraiment chercher. Ainsi nous apprenons que les nutritionnistes donnent un carton rouge à la FIFA. Le fonds mondial de recherche sur le cancer accuse la Fédération internationale de football d’avoir mal choisi ses sponsors qui « vendent des produits malsains : Coca Cola, McDonald’s ou les bières Budweiser ». Ces firmes ont le droit d’afficher leurs publicités sur tous les sites du Mondial alors qu’elles encouragent le surpoids… Et pendant qu’on amuse les voyeurs du ballon rond, la planète crève sous le poids de la dilapidation des ressources naturelles par les firmes multinationales.
Le Mondial des gogos
… Nous sommes inquiets, le virus se répand encore plus vite que celui de la grippe A. Déjà 26 milliards de Terriens (audience cumulée des retransmissions télévisées) intoxiqués en 2006 en Allemagne, combien pour le Mondial 2010 en Afrique du Sud ? Les Terriens n’éprouvent pas le besoin d’aimer le foot, mais les chaînes de télé et les puissances d’argent arrivent à les convaincre d’aduler le foot. Depuis 1998, les droits télévisés ont quasiment décuplé pour atteindre cette année un pactole estimé à 1,4 milliards d’euros. Comme la société de croissance arrive aux bouts de ses possibilités étant donné l’épuisement des ressources de la planète, il lui faut trouver une alternative, il lui faut amuser le peuple, le divertir pour continuer à le dominer… Si les médias, les politiques et les Terriens avaient prêté autant d’attention au réchauffement climatique qu’au Mondial de foot, le sommet de Copenhague aurait été un franc succès. Mais le capitalisme libéral préfère que les humains s’intéressent au foot-spectacle plutôt qu’à leurs conditions de vie présentes et futures !