Le 15 novembre 2022, nous dépassons selon l’Onu le nombre de 8 milliards d’êtres humains. En conséquence tous les jours de ce mois nous consacrerons notre article principal à la démographie. Si tu n’es pas inquiet du poids de ces 8 milliards, prière d’en faire un commentaire, il sera lu avec attention.
A travers son parcours historique d’agronome sans frontières, René Dumont (1904-2001) nous a rappelé constamment les grands moments de cette lutte incessante qu’il a menée contre le sous-développement et pour un monde plus juste. Il montrait les interrelations de trois variables-clés, démographie, épuisement des ressources naturelles et dégradation de l’environnement.
Résumé d’un livre de René Dumont,
Famines, le retour: Désordre libéral et démographique non contrôlée (1997)
Voici que ce «maudit» XXe siècle approche de sa fin (j’ai, sans le vouloir, écrit «faim»). C’est bien contre cette faim que je n’ai cessé de lutter – et je ne m’arrêterai qu’avec la fin. J’avais entre 10 et 14 ans au moment de la Grande Guerre et c’est au milieu de ses horreurs que j’ai, pour la première fois, connu les difficultés alimentaires. Dès que j’ai pu, je suis allé les étudier au Maroc et en Tunisie. Nous étions en 1923-1924 et ces pays faisaient alors partie de nos colonies. J’ai débuté dans mon métier d’agronome au Tonkin, en 1929-1932, et déjà, avant bien d’autres, j’ai signalé que la population y augmentait plus vite que la production alimentaire. Dans mon premier livre en 1935, La culture du riz dans le delta du Tonkin, j’ai souligné la nécessité du contrôle des naissances, ce qui a choqué bien des lecteurs, catholiques et même marxistes. Dans chacun des livres qui ont suivi, j’ai souligné le danger démographique.
En 1966, avec le regretté Bernard Rosier, nous avions écrit le premier avertissement «solennel» en français: «Nous allons à la famine.» Je concluais: «Il ne s’agit pas d’une vague menace: la famine atteint déjà les Indes, elle rôde en Afrique et en Amérique latine. La famine est inscrite dans les chiffres: depuis 1958, dans l’ensemble des pays du tiers monde, la production alimentaire augmente moins vite que la population. C’est un désastre planétaire qui s’annonce à l’horizon.» Et nous ajoutions: « Deux objectifs s’imposent simultanément: tripler la production alimentaire d’ici l’an 2000 et maîtriser l’expansion démographique. Les moyens sont à notre portée: stimuler la recherche et la production d’aliments nouveaux, répartir les excédents, distribuer les engrais, lever un impôt mondial de solidarité et, pour cela, instituer une autorité mondiale qui dirige la guerre contre la faim et ait aussi la possibilité de peser sur la natalité.»
Certes, la révolution verte (irrigation, engrais, génétique) a permis à la production céréalière (qui fournit plus de la moitié de l’alimentation humaine) de suivre largement l’explosion démographique jusqu’en 1984. Mais, depuis cette date, qui devient de ce fait historique, nous avons vu une démographie non maîtrisée, une urbanisation excessive et non préparée, un libéralisme économique non contrôlé se combiner aux déficiences en eau et autres ressources naturelles ainsi qu’à la «démolition» des climats par l’effet de serre. Ces éléments conjugués n’ont plus permis à la production alimentaire de suivre la courbe de la population. Fin 1985, dans un colloque de Libertés sans frontières, je fus accusé de propager le pessimisme, alors que j’étais surtout réaliste. Même si des tiers-mondistes me reprochaient en 1990 de propager d’idée d’un «bluff de la pénurie», les voici obligés enfin de reconnaître l’extrême gravité de la situation. Il n’est plus temps de dire «Nous allons à la famine», car cette fois nous y sommes et, à chaque année qui passe, pour une proportion croissante de la population du monde.
La FAO a été fondée à Québec le 10 octobre 1945. La première conférence mondiale sur ce sujet avait eu lieu, à la FAO également, en 1974. J’avais été présent – et fort actif dans «l’opposition» – au Sommet de 1974. On s’y inquiétait de la pauvreté, des famines qui ravageaient une large partie de l’Asie du Sud, de l’Afrique, surtout, et même de certaines régions de l’Amérique latine. Cette conférence mondiale se termina par un engagement solennel d’en finir avec la «faim». Henry Kissinger résuma la conclusion en une phrase: «J’en prends l’engagement solennel, au nom du Gouvernement des Etats-Unis, dans 10 ans, plus un seul enfant dans le monde n’aura faim.» J’avais dit haut et fort, au cours des réunions du Sommet, que jamais l’engagement de Kissinger ne serait tenu. Il faudrait pour cela une révolution politique et économique que le libéralisme ne permettrait jamais de réaliser.
J’écris cet essai au moment où la FAO vient de réunir, à Rome, du 14 au 18 novembre 1996, un Sommet mondial sur les problèmes de l’alimentation future des habitants de la planète. Le discours d’ouverture, confié au grand écologiste Lester Brown, animateur du Worldwatch Institute de Washington, a mis en évidence la gravité exceptionnelle de la situation alimentaire mondiale. Le Sommet mondial de Rome allait-il reconnaître cette gravité ? On a pris un engagement bien plus modeste, qu’en 1974. On s’y est engagé à réduire de moitié, dans un délai de 20 ans – pour l’an 2015 – le nombre des pauvres souffrant de la faim. La FAO estime à 900 millions le nombre d’humains qui souffrent gravement de la faim et estime que s’y ajoutent plus de 2 milliards d’humains présentant des carences alimentaires graves. Résoudre ces problèmes en 20 ans, période pendant laquelle est prévue une augmentation encore trop rapide de la population, est une tâche qu’il ne faudrait pas, une fois de plus, sous-estimer. A la fin de 1996, mon opinion est restée la même et je ne crains pas d’affirmer que, compte tenu des multiples obstacles qui s’opposent aux progrès agronomiques, jamais l’objectif proposé ne sera atteint. Si, de plus, on n’arrive pas à contrôler la démographie et à atteindre rapidement une croissance zéro de la population mondiale, je crains fort que le nombre des très mal nourris ne cesse d’augmenter.
La révolution doublement verte que l’on nous promet, celle du génie génétique, risque fort de manquer de terres fertiles, et surtout d’eau, pour se réaliser. De très loin, la plus grande menace qui pourrait annuler la majorité des progrès agronomiques est le risque d’accidents climatiques, de sécheresses, typhons et cyclones sans cesse accrus par l’effet de serre. Les pays développés ont pourtant pris l’engagement, au Sommet de Rio en 1992, de ne pas émettre plus de gaz à effet de serre en l’an 2000 qu’en 1990. Ce qui n’est pas en train de se réaliser, loin de là ! En effet le contrôle des émissions de gaz à effet de serre remettrait en cause toute notre «civilisation économique», car celle-ci exige, pour se maintenir, des gaspillages intolérables; elle refuse les réglementations et préfère maintenir les privilèges et les inégalités. Les dirigeants de l’économie mondiale choisissent donc implicitement la mondialisation du modèle économique prévalent en pays riches. Dans cette optique, il y aura bientôt 200 à 300 millions de Chinois et peut-être autant d’Indiens qui vivront à l’occidentale. S’ils ne contrôlent pas le volume de leurs émissions de gaz à effet de serre, nous irons à la mort. Mais comment exiger de ces pays des mesures que nous ne parvenons pas à établir dans les nôtres ?
Nous allons donc considérer successivement: une démographie que le monde n’arrive pas à contrôler, l’épuisement des ressources naturelles et la dégradation de l’environnement – en particulier les dégradations climatiques, et nous risquons d’aller vers une catastrophe mondiale sans précédent dans l’histoire de l’humanité. Le libéralisme économique actuel est en train de réaliser ce que nous devons désormais appeler un véritable crime contre l’humanité. Ce qui requerrait, pour le juger, un autre Tribunal international.
Lire, René Dumont et la question démographique
Un livre vient de sortir, qui fait le point sur la question démographique
Alerte surpopulation
Le combat de Démographie Responsable
https://www.edilivre.com/alerte-surpopulation-michel-sourrouille.html/
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