Foisonnement du religieux écolo

« La crise environnementale n’est pas seulement au-dehors, mais aussi au-dedans de nous » écrit Michel Maxime Egger, fondateur du Laboratoire de la transition intérieure. La crise climatique est venue accentuer une forme de millénarisme et d’ambiance apocalyptique qui porte en elle une nécessité de conversion à un autre imaginaireLe mouvement s’observe à double sens : une spiritualisation de l’écologie, et une écologisation du religieux. Pour affronter l’écoanxiété qui assaille les gens conscients, un nombre croissant de personnes se tournent vers divers rituels de reconnexion à la nature. Et se bricolent une spiritualité sur mesure, censée les aider à transformer le monde, ou du moins leur rapport à celui-ci.

Valentine Faure : Plusieurs sites consacrés au « travail qui relie » énoncent ainsi la problématique à laquelle ce « TQR » entend répondre : « Comment aller à la rencontre de notre découragement et de notre impuissance face à l’ampleur de la crise écologique et sociale, pour les transformer en engagement créatif ? Comment renforcer nos racines pour nous soutenir nous-mêmes, les autres et la Terre ? » Au cœur du travail se trouve l’idée de « reliance » : il s’agit de « nous reconnecter à nous-mêmes, à notre propre imaginaire, aux autres êtres vivants, à l’invisible, au sacré. Mais à chacun de se faire sa propre idée, on n’est pas dans un dogme. Le travail qui relie est l’une des nombreuses pratiques spirituelles associées à l’écologie. Il en existe une foule d’autres : bains de nature, marches du temps profond, méditations en quête de son identité profonde, remerciements à la Pachamama (la Terre mère), jeûnes pour la Terre…Il n’y a pas de bloc de croyances, pas de mouvement coordonné, mais un ensemble de valeurs et d’aspirations communes autour de quelques invariants : un rejet de la dualité homme-nature, esprit-matière ; une fascination pour les peuples premiers ; une défiance vis-à-vis de ce que Pierre Rabhi appelait « l’obscurantisme moderne »… Le « verdissement » de l’Eglise s’est manifesté avec force en 2015, dans l’encyclique Laudato si’ – sur « la sauvegarde de la maison commune » – du pape François, qui a choisi son nom en référence à saint François d’Assise, « l’homme qui aime et préserve la Création ». L’erreur serait de prendre cette écospiritualité pour une fin : j’ai trouvé la paix intérieure, la nature me fait du bien. Ça, c’est du développement personnel, mais comment aller bien dans un monde qui va mal. Pour les écologistes, la transition intérieure est, au contraire, évidemment vectrice d’une transformation du monde.

Le point de vue des écologistes

Je trouve plutôt bénéfique de chercher à retrouver une certaine spiritualité dans nos sociétés qui en sont tristement dépourvues. Nos cérémonies de passage, naissance, mariage, décès sont réduites à leurs portions congrues ou irréalistes si on pratique une religion traditionnelle. En accroissant notre emprise sur le monde, en éliminant de notre quotidien tous les espaces (vraiment) sauvages, nous nous sommes enfermés dans une culture quasi-exclusivement humaine, jusqu’à oublier trop souvent que nous faisons partie intégrante de la Nature et de l’Univers. Aujourd’hui que le réchauffement climatique et l’effondrement de la biodiversité nous rattrapent, il est temps de nous souvenir que la vie est mystérieuse et que nous avons un devoir « sacré » de la préserver. La notre et celle des créatures avec qui nous partageons la vie.

La politique ramène toujours à des conceptions religieuses au sens de « ce qui nous relie » et fait société. Pour qu’un groupe conserve une cohésion interne, il ne doit pas dépasser 150 individus. Comment faire au-delà alors qu’un pays comme la Chine compte par exemple plus de 1,4 milliards d’habitants ? Il s’agit d’instaurer une histoire commune, une fiction qui va servir de mythe fédérateur. Nous avons donc inventé des récits comme la Bible, imaginé des sauveurs suprêmes comme Jésus Christ ou Xi Jinping ou mondialement imposé « les lois » du marché. Nous nous dirigeons de plus en plus fermement aujourd’hui vers un nouveau mythe fédérateur, l’écologisme. Si tout se passe sans trop de mal, le culte de la Terre-mère va se développer tout au cours du XXIe siècle. Toute religion est une construction sociale élaborée pour résoudre un problème. Notre problème aujourd’hui, c’est la détérioration brutale de notre milieu de vie par nous-mêmes.

Nos article antérieurs sur ce blog biosphere

16 août 2022, Religions, un frein à notre réflexion

30 avril 2021, Demain l’écologisme sera la religion commune

3 juin 2020, L’écologisme sera la religion du XXIe siècle

1er mars 2020, Biosphere-Info, écologisme et religions (synthèse)

18 février 2020, L’écologisme concurrence les religions

22 août 2019, Spiritualité, religion et écologie (Arturo Escobar)

25 juillet 2019, L’écologie a besoin d’une spiritualité (Satish Kumar)

15 avril 2019, Rejoignez notre Alliance des gardiens de Mère Nature

3 août 2018, Religion et écologie commencent à faire bon ménage

4 juillet 2018, La religion écologique n’est pas une religion

28 février 2015, Une religion pour la terre-mère est-elle dangereuse ?

21 septembre 2014, Religion catholique et écologie : comparaison papale

29 décembre 2009, notre Terre-mère Pachamama

16 septembre 2009, bien-être et religion

22 décembre 2008, quelle religion pour le XXIe siècle ?

11 réflexions sur “Foisonnement du religieux écolo”

  1. Précisions de lecture pour Michel C.  : Xi Jinping et Jésus Christ sont dans la même catégorie,dans la mesure où sous leur nom se forge une histoire commune qui permet de rassembler une multitude. Bien entendu cet imaginaire collectif peut aller dans le sens de la bienveillance ou dans l’affrontement, on a les références qu’on mérite, ce qu’on appelle une culture au sens sociologique. Comme l’indique Michel, C’est un vaste fatras quand le monde moderne multiplie les normes et les valeurs, nous ne sommes plus aux temps où il n’y avait qu’un seul livre, la bible, et ses interprétés qui seuls savaient la lire.
    Nous avons besoin d’une spiritualité, d’une religion au sens de relier, nous fabriquer une appartenance commune plus large que les cadres étroits du libéralisme économique ou du nationalisme xénophobe.

    1. (suite) Notre article montre la diversité des pratiques spirituelles actuelles autour du mythe de la Terre-mère. Normal, quand il y a une rupture historique, rupture écologique aujourd’hui, il y a un foisonnement des sectes avant de trouver les modalités d’une unification. L’éclatement en chapelles multiformes est d’autant plus intense que l’époque « moderne » a exacerbé le sens du MOI, l’idée que c’est à l’individue de se déterminer librement. Mieux vaut la conception de Gandhi qui répondait quand on lui demandait : – Comment faites-vous toutes ces choses altruistes tout au long de l’année ?-  : « Je ne fais rien d’altruiste. J’essaie de progresser dans la réalisation de Soi. »
      Lire sur notre blog
      Pour en finir avec l’exaltation de SOI
      https://biosphere.ouvaton.org/blog/pour-en-finir-avec-lexaltation-du-soi/

    2. On ne peut évidemment pas mettre Xi Jinping et Jésus Christ dans la même catégorie. Ne serait-ce déjà que parce que l’existence (la réalité) du premier ne laisse planer aucun doute. Ce qui n’est pas le cas du second. À la rigueur, dans un même panier on pourrait mettre Xi Jinping, Bill Gates, Macron, Nicolas, Greta et Caetera.
      Dans lequel on retrouverait Néron, Napoléon, Malthus, Marx, Proudhon etc.
      Bref, toutes les célébrités que l’Histoire et l’Actu nous imposent.
      Et dans un autre panier, on y mettrait Jésus, Socrate et Bouddha.
      ( Jésus, Socrate, Bouddha : Trois maîtres de vie – Frédéric Lenoir – 2009 )
      On retrouverait là Robin des bois, Zorro, Rambo, Robocop, le Père Noël et Jean Passe. On a les références qu’on mérite. Bref, tous les personnages de fiction qui ont pris place dans le vaste fatras qu’est notre culture. Disons, nos cultures.

      1. C’était juste pour montrer qu’il y a «mille» façons de distinguer et classer les gens. Même s’il ne faut pas mélanger les torchons et les serviettes, je pense qu’il vaut mieux, au départ, partir du principe que tous les humains se valent. Ce n’est qu’ensuite, qu’on peut dire que certains valent bien plus que d’autres.

        – « Mieux vaut la conception de Gandhi qui [etc.] » (Biosphère)
        Gandhi, le dalaï lama, le bouddhisme… ce n’est pas notre culture.
        Personne ne peut dire, sérieusement, que Jésus vaut mieux ou moins que Bouddha. Ou Gandhi etc.

        – « … les visions chrétienne et bouddhiste qu’oppose Satish Kumar sont seulement propres à ces deux cultures. Pour moi il n’y a pas lieu de les opposer, elles valent ce qu’elles valent, au mieux elles sont complémentaires. Toutefois je vois le bouddhisme des Occidentaux comme une autre bouffonnerie. [etc.] »
        (Pour en finir avec l’exaltation de SOI – MICHEL C 29 JUIN 2021 À 12:05)

  2. Précisions de lecture pour Didier B. : Xi Jinping et Jésus Christ sont dans la même catégorie,dans la mesure où sous leur nom se forge une histoire commune qui permet de rassembler une multitude. Bien entendu cet imaginaire collectif peut aller dans le sens de la bienveillance ou dans l’affrontement, on a les références qu’on mérite

    1. (suite) L’écologie est le premier mythe fédérateur qui prend les réalités biophysiques comme base de la pensée. En d’autres termes, l’écologie scientifique précède l’écologie politique. Mais les humains ne sont pas que rationalité, ils ont besoin qu’on leur raconte des histoires. L’Église de l’écologie, c’est la nature autour de nous, l’amour de sa beauté, le fait de quitter son anthropocentrisme pour adhérer au biocentrisme, louer le lever du soleil, fêter le solstice d’hiver plutôt que fêter la naissance du Christ ou le père Noël. Nous ne connaissons pas encore le prophète qui va porter ce message et être reconnu du plus grand nombre, mais l’expérience historique nous montre qu’un nom viendra un jour au jour.

    2. Didier BARTHES

      Si l’on range les gens dans la même catégorie au prétexte qu’ils sont très connus alors oui, (encore que dans l’histoire Jésus-Christ restera infiniment plus célèbre que Xi Jinping sauf si celui ci se lance dans une guerre nucléaire contre les USA). Mais une telle catégorisation serait de pure forme, on voit bien quand même qu’ils n’ont pas grand chose à voir, Xi Jinping relève du pouvoir temporel de la pure matérialité et pour tout dire de la dictature.
      Je ne vois pas trop bien ce que veut dire la phrase  » on a les références qu’on mérite ».

      1. Moi non plus je ne vois pas trop bien comment il faut prendre ce «on a les références qu’on mérite». C’est pour ça que je l’ai pris pour une blague.
        Comme le «on a les politiques qu’on mérite», qui sous-entend «Parce que je le veau bien ! Hi-han !» Autrement dit, que le ON en question ne mérite pas mieux que des tocards pour se faire diriger. Personnellement je ne crois pas au mérite.
        Ici, selon qu’ON soit POUR la bienveillance ou au contraire POUR l’affrontement (c’est ce qui est écrit) les références… disons les modèles à suivre, les maîtres de vie, les dieux quoi… ne seront évidemment pas les mêmes. Je vois mal comment ON pourrait vénérer Jésus et Xi Jinping et en même temps.
        Par contre, Xi Jinping et Malthus… Eh oui, on a les références qu’on mérite ! 🙂

  3. Didier BARTHES

    Je ne mettrais pas Xi Jinping et Jésus Christ dans la même catégorie, les grands personnages politiques ont plus tendance à faire crucifier les autres qu’à se sacrifier eux-mêmes.
    D’autre part, je ne sais pas si la conscience écologique constituera un mythe fédérateur, en tout cas, même si elle relie les hommes (ce n’est pas gagné quand même) en aucun cas cela ne peut faire office de religion, ça ne parle que du monde matériel, ça ne dit rien de l’âme, ni de la mort, ni du monde d’après, c’est sympathique, c’est nécessaire mais ça n’a rien à voir avec une religion.
    Je suis fermement convaincu de la nécessité de l’écologie, mais je ne suis pas un croyant de l’écologie et n’exigerai pas qu’on lui construise des églises. Nous mettons derrière le mot spiritualité ce qui nous est sympathique mais cela constitue pour moi une extension excessive du concept.

    1. C’est sûr que mettre dans le même sac Xi Jinping et Jésus Christ, fallait oser.
      Ce qui relie les individus, au sein dune société, c’est d’abord une culture.
      Problème, le mot “culture“ est polysémique. La culture (dans le sens de la sociologie) est un ensemble où se mêlent l’histoire, la religion, les traditions, les mythes etc.
      Il ne faut pas confondre religion et spiritualité. La religion est une affaire de groupe, la spiritualité une affaire individuelle. Le mot “religion“ a au moins deux étymologies : «Les plus citées aujourd’hui sont relegere signifiant “relire“ et religare signifiant “relier“ » (Wikipédia). Personnellement c’est sur le “relire“ que je préfère me focaliser.
      Quant à la spiritualité, là encore cette notion «comporte aujourd’hui des acceptions différentes selon le contexte de son usage» (Wikipedia). Personnellement je la place hors du cadre des religions.

      1. En attendant… Pachamama, Bouddha, Dalaï Lama, Allah, Jehovah, Greta et Cætera, personne ne viendra me dire quel dieu je dois prier et vénérer.
        L’écologisme (qu’on appelle à tort “écologie“) est d’abord une idéologie (un système d’idées). Une idéologie peut dériver en dogmatisme, on le sait.
        La spiritualité étant une affaire personnelle, le dogmatisme à ce niveau là ne présente pas un grand danger. Par contre avec la religion c’est différent.
        L’ “écologie“ est aujourd’hui une mode. Et en même temps une obsession. Elle peut en effet devenir une religion. En attendant, elle se voit aujourd’hui associée à la spiritualité. Bonjour l’éco-spiritualité. Suffisait de l’inventer.
        Derrière ça un business. Bouquins, stages pour apprendre à parler aux arbres etc.
        Bref, l’ “écologie“ c’est vraiment du grand n’importe quoi.

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