épuisement des ressources

Pourquoi s’inquiéter de l’effondrement annoncé ?

Il devient de plus en plus difficile pour certains spécialistes (scientifiques, ingénieurs et, plus récemment, ceux qui travaillent dans la finance) d’imaginer un scénario qui ne culmine pas en effondrement. D’autres (hommes d’affaires, politiciens, économistes, psychosociologues, éducateurs) trouvent de telles réflexions trop négatives. Le contraste entre ces deux groupes révèle deux modes de pensée radicalement différents. Le premier est habitué à raisonner en quantités physiques mesurables et en principes (théorie des systèmes, thermodynamique, etc.). Il examine des faits. Pour le second groupe, la société demeure à la fois le sujet et l’objet ; il voit comme accessoires les considérations et principes physiques, qu’il n’a généralement pas été formé à comprendre et qu’il considère comme affaire d’opinion. Selon lui, le sujet de l’effondrement est circonscrit à ses effets directs et immédiats sur la société, non la réalité à long terme de cet effondrement ; vu sous cet angle, un tel sujet semble trop négatif, dérangeant, anxiogène, défaitiste – plutôt qu’encourageant et stimulant. Il y a cependant un point d’accord très fort entre ces deux types de spécialistes : tous deux se rejoignent a priori sur le fait que ressasser le sujet de l’effondrement n’est pas propice à l’avancement de leur carrière ! Les seules personnes qui soient capables de discuter ouvertement d’effondrement sont des spécialistes à la retraite ou des professeurs titulaires qui ne dépendent pas de subventions. A un niveau plus personnel, la thèse de l’effondrement peut être corrosive pour le mariage et la vie de famille. L’épouse peut désirer passer des vacances sous les Tropiques en hiver ou effectuer des achats dans les boutiques à la mode. Elle en arrive à se demander si elle a épousé le bon individu. Or il y a des situations où ce stéréotype est inversé et où la femme prend conscience de la « chute finale » à venir, tandis que le mari choisit de demeurer dans le déni.

Ainsi, espérer de la plupart des gens qu’ils entreprennent des démarches significative pour réagir à l’effondrement annoncé en tant qu’individu ou famille s’avère être une demande passablement excessive. L’inertie sociale pesant de tout son poids, beaucoup d’entre nous sont prédisposés à ne pas vouloir comprendre que la catastrophe est inévitable. C’est particulièrement probant dans le cas de gens occupant des positions de pouvoir, parce qu’ils ne se réjouissent pas vraiment d’imaginer un avenir qui n’envisage pas de place pour eux. Nos comportements sociaux sont ataviques et produisent, bien trop souvent, de la médiocrité et du conformisme. Il semble donc plus raisonnable de s’attendre à ce que la complexité sociale soit démolie de la façon ordinaire, vite et bien, plutôt que démantelée graduellement et délibérément (….)

Ce livre* remet en question ce que signifie « être correctement socialisé ». Il remet aussi en question ce que signifie « être financièrement en sécurité ». Il remet en question ce qui signifie « participer à l’économie » : faire des affaires avec des étrangers est-il une si merveilleuse idée ? Il remet en question ce qui signifie « être patriote » : un drapeau, un hymne et quelques mythes de la création d’une nation sont-ils suffisants pour vous dire qui sont les vôtres, ceux qui sont prêt à mourir pour vous autant que vous pour eux ? Il remet en question ce qui signifie « être humain » : vous avez rencontré les Iks pour qui la survie à tout prix peut être un destin pire que la mort. Mais l’effondrement n’est pas un scénario de cauchemar à éviter à tout prix, c’est simplement une part des flux et reflux normaux de l’histoire humaine. Si suffisamment d’idées de ce livre résonnent en vous, vous vous retrouverez peut-être à développer une sorte d’identité post-effondrement, comme l’identité interne des gitans. Les choses deviendront vraiment intéressantes si jamais vous croisez quelqu’un qui sait ce que vous savez et qui est sur la même longueur d’onde… mais la confiance se bâtit sur des actions, pas sur des paroles. Quoi qu’il en soit, soyons clair sur un point : il vaudrait mieux qu’il y ait une vie après l’effondrement économique à venir, pour vous comme pour moi !

* Les cinq stades de l’effondrement selon Dmitry Orlov (éditions Le Retour aux Sources 2016, 448 pages pour 21 euros)

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L’effondrement prévu de la société thermo-industrielle

« Pour plaider la thèse de l’effondrement imminent de la civilisation industrielle globale, il est nécessaire d’établir deux choses. La première est de totaliser la dotation limitée de la Terre en combustibles fossiles, minerais métalliques et autre intrants industriels et agricole et de démontrer que quantité de ces ressources ont dépassé leur pic de production ou l’atteindront bientôt. La seconde est de prouver que le résultat se traduira par un écroulement total du système plutôt qu’une détérioration lente et continue qui pourrait s’éterniser pendant des siècles.

La première tâche a déjà été accomplie par un certain nombre de gens comme Richard Heinberg (Peak Everything) ou Christopher Clugston (Scarcity, rareté). Les chiffres sont disponibles auprès de sources réputées, difficilement discutables. Mais la seconde tâche est beaucoup plus ardue, parce que la seule façon de l’aborder passe par des modèles mathématiques. Le premier d’entre eux est le World 3 utilisé en 1972 dans le livre Limits to Growth. Ce modèle prédit effondrement économique et sociétal d’ici le milieu du XXIe siècle. la version de 2004, Limits to Growth : the 30-year update, a conformé que, 30 ans après, les prédictions initiales sont toujours en très bon accord avec la réalité. Pour modéliser l’effondrement, on peut aussi s’appuyer sur cette citation de Sénèque : « Ce serait une sorte de consolation pour notre fragilité comme pour celle des choses qui nous touchent, si tout était aussi lent à périr qu’à croître ; mais le progrès veut du temps pour se développer : la chute vient au pas de course. » Ugo Bardi en a fait la Falaise de Sénèque avec un schéma simple avec seulement deux variables : ressources et capital ; Le capital ne diminue pas graduellement à mesure que les ressources épuisent, il s’effondre !

Afin d’apprécier, à un niveau intuitif, pourquoi il en est ainsi, pensez aux infrastructures de la civilisation industrielle, autoroutes, ports, réseaux électriques, etc. Quand elles sont moins employées, leurs coûts de maintenance reste identiques, engloutissant une portion encore plus grande de l’économie, a un certain seuil, ces coûts deviennent insupportables et la maintenance est abandonnée. Peu après, les infrastructures elles-même deviennent inopérantes, et avec elles le reste de l’économie industrielle. L’économie globale passe un point de non-retour au-delà duquel il ne peut plus y avoir de redressement et les relations commerciales qui la maintenaient ont cassé. Des pays entiers, tels que la Grèce, se trouvent dans les affres de ce qui peut tout à fait s’appeler un effondrement financier, commercial et politique : on assiste à des paniques bancaires, les pharmacies sont à court de médicaments, les responsables politiques sont sous la tutelle des créanciers du pays. Par contre prédire que quelque chose va arriver est beaucoup plus facile que de prédire quand ce quelque chose arrivera ! Tous les empires finissent par disparaître, les États-Unis subiront le même sort. Mais il n’est pas possible de prédire quand. L’Union soviétique s’est effondrée en 1991 en prenant les spécialistes par surprise.

source : Les cinq stades de l’effondrement selon Dmitry Orlov (éditions Le Retour aux Sources 2016, 448 pages pour 21 euros)

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L’optimisme irréaliste du MONDE à propos des métaux

Jamais les métaux n’ont été aussi présents dans nos vies : voitures et maisons bien sûr, mais aussi, téléphones portables, écrans plats… Quant aux voitures électriques, elles ne consomment certes pas d’essence, mais nécessitent des batteries ion-lithium. La consommation de cuivre a crû de 2,87 % par an en moyenne depuis un demi-siècle, soit une multiplication par plus de quatre ; celle d’acier de 3,62 % par an en moyenne depuis 1900. Pour loger, équiper, transporter les 9,7 milliards d’habitants que la planète devrait porter en 2050 , il faudra extraire du sous-sol plus de matériaux que l’humanité n’en a extrait depuis son origine. Va-t-on réussir à faire face à la demande future ?

La réponse de l’article du MONDE est positive : « Bien sûr, les industriels conscients de ces enjeux tentent de réduire leur dépendance. C’est là que l’innovation et la technologie entrent en scène. 80 % du cuivre utilisé dans les câblages pouvait être remplacé par de l’aluminium. L’industrie aéronautique travaille aussi à l’allégement des avions et à l’optimisation de l’utilisation des matériaux. L’Internet des objets est prometteur : grâce à des capteurs connectés, il sera possible d’évaluer précisément le degré d’usure d’un équipement… S’il est impératif de généraliser le recyclage, il faut admettre que la production minière reste indispensable, y compris en France.»* Cet article est trompeur. D’abord il fait une confiance aveugle dans les possibilités futures de l’innovation technologique. C’est une croyance, pas un fait. De plus, quand on voit l’impasse dans laquelle nous ont mené les prouesses des processus actuel d’extraction et de fabrication, on peut douter qu’il en soit différemment dans le futur. Enfin la situation géophysique et économique en matière d’extraction est  complexe.

Nous conseillons à l’auteure de l’article, Béatrice Madeline, de (re)lire le rapport** de 1972 à propos des ressources minières : « En dépit de découvertes spectaculaires récentes, il n’y a qu’un nombre restreint de nouveaux gisements minéraux potentiellement exploitables. Les géologues démentent formellement les hypothèses optimistes et jugent très aléatoires la découverte de nouveaux gisements vastes et riches. Se fier à des telles possibilités serait une utopie dangereuse… Par exemple les réserves connues du chrome sont actuellement évaluées à 775 millions de tonnes. Le taux d’extraction actuel est de 1,85 millions de tonnes par an. Si ce taux est maintenu, les réserves seraient épuisées en 420 ans. Mais la consommation de chrome augmente en moyenne de 2,6 % par an, les réserves seraient alors épuisées en 95 ans… On peut cependant supposer que les réserves ont été sous-estimées et envisager de nouvelles découvertes qui nous permettraient de quintupler le stock actuellement connu. Il serait alors épuisé théoriquement en 154 ans. Or l’un des facteurs déterminants de la demande est le coût d’un produit. Ce coût est lié aux impératifs de la loi de l’offre et de la demande, mais également aux techniques de production. Pendant un certain temps, le prix du chrome reste stable parce que les progrès de la technologie permettent de tirer le meilleur parti de minerais moins riches. Toutefois, la demande continuant à croître, les progrès techniques ne sont pas assez rapides pour compenser les coûts croissants qu’imposent la localisation des gisements moins accessibles, l’extraction du minerai, son traitement et son transport. Les prix montent, progressivement, puis en flèche. Au bout de 125 ans, les réserves résiduelles ne peuvent fournir le métal qu’à un prix prohibitif et l’exploitation des derniers gisements est pratiquement abandonné. L’influence des paramètre économiques permettrait de reculer de 30 ans (125 ou lieu de 95 ans) la durée effective des stocks. » Le rapport concluait : « Etant donné le taux actuel de consommation des ressources et l’augmentation probable de ce taux, la grande majorité des ressources naturelles non renouvelables les plus importantes auront atteint des prix prohibitifs avant qu’un siècle soit écoulé ». Vérifions cette conclusion de 1972 avec les données de 2014 : les gisements métalliques et énergétiques, à la base de notre économie moderne auront pour l’essentiel été consommés d’ici 2025 (date de la fin de l’or, de l’indium et du zinc) et 2158 (date de la fin du charbon). La fin du chrome, dont la production mondiale varie de 17 à 21 M t par an, est estimée à l’an 2024.

* LE MONDE économie du 13 septembre 2016, La ruée vers les métaux
** rapport 1972 du Massuchussets Institute of Technology au club de Rome, The Limits to Growth, traduit en français dans Halte à la croissance ? (Fayard 1972)

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La synthèse de Cyril Dion : « Être plutôt qu’avoir »

Un article* dont le résumé ci-dessous révèle aussi l’idée générale sur ce blog : un changement de civilisation est complexe et demande la participation de tous, individus et institutions diverses :

« Il y aurait de quoi se demander si mettre des enfants au monde dans le contexte actuel était bien raisonnable… Car la plupart d’entre nous le savent désormais, la situation ne va pas s’améliorer. Du moins pas toute seule. Pour la première fois dans l’histoire, nous sommes confrontés à une conjonction de problèmes qui, en s’additionnant, pourraient conduire à la disparition d’une partie de notre espèce. Nous sommes confrontés à deux enjeux majeurs : l’un concerne l’augmentation intenable des inégalités ; l’autre, la disparition des ressources naturelles et des espèces vivantes à une vitesse étourdissante, qui ne leur permet plus de se renouveler. Ce sont d’ailleurs ces deux facteurs qui, lorsqu’ils se combinent, précipitent la chute des civilisations. De nombreuses études pointent désormais le risque d’un effondrement écologique sans précédent, susceptible de déclencher conflits, migrations de masse, ruptures alimentaires, cracks économique et financier… Et il pourrait intervenir dans les vingt à trente ans. Une grande part d’entre nous attend patiemment que quelqu’un résolve le problème à notre place . Mais un système aussi global et complexe que le nôtre ne pourra pas changer de cette façon. Nous devrions être mobilisés, unis, comme à l’aube d’une guerre mondiale.

D’abord en mettant en œuvre dans notre propre vie tout ce qui est en notre pouvoir pour inverser la tendance : manger bio, local et moins de produits animaux, économiser l’énergie, acheter tout ce qui peut être fabriqué localement à des entrepreneurs locaux et indépendants, systématiquement recycler, réutiliser, réparer, composter… Mais la société ne changera pas simplement en additionnant des gestes individuels. Il est également nécessaire de transformer nos entreprises, nos métiers, pour qu’ils contribuent à résoudre ces problèmes. C’est l’économie symbiotique (l’économie circulaire, l’économie du partage, le biomimétisme…). Enfin, des mesures politiques devraient être prises. D’abord en termes de fiscalité et de régulation : taxer le carbone pour accélérer la transition énergétique, alléger la fiscalité du travail, réorienter les subventions agricoles pour stimuler une agriculture vivrière et locale, transformer le mécanisme de création monétaire pour progressivement se libérer de la dette.

Selon les calculs que nous avons faits pour le film Demain, nous pourrions créer au moins 1,5 million d’emplois en adoptant une ambitieuse transition énergétique, en relocalisant une grande part de notre alimentation et en montant notre taux de recyclage à 80 % (contre 25 % aujourd’hui). En quelques décennies, nous pourrions redresser la barre à condition de favoriser la coopération entre droite et gauche, citoyens et élus, législatif et exécutif. De nous unir. Et de cesser les petites guéguerres politiciennes et les stratégies électoralistes. »

Cyril Dion, cofondateur du mouvement Colibris avec Pierre Rabhi en 2006. Il a écrit et coréalisé avec Mélanie Laurent le film Demain, César du meilleur documentaire en 2016.

* LE MONDE du 16 août 2016, Cyril Dion : « Etre plutôt qu’avoir »

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La pénurie au Venezuela, et si c’était la France ?

«Il n’y a plus de riz». La nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre. Coca-Cola a même du cesser sa production faute de sucre. La situation alimentaire est critique dans tout le pays. Les supermarchés manquent de tous les produits de base. Les files d’attente se forment vers deux heures du matin dans la capitale comme en province. Les pannes d’électricité et les coupures de courant sont quotidiennes. Le président socialiste vient de décréter que tous les vendredis seront fériés pour faire des économies d’électricité. Trente millions de personnes vivent un cauchemar. Plus de 90 % d’entre elles disent, selon les sondages, que leur principal préoccupation est de trouver de la nourriture. Pillages et émeutes sont quotidiens. Le pillage n’est qu’une forme extrême de mobilisation sociale. L’arme à la bretelle, des unités de parachutistes doivent défendre les commerces. Mais parfois les forces de l’ordre participent au pillage. Les médicaments commencent à manquer. L’inflation est galopante, elle pourrait dépasser 700 % en 2016, soit des prix multipliés par 8. Insupportable. Le soulèvement populaire contre la hausse brutale du prix de l’essence et des transports a été réprimé dans le sang, plus de 3000 victimes. La criminalité atteint des records. Les homicides atteignent la proportion de 6 pour 10 000 habitants. Les escadrons de la mort agissent en toute impunité. Au micro-trottoir, la phrase la plus souvent recueillie est un cri de désespoir : «La situation va exploser !» La logique du chacun pour soi s’est imposée au détriment de l’action collective. Le gouvernement ne produit plus aucun chiffre sur l’ampleur des manifestations depuis cinq ans. Au bord de la cessation de paiement, la banque centrale liquide les réserves d’or. En deux ans, les stocks de lingots ont diminué de 40 %. Faute de devises, le pays a dû couper dans ses importations, appauvrissant l’ensemble de la population.

Combien de temps faut-il pour réduire à la misère un des pays les plus riches ? Moins de vingt ans pour le Venezuela dont la situation ci-dessus est décrite par LE MONDE*. Ce pays a vécu de la rente pétrolière, elle a été dilapidée, distribuée en prébendes pour le peuple et capitalisée dans les poches de quelques-uns. L’or noir représente 95 % des exportations du Venezuela. Avec un baril à moins de 30 dollars au début de l’année, contre plus de 100 dollars il y a deux ans, c’est toute l’économie qui s’est effondrée.
Cette situation risque d’être celle de tous les pays développés qui dépendent des importations de pétrole. Pour la France, le coût des importations de ressources fossiles est de 5 % du PIB actuel, mais une pénurie énergétique mettrait à bas 90 % du PIB, entraînant une crise aussi profonde que celle que traverse le Venezuela en 2016. Mais la nomenklatura chaviste ne fait pas la queue à l’aube pour acheter du pain.

Quand le peuple meurt de faim, les élites continent de vivre comme si de rien n’était. Qui se sent concerné en France par la crise au Venezuela ?

*LE MONDE du 31 mai 2016
éditorial, Le Venezuela ou l’histoire d’une tragédie annoncée
article page 2, Le Venezuela en état d’implosion

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Un spécialiste du parti socialiste face à la décroissance

 » Les pays développés, et singulièrement l’Europe, connaissent depuis plusieurs décennies une diminution continue et régulière du niveau moyen de croissance annuelle, de près de 5 % avant le premier choc pétrolier des années 1970, à un chiffre proche de zéro ces dernières années. » Nous sommes tous d’accord sur ce constat* de Géraud Guibert, encore faudrait-il en déduire les conséquences qui s’imposent.

Géraud Guibert, ex-secrétaire national de la commission environnement du PS et président actuel de La Fabrique écologique démarre bien son analyse : « Une des grandes erreurs est de ne pas suffisamment considérer les ressources naturelles comme un facteur de production au même titre que le capital et le travail. Du coup, on ne peut véritablement comprendre les enjeux d’aujourd’hui. Nous avons connu dans les dernières décennies un fort mouvement de substitution du capital au travail du fait notamment de l’automatisation… » Mais il en tire une fausse conclusion : « Nous devons aujourd’hui penser la substitution du capital à des flux de matières. Que ce soit pour la rénovation thermique des logements, les énergies renouvelables ou les infrastructures de transport en commun, la relance de l’économie suppose le remplacement de la consommation d’énergies fossiles par des investissements. Cela exige des choix clairs : une priorité à l’investissement climatique, énergétique et écologique, public et privé. » Il est donc partisan du courant économique dominant. Ces tenants de la durabilité (soutenabilité) supposent la substitution toujours possible entre capital humain, capital manufacturier et capital naturel. Ainsi, si l’une des composantes baisse, une autre pourra toujours combler le manque. Cette conception repose sur une confiance aveugle dans un progrès technique qui pourrait toujours compenser la déperdition irréversible des ressources naturelles non renouvelables. Une telle pensée, que Nicholas Georgescu-Roegen appelle « le sophisme de la substitution perpétuelle », n’est pas réaliste. En effet « la physique thermodynamique nous enseigne que la sphère économique n’est qu’un sous-système du système-Terre ». Il faut donc avoir une vue bien erronée des processus biophysiques pour ne pas remarquer qu’il n’existe pas de facteur matériel autres que les ressources naturelles pour une activité économique quelconque, donc pour tout investissement.

Comme l’expriment les tenants de l’économie écologique, « Nous savons pertinemment que l’existence des actifs humains, social et bâti dépend entièrement du monde naturel ; et qu’en conséquence le capital naturel n’est absolument pas substituable. Aussi la soutenabilité implique-t-elle que nous vivions des bénéfices générés par le capital naturel sans grignoter le capital lui-même. »** Avec épuisement des ressources naturelles, la décroissance devient inéluctable, Il faut s’y préparer, ce que ne fait pas la « fabrique écologique ». Mieux vaut lire « L’écologie à l’épreuve du pouvoir », un livre de Michel Sourrouille à paraître le 11 juillet en librairie…

* LE MONDE du 30 juin 2016, Pour un « fonds européen pour la transition climatique »

** Vivement 2050 ! Programme pour une économie soutenable et désirable  (1ère édition 2012, Les petits matins 2013)

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Relocaliser, une société démocratique antiproductiviste

Pour Jean-Luc Pasquinet, prendre au sérieux la relocalisation implique de sortir du capitalisme et du productivisme. Son livre* montre qu’il s’agit d’une forme de décroissance qui va s’accompagner d’un tout autre mode d’organisation que celui auquel est habitué notre société d’abondance factice. Voici quelques extraits de cet ouvrage :

« La relocalisation s’oppose autant à la mondialisation qu’aux « Trente Ravageuses », ces trois décennies d’après-guerre dénommées les « Trente Glorieuses », où s’est produit un changement d’échelle de la contribution française à l’empreinte humaine sur la planète et une entrée dans un modèle de développement non soutenable… A partir du moment où l’on se pose la question des limites physiques de la planète et celle de réduire l’intensité ressources ou déchets d’un produit, alors on peut évoquer la nécessité de mettre en place une sorte de rationnement ou répartition de la pénurie.

Durant la Première Guerre mondiale, dès décembre 1914, est institué le rationnement du pain, qui sera étendu à d’autres denrées alimentaires : farine, viande, lait, sucre et non alimentaire comme le pétrole. Ce rationnement durera jusqu’en 1921. Pendant la Seconde guerre mondiale, un ministère du Ravitaillement fut créé en mars 1940. Chaque personne devait remplie une déclaration afin d’être classée dans une des catégories prévues pour l’alimentation et le charbon. Des décrets imposent la fermeture des pâtisseries et l’interdiction de la vente d’alcool. Les premières cartes de rationnement sont distribuées dès octobre 1940 pour les produits de base. Ce rationnement durera jusqu’en 1949.

Nous assistons d’ores et déjà aujourd’hui à la mise en place de mesures prises sous la nécessité pour instaurer des quotas de capture de poissons. Même si le premier réflexe des gouvernements est de les réduire pour ne pas s’attirer les foudres des pêcheurs. Par exemple pour 2015 la Commission européenne préconisait de réduire de 64 % les prélèvements de cabillaud dans l’Atlantique, la baisse ne sera finalement que de 26 %. Mais c’est déjà un premier pas vers une réflexion concernant le monde entier, et relative à la gestion des ressources rares. Il en sera de même pour l’extraction des ressources rares et/ou polluantes, avec répartition de quotas. »

* Relocaliser (pour une société démocratique et antiproductiviste) de Jean-Luc Pasquinet

Editions Libre&Solidaire 2016, 194 pages pour 15 euros

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Un peu de pub pour le mensuel « la Décroissance »

Quelques extraits significatifs de ce mensuel (mai 2016).

– Nous menons un combat d’arrière garde : celui de la vie contre les mégamachines. Qui passe par la lutte contre la numérisation du monde. Et qui passe par le refus de nos textes sur Internet. Nous sommes pour une presse papier, qui s’achète pour ne pas être vendue. Et pourtant il arrive que des blogueurs, pleins de bonnes intentions, recopient nos articles pour les diffuser dans le vide sidéral de la toile.

– « La décroissance, il faudrait bien sûr s’y engager, et dans l’urgence : il est impossible de continuer à consommer 1,6 fois la Terre chaque année comme nous le faisons aujourd’hui. » Il n’est pas commun qu’une personnalité ayant un certain accès à la parole publique prenne clairement parti pour la décroissance. L’anthropologue et sociologue Paul Jorion a le courage de le faire.

– Le philosophe Fabrice Hadjadj souligne les liens fondamentaux qui unissent le fondamentalisme religieux et la société de l’illimité dont le techno-scientifique est une caractéristique. Pour les uns, l’innovation a réponse à tout ; pour les autres, c’est le Coran. De la même manière on peut dresser un parallèle entre le refus du corps que semblent partager aussi bien des intégristes pudibonds que les apôtres du transhumanisme.

– Témoignage de Solange, vaillante nonagénaire : « Autrefois les gens étaient très famille. Nous n’avions pas tous les plaisirs d’aujourd’hui pour disperser les personnes. Tout le bien-être qui est venu, les frigidaires, le confort matériel, la télévision surtout, ça a beaucoup fait pour casser les contacts humains. On ne sort plus les chaises sur le trottoir pour voisiner. Maintenant on regarde le journal télévisé ; on reste coincé chez soi. »

– En cœur et avec le Medef, PS et républicains n’ont qu’un seul et même projet de société : Croissance, Compétitivité, Innovation. « Nouveau marché, business vert = nouvelle croissance » résume Alain Juppé. Nathalie Kosciusko-Morizet : « Il s’agit de tout transformer pour ne plus être en retard d’une vague de robotisation. » Selon François Fillon, « l’écologie ne peut signifier moins de technologie, mais plus de technologie ».

Post scriptum : nous espérons que le directeur de publication ne nous fera pas un procès pour avoir fait un peu de publicité pour son journal sur le web… alors qu’il vaut mieux l’acheter en kiosque. Si vous voulez vous abonner :

Casseurs de pub – 52 rue Crillon – 69411 Lyon cedex 06 (25 euros ou plus pour 10 numéros)

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Pomper jusqu’où ? Jusqu’au bout, malheureusement

Avant d’être ce liquide noir, sale et puant qui nous pollue l’existence, le pétrole est une des substances les plus prodigieuses que la vie sur Terre ait jamais crée. Pour produire chaque litre de pétrole, il a fallu que 25 tonnes d’algues métabolisent, pendant des millions d’années, l’énergie solaire qu’elles avaient emmagasinée avant d’être ensevelies. Après 150 ans de forages intensifs, on annonce maintenant l’épuisement de la ressource et notre entrée dans l’ère du pétrole extrême. Si le pétrole a nourri l’orgueil et l’arrogance des puissants, son emprise sur notre monde doit être brisée comme ont été brisées les chaînes de l’esclavage. Saurons-nous agir à temps, ou nous enfoncer dans plus d’inondations et de sécheresses pour enclencher une réelle libération ?

En 1957 l’amiral Rickover, père du sous-marin nucléaire, fit un discours qui donne à réfléchir. Il encouragea ses auditeurs à réfléchir sérieusement à leurs responsabilités envers « nos descendants », tous ceux qui connaîtront la fin de l’âge des combustibles fossiles : « L’immense énergie fossile aux USA alimente des machines qui font de nous le maître d’une armée d’esclaves mécaniques… Chaque conducteur de locomotive contrôle l’énergie équivalente de 100 000 hommes, chaque pilote de jet celle de 700 000 hommes… Nous dilapidons les ressources naturelles. Une bonne partie des étendues sauvages qui ont nourri ce qu’il y a de plus dynamique dans le caractère américain est désormais enfoui sous les villes, les fenêtres panoramiques ne donnent sur rien de plus inspirant que la fumée d’un barbecue… Quelle assurance avons-nous que nos besoins en énergie continueront d’être satisfaits par les combustibles fossiles ? La réponse est : à long terme, aucune… Un parent prudent et responsable utilisera son capital avec parcimonie, afin d’en transmettre la plus grande part possible à ses enfants. Un parent égoïste et irresponsable le dilapidera pour mener une vie dissipée et se moquera complètement de la façon dont sa progéniture s’en sortira… Vivre de façon responsable signifie économiser l’énergie et développer une culture de l’abnégation. »

extraits de L’énergie des esclaves (le pétrole et la nouvelle servitude) d’Andrew Nikiforuk

Editions Ecosociété 2015, 282 pages, 20 euros

Edition originale 2012 (The Energy of Slaves : Oil and the New Servitude)

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Nauru, l’extractivisme à l’image de ce qui nous arrive

Une espèce appartenant au règne animal s’est lancée dans une activité totalement inédite : l’extraction de minerais sans passer par les végétaux, qui jouaient jusqu’alors le rôle de fournisseurs intermédiaires. Cette espèce creuse, perce, concasse le sol, cette espèce c’est la nôtre. Or Nauru est un miroir de la fragilité des civilisations fondées sur le pillage des ressources de la Terre.  Nauru, perdu dans l’étendue du Pacifique, ses 10 000 habitants, ses gisements de phosphate… les millions ne tardent pas à pleuvoir sur le petit État. Si bien que dans les années 1970, Nauru est le pays le plus riche du monde, ayant annuellement entre 90 et 120 millions de dollars à sa disposition. L’Etat pourvoit à tout, de la modernisation des infrastructures aux services publics gratuits, en passant par le financement des études à l’étranger… Les extravagances ne connaissent aucune limite et les habitants de l’île vivent essentiellement de loisirs, sans souci du lendemain. Le pays connaît d’énormes problèmes sociaux, dont une obésité endémique, affichant le plus haut taux au monde.

Le premier coup de semonce survient à la fin des années 1970 avec la chute du cours du phosphate. Les années 1990 sonnent comme le réveil brutal pour tout le pays : 80 % de la surface de l’île a déjà été creusé.  Comme pour toute ressource naturelle non renouvelable, impossible de maintenir une production régulière et durable. Mais comme la population de l’île s’est habituée à jouer les rentiers oisifs et se refuse à diminuer son train de vie, on emprunte. Les dirigeants de l’île témoignent de cet aveuglement consumériste. Pour masquer le réel, les années 2000 voient Nauru enchaîner les entreprises désespérées. Plutôt que de renouer  avec un équilibre perdu, Nauru s’est trouvé un nouvel improbable avenir… le secundary mining ! A savoir creuser la seconde couche de phosphate. Un régime dont on prévoit qu’il ne pourra durer que 30 à 40 ans, la ressource étant naturellement toujours épuisable.

C’est une illustration du caractère suicidaire d’une économie édifiée sur une activité minière effrénée. On peut alors entrevoir le sort qui attend plusieurs pays dont la richesse n’est qu’un mirage, Dubaï et les Etats pétroliers nous venant naturellement en tête. Ce phénomène est le même avec le cuivre, le nickel, le lithium ou même le sable et le gravier dont on extrait quelque 15 milliards de tonnes par an. Mais ce qui est emblématique avec Nauru, c’est qu’il témoigne de l’aveuglement dont nous pouvons faire preuve et de la façon avec laquelle on persiste à vouloir emprunter les chemins qui nous amènent vers l’abîme. Que ce soit sous la Rome antique ou dans l’Empire britannique, la réponse la plus courante afin de composer avec la  raréfaction des ressources a été de continuer aveuglément dans l’extraction et la fuite en avant. Quitte à précipiter l’inévitable. Construire une civilisation de la fragilité : n’est-ce pas là ce que nous faisons en conditionnant notre développement à la logique extractiviste ?

(extraits d’un article de David Murray, Le long chemin de l’extractivisme dans le livre
Creuser jusqu’où ? Extractivisme et limites à la croissance)
écosociété, 386 pages pour 20 euros

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La fin programmée de l’extractivisme… en 2017 ?

Depuis deux siècles nous sommes une société extractiviste, charbon, pétrole, minerais, métaux… On a transformé la Terre en gruyère. Nous avons déjà prélevé plus de la moitié du pétrole et il faudrait en laisser une grande partie sous terre pour éviter l’emballement climatique. Les politiques n’en ont pas encore conscience, mais l’extractivisme est derrière nous. En 1859 le pétrole a été trouvé à 23 mètres de profondeur en Pennsylvanie. Pour les huiles de schiste, la roche mère se situe entre 1500 et 3500 mètres de profondeur.

En 1930, on extrayait 100 unités de pétrole pour une unité d’énergie consommée. En 2000, on obtient 20 unités de pétrole pour une unité et aujourd’hui 2 unités d’huile de schiste au maximum pour une unité. Le rendement est pratiquement nul. Il en est de même pour les autres matières premières, la raréfaction absolue. Au niveau du territoire français, l’extractivisme c’est déjà terminé. Entre 1985 et 2005, la France a successivement arrêté sa production de tungstène, de bauxite, d’argent, de plomb, de zinc, de fer, d’uranium, de potasse, de charbon et d’or. Après l’arrêt des ardoisières de Trélazé le lundi 25 novembre 2013, il ne subsiste désormais dans l’Hexagone qu’une mine de sel. Il faut préparer la population française à cet état de fait, moins de matières premières à disposition veut dire diminution du niveau de vie.

La France essaye actuellement de relancer ses activités minières, c’est un mauvais choix. La loi du 13 juillet 2011 sur l’interdiction de la fracturation hydraulique pour l’exploration et l’exploitation des huiles et gaz de schiste est trop souvent remise en question. Le 13 juin 2012, la ministre socialiste de l’écologie Nicole Bricq annonçait une suspension des permis de forage de Guyane ; elle a été virée par le Premier ministre Jean-Marc Ayrault le 22 juin. Un groupe pétrolier ne devrait pas être plus fort qu’un ministre de l’écologie. Le code minier français date du 21 avril 1810. Il avait favorisé l’extractivisme. Un gouvernement écologiste devra réformer ce code. Le code minier est trop favorable aux exploitants, une compagnie qui découvre un gisement est aujourd’hui quasi certaine de l’exploiter. Un Conseiller d’Etat, Thierry Tuot, a remis un projet de nouveau code minier en 2013. En février 2016, le projet de réforme manque toujours d’une volonté politique. L’avant-projet de loi manque volontairement de clarté, il serait même non prescripteur. Encore beaucoup de travail pour un gouvernement écologiste à venir, protéger les dernières ressources non renouvelables qui nous restent et mettre fin au gaspillage énergétique. Nicolas Hulot président en 2017 ?

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BIOSPHERE-INFO 370, la fin de l’extractivisme ?

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La fin de l’extractivisme approche

La fin de l’extractivisme approche. Nous creuserons jusqu’au bout, nous avons tort,  nous devrions réagir même s’il est trop tard pour sortir indemne de l’impasse dans laquelle nous a mené la société thermo-industrielle extractiviste. Les livres sur cette question se multiplient : Dette et Extractivisme de Nicolas Sersiron (éditions Utopia 2014), Le crépuscule fossile de Geneviève Férone-Creuzet (Stock 2015), Creuser jusqu’où ? (Extractivisme et limites à la croissance) sous la direction d’Yves-Marie Abraham et David Murray (Ecosociété 2015). La sagesse de Thomas More a été ignorée, qui condamnait toute ouverture des entrailles de la Terre :

« L’or et l’argent n’ont aucune vertu, aucun usage, aucune propriété dont la privation soit un inconvénient véritable. C’est la folie humaine qui a mis tant de prix à leur rareté. La nature, cette excellente mère, les a enfouis à de grandes profondeurs, comme des productions inutiles et vaines, tandis qu’elle expose à découvert l’air, l’eau, la terre et tout ce qu’il y a de bon et de réellement utile. » (L’utopie 1ère édition 1516, éditions la dispute 1997)

Voici ci-dessous l’analyse la plus récente, celle d’Anna Bednik (Extractivisme, exploitation industrielle de la nature : logiques, conséquences, résistances aux éditions le passager clandestin 2016), suivie par deux textes significatifs.

1/4) idées générales sur l’extractivisme

Définition de l’extractivisme : Intensification de l’exploitation massive de la nature, sous toutes ses formes. Notons que dans de nombreux textes académiques en langue française, le vocable extractivisme (du terme brésilien extrativismo) se réfère à la pratique de la cueillette des produits de la forêt par la population amazonienne. Une perspective élargie du mot extractivisme ne se limite pas à l’extraction de ressources tirées du sous-sol, on peut inclure les grands barrages hydroélectriques, l’agriculture industrielle, les monocultures forestières ou encore l’accaparement de l’eau. L’extractivisme est un programme pour utiliser la terre et non pour vivre avec elle.

L’usage critique de ce mot s’est fait jour en Amérique latine, visant notamment l’obstination des gouvernements de tous bords politiques à tirer le plus grand profit des «avantages comparatifs» de leur pays sur le marché mondial, c’est-à-dire favoriser les activités extractives afin d’accroître les exportations de biens primaires. Critiquer l’extractivisme, c’est aussi  dénoncer le discours développementiste qui a servi et continue à servir aux pouvoirs en place à justifier aux yeux des populations des projets destructeurs.
Des résistances, il y en a partout en Amérique du Sud. Mais en France ? Le scandale des gaz de schiste a éclaté à la fin de l’année 2010. Le pays découvrait avec stupeur que l’industrie s’apprêtait à cribler nos campagnes de forages d’hydrocarbures non conventionnels. Des collectifs citoyens se sont propagés comme une traînée de poudre. Les zones à défendre (ZAD) en France sont également autant de formes d’occupations de territoires contre les projets d’aménagement et d’expropriation de l’espace.

Les mobilisations concrètes et locales contre les projets extractivistes ou plus généralement pour la défense des territoires occupent tous les jours des milliers, voire des millions de personnes, qui sont autant d’agents de contagion. L’approfondissement d’une « culture de territoire » conduit à développer des pratiques collectives d’autonomie créatrice.

2/4) Résumé du chapitre d’Anna Bednik «en attendant la catastrophe»

La déclaration de Cochabamba ou « accord des peuples » en avril 2010 voulait venir au secours de «notre Terre-Mère». Dix-sept groupes de travail thématiques (mesas) avaient préparé cet accord. Mais la Mesa 18, intitulé « Droits collectifs et droits de la Terre-Mère » n’a pas eu droit de cité à cette conférence mondiale. Le vice-président bolivien les a même qualifiés de « locaux, hors contexte et inopportun s». Cette Mesa 18 avait pourtant pour objectif d’approfondir l’analyse des effets locaux du capitalisme industriel global, de dénoncer l’exploitation des mines qui prive d’eau les communautés paysannes, pollue les fleuves et les lacs, et qui s’étend sur de nouveaux espaces car le gouvernement vend les concessions « comme du pain chaud ». Ils ont cherché à confronter le nouvel activisme international de leur gouvernement à sa dépendance quasi totale vis-à-vis de la rente extractive qui se traduit par l’intensification de projets extractivistes à l’intérieur du pays : « Le gouvernement demande à l’extérieur qu’on respecte la Terre-Mère. Bien ! Qu’il commence dans sa maison. » La déclaration finale affirmait la responsabilité des régimes latino-américains dans la logique prédatrice et rappelait que la mobilisation sociale permanente était le seul chemin effectif pour transformer la société.

Les nouveaux tenants du pouvoir en Amérique du sud ont en effet poursuivi la spécialisation primo-exportatrice historique de leurs pays car la rente extractive a permis à ces régimes les fonds qui leur permettaient de financer les politique sociales. Aux dires du président équatorien Rafael Correa, on construira une société plus juste et plus équitable « avec le même modèle ». La lutte contre la pauvreté (entendu au sens occidental du terme) a pris le dessus.

Derrière la notion de développement, il y a l’idée que vivre ne serait pas suffisant. Ceux qui nous disent pauvres, expliquent les paysans-ronderos d’Ayabaca au Pérou « ne voient pas nos richesses, ils comptent l’argent ». En Australie, les Aborigènes interrogent : « Nous avons du soleil, du vent et des habitants, Pourquoi polluer notre environnement pour de l’argent? » Le buen vivir (ou vivir bien) n’est plus qu’un slogan utilisé à des fins de marketing politique qui se confond, selon les besoins de ceux qui les utilisent, avec «développement», «services de base», voire  «accroissement du pouvoir d’achat». Le seul fait d’intensifier l’extractivisme a enseveli l’espoir de renouveau. Il est indispensable au capitalisme, il est incompatible avec le respect de la Terre-Mère et de la vie. Sans extractivisme, le productivisme ne pourrait perdurer.

Les barrières écologiques, limites dites «externes» du capitalisme, semblent pouvoir précipiter l’effondrement du système plus rapidement encore que les problèmes récurrents de suraccumulation (contradictions «internes»). L’épuisement annoncé de nombreuses ressources naturelles et l’ampleur de la dégradation écologique apparaissent comme devant plafonner à plus ou moins court terme la croissance de la production et l’accumulation. Serait-on prêt à accepter un gouvernement autoritaire écologiquement éclairé, ou bien, doit-on, pour préserver la vie sur terre, compter, tout au contraire, sur un effet forêt, une façon de lier les êtres et les choses, de devenir ingouvernables ? Il semble exagérément optimiste de donner le système capitaliste pour presque vaincu.

On sait que les limites matérielles liées à la disponibilité des ressources sont repoussées toujours plus loin, au prix de l’exacerbation de l’extractivisme, de coûts humains et environnementaux de plus en plus élevés. Le capitalisme fait preuve d’une redoutable plasticité. L’urgence climatique offre par exemple un formidable alibi pour imposer de nouveaux impératifs techno-marchands. Les réductions des émissions de gaz à effet de serre sont cotées en bourse, les dérivés climatiques permettent aux investisseurs de parier sur les variations de climat, les services fournies par les écosystèmes se voient assignés des prix, chaque limite est mise à contribution pour renouveler les horizons du profit. Dans ce cadre-là, la rupture avec l’extractivisme est loin d’être à l’ordre du jour. Cela fait longtemps que des alertes sont lancées, la société industrielle est toujours passée outre. Partout se multiplient les «zones de sacrifice» dédiées à l’extraction de matières premières ou de vecteurs d’énergie, les déchets s’amoncellent dans les «zones poubelles»  et les «zones interdites» ne sont pas limitées à Tchernobyl et Fukushima. Les espaces «pour être» se réduisent comme peau de chagrin. L’enrôlement utilitaire de l’espace est déjà en train de rendre la Terre inhabitable.

Le mouvement pour «changer le système, pas le climat» doit donc commencer à prendre au sérieux l’anti-extractivisme en ne mettant pas les émissions de GES au-dessus de toutes les autres formes de destruction de la nature. Les industries du pétrole, du gaz et du charbon ne sont pas les seules activités extractives à contribuer aux dérèglements écologiques planétaires. La véritable question n’est plus de savoir s’il reste des ressources disponibles, mais plutôt quels seront les coûts sociaux et environnementaux si leur extraction se poursuit. Les luttes concrètes sont autant de bâtons fichés dans les roues de la mégamachine extractive qui alimente les industries polluantes et change le climat. Ceux qui combattent des projets extractivistes concrets ne se révoltent pas, au départ, contre la catastrophe écologique globale, ni contre le système qui le produit. Ils cherchent à contrer des menaces locales. Mais, interagissant avec d’autres mouvements qui affrontent les mêmes problèmes, ils en viennent souvent à dénoncer toutes les pratiques prédatrices mues par une seule et même logique. Le Nimby des premiers temps cède la place au Nina : Ni ici ni ailleurs. Le « NON » à un projet extractiviste particulier se mue en un «NON à l’extractivisme». A cours de ces luttes émerge, au Sud comme au Nord, l’idée forte qu’aucune promesse, aucun objectif ne peuvent justifier la perte de ce que l’extractivisme accapare ou détruit : l’eau, la terre, les montagnes, les forêts et les rivières, les moyens de subsistance et la santé, mais aussi la culture de chaque lieu, ses mythes et sa mémoire, ses formes particulières de sociabilité. Cet équilibre entre ce que nous voulons être et ce que la nature peut nous offrir, on peut l’appeler le «bien-vivre local». Local, parce que dans le global se perdent les particularités, l’identité, notre propre système, nos limites.
Le fait de parvenir à affranchir un territoire, même si c’est de façon temporaire, des logiques de l’uniformisation, de la prédation et de la mort, crée de nouvelle possibilités d’émancipation : cela devient faisable puisque c’est réalisé. Chaque résistance contribue à l’émergence et à la diffusion d’imaginaires alternatifs.

3/4) L’occasion manquée de la COP21

L’appel de la société civile : « Laissons les fossiles dans le sol pour en finir avec les crimes climatiques »

– Nous sommes à la croisée des chemins. Nous ne voulons pas nous retrouver contraint.e.s à survivre dans un monde devenu à peine vivable. Par l’acidification des océans, par la submersion des îles du Pacifique Sud, par le déracinement de réfugiés climatiques en Afrique et dans le sous-continent indien, par la recrudescence des tempêtes et ouragans, l’écocide en cours violente l’ensemble des êtres vivants, des écosystèmes et des sociétés, menaçant les droits des générations futures.

– Nous ne nous faisons pas d’illusions. Depuis plus de vingt ans, les gouvernements négocient mais les émissions de gaz à effet de serre n’ont pas baissé et le climat poursuit sa dérive. Alors que les constats de la communauté scientifique se font plus alarmants, les forces de blocage et de paralysie l’emportent.

– Ce n’est pas une surprise. Partout, des forces puissantes — entreprises du secteur fossile, multinationales de l’agro-business, institutions financières, économistes dogmatiques, climatonégationnistes et décideurs politiques prisonniers de ces lobbies — font barrage et promeuvent de fausses solutions.

Nous gardons confiance en notre capacité à stopper les crimes climatiques. Par le passé, des femmes et des hommes déterminé.e.s ont mis fin aux crimes de l’esclavage, du totalitarisme, du colonialisme ou de l’apartheid. Elles et ils ont fait le choix de combattre pour la justice et l’égalité et savaient que personne ne se battrait à leur place. Le changement climatique est un enjeu comparable. A travers le monde, nous luttons contre les véritables moteurs de la crise climatique, défendons les territoires, réduisons les émissions, organisons la résilience, développons l’autonomie alimentaire par l’agro-écologie paysanne, etc.

A l’approche de la conférence de l’ONU sur le climat à Paris-Le Bourget, nous affirmons notre détermination à laisser les énergies fossiles dans le sol. C’est la seule issue.

Concrètement, les gouvernements doivent mettre un terme aux subventions qu’ils versent à l’industrie fossile, et geler leur extraction en renonçant à exploiter 80% de toutes les réserves de combustibles fossiles.

(texte tiré du livre Crime climatique STOP ! L’appel de la société civile (éditions du Seuil 2015)

 4/4) Un texte prémonitoire de 1957

En 1957 l’amiral Rickover, père du sous-marin nucléaire, fit un discours qui donne à réfléchir. Il encouragea ses auditeurs à réfléchir sérieusement à leurs responsabilités envers « nos descendants », ceux qui sonneront la fin de l’âge des combustibles fossiles :

« L’immense énergie fossile aux USA alimente des machines qui font de nous le maître d’une armée d’esclaves mécaniques… Chaque conducteur de locomotive contrôle l’énergie équivalente de 100 000 hommes, chaque pilote de jet celle de 700 000 hommes… Nous dilapidons les ressources naturelles. Une bonne partie des étendues sauvages qui ont nourri ce qu’il y a de plus dynamique dans le caractère américain est désormais enfoui sous les villes, les fenêtres panoramiques ne donnent sur rien de plus inspirant que la fumée d’un barbecue… Quelle assurance avons-nous que nos besoins en énergie continueront d’être satisfaits par les combustibles fossiles ? La réponse est : à long terme, aucune… Un parent prudent et responsable utilisera son capital avec parcimonie, afin d’en transmettre la plus grande part possible à ses enfants. Un parent égoïste et irresponsable le dilapidera pour mener une vie dissipée et se moquera complètement de la façon dont sa progéniture s’en sortira… Vivre de façon responsable signifie économiser l’énergie et développer une culture de l’abnégation. »

(texte tiré du livre d’Andrew Nikiforuk, L’énergie des esclaves (éditions Ecosociété 2015)

 

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Secret des affaires ou transparence, un choix facile

Transparence démocratique contre secret des affaires, la controverse est vite tranchée quand on pense que la concurrence est un des principaux défauts de notre système économique. La disposition du «plan Macron 2015» qui prévoyait de protéger le secret des affaires a été rejetée par les députés en février 2015. ­Motif : la protection des journalistes et des lanceurs d’alerte était jugée insuffisante. Il ne s’agit pas simplement de dénoncer l’évasion fiscale, défendre la santé publique ou l’intérêt général, il s’agit de promouvoir la coopération entre entreprises et non la recherche du profit accaparé. Pourtant le Parlement européen adopte à une large majorité la directive sur la protection du «secret des affaires » pour préserver des informations stratégiques afin d’obtenir ou de conserver un avantage concurrentiel, il défend clairement le système libéral. D’ailleurs la définition du « secret des affaires » présente des contours tellement larges que toute information interne à l’entreprise peut potentiellement en faire partie. Les entreprises devront seulement prouver qu’elles n’ont pas autorisé l’obtention ou la publication du secret, tandis que les citoyens devront démontrer au juge qu’ils ont agi de façon compatible avec une des exceptions prévues… Ce sera l’intimidation permanente*.

Daniel ­Lebègue, président de la branche française l’ONG Transparency International rappelle que la transparence est un principe essentiel des démocraties modernes, et pourquoi ce principe doit s’appliquer au monde des affaires. D’abord, «il est inscrit dans la Constitution française », du fait de l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui lui sert de préambule : «La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration.» Ensuite, on le retrouve dans toutes les démocraties représentatives. M. Lebègue détaille : « La volonté de transparence est au cœur des révolutions républicaines française et américaine, premiers régimes décidés à en finir avec l’arbitraire et le régime du secret des monarchies.»

Tous ceux qui exercent des responsabilités socio-politiques sont redevables de leur mandat devant les citoyens. Pourquoi les grandes entreprises y échapperaient-elles ? Tout profit accaparé par une entreprise et ses actionnaires est enlevé à l’intérêt commun. Des trois modes de régulation des rapports sociaux, la coercition, la coopération et la concurrence, l’idéologie libérale n’a voulu retenir que la troisième. L’idée qu’il faut continuer à mettre de la concurrence partout et tout le temps est devenue non seulement anachronique, mais dangereuse quand les ressources naturelles deviennent limitées. La bonne chose à faire est d’encourager la coopération et s’assurer que ses rentes seront limitées à ce qui est nécessaire pour assurer le bon fonctionnement de chaque entreprise. Notons d’ailleurs que la concentration des entreprises qui découle paradoxalement de l’évolution du capitalisme n’est, au-delà des apparences, que l’expression d’une coopération pragmatique, une institutionnalisation progressive. Le principe fondateur d’une activité économique n’est pas la concurrence comme le croit les libéraux, mais tout au contraire la coopération entre entreprises et consommateurs…

* LE MONDE du 29 avril 2016, Secret des affaires, transparence : où placer le curseur ?

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Pour une gouvernance des biens communs… en 1990

Principes communs aux institutions durables de ressources communes :

  1. des limites aux prélèvements clairement définies ;
  2. la concordance entre les règles et les conditions locales ;
  3. des dispositifs de choix collectifs sur le mode participatif ;
  4. une surveillance et une autosurveillance des comportements ;
  5. des sanctions graduelles pour les transgressions ;
  6. des mécanismes de résolutions des conflits ou arènes locales ;
  7. le droit à s’organiser sans intervention d’autorités externes ;
  8. des entreprises imbriquées (pour les systèmes à grande échelle).

Il y a réticence à investir du temps et des efforts pour améliorer un système géré centralement. Des efforts de réforme centralisée ont souvent débouché sur des problèmes encore plus graves.

Elinor Ostrom (prix Nobel d’économie)

Gouvernance des biens communs (pour une nouvelle approche des ressources naturelles)

(1ère édition 1990, Governing the Commons, The Evolution of Institutions for Collective Action) Traduction française en 2010, éditions De Boeck

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En 2017, peut-être de Gaulle devenu Jaurès de l’écologie

Annonciateurs d’Apocalypse, vous êtes vraiment nuls. Où sont les millions de réfugiés climatiques ? Où est la pénurie de pétrole, alors que les cours du baril ont été divisés par cinq ? Où est l’explosion du prix du poisson, depuis le temps que l’on nous annonce que l’océan se vide ? De l’extrême gauche à l’extrême droite, ils sont tous d’accord : il y a peut-être un problème avec le pingouin sur la banquise, ce qui rend les enfants très tristes, mais cela ne concerne pas les affaires des grandes personnes, comme le chômage ou la compétition économique internationale. Nous vivons tous dans Second Life. Premier commandement de l’élu : « L’opinion en toute circonstance respecteras, et si l’opinion se fiche du long terme comme de l’an 40, alors du court terme uniquement te préoccuperas. » Il est vrai que le public a d’autres chats à fouetter. Quand on entre chez un marchand de journaux, la profusion des journaux saute aux yeux, sur la mode, sur les engins qui font broum broum, sur le dernier faits divers, sur les sudoku et mots croisés ou les magazines de fesses. La portion des présentoirs consacrée à l’écologie est proche du zéro absolu. D’ailleurs le magazine Terra eco est entré en liquidation judiciaire le 10 mars*.

Changement climatique, urgences sanitaires et environnementales, initiatives concrètes : le journal s’était voulu un défricheur, fort de la conviction que ces sujets allaient rencontrer un intérêt croissant. Badaboum, la culbute financière. Walter Bouvais, cofondateur du titre, s’en explique: « Tout le monde sait que les thématiques que nous portons sont majeures, mais cela ne se traduit pas forcément dans les actes. Notre histoire est emblématique d’une époque partagée entre la conscience que le monde doit changer et la force des résistances. » D’ailleurs le magazine titrait en mars 2015 : « Ecologie, pourquoi tout le monde s’en fout ».
Car c’est un fait. Les conférences sur l’environnement ont beau se multiplier, les rapports alarmants s’accumuler, qui, tous, font craindre une catastrophe écologique globale, la mobilisation de chacun face à ces cris d’alar­me reste dérisoire. Effectuée en mars 2015 par BVA, une étude d’opinion révélait que la lutte­ contre le réchauffement est une priorité pour seulement 13 % des sondés, très loin derrière celle qui doit être menée contre le chômage (60 %), contre le terrorisme (41 %) ou pour la défense du pouvoir d’achat (36 %).
Pourquoi un tel décalage ?**

En raison, d’abord, de la difficulté du sujet. Parce qu’elle interagit avec le champ des sciences, de l’économie, des questions sociales, l’écologie nécessite, pour être intelligible, un vocabulaire et des connaissances complexes. En raison, aussi, de l’énormité du problème. « L’urgence écologique mobilise peu parce que les causes de ce qui nous arrive sont lointaines et invisibles. Parce que cela demande de s’in­téresser aux inégalités. Parce que c’est un sujet de guerre, qui implique d’accepter les situations de conflit – par exemple, entre l’énergie nucléaire et les énergies alternatives. C’est donc un sujet qui rend fou », résume le sociologue et philosophe Bruno Latour. D’autant plus, ajoute-t-il, qu’il aurait fallu agir contre le réchauffement climatique dès les années 1980, et qu’il est désormais trop tard pour éviter des conséquences graves. Le déni de réalité est alors une attitude courante. Surtout lorsque domine le sentiment d’impuissance. « Ce qui nous fait vraiment bouger, c’est d’être confronté à un danger sensible et immédiat. Les représentations abstraites, elles, n’ont guère d’influence sur notre conduite », souligne Dominique Bourg. Enfin à quoi bon agir si les grands de ce monde ne le font pas ? Quand le citoyen apprend que Volkswagen truque ses moteurs diesel, quand la COP21 ne débouche que sur des recommandations, la tentation est grande d’envoyer tout promener.

Osons le dire : celui ou celle qui arrivera à la présidentielle 2017 avec les idées claires sur la contrainte des ressources naturelles, et qui aura un bon programme pour y répondre, avec un mélange de souffle nouveau et d’efforts pour chacun, celui-là ou celle-là pourrait être audible. Osons le dire : il nous faut un nouveau de Gaulle devenu Jaurès de l’écologie.

* LE MONDE éco&entreprise du 12 mars 2016, « Terra eco » dit adieu à ses lecteurs

** LE MONDE culture&idées du 4 décembre 2015, L’écologie, j’y pense et puis j’oublie

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Du plateau ondulant au chaos généralisé, notre futur

Le mensuel La Décroissance nous offre quelques éclairs de lucidité au milieu d’un paysage médiatique dévasté par les bien-pensants qui disent tous la même chose. Voici un florilège du dernier numéro*.

– Le pic pétrolier se présente sous forme d’un plateau ondulant depuis 2006. Il y a plafonnement de la production dé pétrole conventionnel autour de 95 millions de barils/jour. La volatilité des prix est extrême. En 1998, le baril valait moins de 20 dollars. Il est passé à 147 dollars en 2008, il est retombé à 30 en 2009 après la chute de l’activité économique. En 2010 on est repassé à plus de 100 dollars, le prix s’est maintenu à un très haut niveau pendant quatre ans, et là boum, il est retombé à 30. Ces fluctuations énormes sont symptomatiques d’un système précaire. Soit on regarde les choses en face et on s’organise pour amorcer la descente énergétique. Soit c’est le chaos, avec des risques de guerres civiles, comme celle qui a lieu en Syrie, où le déclin de la production de pétrole, tout comme le réchauffement climatique et la désertification des terres, ont joué un rôle important dans l’effondrement de l’État. (Matthieu Auzanneau)

– Je me maintiens un peu à l’écart de la société de consommation. Je n’ai pas de congélateur, je vais en grande surface deux fois par an, je mange bio, j’ai un potager, je me déplace à vélo, je n’ai pas de GPS, pas de portable, pas Internet, pas de carte bancaire… Il faut essayer d’être cohérent, d’appliquer ses idéaux, même si ce n’est pas toujours facile de se remettre en cause. (Gérard)

– Le film « Demain » vient encore le confirmer : il faut décidément en être arrivé à une civilisation hors sol, dépendante au marché et sous perfusion technologique, pour qu’un documentaire rassemble des centaines de milliers de spectateurs ébahis devant cet événement extraordinaire : un jardiner qui sème encore des graines dans la terre, au XXIe siècle ! (Pierre Thiesset)

– Je n’ai absolument aucun doute que les pouvoirs publics seraient dans une incapacité totale à faire face à des coupures massives et prolongées d’électricité. L’incurie des politiques est absolument criminelle, et je pèse mes mots. Je ne vois pas comment nommer autrement le fait de ne pas remettre en cause un mode de vie qui nous rend complètement dépendants et asservis à des mégasystèmes (eau, énergie, Internet…) tout en décrédibilisant toute tentative de début d’esquisse de commencement de projet de décroissance. (Frédéric Édouin)

– L’ère industrielle qui est la nôtre risque de laisser un héritage plutôt toxique fait de déchets radioactifs, de métaux lourds, de gaz à effet de serre accumulés dans l’atmosphère et de ressource surexploitées. Une nouvelle planète en somme. A nous de nous opposer à la démesure du capital et à la logique extractiviste. Et de soutenir les différentes luttes citoyennes et résistances autochtones qui essaiment autour du globe, de l’opposition aux « grands projets inutiles » à la multiplication des « zones à défendre ». (David Murray)

* La Décroissance n° 125 (mars 2016)

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stagnation séculaire, croissance zéro ou décroissance ?

Les pays industrialisés seraient entrés dans une phase de « stagnation séculaire ». Aux Etats-Unis, en Europe, au Japon, la croissance fléchit en effet d’année en année, 0,5 % aujourd’hui contre 5 à 6 % pendant les Trente Glorieuses (1947-1974). Selon un article du MONDE, ce ralentissement a des moteurs structurels, comme le vieillissement de la population, le sous-investissement chronique, la hausse des inégalités et l’épuisement du progrès technique. En somme, le monde industrialisé serait donc condamné une croissance anémique. « Pas forcément ! », rétorquent les économistes détracteurs de la stagnation séculaire. « Qui est capable de prédire ce qu’auront changé, dans dix ans, la voiture autonome ou le génie génétique ?« *

C’est là le faux débat entre les religieux de la croissance bénite et les adorateurs du miraculeux progrès technique. Il est absolument renversant que les arguments utilisés par ces spécialistes ignorent absolument les contraintes bio-physiques de la planète. Comment passer sous silence l’absurdité des croissances exponentielles dans un monde fini ? Comment imaginer que des machines de plus en plus complexes et sophistiquées pourront survivre à la descente énergétique ? Comment croire encore à un taux de croissance positif dans l’avenir quand il suffisait à la belle époque de très peu de travail et de capital pour sucer les mamelles de notre mère la planète ? Comment oublier que le rapport du MIT de 1972 sur les limites de la croissance a toujours démontré sa validité grâce à ses différentes actualisations ?

Comme l’exprimait déjà Dominique Bourg dans les colonnes du MONDE , «la clé est l’EROI (Energy Return on Investment), TRE en français (taux de retour énergétique). Or, ce dernier ne cesse de chuter. Il suffisait autrefois d’investir un baril de pétrole pour en obtenir cent. Avec les sables bitumineux du Canada, en investissant un baril, on retire entre quatre et à peine plus d’un baril. Et si l’on ajoute à l’énergie nécessaire à l’extraction celle nécessaire à conduire le baril sur son lieu de consommation, en moyenne, l’énergie investie triple. Il en va de même pour les métaux. La clé est le coût énergétique de leur extraction. Lequel ne cesse de croître. Des ressources abondantes peuvent cacher des réserves limitées. Parier sur l’abondance des ressources et la croissance, sur une planète insidieusement finie, alors même que la décrue démographique n’aura pas même lieu durant le siècle, est aussi inepte que dangereux.»**

* LE MONDE économie du 21-22 février 2016, La grande division des économistes autour de la stagnation séculaire
** LE MONDE du 2 décembre 2014, Paradoxes du monde fini

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Les prises de poisson témoignent de notre surpuissance

Il y a plus de quarante ans, l’impossibilité de poursuivre une croissance indéfinie dans un monde fini était déjà démontrée par le rapport au Club de Rome dont voici ci-dessous un extrait centré sur la pêche : « Rares sont ceux qui imaginent devoir apprendre à vivre à l’intérieur de limites rigides lorsque la plupart espèrent les repousser indéfiniment. Cette foi s’est trouvée renforcée par une croyance en l’immensité de la terre et de ses ressources et en la relative insignifiance de l’homme et de ses activités dans un monde apparemment vaste. Ce rapport entre les limites de la terre et les activités humaines est en train de changer. Même l’océan, qui, longtemps, a semblé inépuisable, voit chaque année disparaître, espèce après espèce, poissons et cétacés. Des statistiques récentes de la FAO montrent que le total des prises des pêcheries a pour la première fois depuis 1950 accusé une baisse en 1969, malgré une modernisation notable des équipement et des méthodes de pêche (on trouve par exemple de plus en plus difficilement les harengs de Scandinavie et les cabillauds de l’Atlantique. »

Il est français mais inconnu en France. Il est pourtant le premier à alerter la communauté internationale sur la surexploitation des ressources halieutiques. S’appuyant principalement sur les statistiques de la FAO, Daniel Pauly prouve en 2001 que les stocks de poissons diminuent depuis la fin des années 1980… Il démontre que les humains pêchent des poissons de plus en plus bas dans la chaîne alimentaire des océans : nous finirons par manger du zooplancton… Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, la FAO, la pêche mondiale a connu un pic en 1996, avec 86 millions de tonnes de poissons sortis de l’eau, puis elle est restée quasiment « stable ». Daniel Pauly et Dirk Zelly approfondissent la question par une étude de janvier 2016*. Ils chiffrent le maximum à 130 millions de tonnes en 1996. Puis les performances de la pêche ont régressé de 1,2 million de tonnes par an. Malgré la forte croissance des armements, la diffusion des techniques industrielles de pêche jusque dans les coins les plus reculés de la planète et la sophistication toujours plus poussée du matériel, les tonnages des captures ne cessent de diminuer. Or le poisson reste un apport de protéines essentielles auprès de beaucoup de populations côtières,

L’humanité aura besoin en 2050 du double de ce que produit la planète tous les ans. Nous devrons donc puiser dans les réserves. A force d’y puiser, les réserves qui ne seront pas encore épuisée à cette époque ne seront ni nombreuses, ni importantes, que ce soit en énergie fossiles, en eau potable ou en matière premières naturelles. La plupart des experts prédisent que les stocks de poissons commerciaux seront épuisés, des forêts presque totalement détruites et des réserves d’eau douce faibles et polluées. Il n’est pas raisonnable d’espérer que d’hypothétiques découvertes miraculeuses nous mettront à l’abri des effets de l’interaction entre une population une demi-fois plus nombreuse qu’aujourd’hui en 2050 (ndlr : soit 9 milliards d’êtres humains), des ressources rares et chères, des écosystèmes déréglés et un climat moins complaisant. Il est même assez probable que le tout génère des troubles sociaux, voire géopolitiques généralisés.

* LE MONDE du 21 janvier 2016, La surpêche et le déclin des ressources ont été largement sous-estimés

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L’issue fatale du développement, c’est la décroissance

Dès 1980, l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature) proposait comme définition du développement durable « un développement qui tient compte de l’environnement, de l’économie et du social ». Le rapport Brundtland, document préalable au sommet de la Terre de Rio (1992) énonçait que « le développement durable est un développement qui permet de répondre aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ». Mais ces définitions pêchent grandement car elles s’appuient sur un concept de développement qui lui-même n’est pas défini ! S’il s’agit de garder l’équilibre entre la nature et le progrès économique, faire en sorte de ne pas épuiser les richesses au point où les générations à venir n’auront plus de bois, plus de pétrole, plus d’eau potable, s’il s’agit d’équilibrer la production agricole et la démographie humaine tout en conservant une nature sauvage pour respecter la biodiversité, c’est gravement compromis par quelque développement que ce soit.

Il n’y a qu’une seule acception possible sous le terme développement, c’est celui de décroissance humaine, qu’elle soit démographique ou productive. C’est seulement à cette condition que les humains pourront s’adapter à des ressources alimentaires qui rencontrent un jour ou l’autre la loi des rendements décroissants, et cette décroissance devra être d’autant plus abrupte si on ne veut pas que les humains s’entretuent pour accaparer l’espace de plus en plus réduit dont ils croient qu’ils sont les seuls maîtres.

(écrit le 31 octobre 2005 par Michel Sourrouille)

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Vidéo sur le blocage énergétique, « sans lendemain »

A utiliser pour un moment de réflexion individuelle ou collective

vidéo « Sans Lendemain »

https://www.youtube.com/watch?v=a0J2gj80EVI

Ce documentaire de 35 minutes du réalisateur Dermot O’Connor démontre que notre planète fait bien face à une crise écologique. En abordant les raisons pour lesquelles nous devons consommer toujours plus de pétrole, ce fameux or noir, « Sans lendemain », relate l’impact écologique de l’utilisation de cette ressource non-renouvelable. Plusieurs autres sources énergétiques sont suggérées pour remplacer le pétrole, cependant, elles semblent tous avoir quelques défauts que l’or noir ne possède pas. Dans certains cas, elles ne sont pas viables, dans d’autres, elles nécessitent du pétrole pour leur fabrication…

« Sans lendemain » dresse un bilan sombre de l’avenir environnemental de la Terre si des décisions ne sont pas prises dans l’immédiat. Il prête à débat sur la notion de décroissance inéluctable pour des raisons biophysiques.

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