Quarante ans après sa publication, le fameux rapport Meadows du Club de Rome est réédité aux éditions Rue de l’Echiquier, sous le titre « Les limites à la croissance (dans un monde fini) ». A l’occasion de cette réédition, Agir pour l’Environnement a pu poser trois questions à Dennis Meadows.
Question n° 1 – Le « peak oil » tend à devenir un « peak all ». Selon vous, aurons-nous encore le temps de choisir la sobriété ou va-t-elle s’imposer à nous ?
Réponse de Dennis Meadows – Bien sur, notre étude sur « les limites à la croissance » ne mentionnait pas le pic pétrolier en tant que tel. En effet, dans notre modèle, le secteur des ressources non-renouvelables ne se distinguait pas des ressources fossiles. J’ai commencé à m’intéresser au pic pétrolier seulement au cours de ces dernières années en tant qu’exemple de ce qui pourrait être une limite à la croissance. Dans cette configuration, le pic pétrolier produit les mêmes effets que le changement climatique, l’érosion des terres agricoles ou la pollution des eaux souterraines. Ce « peak all » a été popularisé par Richard Heinberg dans son livre « Peak Everything ». Il y indique que la production de nombreuses ressources commencera à décliner à la même période que le « peak oil ».
La plupart des gens qui vivent sur notre planète souffrent déjà de privation extrême.
Je ne décèle encore aucun signe me permettant de constater que les riches seraient prêts à adopter, de façon proactive, des mesures visant à éviter ces problèmes de privation.
Question n° 2 – Qu’attendez-vous du sommet de Rio+20 ? Que faut-il entendre par la notion de « croissance verte » ?
Réponse de Dennis Meadows – D’après le site Internet de la conférence de Rio+20, « Les dirigeants mondiaux ainsi que des milliers de participants issus des gouvernements, du secteur privé, des ONGs ainsi que d’autres groupes, vont se rassembler afin de prendre des décisions en vue de réduire la pauvreté, augmenter l’équité sociale et assurer la protection environnementale sur une planète toujours plus peuplée afin de pouvoir choisir le futur que nous voulons. »
D’un côté, cette conférence est une farce, et cela pour deux raisons :
– le Sommet ne va pas s’attarder sur le problème de la croissance de la population, problème suffisamment vaste pour occuper à lui-seul les trois jours de Sommet. Si je peux me permettre cette image, cette conférence semble vouloir débattre du choix de la meilleure aspirine à administrer en cas de mal de tête causé par un cancer. La croissance de la population est dans ce cas un cancer. Faute de diagnostique adéquat, le choix du médicament ne fera pas de grande différence sur le résultat.
– le but affiché dans le cadre de la préparation de ce Sommet indique clairement que la solution à la pauvreté repose sur une croissance économique soutenable partagée par toutes les nations. Or, les principaux bénéficiaires de cette croissance sont et seront une fois encore les pays riches. Le Sommet de Rio+20 va adopter des solutions qui, faute de ruptures avec le cadre idéologique et politique dominant, va proroger les problèmes actuels. Une fois encore, le fait d’appuyer sur l’accélérateur ne vous conduira pas dans un nouvel endroit mais va vous amener plus vite à franchir le mur écologique.
D’un autre côté, ce Sommet sera utile. Car l’important ne se situe pas nécessairement à l’intérieur de ce vaste cirque mais à l’extérieur, en dehors des réunions officielles et des déclarations. Bien sûr, les représentants des gouvernements officiels viennent principalement pour s’assurer que leurs positions, quelles qu’elles soient, sont soutenues ou du moins, pas contredites par les résultats du Sommet. Mais plusieurs milliers de personnes sont présentes et la conférence est une très bonne opportunité pour eux de rencontrer d’autres personnes de différentes cultures, de se faire de nouveaux amis et collègues, d’échanger et développer de nouvelles idées pour des actions communes dans le futur. Ainsi, la conférence de Rio+20 sera un autre petit pas dans l’évolution de la conscience globale.
Je m’attends à ce que des résolutions creuses soient adoptées durant ce Sommet. Pire, je crains que ces résolutions ne soient pas suivies d’effets. Peut être qu’un certain type d’institution sera proposé pour une coordination mondiale. Cependant, tant que les problèmes sous-jacents à la croissance économique sur une planète dont les ressources ne sont pas illimitées, ne sont pas reconnus et abordés, les Sommets de ce type ne peuvent pas avoir d’influence majeure sur le futur de notre espèce.
Quant à l’économie verte, je crois que quand quelqu’un s’en préoccupe, il est plutôt intéressé par « l’économie » que par le « vert ». Tout comme les termes « soutenabilité » et « développement durable », le terme d’ « économie verte » n’a pas vraiment de sens. Je suis sûr que certaines personnes qui utilisent cette expression sont très peu concernées par les problèmes globaux. Cependant, la plupart du temps, l’expression est utilisée pour justifier une action qu’ils voulaient de toute façon mettre en place pour d’autres raisons. Je ne connais pas une seule agence gouvernementale ou une seule entreprise qui mettrait en place une action très coûteuse au profit de « l’économie verte » qu’ils ne voudraient pas mettre en place pour d’autres raisons.
Question n° 3 – La première édition de votre livre date de 1972 et il est toujours d’une brûlante actualité. Rien n’a donc changé en 40 ans ?
Réponse de Dennis Meadows – Certains secteurs technologiques se sont améliorés et nous disposons de données plus précises nous permettant de mieux comprendre certains sujets comme celui du changement climatique par exemple. Dans les pays riches, des progrès politiques ont été réalisés en faveur des biens communs. Une action locale peut maintenant engendrer des effets bénéfiques localement, notamment sur la pollution de l’eau, le bruit en zone urbaine et la lutte contre l’érosion de la terre. Des progrès modestes ont été réalisés également au niveau global.
Dans d’autres domaines importants, nous avons cependant régressé. Aujourd’hui, il n’y a plus une seule ressource naturelle qui ne soit gérée de manière soutenable au niveau d’un continent. Quand nous avons publié notre premier rapport en 1972, la société utilisait environ 85 % de l’énergie et de ressources qui pouvaient être produites de manière soutenable sur Terre. Désormais, notre taux d’utilisation est de 150 %.
Interview réalisée par Agir pour l’Environnement et diffusée le 15 mai 2012
http://www.agirpourlenvironnement.org/blog/trois-questions-dennis-meadows-auteur-du-livre-les-limites-la-croissance-d-3441