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BIOSPHERE-INFO, tout savoir sur l’Écologie profonde

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numéro de juin 2017

Nous, qui sommes responsables de la crise des conditions de vie sur Terre, nous avons aussi la capacité intellectuelle de déterminer comment vivre dans un équilibre durable et dynamique avec les autres formes de vie. Pour nous éclairer, Arne Naess avec George Sessions avait formulé à la fin des années 1970 une offre de « plate-forme de l’écologie profonde » en huit points.

I) Plate-forme de l’écologie profonde en huit points

1/8) Le bien-être et l’épanouissement des formes de vie humaines et non-humaines sur Terre ont une valeur en elle-même (intrinsèque). Ces valeurs sont indépendantes de l’utilité du monde non-humain pour les besoins humains.

2/8) La richesse et la diversité des formes de vie ont une valeur en elles-mêmes et contribuent à l’épanouissement de la vie humaine et non humaine sur Terre.

3/8) Les humains n’ont pas le droit de réduire la richesse et la diversité biologique, sauf pour satisfaire des besoins vitaux.

4/8) L’épanouissement de la vie et des cultures humaines n’est compatible qu’avec une diminution substantielle de la population humaine. L’épanouissement des formes de vie non-humaine requiert une telle diminution.

5/8) L’interférence humaine actuelle avec le monde non humain est excessive et nuisible, et la situation s’aggrave rapidement.

6/8) Les politiques doivent donc changer. Ces changements politiques affecteront les structures économiques, techniques, et idéologiques de la société à un niveau fondamental. La société changera en profondeur et rendra possible une expérience plus joyeuse de l’interdépendance de toutes choses.

7/8) Les changements idéologiques passent par l’appréciation d’une bonne qualité de vie plutôt que l’adhésion à des standards de vie toujours plus élevés. Il y aura une profonde conscience de la différence entre quantité et qualité.

8/8) Ceux qui souscrivent aux points précédents s’engagent à essayer de mettre en application directement ou indirectement les changements nécessaires.

II) Commentaires de la plate-forme par Arne Naess

1/8) Le bien-être et l’épanouissement des formes de vie humaines et non-humaines sur Terre ont une valeur en elle-même (intrinsèque). Ces valeurs sont indépendantes de l’utilité du monde non-humain pour les besoins humains.

Le terme écosphère est préférable au terme de biosphère, pour bien insister sur le fait que nous ne prenons pas seulement en compte les formes de vie au sens étroit du terme. Nous n’utilisons pas le terme de « vie » au sens technique, et nous l’employons aussi pour désigner des éléments que les biologistes considèrent comme non vivants : les rivières, les paysages, les champs, les écosystèmes, la terre vivante. Des slogans tels que « laissez vivre la rivière » illustrent bien cet usage du mot « vie », si répandu dans différentes cultures. Il n’y a que dans nos écoles occidentales que le terme « vivant « est exclusivement associé à la science de la biologie.

2/8) La richesse et la diversité des formes de vie ont une valeur en elles-mêmes et contribuent à l’épanouissement de la vie humaine et non humaine sur Terre.

Les espèces de plantes et d’animaux prétendument simples, inférieures ou primitives contribuent de façon décisive à la richesse et à la diversité de la vie. Elles ont une valeur en elles-mêmes et ne sont pas simplement des étapes dans l’avènement de formes de vie prétendument supérieures et rationnelles. Complexité et complication sont deux choses différentes. La vie urbaine peut être plus compliquée que la vie d’un écosystème sans pour autant être plus complexe. Pourquoi parler de diversité et de richesse ? Supposez que les hommes interfèrent dans un écosystème à un degré tel que mille espèces de vertébrés en soient réduites à un état de survie. Ce serait à l’évidence une situation inacceptable. Nous exigeons une abondance d’habitats interconnectés par des « corridors » écologiques. Il faut comprendre que notre impact sur la vie sur Terre peut être excessif quand bien même nous en respectons la diversité.

3/8) Les humains n’ont pas le droit de réduire la richesse et la diversité biologique, sauf pour satisfaire des besoins vitaux.

Cette formule est peut-être excessive. Mais étant donné le nombre incroyable de droits que les êtres humains s’octroient, il peut être salutaire de formuler une norme sur ce que les humains n’ont pas le droit de faire. Il nous faut prendre en compte des situations dans lesquelles nous ne pouvons revendiquer aucun droit. Nous avons délibérément choisi de laisser le terme « besoin vital » dans le flou pour que chacun soit libre de l’interpréter comme il l’entend. Il faut prendre en compte les différences de climat ainsi que les différences d’organisation dans les sociétés telles qu’elles existent aujourd’hui. Il faut également prendre en considération la différence entre un moyen pour satisfaire un besoin et le moyen lui-même. Pour le baleinier, la chasse à la baleine est une moyen important d’éviter le chômage. Mais il faut pourtant de toute urgence contrôler le pêcheur et son bateau, pour éviter la surpêche et l’usage de méthodes barbares.

4/8) L’épanouissement de la vie et des cultures humaines n’est compatible qu’avec une diminution substantielle de la population humaine. L’épanouissement des formes de vie non-humaine requiert une telle diminution.

La stabilisation et la réduction de la population humaine prendre du temps. Il faut donc mettre en place des stratégies provisoires. Mais cela n’excuse en rien la complaisance dont nous faisons preuve actuellement ; nous devons prendre conscience de l’extrême gravité de la situation présente. Plus nous attendons, plus nous serons obligés de prendre des mesures drastiques. Tant que des changements profonds n’auront pas été réalisés, nous courons le risque d’assister à une diminution substantielle de la richesse et de la diversité de la vie ; le rythme d’extinction des espèces sera dix à cent fois supérieur qu’à n’importe quelle autre période de l’histoire humaine. Mais si les milliards d’êtres humains qui vivent aujourd’hui sur Terre adoptaient un comportement écologiquement responsable, la vie non humaine pourrait elle-aussi s’épanouir.

5/8) L’interférence humaine actuelle avec le monde non humain est excessive et nuisible, et la situation s’aggrave rapidement.

Dans les pays les plus riches, on ne peut pas s’attendre à ce que les gens réduisent leur impact sur le monde non humain du jour au lendemain. Réduire notre impact ne veut pas dire que nous ne pourrons plus modifier certains écosystèmes comme le font d’autres espèces. Les homme ont toujours transformé la terre et continueront probablement à le faire. Il s’agit de connaître la nature exacte et l’étendue de ces transformations. La biosphère a besoin d’immenses territoires sauvages pour que l’évolution et le spéciation des plantes et des animaux puissent s’y poursuivre. Les réserves de nature sauvage sont actuellement trop petites et trop peu nombreuses.

6/8) Les politiques doivent donc changer. Ces changements politiques affecteront les structures économiques, techniques, et idéologiques de la société à un niveau fondamental. La société changera en profondeur et rendra possible une expérience plus joyeuse de l’interdépendance de toutes choses.

La croissance économique telle qu’elle est aujourd’hui conçue et mise en application par les États industriels, est incompatible avec les 6 premiers points de la plate-forme de l’écologie profonde. Autonomie, décentralisation, bio-régionalisme, un slogan comme « penser globalement, agir localement » ; tous ces termes continueront à jouer un rôle important dans l’écologie des sociétés humaines. Mais si nous voulons mettre en place des changements profonds, nous devons nous engager dans une action globale qui dépasse les frontières. Lorsque des communautés locales soutiennent le prétendu développement de façon inconditionnelle, il est nécessaire qu’une autorité centrale les contraigne à adopter une politique écologique plus responsable. Il y a donc des limites à la décentralisation des décisions écologiques les plus importantes. Il devient aussi primordial de s’engager dans une action globale à travers des organisations non-gouvernementale. La plupart de ces organisations sont capables d’agir globalement tout en s’appuyant sur des contextes locaux, évitant ainsi des interventions gouvernementales malvenues. Aujourd’hui la diversité culturelle a besoin d’une technologie de pointe, c’est-à-dire des techniques qui permettent à chaque culture d’atteindre ses objectifs fondamentaux. Les technologies dites douces ou alternatives sont des étapes dans cette direction. Mais ce que l’on appelle actuellement « technologies de pointe » correspond rarement à ce nom.

7/8) Les changements idéologiques passent par l’appréciation d’une bonne qualité de vie plutôt que l’adhésion à des standards de vie toujours plus élevés. Il y aura une profonde conscience de la différence entre quantité et qualité.

Certains économistes critiquent l’expression « qualité de vie » et considèrent qu’elle est floue. Mais à l’examen, ce qu’ils tiennent pour flou est la nature non quantitative du terme. On ne peut quantifier correctement ce qui est important pour la qualité de la vie, et il n’est pas nécessaire de le faire.

8/8) Ceux qui souscrivent aux points précédents s’engagent à essayer de mettre en application directement ou indirectement les changements nécessaires.

Nous sommes libres de nous faire des opinions différentes des priorités de notre vie : que devons-nous faire en premier, et après ? Qu’est-ce qui est le plus urgent ? Qu’est-ce qui est nécessaire ? Qu’est-ce qui est souhaitable ? Les différences d’opinions n’excluent pas une coopération énergique. Formuler des principes fondamentaux qui soient partagés par la plupart des partisans de l’écologie profonde peut nous permettre de déterminer, parmi nos désaccords, lesquels nous aurions intérêt à atténuer, et lesquels à accentuer.

in Arne Naess, la réalisation de soi (éditions wildproject 2017, 314 pages pour 22 euros)

III) présentation du philosophe et écologiste Arne Naess

En 1973, le philosophe norvégien Arne Naess lança le mouvement de l’écologie profonde, la philosophie préférée des militants écologistes radicaux. Il est mort à l’âge de 96 ans le 12 janvier 2009. En Norvège, sa disparition a donné lieu à un hommage national.

Arne Naess est un philosophe atypique. Considéré par les positivistes logiques comme un des éléments les plus prometteurs du Cercle de Vienne, Arne Naess ne se ralliera jamais à leur thèse d’une réduction de la philosophie à l’analyse logique du langage, ni à l’idée que l’on puisse congédier l’ensemble des énoncés de la métaphysique au rang de non-sens. En 1938, Naess est nommé professeur de philosophie à l’université d’Oslo. Débute alors pour lui à 27 ans une carrière universitaire des plus brillantes. Arne Naess y met fin en 1969, lorsqu’il abandonne prématurément l’université : il préfère « vivre plutôt que fonctionner ».

Il s’engage dans la cause écologiste et, dès 1970, élabore son concept d’écologie profonde, en opposition à l’écologie dite « superficielle » qui se focalise uniquement sur la réduction de la pollution et la sauvegarde des ressources matérielles en vue de garantir le niveau de vie actuel des sociétés riches. A l’inverse, l’écologie profonde s’inscrit dans le long terme et place la réflexion écologique au niveau métaphysique (elle est « écosophie ») afin de transformer durablement la conception moderne du rapport de l’homme à la nature. Naess propose ainsi de substituer à l’image de l’homme-dans-son-environnement une vision relationnelle du monde qui rejette l’anthropocentrisme, et défend la thèse de l’ « égalité biosphèrique », à savoir le droit égal pour tous les êtres vivants de vivre et de s’épanouir en raison de la valeur intrinsèque de chacun.

En sus de l’élaboration de ces grandes thèses philosophiques qui ont donné lieu à un très grand nombre de discussions relativement scolastiques dans le cadre du développement de l’éthique environnementale sur les campus américains, Naess aura toujours prôné la nécessité d’une action militante comme une donnée essentielle de l’écologie profonde. Il se distingue notamment lors des manifestations anti-barrage de Mardöla en 1970, et d’Alta en 1980. On pourra regretter que l’écologie profonde nous soit parvenue en France sous l’effet de la caricature absurde, réduisant l’égalitarisme biosphèrique à une forme d’antihumanisme fascisant*. Il n’en a pas fallu beaucoup pour que la position, certes radicale, des écologistes profonds en faveur d’une réduction de la population humaine comme vecteur important de l’amélioration de la condition humaine et de la planète ne réveille chez certains les peurs génocidaires.

Espérons que la (re)découverte d’Arne Naess nous donne l’occasion de relire une œuvre jamais marquée par les certitudes, profondément ouverte et tolérante, humaine et pacifiste, fortement imprégnée de la pensée de Spinoza et de Gandhi – à l’heure ou l’écologie politique, engloutit dans les pratiques politiciennes, plonge de plus en plus dans l’impensé.

* Le Nouvel Ordre écologique de Luc Ferry est l’exemple le plus emblématique de cette interprétation.

Un livre récemment paru (avril 2017) fait une bonne présentation d’Arne Naess et recense certains de ses articles : Une écosophie pour la vie (introduction à l’écologie profonde) aux éditions anthropocène/Seuil

Références biographiques sur notre réseau de documentation des écologistes :

Ecologie, communauté et style de vie de Arne NAESS

Vers l’écologie profonde (Arne NAESS avec David ROTHENBERG)

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Plate-forme de l’ écologie profonde (6/8)

La crise des conditions de vie sur Terre peut nous aider à choisir une nouvelle voie. Nous, qui sommes responsables de cette situation, nous avons la capacité intellectuelle de réduire notre nombre consciemment et de vivre dans un équilibre durable et dynamique avec les autres formes de vie. A la fin des années 1970, Arne Naess a formulé avec George Sessions une offre de « plate-forme de l’écologie profonde » en huit points. Voici le sixième, explicité lors d’une conférence* prononcée en 1986 :

6/8) Les politiques doivent donc changer. Ces changements politiques affecteront les structures économiques, techniques, et idéologiques de la société à un niveau fondamental. La société changera en profondeur et rendra possible une expérience plus joyeuse de l’interdépendance de toutes choses.

La croissance économique telle qu’elle est aujourd’hui conçue et mise en application par les États industriels, est incompatible avec les 6 premiers points de la plate-forme de l’écologie profonde. Autonomie, décentralisation, bio-régionalisme, un slogan comme « penser globalement, agir localement » ; tous ces termes continueront à jouer un rôle important dans l’écologie des sociétés humaines. Mais si nous voulons mettre en place des changements profonds, nous devons nous engager dans une action globale qui dépasse les frontières. Lorsque des communautés locales soutiennent le prétendu développement de façon inconditionnelle, il est nécessaire qu’une autorité centrale les contraigne à adopter une politique écologique plus responsable. Il y a donc des limites à la décentralisation des décisions écologiques les plus importantes. Il devient aussi primordial de s’engager dans une action globale à travers des organisations non-gouvernementale. La plupart de ces organisations sont capables d’agir globalement tout en s’appuyant sur des contextes locaux, évitant ainsi des interventions gouvernementales malvenues. Aujourd’hui la diversité culturelle a besoin d’une technologie de pointe, c’est-à-dire des techniques qui permettent à chaque culture d’atteindre ses objectifs fondamentaux. Les technologies dites douces ou alternatives sont des étapes dans cette direction. Mais ce que l’on appelle actuellement « technologies de pointe » correspond rarement à ce nom.

* in Arne Naess, la réalisation de soi (éditions wildproject 2017, 314 pages pour 22 euros)

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BIOSPHERE-INFO, sur la « science sans conscience »

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BIOSPHERE-INFO n° 376, octobre 2016

Il faut s’intéresser à la technoscience, la science est de plus en plus reliée à des applications techniques. C’est ce que faisait notre numéro de décembre 2013 intitulé dualisme des techniques, douces ou dures. Celui de septembre 2014 relatait l’existence de l’association TECHNOlogos : penser la technique aujourd’hui et résister à sa puissance. Mais cette problématique interroge plus fondamentalement la place de la science dans la société. On peut citer des initiatives comme la fondation Sciences Citoyennes qui œuvre à une réappropriation citoyenne et démocratique de la science et de la technique afin de les mettre au service du bien commun. Aujourd’hui nous consacrons ce numéro de Biosphere-Info à un site plus récent, Sciences Critiques : « Si la science un jour règne seule, les hommes crédules n’auront plus que des crédulités scientifiques. » (Anatole France). Voici quelques liens sur son contenu :

Quelques tribunes libres (rubrique « Savoir »)

Pourquoi et comment être critique de science ? (Jacques Testart, février 2015)
Pourquoi il ne faut pas sauver la recherche scientifique (par Le Groupe Oblomoff, mars 2015)
Pour une critique de science (par Jean-Marc Lévy-Leblonc, mars 2015)
La science est-elle universelle ? (par Fabrice Flipo, avril 2015)
L’économie est-elle une science ? (par Didier Harpagès, mai 2015)
Aux racines de la critique des sciences (par Renaud Debailly, juin 2015)
Du scientisme aux savoirs vivants (par Moins !, juillet 2015)
Impasse de la technoscience (par Joël Decarsin, septembre 2015)
La science est-elle sacrée ? (par Christian Godin, novembre 2015)
Y a-t- il des « antiscience » ? (par Fabrice Flipo, décembre 2015)
Religiosité de la technoscience (Simon Charbonneau, avril 2016)
Qu’est-ce que la science post-normale ? (Giacomo D’Alisa et Giorgos Kallis, mai 2016)

Quelques « Grands Entretiens »

Les débats scientifiques peuvent être instrumentalisés (Stéphane Foucart, septembre 2015)
Les climatosceptiques se moquent de la vérité scientifique (Laure Noualhat, octobre 2015)
Il n’y a pas de maîtrise démocratique de la science (Jean-Marc Lévy-Leblond, décembre 2015)
Oser les indisciplines de l’intuition (Mohammed Taleb, mai 2016)
Le XXIème siècle doit devenir le siècle de l’hygiène chimique (Joël Spiroux de Vendômois, juin 2016)
Il est urgent de repenser nos imaginaires (Sébastian Vincent Grevsmühl, juin 2016)

Articles déjà publiés (rubrique « Comprendre »)

http://sciences-critiques.fr/category/comprendre/

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deux écologies, l’une superficielle, l’autre raisonnable !

Les journalistes du MONDE sont adeptes de la première écologie. Il faut aller plus loin, l’écologie est une approche transversale qui s’occupe à la fois du moment présent, des générations futures et des non-humains. L’élargissement dans le temps et dans l’espace de l’analyse journalistique est donc nécessaire. Par exemple :

1/2) le grand Tétras

Prenons Martine Valo sur le grand tétras. Son article oppose deux points de vue contradictoires : « Le grand tétras sème la discorde entre défenseurs de la nature et hérauts des énergies renouvelables. Au nom de la protection de ce gallinacé emblématique du massif des Vosges des associations s’opposent à un projet d’éoliennes : « Si on commence à installer des éoliennes ici, il risque d’y en avoir partout dans les Vosges ». Le maire Henri Stoll, principal promoteur des éoliennes et candidat aux primaires EELV pour l’élection présidentielle de 2012 : « Dans cette forêt, on fait de la monoculture d’épicéas, ça manque de bruyère pour que le tétras se nourrisse. Voilà le problème ». Chacun se renvoie les avis d’experts qui l’arrangent. »*

D’un côté il y a la nature, la tranquillité des chemins pédestres et les harmonieuses collines sans éoliennes. De l’autre il y a la nécessité de lutter contre le réchauffement climatique et de préparer la civilisation de l’après-pétrole. Si on veut défendre le premier point de vue, il faut d’abord et surtout agir contre les centrales nucléaires, leurs déchets et leurs pylônes qui dénaturent la nature, contre les autoroutes et les lignes à grande vitesse qui fragmentent les paysages, contre la civilisation thermo-industrielle et sa pollution de l’air, des eaux et des sols. S’ils en arrivent à penser ainsi, les tenants de l’écologie superficielle se rendent compte qu’il faut des moulins à vent pour moudre le blé et nourrir une population nombreuse… à moins de vouloir retourner aux fléaux de nos lointains ancêtres. Ce qui veut dire qu’il est nécessaire de débattre des techniques plus ou moins douces, du niveau de notre (sur)population, de l’échelle de nos besoins en énergie, de la place à donner aux tétras et aux chauves-souris, etc. Les réponses ne sont jamais évidentes, mais halte aux oppositions stériles entre « écolos ».

* LE MONDE du 30 août 2013, Au col du Bonhomme, éoliennes contre grand tétras

2/2) les électrohypersensibles

Audrey Garric présente la même posture que Martine Valo, façon Janus: « Les ondes émises par les antennes-relais, téléphones portables et autres réseaux Wi-Fi ont-elles un impact sur la santé ? Si cette question controversée génère une littérature scientifique foisonnante, elle n’a toujours pas été tranchée, laissant les personnes électrohypersensibles (EHS) démunies. Une réduction de l’exposition aux ondes sous le seuil de 0,6 volt par mètre (contre 41 à 61 V/m actuellement) est défendue par les associations comme un « seuil de protection » sanitaire. Mais ce plafond est critiqué par les opérateurs de téléphonie mobile, qui s’appuient sur l’Agence nationale de sécurité sanitaire : l’agence Anses estimait en 2009 que les ondes n’entraînaient pas d’effets sanitaires et jugeait infondée la valeur limite de 0,6 V/m. Or depuis, en 2011, l’Organisation mondiale de la santé a classé les ondes électromagnétiques comme potentiellement cancérigènes. Une étude française sur de jeunes rats a conclu à une perturbation du sommeil, de la régulation thermique et de la prise alimentaire entraînée par les radiofréquences. Chez l’homme, ce lien de causalité n’a jamais été établi. Il y a deux consultations médicales spécialisées en France. Dominique Belpomme : « A l’aide de tests, nous avons découvert que tous les EHS présentent un manque d’oxygène dans le cerveau. » Laurent Chevallier : « On pourrait observer la même chose chez d’autres patients non-EHS. »**

D’un côté il y a les tenants du progrès technique qui, même si on leur démontre que les ondes électromagnétiques sont néfastes, voudront poursuivre la course en avant : le risque doit être assumé, le principe de précaution est nul, etc. De l’autre il y a les diverses victimes du progrès technique, les EHS mais aussi les addicts aux écrans, les problèmes du tout électrique, ceux qui n’ont pas accès aux nouvelles technologies, les exploités qui nous procurent les terres rares de nos machins dernière génération, etc. Si chacun accepte de remonter la chaînes des causalités, on se rend compte que les limites de la planète sont dépassées et qu’il faut savoir se contenter de moins. Est-ce que le portable et le Wi-Fi nous apporte plus de bonheur que la téléphonie fixe ? La réponse est non, les ondes électro-magnétiques n’ont aucune raison de se multiplier.

** LE MONDE du 31 août 2013, une souffrance mal comprise et peu prise en charge

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mieux que Zoé, le pédalier, une énergie à explorer

La revue L’Ecologiste de janvier-mars 2013 expose tout un dossier « Comment vivre plus simplement ». On passe du jardinage collectif urbain en Russie à la supériorité de la lecture papier par rapport à Twitter. Mais c’est l’article « le pédalier, une énergie à explorer », qui nous a paru le plus symptomatique des temps qui viennent : ni retour à la bougie, ni passage à la fusion nucléaire, des techniques aussi douces que sophistiquées. Grâce au pédalage, on peut fournir directement de l’énergie à des machines ou bien générer de l’électricité.

Au Guatemala, Mayapedal fournit des machines à pédalier qui actionnent des pompes à eau, des broyeurs, des batteuses, des décortiqueuses, des mixeurs et même des machines à laver. Le Dynapod de l’ingénieur britannique Alex Weir peut faire fonctionner des soufflets de forge, des foreuses, des tours de potier, des pistolets à peinture, des broyeuses de café, des scies à ruban et des machines à coudre. La machine multifonctionnelle de l’Indien J.P.Modak fournit plus d’énergie que la personne qui l’utilise grâce à un volant d’inertie qui libère de l’énergie cinétique. Ce système a été réalisé initialement pour fabriquer des briques. Il fournit entre 20 et 60 fois ce qu’un homme moyen peut fournir, soit 300 watts momentanément ou 100 watts sur une longue période.

La façon la plus simple de produire de l’électricité est de fixer un générateur sur un vélo fixe. Le pédalier qui génère de l’électricité fait perdre jusqu’à 70 % de l’énergie. Mais on peut là aussi ajouter un volant  d’inertie. Si les Népalais pédalaient deux heures par jour, leur pays serait autosuffisant en énergie. Un village est équipé d’un générateur qui est actionné 8 heures par jour, chargeant de grosses batteries. Cela fournit assez d’électricité pour 200 foyers.

Nous jugeons ces perfectibles engins par rapport aux machines générées par le pétrole et non aux outils manuels et aux machines qui les ont précédés. Cette technique du pédalier fait donc sourire les occidentaux mais elle est bien accueillie dans le monde en développement où les méthodes agricoles reposent sur la force humaine avec des outils peu élaborés. Ce sont les pays pauvres qui sont en train de mettre au point un fonctionnement indépendant des sources d’énergie fossile.

Source : L’écologiste n° 39, janvier-mars 2013 p.38-39

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Vivre comme un écolo : dans la souffrance ?

Vivre comme un écolo implique des « sacrifices » qu’il vaudrait mieux pratiquer volontairement dès aujourd’hui plutôt que de les subir violemment demain. Réponse à quelques questions :

A) Faut-il devenir un moine écolo ?

Le mode de vie à l’occidentale est bien au-dessus des possibilités de la planète (cf. empreinte écologique), ce qui nécessite une cure d’austérité qui implique une sobriété personnelle importante. Or le pouvoir politique ne peut être efficace sans la simplicité volontaire des individus, d’autant plus que nous fonctionnons socialement par interaction spéculaire : « tu fais parce que je fais parce que nous faisons tous ainsi. » Le changement social résulte donc de notre exemplarité dans notre comportement écolo. Comme à l’impossible nul n’est tenu, à chacun de nous de faire son possible dans sa transformation personnelle. Mais il n’y a pas de possibilité d’une société juste sans un mouvement dont les militants n’essayent pas d’être aussi des « justes ».

B) Faut-il éviter de parler d’une vie sans téléphone portable devant des jeunes ?

Le constat de réalité concerne tout le monde, y compris les jeunes. La pédagogie ne consiste pas à faire croire au père Noël qui apporte gratuitement les dernières « tablettes » numériques au pied du sapin. De la part de responsables politiques, ce serait un comble de cacher aux utilisateurs les limites économiques, sociologiques et écologiques du portable en particulier et des écrans en général. Il faut lutter contre les stéréotypes sociaux, « le portable est absolument nécessaire », « la voiture rend libre »… alors que ces équipements  nécessitent toute une organisation complexe, technique, gourmande en terres rares et d’autant plus difficiles à maintenir de façon durable. Préparons politiquement avec les jeunes l’avenir de nos générations futures, ne succombons pas aux délices du consumérisme et de l’aliénation.

C) Faut-il éviter de parler en terme de « tu dois » ?

L’éducation ne consiste pas à prôner la loi du moindre effort et à éviter les interdits. Il faut assurer des repères. La socialisation actuelle fait croire aux gens à la liberté individuelle totale alors que le système nous enserre dans un système de contraintes de plus en plus grandes ; notre pouvoir d’autonomie en est réduit d’autant. La liberté véritable n’existe que si nous avons conscience claire des contraintes. Nous devons nous forcer à redéfinir les techniques (douces) et les relations (conviviales) qui permettent de retrouver notre autonomie. Aussi nous ne disons pas seulement « tu dois », mais plutôt : « Tu dois chercher par toi-même le sens de ta liberté et retrouver ainsi le sens des limites. » Le pouvoir sur soi va avec le devoir envers les autres. En s’exprimant ainsi, nous ne culpabilisons pas les gens, nous leur disons simplement qu’ils possèdent eux-aussi le sens de la responsabilité : responsable, mais pas coupable !

D) Faut-il condamner le système plutôt que les individus ?

Il ne devrait pas y avoir de contradiction. L’écologie montre en effet que le tout et ses parties sont indissociables. C’est la somme des comportements individuels qui fait évoluer la société, mais c’est la société ainsi créée qui formate les individus. Il faut donc à la fois agir sur la chaîne et les maillons de la chaîne. Si on en reste à vilipender le pouvoir capitaliste et à manifester dans les rues, l’expérience historique montre que nous n’avons rien gagné. Le vainqueur des mouvements dans les pays arabes n’est pas la démocratie, mais une idéologie qui est plutôt son contraire. L’écologie est concrète. Par exemple la surconsommation est produite à la fois par le système de publicité et par l’achat « volontaire » de ses produits par le consommateur. A notre avis, l’écologie politique réclame à la fois la fin de la publicité (décision politique) et le changement du mode de consommation des individus (action personnelle). L’un est indissociable de l’autre, à chacun de prendre ses responsabilités sans se croire jugé.

E) Question diverses

A toi, lecteur,  de les poser en commentaire, nous y répondrons…

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le portable, technique douce ou dure ?

Les techniques que nous utilisons devraient être douces à la nature, douce aux communautés humaines. Prenons l’exemple de la communication orale. Rien de plus simple, nous pouvons échanger directement, facilement. Mais notre société a tout compliqué. Le tout petit enfant mâchouille quelque chose au moment de la poussée des dents. Alors les usines mettent sur le marché des morceaux de caoutchouc reproduisant un portable, avec touches et tout. L’intoxication commence. Puis est venue pour l’enfant l’accumulation de jouets, à Noël et autres anniversaires : une montagne de jouets nécessitant presque tous des piles électriques. Pas étonnant qu’à 7-8 ans, l’enfant réclame déjà son téléphone personnel ! Mais ce n’est plus à l’autonomie que l’enfant accède, c’est à la soumission à une société thermo-industrielle. Car qui dit électricité dit prise électrique, énorme réseau de poteaux et de transformateurs, et tout au bout la centrale nucléaire. L’enfant dès le plus jeune âge apprend à devenir complice de ce système de production. Au lieu de jouer avec un simple ballon et d’aller dans la nature faire son propre apprentissage, on enferme les jeunes devant la télé et ses émissions pour tout-petits, on lui laissera bientôt prendre le téléphone à la place de ses parents, puis le portable sera l’aboutissement d’une rupture avec la nature, avec les adultes, et avec la relation directe à l’autre : les « facilités » du tout électrique l’emportent.

                Le paradoxe, c’est que cela peut même être dangereux pour la santé physique des enfants*. La ministre de l’écologie Chantal Jouanno prônait en novembre 2010 une interdiction du portable jusqu’à l’âge de douze ans et il est d’ailleurs banni des écoles. Les normes d’exposition aux ondes électromagnétiques avaient été fixées pour des adultes… on va seulement en février 2012 mettre en place la première étude épidémiologique mondiale concernant l’usage du mobile pour les enfants, Mobi-kids. Les enfants ont un crâne moins épais que les adultes, moins protecteur. Peut-être qu’on va découvrir que le portable provoque des tumeurs malignes, sachant que le délai de latence entre l’exposition et l’apparition d’un cancer est de 20 à 30 ans.

                En définitive, la technologie d’aujourd’hui est douce pour les marchands et dure pour enfants et adultes, même si on a développé l’illusion que le bonheur vient avec l’électricité.

* LeMonde du 11 janvier 2011, Ces ondes qui planent sur la tête de nos enfants.

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Paul Ariès

Même s’il s’en défend,  Paul Ariès, dans son livre Décroissance ou barbarie (Golias, 2005), semble proche de l’écologie profonde (4.6, Réapprendre la nature) :

« L’humanité a acquis la puissance de modifier la totalité de la nature. On peut en conclure que cette nature n’est pas extérieure à l’homme, donc que la frontière classique entre la nature et la culture tend à s’estomper. Nous devons considérer la nature non plus comme un objet dont il serait possible de disposer techniquement mais comme un partenaire. Nous aurons besoin pour cela de nouvelles interactions matérielles (le vieux débat sur les technologies douces) mais aussi de nouvelles interactions symboliques, de nouvelles valeurs. On rappellera que l’idée d’une transformation de la nature par l’homme n’a aucun sens dans la plupart des cultures. Notre capacité à transformer nos relations avec la nature permettra d’inventer une nouvelle société. » p.120

« Perdre le contact avec la nature, c’est perdre une partie du rapport à soi-même. L’économie nous a rendu aveugle à la nature, elle impose sa culture marchande contre la culture de la Terre. Le futur passera donc par des retrouvailles avec la nature. Il serait plus juste de parler d’épousailles car il faut tout faire pour que la nature ne soit plus un désert émotionnel pour les humains. Toute politique de la décroissance en matière de redécouverte de notre rapport à la nature passe par le refus des prothèses techniques qui nous empêchent que nous incorporions avec la nature le sens de nos limites. Ce cadre de vie artificiel s’oppose à la possibilité même d’une vie authentique puisqu’il repousse toujours plus loin les contraintes. » p.121

 

Pourtant dans le n° 1 d’Entropia (automne 2006),  Paul Ariès méconnaît la véritable philosophie de l’écologie profonde en faisant bien des amalgames injustifiés :

« La manifeste d’Unabomber, popularisé après une série d’attentats meurtriers. Cette écologie profonde… »

« La deep ecology de Arne Naess, introduite en France par de Benoist… »

« Le rapprochement entre Ratzinger et l’écologie profonde est le symbole de cette dérive… »

 En déformant systématiquement la philosophie de l’écologie profonde qui est pourtant fondamentalement une école de la non-violence (sans atteinte aux humains), ni de droite ni de gauche (de Benoist !), et certainement pas affiliée à une religion du livre (Ratzinger), certains auteurs vont à l’encontre d’une nécessaire évolution qui détacherait l’humanisme du nombril humain.

NB : Tous les articles pour la Biosphère sont archivés et classés sur Internet, http://biosphere.ouvaton.org/page.php?doc=2007/affichactu2

 

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