Michel Sourrouille, auteur en 2017 du livre « On ne naît pas écolo, on le devient », a décidé avant de mourir de partager sa pensée avec tous les Internautes qui fréquentent ce blog biosphere. La parution se fera chaque jour pendant le mois de juillet. Il dédie ce livre aux enfants de ses enfants, sans oublier tous les autres enfants… car nous partageons tous la même maison, la Terre, si belle, si fragile…
Devoir, la contre-partie nécessaire de nos droits
Je n’ai jamais reçu de compliments de la part de mon père. Comme il arrivait à ses derniers couchers de soleil, j’avais insisté auprès de lui pour savoir ce qu’il pensait de moi. Qu’il cite au moins une de mes qualités, telle était mon espérance ! Mon père réfléchit un instant et me dit : « Tu as toujours fait ce que tu devais faire. » Je crois que c’est le plus formidable compliment que j’ai pu entendre au cours de ma vie déjà longue. C’est à moi qu’il incombe de déterminer où est mon devoir dans cette existence. Puisque j’avais selon mon père accompli au mieux cette tâche fixée implicitement, j’avais donc réussi ma vie. Je retrouvai là l’enseignement des stoïciens pour qui le sage « fait tout bien », et donc ne peut perdre en sagesse. Il n’y a pas de mode d’emploi, aucune recette à appliquer de manière prédéfinie et intangible. A chacun de déterminer sa propre voie. La sagesse est dans l’attitude, pas dans les moyens ni même dans le résultat. Accomplir sa tâche consiste seulement à faire tout de la meilleure manière possible. Dans la sagesse populaire, on trouve d’ailleurs cette expression : « Fais ce que tu dois, advienne que pourra. » A l’heure où tout le monde s’exprime en terme de droits, droits de l’homme, droit de l’individu, droit des enfants… nous avons oublié que tout droit a nécessairement une contre-partie sous forme de devoir.
Le 28 février 2005, la Charte de l’environnement était approuvée par les parlementaires français réunis en Congrès pour lui donner une valeur constitutionnelle : « Aux côtés des droits de l’homme de 1789 et des droits sociaux de 1946, et au même niveau, nous allons reconnaître les principes fondamentaux d’une écologie soucieuse du devenir de l’homme ». J’étais heureux de voir enfin un texte de référence souligner le fait que les êtres humains ont aussi des devoirs, pas seulement des droits.
« Art. 2. – Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement.
« Art. 3. – Toute personne doit, dans les conditions définies par la loi, prévenir les atteintes qu’elle est susceptible de porter à l’environnement ou, à défaut, en limiter les conséquences.
« Art. 4. – Toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu’elle cause à l’environnement, dans les conditions définies par la loi.
« Art. 8. – L’éducation et la formation à l’environnement doivent contribuer à l’exercice des droits et devoirs définis par la présente Charte.
Souvent maintenant j’utilise cette recommandation à la fin d’une conférence : « Fais ce que tu dois ». Il faut agir selon sa conscience et à chacun de se déterminer de façon autonome. De toute façon agir au mieux pour la planète ne peux avoir d’efficacité globale, notre action personnelle ne constitue qu’une infime partie des milliards d’êtres humains qui entrechoquent leurs comportements alors que des institutions bloquent les évolutions nécessaires. De plus il n’y a pas de mode d’emploi, aucune recette à appliquer de manière prédéfinie et intangible.
J’ai écrit ce livre… parce que je le devais. Il cheminait dans mon esprit depuis plus de vingt ans. Maintenant, à chacun de faire sa part, la part du colibri. Le plaisir sera donné de surcroît à qui fait ce qu’il doit.
(à suivre… demain sur ce blog biosphere)
Déjà paru :
On ne naît pas écolo, on le devient, introduction
Abécédaire, la façon la plus simple pour s’y retrouver
Abeille, qui ne pique que si on l’embête
Abondance, s’éloigne dès qu’on lui court après
Absolu, un mot à relativiser, un mot indispensable
Acteurs absents, dont on a eu tort d’ignorer l’existence
Adolescence, moment de révolte ou de soumission ?
Alcool, dur pour un écolo de refuser de trinquer !
Amour, une construction sociale trop orientée
Animal, une facette de notre humanité trop ignorée
Austérité, mot qui fait peur et pourtant source de bonheur
Barbe, un attribut des hommes qu’on voulait faire disparaître
Cannabis, une dépénalisation qui créerait l’usage
Chasse, activité dénaturée par des chasseurs motorisés
Compétition, système inhumain au service d’une société inhumaine
Croissance, l’objectif économique le plus débile que je connaisse
Démographie, le problème central qui est systématiquement ignoré
En sortant de l’école, un petit garçon dit à son copain :
– Les devoirs de maths à faire à la maison, ne m’en parle pas ! C’est épuisant, tu sais. Le plus difficile, c’est d’arriver à faire la moyenne entre les réponses de mon père et celles de ma mère qui ne sont jamais les mêmes. Et après, je ne suis même pas sûr que ça soit juste !
Et encore s’il n’y avait que les devoirs de maths, ou ne serait-ce que les devoirs. C’est pareil pour tout, et n’importe quoi. Par exemple, pour savoir si quelque chose est vrai ou pas, et ainsi éviter de raconter trop de conneries, vous devez faire la moyenne entre les réponses de tout un tas de spécialistes et autres “spécialistes“, puis tenir compte des points de vue d’une foultitude de pékins dans mon genre, intégrer tout ça dans la Moulinette… et après vous n’êtes même pas sûr que ça soit juste. C’est vrai que c’est épuisant. Misère misère !
La contrepartie de nos droits, ce ne sont pas nos devoirs mais nos obligations.
Le problème c’est que la frontière entre obligation et devoir est très subjective. Un devoir visé par un article de loi s’entend comme une obligation. Ce qui devrait déjà permettre que ce soit clair pour tout le monde. Enfin, en théorie. Exemple :
– « Art. 2. Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement. »
Tous les jours je ramasse des ordures que des porcs balancent dans la nature. Je n’y suis pas obligé, je ne suis pas payé pour ça, je le fais seulement parce que j’estime que des ordures dans la nature c’est dégueulasse. Les gens du quartier rigolent et m’appellent «l’écologiste». Misère misère ! En tous cas je peux dire que de ce côté là je remplis mon devoir, en prenant part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement. (à suivre)
– « Art. 3. Toute personne doit, dans les conditions définies par la loi, prévenir les atteintes qu’elle est susceptible de porter à l’environnement [etc.] »
Pour prévenir les atteintes que ces porcs (ceux qui balancent les ordures) sont susceptibles de porter à l’environnement, que dois-je ou que devrais-je faire ? Les dénoncer aux flics ? Je ne crois pas y être obligé. De toutes façons la délation c’est pas mon truc. Depuis tout petit je me suis fait le devoir de ne pas baver.
Alors quoi ? J’ai bien des idées et autant de yaka, seulement ça ne rentre pas dans les conditions définies par la loi. Me voilà donc bien avancé. Enfin, le problème (décidément !) c’est qu’on peut très bien arriver à penser que notre DEVOIR est de faire ceci ou cela. Le meilleur comme le pire. Bref, le devoir de faire n’importe quoi. Violer des propriétés privées, brûler des SUV, en mettre certains au pilori en place publique etc. etc.