Les économistes utilisent ce qu’on appelle des « modèles d’évaluation intégrés » (integrated assessment models, IAM en anglais) : « intégrés », car ils combinent des éléments venant de disciplines différentes, de l’économie, des systèmes énergétiques, des sciences du système Terre… Le groupe III du GIEC, chargé d’étudier les solutions face au réchauffement utilise ces IAM sans jamais aborder la possibilité d’une décroissance. Comme si croître indéfiniment dans un monde fini était possible ! L’idéologie de la croissance est devenue une religion, non basée sur les réalités biophysiques.
Jean-Baptiste Fressoz : Dans son dernier rapport, le groupe III du GIEC disposait d’une bibliothèque de 3 131 scénarios générés par plus de 50 familles de modèles. Aucun scénario n’avait inclus d’hypothèses de décroissance. Même pas concernant les pays les plus riches, qui, avec leurs infrastructures, ont contribué de manière disproportionnée au réchauffement climatique. C’est seulement dans Economic Systems Research que neuf jeunes chercheurs explorent en avril 2024 l’hypothèse de la décroissance d’un pays riche, en l’occurrence l’Australie. Les auteurs ont généré 51 scénarios avec des taux de croissance allant de + 3 % par an à – 5 % par an. La décroissance est conçue comme un abaissement du revenu par habitant. Le simple arrêt de la croissance du produit national brut (PNB) australien réduit de 40 % les besoins en énergie renouvelable.
Au fur et à mesure que les années passent et que le CO2 s’accumule dans l’atmosphère, les hypothèses de décroissance – au moins de certains pays riches – vont devenir de plus en plus indispensables
Le point de vue des écologistes décroissancistes
La décroissance n’est pas une possibilité théorique, toutes les civilisations antérieures se sont effondrées après une période de faste plus ou moins longue. La révolution industrielle a certes permis depuis deux siècles une croissance tendancielle, mais celle-ci est cyclique et les périodes d’expansion sont toujours suivies de période de récession ponctuelles, voire de dépression comme en 1929. L’urgence écologique implique à pus forte raison une inéluctable décroissance, c’est ce qui est déjà envisagé au début des années 1970.
1972 est l’année durant laquelle a émergé une conscience écologique mondiale, avec plusieurs publications : le rapport Meadows, commandé par le Club de Rome, dont le titre français était « Halte à la croissance ». Moins connue, la lettre ouverte au président de la Commission européenne de Sicco Mansholt remettait en cause l’orientation vers la croissance de ladite Commission. En avril de la même année, Gorz a publié dans Le Nouvel Obs un article en défense de ces deux textes. Pour lui, ces publications montraient que le capitalisme n’est tout simplement pas compatible avec la survie de l’humanité. Il faut donc engager l’économie dans une logique de décroissance. Il a montré comment une « décroissance productive », par opposition à la « croissance destructive » actuelle, pouvait à la fois enrichir la vie et préserver la planète. Œuvrer à la création d’une société post-capitaliste, c’est faire le choix de vivre mieux avec moins, en travaillant et en consommant moins, mais en s’impliquant davantage socialement.
Le terme de décroissance ne se trouve pas dans le livre-clé de Nicholas Georgescu-Roegen, The Entropy Law and the Economic Process publié en 1971. Mais l’idée de décroissance ou d’après-croissance venait souvent dans les discussions qu’il avait avec Jacques Grinevald. C’est en 1979, que le titre « Demain la décroissance », fut adopté par Jacques Grinevald pour la traduction de plusieurs textes que Georgescu-Roegen lui avait envoyés entre 1976 et 1977.
La critique principale de la prophétie décroissanciste vient aujourd’hui de tous ceux qui mettent en avant l’inacceptabilité sociale de sa mise en œuvre.
Le point de vue des Gilets jaunes
G RICH : La décroissance selon Fressoz ne sera soutenue que par les quelques bobos repus de la capitale. Il faudra de l’acceptation sociale large de la transition, c’est un peu plus sophistiqué que les recettes simplistes inapplicables socialement.
FuturEx : C’est bien beau. Mais il faut quand même avoir en tête que la décroissance va avoir des conséquences sociétales majeures. Qui crée la valeur ajoutée ? Que faire des bullshit jobs (emplois à la con) qui occupent une part non négligeable de la population ? Comment contenir la révolte des masses ?
verst : Deux questions que je me pose. Les électeurs australiens seraient ils d’accord ? Une Australie en décroissance serait elle indépendante ou assujettie ?
Eric.Jean : Il faut appeler un chat un chat. La décroissance vécue au niveau individuel, c’est un appauvrissement, une perte de pouvoir d’achat. S’il faut moins produire on a besoin de moins d’énergie. C’est aussi basique que ça. L’économie ce n’est rien d’autre que de la transformation avec de l’énergie. Maintenant il faut trouver les volontaires pour s’appauvrir pour la planète. Ou les désigner sans provoquer de révoltes. Bonne chance!
Le serpent : Voyons, voyons ! Comment vous les décroissants allez financer votre crédit bagnole, votre appartement, les travaux de chauffage et d’isolation de votre copropriété, la dette des Etats, les études du petit dernier, les énergies renouvelables, et j’en passe ? La décroissance, c’est la mort de l’économie mondiale.
XBG : Le scénario de décroissance pour s’adapter aux exigences écologiques n’est pas une surprise, il a été prévu depuis longtemps, ainsi qu’un appauvrissement général des populations. Ce phénomène ne peut durer qu’un temps, le temps des reconversions nécessaires et des adaptations qui mettent du temps. Un tel chamboulement est difficile à imaginer dans la douceur, à moins qu’on l’accepte étalé sur une longue période. Le réaliser rapidement, dans l’urgence, ne sera pas accepté par la majorité des gens.
Jacques_81 : Il est facile d’intégrer une courbe de décroissance dans un modèle même très complexe. Mais il faut d’abord dire comment convaincre des milliards de citoyens de l’accepter. Or les pays les plus pollueurs sont des démocraties (sauf la Chine), aussi des mesures autoritaires se heurteront à un changement de gouvernement au profit d’une majorité moins « écologique » (les Gilets Jaunes n’étaient qu’un échauffement).
Le point de vue des Décroissants
Où-atterrir : Il y a 50 ans, les Meadows et leur « Limits to growth » avaient déjà construit un modèle systémique simulant la dynamique démographique mondiale. Les conclusions étaient déjà claires… il y a 50 ans. Malgré tout on continue d’ergoter alors qu’on en est arrivé au point d’inflexion de la parabole démographique (et de celle du PIB).
Michel S. : Quand les conditions climatiques et les tensions dans les pays seront devenues ingérables, le citoyen lambda sera bien obligé d’accepter de réduire sa consommation et par conséquence, sa production, donc son niveau de vie !
Vieux : On ne veut pas organiser la décroissance ? Très bien. Elle se fera de manière contrainte et donc bien plus douloureuse. C’est juste une question de temps.
En savoir plus grâce à notre blog biosphere
La Décroissance dans les colonnes du MONDE
extraits : « La marée qui monte soulève tous les bateaux. » Pendant des décennies, cette phrase de John Fitzgerald Kennedy a exprimé le consensus autour de la croissance économique. C’est ne pas connaître le fonctionnement de notre planète que d’ignorer qu’après la marée haute, il y a la marée basse… c’est ignorer la réalité économique que croit que la croissance peut perdurer alors qu’elle aboutit nécessairement à….
Le scénario SSP 1, la décroissance en marche ?
extraits : Le mot décroissance, qu’elle soit économique ou démographique, est encore un tabou merdiatique. Pour éviter d’envisager le pire, on a utilisé tous les subterfuges sémantiques possibles, invention du développement durable, remplacé par croissance verte ou aujourd’hui par « pacte vert de relance ».le scénario dit « SSP 1 » (Shared Socio-Economic Pathway 1) du GIEC, qui fait du bien-être humain et de la réduction des inégalités sociales les deux piliers du développement en lieu et place de la croissance économique. Ce « récit climatique », finalisé en janvier 2017, implique…
L’habituel déni du mot « décroissance »
extraits : Les militants de la décroissance subissent un ostracisme généralisé de la part des politiques et des médias. C’est un fait. Il y a pourtant une réalité biophysique : il est absolument impossible de continuer à croître dans un monde fini. Le cerveau de beaucoup d’humains est socialement programmé pour ne se rendre compte qu’on va dans le mur qu’après qu’on ait heurté le mur ! Le mensuel La Décroissance (novembre 2023) a listé les idioties dites par des gens qui se croient intelligents….
Bibliographie de la Décroissance sur notre site biosphere
2015 Décroissance, vocabulaire pour une nouvelle ère (collectif)
2013 Politiques de la décroissance (pour penser et faire la transition) de Michel Lepesant
2013 Les précurseurs de la décroissance, Epicure, Charles Fourier (nouvelle collection au passager clandestin)
2013 Penser la décroissance (politiques de l’Anthropocène) par collectif
2011 La décroissance heureuse (la qualité de la vie ne dépend pas du PIB) de Maurizio Pallante
2011 Décroissance versus développement durable (ouvrage collectif)
2010 ENTROPIA n° 9, contre pouvoirs et décroissance
2010 L’avenir est notre poubelle (l’alternative de la décroissance) de Jean-Luc Coudray
2010 ENTROPIA n° 8, Territoires de la décroissance
2010 La décroissance (10 questions pour comprendre et en débattre)
de Denis Bayon, Fabrice Flipo et François Schneider
2009 La décroissance économique (pour la soutenabilité écologique et l’équité sociale) par collectif
2008 La décroissance, Rejets ou projets ? (croissance et développement durable en questions) de Frédéric Durand
2008 Le choc de la décroissance de Vincent Cheynet
2007 Demain, la décroissance ! (penser l’écologie jusqu’au bout) d’Alain De Benoist
2007 petit traité de la décroissance sereine de Serge Latouche
2006 Le pari de la décroissance de Serge LATOUCHE
2003 objectif décroissance (vers une société harmonieuse) par collectif
2003 carnets de campagne de Clément Wittmann,
candidat de la décroissance à la présidentielle 2002
1979 La décroissance (entropie, écologie, économie) de Nicholas GEORGESCU-ROEGEN
– Les idées de la décroissance validées par un modèle scientifique (Reporterre 1er sept 2016)
2016 ! Donc bien avant que le groupe III se réveille.
2024. Face à l’inéluctabilité de la décroissance, Jean-Baptiste Fressoz termine son article sur une excellente question : « les économistes seront-ils un peu plus écoutés que leurs collègues climatologues ? »
Pour moi la réponse dépend de celle qu’ON donnera à cette autre : La décroissance est-elle compatible avec le Capitalisme ?
Sur Reporterre, 25 avril 2023, Timothée Parrique (économiste) répondait clairement NON .
Et d’autres, bien sûr, pourront très bien répondre OUI. Et même nous «démontrer», par a+b, que le Capitalisme est parfaitement compatible avec l’écologie. Aussi bien qu’avec la démocratie, l’intelligence collective et tout ce qu’ON voudra !
( à suivre)
(suite) Je me dis qu’ON devrait alors demander à ChatGpt. Ou alors construire un nouveau modèle, systémique, simulant la dynamique… bourré d’algorithmes qui vont bien… capable de nous calculer toutes ces probabilités.
En attendant, je suis tout de même content de lire ici quelques mots sur l’intérêt à œuvrer à la création d’une société post-capitaliste (sic).
Je n’ose tout de même pas imaginer qu’ON serait assez con pour n’en changer que le nom. Mais ON ne sait jamais ! ON peut aussi changer la définition de la décroissance. Ben oui !
Quoi qu’il en soit, étant entendu que les Jaunes sont à côté de la plaque… désormais je n’ai plus le moindre doute, les vrais les purs, ce sont bien nos écologistes décroissancistes (sic) ! Reste à voir comment ils sont durs. Serait-ce un peu, beaucoup, passionnément… 🙂
A ma connaissance, la seule fois où la décroissance démographique a été évoquée lors d’une cop climatique c’était à la COP 25 à Madrid par Joao Abegao.
https://www.youtube.com/watch?v=bdcmAqkwNsU
Mon cher Didier, il ne s’agit même pas de ça dans cet article que nous commentons.
La décroissance dont il est question ici est celle «conçue comme un abaissement du revenu par habitant» (Fressoz). Autrement dit celle du PIB, autrement dit encore celle de notre train de vie de petits bourgeois.
– POUR LA PREMIÈRE FOIS, LE GIEC PARLE DE « DÉCROISSANCE »
( generationecologie.fr 28 février 2022 )
Ce n’est donc que tout récemment que le Tabou est tombé. 😉 Le problème (si on peut appeler ça comme ça) dont il est question ici, c’est que le Groupe III du Giec avait juste «oublié» de l’intégrer dans ses savants modèles (systémiques simulant la dynamique…comme dit Où-atterrir ). Ce qui, vous serez d’accord avec moi, ne fait pas trop sérieux.
Lire l’article de Jean-Baptiste Fressoz du 29 mars 2023, Le MONDE : « Consensuel, le GIEC intègre toutes les “parties prenantes”, y compris celles qui sont à la racine du problème »
Tiens donc ! Et alors, quelle est la Racine du Problème ?
Selon des milliards de points de vue… quand ce ne sera pas nos gènes, notre striatum, notre fameuse nature… ce sera les Rouges, si ce n’est les Noirs, les Verts, les Jaunes etc.
Les Autres quoi. De toute façon beaucoup trop nombreux, le Poumon vous dis-je !
La Racine du Problème ne serait-elle pas plutôt ailleurs ?
Extrait de cet article du 29 mars 2023 :
– « […] le groupe III. Ce groupe a une histoire très étrange. Au début des années 1990, il est présidé par l’américain Robert A. Reinstein, que Bush père avait nommé négociateur en chef des Etats-Unis pour les affaires climatiques. [etc.] »
( à suivre )
( suite ) Le climato-sceptico-négationnisme de cette poignée qui gouverne le monde….
voilà donc qui pourrait être la Racine du Problème. Ce satané déni, qui peut être assimilé à la folie, l’obsession de Argent et du Pouvoir, sur laquelle il faut mettre un nom.
Le Capitalisme, avec tout ce qu’il génère comme ravages, aussi bien à l’environnement qu’à notre santé, nos corps et nos esprits.
Aussi surprenant que ça puisse paraître, il ne faut donc pas s’étonner qu’aucun scénario scientifique n’incluait d’hypothèses de décroissance jusqu’à très récemment (sic). L’obsession du Pognon, allant de pair avec celle du sauvetage du Capitalisme, a fait qu’ON a toujours privilégié les scénarios allant dans ce sens. Tout naturellement.
( à suivre )
(et fin ) C’est ainsi qu’ON a dépensé une énergie folle sur ce fameux Découplage (PIB-CO2) sur lequel repose la fumeuse Transition vers la blague de Développement Durable. Et qui sert d’«argument» aux libéraux (capitalistes) acquis à la Lutte pour sauver le Climat. Mais le Système avant tout !
PS :
– « Le point de vue des Gilets jaunes [vs] Le point de vue des Décroissants» (Biosphère)
Choisis ton camp camarade ! Mieux vaut en rire qu’en pleurer. 🙂
– « Il y a 50 ans, les Meadows et leur « Limits to growth » avaient déjà construit un modèle systémique simulant la dynamique démographique mondiale. […] » (Où-atterrir)
ON peut alors se demander pourquoi les Meadows n’ont pas eu la géniale idée d’en construire un autre simulant la dynamique (décroissance) du PIB.
Et là encore ON peut alors se demander quel était le véritable but de leur travail.