Il est étonnant que les différentes conférences sur le climat ne se soient jamais penchées sur la question démographique. Pourtant l’équation de Kaya montrait la complémentarité absolue entre évolution de la population humaine, niveau de vie par personne, intensité énergétique et choix des énergies utilisées (cf. BIOSPHERE-INFO n° 355).
Pour avoir quelques éléments de réflexion sur l’évolution de la population, voici un résumé de l’intervention de Didier Barthès, porte-parole de l’association Démographie Responsable à l’Ecole Normale Supérieure de Lyon. Pour recevoir gratuitement notre bimensuel BIOSPHERE-INFO, s’inscrire à cette adresse : biosphere@ouvaton.org
COP21 : et la question démographique ?
BIOSPHERE-INFO n° 359 (1er au 15 novembre 2015)
1/6) Un point généralement ignoré
Le rapport Planète vivante publié conjointement fin 2014 par le WWF, la Société Zoologique de Londres et d’autres partenaires signalait que depuis 1970, en 45 ans seulement, 50 % des effectifs des animaux sauvages (plus précisément des vertébrés) avaient disparus. En moins d’un demi-siècle nous avons donc éliminé la moitié de la faune. Si nous continuons ainsi, dès 2060 n’y aura-t-il plus un seul animal sauvage sur la Terre ?
Le fait est assez effrayant et a été largement repris par nombre de mouvements écologistes, mais curieusement, il a rarement été souligné que l’on pouvait rapprocher cette division par deux du nombre des animaux d’une multiplication par deux aussi, du nombre des hommes et cela exactement sur la même période. En effet, de 1970 à 2015 les effectifs de l’humanité sont passés de 3,7 à 7,3 milliards. Cela veut dire que depuis 1970, pour un homme vivant sur la Terre il y a 4 fois moins d’animaux sauvages !
Ces deux évolutions, le doublement des hommes et la division par deux du nombre d’animaux ne sont pas, hélas, sans lien de cause à effet. On peut à la fois s’interroger sur ce qui les relie. Tel est l’objet de cette conférence.
2/6) Les ordres de grandeurs de la question démographique
Comme en tout domaine, il est utile d’avoir en tête les ordres de grandeur, je vous propose 4 références
– Depuis les débuts de notre ère (il y avait environ 200 millions d’habitants sur la Terre en l’an zéro environ) les effectifs de l’humanité ont été multipliés par plus de 35 ! Notez que l’on associe cette époque à la fameuse phrase de la Genèse, « Croissez et multipliez » : elle est en fait antérieure de 500 ou 600 ans, mais il est intéressant de constater qu’elle sert encore de référence, pas seulement en démographie et pas seulement dans la sphère religieuse. C’est en fait l’ensemble de notre monde qui est un adepte forcené de la croissance. Cette phrase a été écrite par les hommes dans un monde de 150 millions d’habitants, soit 50 fois moins densément peuplé que celui d’aujourd’hui et elle constitue encore une référence. Excellente illustration des règles adaptées à un monde donné mais qui restent appliquées et vénérées dans un autre contexte, pourtant tout différent. Il serait sans doute temps de s’interroger sur leur bien-fondé et temps aussi de les revoir.
– Depuis le début du 20ème siècle (il y avait 1,6 milliard d’habitants en 1900) c’est par un peu plus de 4 qu’ont été multipliés nos effectifs. Un savant comme Claude Lévi Strauss a presque vu le nombre d’hommes quadrupler au cours de son existence. Il en était d’ailleurs effrayé et ce fut l’un de ces derniers messages. Alors qu’il a fallu des dizaines de milliers d’années à l’humanité pour atteindre 1 milliard de représentants, c’est aujourd’hui tous les 12 ou 13 ans que nous ajoutons un milliard d’habitants de plus à la planète. Cette augmentation de la population n’est pas liée à une hausse de la fécondité, celle-ci tend plutôt à baisser (5 enfants par femme en moyenne dans le monde en 1950, 2,5 aujourd’hui) mais cette baisse n’est pas assez rapide et est venue trop tard pour enrayer la hausse qu’a provoqué l’allongement de la durée de vie et notamment la baisse de la mortalité infantile qui fait que désormais (heureusement) presque tous les enfants survivent jusqu’à atteindre, à leur tour, l’âge de la reproduction.
3/6) Quelques données sur les prévisions
Les prévisions sont de plus en plus pessimistes, puisque depuis le début de notre siècle l’ONU a revu déjà 2 fois à la hausse ses projections démographiques planétaires.
En 2008, nous pensions que nous serions 9,1 milliards en 2050, en 2010 les projections se sont élevées à 9,3 milliards (toujours pour 2050 bien sûr) et en 2013 enfin, le chiffre est monté à 9,7 milliards. Les prévisions pour 2100 sont également passées de 10,1 milliards en 2010 à 11,2 milliards en 2014, tout en confirmant que sans doute en 2100 la situation ne serait pas stabilisée (en contradiction complète donc avec les propos généralement optimistes des démographes notamment en France). Je précise qu’il s’agit là des estimations moyennes il existe en réalité une fourchette de projections présentant une borne inférieure et une borne supérieure (respectivement à 6,8 et 16,6 milliards pour 2100 selon la prévision de l’ONU de 2012)
L’Afrique est un cas très préoccupant car la transition démographique (passage d’une forte mortalité et forte fécondité à une faible mortalité et à une faible fécondité, passage durant lequel naturellement la population croit fortement) tarde à s’établir. Le continent est passé de 200 millions d’habitants en 1950 à 1,2 milliard aujourd’hui (soit une multiplication par 6 en 65 ans) elle devrait atteindre, selon l’ONU, 2,4 milliards en 2050 et plus de 4 milliards en 2100. Nous aurons alors une multiplication par 20 en 150 ans !
Tous ces éléments, associés bien entendu aux changement de mode de vie, font dire au philosophe Dominique Bourg, que nous sommes en train de changer de planète et que la nouvelle planète sera beaucoup moins accueillante. Je ne puis hélas que souscrire à cette analyse.
4/6) La question du Tabou démographique
L’une des difficultés pour aborder cette question démographique est le tabou qui l’entoure.
La quasi-totalité des mouvements politiques sont natalistes. Il y a de ce point de vue une unanimité touchante de l’extrême gauche à l’extrême droite pour se réjouir des chiffres élevés de la natalité en France. Les journaux eux-mêmes, abandonnant leur nécessaire devoir de réserve, présentent toujours comme une bonne nouvelle les chiffres que présentent l’Insee et qui confortent la bonne tenue de la fécondité. C’est d’autant plus surprenant qu’aux débuts de l’écologie politique en France avec René Dumont ou le commandant Cousteau le sujet était loin d’être tabou ; le facteur démographique avait toute sa place. Aujourd’hui, même le principal parti écologiste français (EELV) est majoritairement nataliste et ne présente jamais le facteur surpopulation parmi les éléments de dégradation du biotope.
Trois éléments peuvent justifier ce tabou
– En s’attaquant à la natalité, certains ont peur de donner l’impression de s’attaquer aux enfants, au droit à l’enfantement et donc au sacré.
– Comme les taux de fécondité les plus élevés sont actuellement connus dans les pays les plus pauvres, en s’attaquant à cette question quelques-uns auraient peur d’être taxés d’anti-pauvres et préfèrent par prudence se rallier à la « bien-pensance » générale.
– Il y a une méconnaissance des chiffres, beaucoup se rassurent en se disant que la transition démographique est en marche et que bientôt la démographie mondiale sera stabilisée. Par exemple on nous rappelle qu’entre 1960 et 1970 le taux de croissance était d’environ 2 % par an alors qu’aujourd’hui il a presque baissé de moitié (il est à 1,2 %). On oublie tout simplement que s’appliquant à une population plus importante ces 1,2 % de plus tous les ans conduisent à ajouter sur la planète 80 millions de personnes chaque année (l’équivalent de la ville de Paris tous les 10 jours !) tandis que dans la décennie 1960-70 les 2 % de croissance annuelle ne conduisaient qu’à une augmentation de 70 millions. En valeur brute, la croissance a augmenté et bien sûr tous ces effectifs s’ajoutent à une population déjà doublement plus nombreuse.
5/6) Que faire ?
– Agir dans les pays en voie de développement
Plusieurs études ont montré qu’un nombre important de femme étaient en attente insatisfaite de contraception (au moins 30 %). Il faut donc tout faire pour rendre cette contraception accessible, par des moyens matériels (développement des centres de planning familial) et par des aides financières, parfois la contraception ayant encore un coût significatif pour les populations les plus pauvres.
Ainsi l’association Démographie Responsable a lancé une campagne (encore modeste) d’envoi et de distribution de préservatifs gratuits dans plusieurs pays d’Afrique – Togo, Bénin et Côte d’Ivoire – ainsi qu’à Haïti). Elle encourage évidemment ce genre d’action. Certaines associations américaines ont aussi lancé des campagnes comparables (avec des moyens plus importants d’ailleurs).
Il faut également réorienter l’aide au développement dans ce sens, il semble qu’un euro investi dans la planification familiale soit l’euro le plus rentable pour réduire la pauvreté. Démographie Responsable a d’ailleurs lancé une pétition pour qu’une partie significative de l’aide au développement (25 %) y soit consacrée. Notons que dans les grandes instances internationales (l’AFD, agence Française de Développement) ou l’UNFPA (Fonds des Nations Unis pour la Population) nombreux sont les dirigeants qui en sont conscients. L’ancien Secrétaire des Nations Unis, Kofi Annan, s’était d’ailleurs prononcé en ce sens : « Si nous continuons dans cette voie, si nous ne faisons rien pour enrayer l’accroissement de la population, nous allons en payer le prix, nous allons nous retrouver dans un monde surpeuplé. La démographie a un impact sur le développement économique, sur l’environnement et sur les ressources de la Terre qui sont limitées.»
Une autre pétition a aussi été lancée en faveur de la gratuité de la contraception dans le monde (vous pouvez encore les signer toutes deux)
Il faut également favoriser l’éducation et en particulier l’éducation des filles. Il y a une forte corrélation – négative – entre le niveau d’instruction des femmes et leur nombre d’enfants. Bien entendu ce domaine est aussi lié au développement et dépasse les compétences et le domaine d’action possible pour une association comme Démographie Responsable.
– Agir dans les pays déjà développés
Agir dans ces pays est important aussi. Dans un pays comme la France où la fécondité est élevée on peut imaginer une réorientation de la politique familiale qui serait plus favorable aux familles moins nombreuses et moins favorable aux familles nombreuses.
Ainsi Démographie Responsable propose de revoir le système d’allocations familiales français en attribuant :
– 100 € mensuels pour le premier enfant (actuellement il n’y a quasiment aucune aide).
– 200 € mensuels pour une famille de 2 enfants (actuellement 129 €)
– Puis, quel que soit le nombre d’enfants, laisser cette aide à ce niveau de 200 € (actuellement 295 € pour 3 enfants, 460 € pour 4 puis 165 € de plus par enfant supplémentaire).
De façon à ne mettre aucune famille dans l’embarras, ces mesures seraient annoncées à l’avance et bien sûr non rétroactives envers les droits acquis. Mais bien entendu le but est de faire cesser les incitations financières à la natalité. Enfin la fiscalité et les aides diverses aux familles pourraient être revues dans un sens comparable. La politique des retraites pourraient également être revue puisque, dans certains cas, avoir eu beaucoup d’enfants constitue un avantage, ce qui fait que paradoxalement ce sont les gens qui auront de la famille pour les aider quand ils seront vieux qui bénéficient le plus des aides de l’Etat. Il y a là sans doute une injustice.
6/6) Conclusion
Beaucoup de gens n’envisagent d’améliorer notre monde qu’en modifiant nos habitudes et qu’en optimisant nos comportements, c’est une intention certes louable mais probablement insuffisante. Indépendamment de ces efforts d’optimisation nous devons prendre en compte les ordres de grandeurs.
La démographie constitue donc un facteur essentiel par la maîtrise duquel nous pouvons à la fois lutter contre la pauvreté et contre la dégradation des équilibres de notre planète notamment en sauvegardant des territoires pour le reste de ses habitants : la faune et la flore.
Le tabou est encore important et rares sont les auteurs ayant le courage de mettre ce facteur au premier rang des préoccupations, il est temps d’oser le faire.
Pour en savoir plus : « Moins Nombreux plus heureux » (L’urgence écologique de repenser la démographie) aux éditions Sang de la Terre, 2014.