La démocratie directe dans un petit groupe est à l’image des citoyens, mais dans une population nombreuse la démocratie représentative ne reflète que l’idéologie personnelle ou clanique des élus quant il n’y a pas de mandat impératif. Il est difficile dans un contexte de démocratie de masse de définir les formes d’un système qui exprimerait le pouvoir d’un peuple décidant à bon escient.
Dominique Rousseau estime que nous sommes arrivés au bout du cycle de la démocratie représentative. La journaliste du MONDE Claire Legros envisage la participation citoyenne comme alternative. Mais dans les sociétés composées d’un très grand nombre de personnes, il est absolument impossible de réunir la libre expression de l’ensemble des citoyens et citoyennes sans exclure. Instituer par exemple un référendum en France sur la suppression ou l’extension du nucléaire civil serait un exercice à haut risque pour quelque gouvernement que ce soit. Cette contrainte du nombre pèse d’autant plus qu’il n’y a pas de références partagées dans notre monde multipolaire où il n’existe plus de discours légitimé, qu’il soit religieux, idéologique ou même rationnel. C’est pourquoi la démocratie représentative conserve encore beaucoup de partisans.
Notons que le système monarchique peut être considéré déjà comme un système représentatif, le suzerain ayant une force symbolique exprimant une sorte de « représentation-fusion » du peuple. Et les leaders charismatiques relèvent de cette même tendance à personnifier le pouvoir. C’est d’ailleurs la solution la plus simple pour cristalliser l’idée qu’on se fait du devenir et de la sécurité d’un groupe humain très nombreux. Pourtant il s’agit d’une autorité remise aux mains d’une personne dont on n’est jamais sûr de la clairvoyance de ses décisions. Un pouvoir sans contre-pouvoirs entraîne souvent l’abus de pouvoir. C’est pourquoi la représentation par élection donne l’avantage de ne confier la souveraineté que d’une manière temporaire.
Dans son livre, « Ces princes qui nous gouvernent », Michel Debré pouvait affirmer en 1957 : « Le nombre de citoyens qui suivent les affaires publiques avec le désir d’y prendre part est limité : il est heureux qu’il en soit ainsi… Le simple citoyen qui est un vrai démocrate se fait, en silence, un jugement sur le gouvernement de son pays et lorsqu’il est consulté à dates régulières pour l’élection d’un député par exemple, exprime son accord ou son désaccord. Après quoi, comme il est normal et sain, il retourne à ses préoccupations personnelles . » Le corps de la nation est ainsi associé à celui de ses élus.
Les temps changent. Mai 1968 a favorisé la libération de la parole, l’invention d’Internet a facilité l’expression individuelle, il y a une propension médiatique à mettre en avant le plus infime des mouvement de contestation. Tous ces éléments ont contribué à contester la représentativité des élus. Le mouvement des Gilets jaunes a entraîné l’instauration du Grand débat, mais cette démarche, donnant la parole à qui le veut avec des questions qui orientaient d’une certaine façon les réponses, a abouti à des données non exploitables ou des propositions non consensuelles. Il s’agissait en fin de compte d’un grand Barnum de la communication. Les conclusions tirées de cette expression collective, ce fut le seul discours du président de la république et 10 milliards d’euros mis sur la table. Par contre la Convention citoyenne pour le climat, un panel de 150 citoyens tirés au sort, a été efficace. Il s’agissait d’une mise en application de ce qu’on appelle les conférences de consensus (ou de citoyens, ou conventions). Ces débats organisés constituent une nouvelle forme d’exercice démocratique alliant citoyen de base, tirage au sort et réflexion collective sur des problèmes contemporains. Elles sont expérimentées à l’origine dans les années 1970 par le sociologue allemand Peter Dienel ; les « cellules de planification » rassemblent des groupes de 25 personnes tirées au sort parmi les habitants d’un quartier. Mobilisés pendant plusieurs jours, ils reçoivent des éléments de formation et d’information sur le problème à traiter, puis délibèrent pour élaborer des recommandations. De nouvelles perspectives apparaissent en 1987 quand le Danish Board of Technology affine la méthode qu’il baptise « Conférence de consensus ». Ce projet a mobilisé un groupe de citoyens à qui on a soumis une question qui n’appartenait en rien à la sphère locale, elle portait sur l’usage des organismes génétiquement modifiés. La première conférence de consensus a eu lieu en France en 1998 sur le même thème.
De nos jours, les membres de la Convention pour le climat a travaillé pendant neuf mois pour répondre à une question ambitieuse, « Comment réduire d’au moins 40 % par rapport à 1990 les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030, dans le respect de la justice sociale ? » Cette réflexion collective a abouti à 149 propositions soumises au parlement, mais, ce qui est moins connue, à un rapport de 600 pages dont voici quelques extraits significatifs de l’introduction : « Citoyennes et citoyens de toutes origines et professions, nous sommes représentatifs de la société ; nous avons été sélectionnés par tirage au sort selon une génération aléatoire de numéros de téléphone, sans nous être portés volontaires préalablement. Nous ne sommes pas des experts, la convention citoyenne reconnaît la capacité des citoyens moyens de s’exprimer sur un sujet d’avenir majeur. » Ce microcosme délimité statistiquement semble bien être une incarnation du peuple. Pourquoi ne pas généraliser une telle procédure ? La démocratie aurait tout à gagner à permettre fréquemment à un panel de citoyens de délibérer sur une thématique. Cette réflexion en petit groupe pourrait même faire l’objet d’émissions de « télé-réalité » en continu qui, pour une fois, serviraient à quelque chose. Reste à déterminer ce que les parlementaires, désignés encore pour le moment par élection, devront faire des résultats obtenus.
Lire, Tout savoir sur les conférences de consensus
Quelques articles antérieurs sur notre blog Biosphere quant à la démocratie :
Lire, Quelle démocratie dans une société écologisée (2021)
Lire, Une démocratie véritable par tirage au sort (2020)
Lire, Biosphere-Info, un consensus sur le climat (2020)
Lire, Tout savoir sur les conférences de consensus (2020)
Lire, Sans écologisme, la démocratie part en vrille (2019))
Lire, Quelle démocratie en période d’urgence écologique ? (2019)
Lire, Ochlocratie : les peuples contre la démocratie (2019)
Lire, Quelle démocratie pour une société écologisée ? (2019)
Lire, Grand débat, vers une conclusion courue d’avance (2019)
Lire, Grand débat national, ce sera la grande désillusion (2019)
Lire, Climat 2019, la démocratie à l’épreuve de l’écologie (2019)
Lire, Allons bien au-delà de la démocratie représentative (2017)
Lire, Conférence de citoyen, image de la démocratie de masse (2016)
Lire, Une démocratie réelle ne peut qu’être écologique (2015)
Lire, Démocratie écologique, tout le pouvoir aux mandarins ? (2014)
Lire, Pour une démocratie écologique (Pierre Rosanvallon) (2014)
Lire, Le nucléaire, histoire d’une faillite de la démocratie (2013)
Lire, Conférence de consensus, jury citoyen et télé-réalité (2013)
Lire, démocratie et risque d’écofascisme (2011)
La démocratie parlementaire actuelle sub imperio macrondellis s’ appelle démocrassouille
Directe, participative, sociale, représentative, partielle, parlementaire, constitutionnelle, religieuse, autoritaire, présidentielle, et j’en passe sûrement. La démocratie c’est comme l’écologie (et comme tout finalement), il en existe différents types et diverses sortes.
Bref, comme l’écologie on peut la conjuguer à toutes les sauces, même les plus pourries.
En attendant, on pourrait s’amuser à compter les différents types et variantes de démocraties, de monarchies, de dictatures etc. Et puis comparer. On pourrait alors faire des tableaux, ça pourrait peut-être nous permettre d’y voir plus clair, et d’avancer, eh qui sait !
Et pour ça Big Data pourrait nous être d’une aide précieuse. 🙂