Quand on se penche sur la cervelle, cette matière grise si complexe sous ses apparences trompeuses, on voit qu’elle n’a ni couleur ni race. Notre cerveau est un facteur commun à tous, il suit les mêmes lois, il oblige à dépasser le racisme. Le cerveau ne représente que 2 % de notre masse corporelle mais il est vorace : il consomme à lui seul près de 20 % de notre énergie. Et ce sont 100 milliards de cellules nerveuses qui l’utilisent, chacune établissant avec les autres neurones environ 10 000 contacts synaptiques.. Grâce à un réseau câblé très précis, elles communiquent entre elles par des signaux électriques qui permettent au corps de bouger, de ressentir, de penser. Un centimètre cube de cortex prélevé au hasard contient 500 millions de synapses et on prête ainsi à la mémoire du cortex une capacité de dix millions de milliards de bits, un chiffre bien supérieur à celui du plus puissant des ordinateurs.
Une vrai bénédiction car cette complexité nous a permis d’aller sous l’eau, de s’envoyer en l’air et même de se piquer de philosophie. Une malédiction quand on voit le niveau de réflexion chez des personnes comme Trump, les négationnistes du climat, les anti-malthusiens, les croyants de toutes obédiences, sans oublier toutes les personnes pour qui réfléchir passe par son écran portatif. Nous ne sommes cérébralement que les aboutissants d’une socialisation primaire trop souvent défaillante et d’une spécialisation sélective sur ce qui correspond seulement à nos préjugés. Le cerveau est certes un monde qui protège du monde en le ramenant à l’essentiel pour soi, mais cela signifie trop souvent en rester à un minimum de pensée.
Voici quelques précision à connaître
Nos souvenirs sont rares avant trois ans et inexistants avant deux ans, c’est ce qu’on appelle l’amnésie infantile. Toute ma prime enfance, je ne peux que la reconstruire, et pourtant mon présent d’adulte est déjà en germe dans ma vie de nouveau-né. Ce ne sont pas les gènes qui régentent l’univers synaptique du cerveau humain, c’est une forte poussée frontale qui a poussé le bébé vers la construction autonome de son cortex cognitif et affectif : les gènes délimitent seulement la multiplication des neurones et c’est la confrontation avec l’environnement qui va donner sa densité à nos capacités cérébrales. Le programme génétique ne fixe pas notre destin, notre plasticité cérébrale laisse la plus grande part aux impressions laissées par le milieu socioculturel. Le cerveau humain est unique en ce sens qu’il est le seul contenant dont on puisse dire que plus on le remplit, plus grand est sa contenance.
Les gènes humains sont le moyen de notre liberté plus que notre limite, ils desserrent l’étau des comportements innés auxquels sont si étroitement assujettis les autres animaux. Après la naissance, notre personnalité s’élabore dans une série de matrices culturelles qui sont bien plus importantes que la matrice maternelle, les connections entre neurones se mettent en place au fur et à mesure des expériences que fait l’enfant. S’il porte tout à la bouche, c’est que c’est la première zone qui se développe dans le cortex, les terminaisons nerveuses y sont deux fois plus nombreuses qu’au bout des doigts. Empêcher le tout petit de tester avec la bouche le monde extérieur, c’est déjà produire un certain handicap dans la maîtrise de l’environnement. Chaque membre – bras, jambe, main, pied, mais aussi doigt, orteil, lèvre ou oreille – possède une représentation précise au sein du cortex qui s’amplifie s’il est très sollicité ou se rétracte en sens inverse.
Il ne s’agit donc pas d’attacher de l’importance au développement purement quantitatif du cerveau, celui d’Yvan Tourgueniev pesait 2012 grammes alors que celui d’Anatole France pesait moitié moins (1 017 grammes). Ce n’est pas parce que le poids moyen du cerveau féminin est moindre que celui de l’homme que l’on peut en déduire une infériorité féminine.
Le cerveau fonctionne selon un mode sélectif
A mesure qu’il se forme et se développe, le cerveau abandonne certains circuits inutilisés au profit des connexions répétées par un apprentissage réussi et récompensé. Le bébé suit la même évolution que le jeune moineau dont le chant, composé de sons d’une quinzaine de syllabes, se cristallise une fois adulte en une trille aux accents monocordes. Il se produit aussi une stabilisation synaptique dans le réseau de neurones pour tout ce qui acquiert du sens pour l’enfant ; notre mémoire ne se contente pas de stocker des souvenirs et de les restituer tel quel, elle les construit, puis les transforme dans trois directions : la simplification (l’oubli des détails), l’accentuation (la majoration de ce qu’on veut retenir) et la cohérence. Chacun de nous donne un sens très personnel à ses souvenirs. C’est trop souvent le poids des générations mortes qui pèse sur le cerveau des vivants, on se contente généralement de perpétuer les habitudes sociales que nous avons intériorisées. C’est en codant à l’intérieur de notre cerveau les représentations des autres en action, en reprenant la réalité comme dans un miroir installé dans nos neurones, que nous nous comprenons mutuellement ou que nous nous faisons la guerre.
Grâce à un cerveau surdimensionné, nous sommes la mesure de toutes choses, mais notre objectivité n’est alors que la somme de nos subjectivités humaines. Notre cortex préfrontal permet en effet de synthétiser non seulement notre propre expérience concrète, mais aussi toutes les considérations formulées par d’illustres ancêtres et des parents proches, de doctes ignorants ou des ignorants enseignants, et bien d’autres sources de connaissance qui nous apportent leurs croyances sous forme de vérités. L’intellect est en effet un moyen de s’adapter, mais aussi de remplacer la réalité ; nous sommes des animaux qui avons trouvé la bonne/mauvaise idée d’avoir mis un mot à la place des choses. En conséquence, nous avons beaucoup de mal à distinguer le vrai du faux, le mensonge en toute bonne foi et la foi qui trompe, l’apparence de la réalité et la réalité des apparences.
Notre appréciation des faits est encore plus troublée aujourd’hui par une situation technicisée où la réalité est simulée, où le virtuel veut se faire l’égal du réel, où la fiction est préférée au documentaire, le roman à l’analytique, où toute image est reconstruite. Comme nous portons le monde entier dans notre cortex, nous ne pouvons même pas croire le témoignage de nos propres yeux.
Aller au-delà des apparences
Nous savons pour l’avoir observé maintes et maintes fois que le soleil se trouvera au zénith vers midi. Le soir je vais le retrouver finissant sa course pour se cacher tout au delà de ma vision. Pourtant ce n’est là qu’une apparence de mes sens abusés, ce n’est pas le soleil qui bouge, c’est moi qui tourne tout autour de lui malgré mon sentiment d’immobile enracinement sur la terre. Je pourrais réfléchir des jours et des semaines, et tourner le problème dans tous les sens que je ne pourrais déterminer par moi-même cette réalité non apparente. D’ailleurs, l’humanité toute entière a estimé de visu et ad libitum pendant des millénaires que le soleil se déplaçait tout autour de la terre sans autre conséquence négative qu’une parfaite ignorance des lois de la gravitation. Avec l’avancée de nos connaissances, la vérité stellaire ne réside plus dans un centre dont nous serions le principal protagoniste (anthropocentrisme), mais dans un système qui possède ses propres lois et qui ignore complètement le sens de notre petite existence. Cela change tout, le monde n’est pas fait spécifiquement pour les humains, nous devons complètement changer notre mode de réflexion.
La première fois qu’on a chaussé des lunettes théoriques pour aller au delà d’une vision superficielle date de 1543. Copernic provoque alors une révolution en exposant les fondements d’un système héliocentrique (de « hélios », le soleil) où le soleil – et non plus la terre – est au centre de notre univers humain. L’astronome ébranle ainsi l’interprétation des Écritures et son œuvre, bien que de pure supposition, fut quand même mise à l’index. Comme la contestation des apparences a suivi son chemin, Galilée (né en 1564) alla au delà de cet interdit ecclésiastique. Il utilisa une lunette astronomique, récemment découverte, pour admirer les satellites de Jupiter, et par analyse démontra par la même occasion un héliocentrisme beaucoup plus pertinent que le traditionnel anthropocentrisme. Un tribunal de l’Inquisition l’obligea pourtant à se rétracter en 1633 :
« Moi, Galileo Galilei, âgé de soixante-dix ans et agenouillé devant vous, éminitentissimes et révérendissimes cardinaux de la république universelle chrétienne, inquisiteurs généraux contre la malice hérétique, ayant devant les yeux les saints et sacré évangiles ; je jure que j’ai toujours cru, que je crois maintenant, et que, Dieu aidant, je croirai à l’avenir tout ce que tient, prêche et enseigne la sainte Eglise catholique et apostolique romaine… J’abjure les écrits et propos, erronés et hérétiques, par lesquels j’ai tenu et cru que le soleil était le centre du monde et immobile, et que la Terre n’était pas le centre et qu’elle se mouvait ».
L’individu est ainsi obligé de se conformer à la croyance sociale du moment et l’Église catholique n’a réhabilité Galilée qu’en 1992. Pour les gardiens de la foi et des fausses croyances, il faut attendre plus de 350 années pour reconnaître la réalité derrière l’apparence… Aujourd’hui nos satellites confirment tous les jours la révolution copernicienne, cette découverte de la libre pensée. Si presque tous les lycéens occidentaux pensent dorénavant sans y réfléchir davantage que la Terre tourne depuis la nuit des temps autour du soleil, ils le croient cependant en contradiction d’une simple observation de leur part. Si la certitude religieuse d’un dieu extérieur aux humains qui fabriquerait un univers à notre seule convenance s’effondre pour un certain nombre d’entre les humains, la plupart pense encore que les croyances de leur ethnie particulière reste le seul centre de leur réalité. ll est toujours plus facile de croire ce que tout le monde croit déjà savoir.
L’évolution de la pensée montre que nous passons d’une certitude à une autre certitude grâce à une remise en question fondamentale des apparences. Ce passage de l’apparence à d’autres réalités est extrêmement difficile, il devient cependant de plus en plus urgent à accomplir : les réalités du futur se cachent en effet derrière les apparences du présent, et cet avenir est sombre si nous n’y prenons garde.
Pour un changement d’imaginaire
Longtemps notre imaginaire s’est limité à la répétition des mythes ancestraux. Puis nous avons inventé l’agriculture et changé la nature. Dès le néolithique, l’humanité ne se contente plus de ses rivalités sociales, elle commence à détériorer son environnement. L’évolution s’accélère et des techniques destructrices prennent aujourd’hui tout le pouvoir. Alors qu’une radiation nucléaire ne se voit pas, ne se sent pas, ne fait pas de bruit, ne se touche pas et n’a aucun goût, nous avons réussi à libérer les forces de l’atome. Alors que nous savons que la radioactivité peut faire beaucoup de dégât pendant une éternité de notre temps, cela ne nous empêche pas d’accumuler les déchets nucléaires car nous raisonnons encore au travers de nos propres yeux et de l’environnement immédiat. Alors que nos connaissances sont maintenant immenses, nous aggravons à la fois nos conflits sociaux et les déséquilibres de la nature à cause de notre cécité théorique et de la myopie du marché imposé par l’idéologie libérale. Alors que nos activités humaines rentrent en interférence avec les cycles vitaux de la biosphère et engagent ainsi la survie des générations futures, nous faisons comme si seul l’instant présent avait de la valeur.
Comme l’animal qui se contente de son environnement immédiat, nous préférons la plupart du temps nous satisfaire d’un absolu dans un espace restreint, avec un état d’esprit limité par nos sens abusés et conditionné par la société du moment. Contrairement à l’animal cependant, nous pouvons percevoir que notre vision humaine n’est que construction sociale, que tout est relatif et compliqué, que l’apparence n’est pas gage de réalité.
Conclusion : Dans chacun de nos cerveaux réside de multiples certitudes qui ne sont que les apparences de notre réalité immédiate et nos désaccords résultent trop souvent d’une perception trop simpliste de la réalité. Mais grâce à des lunettes conceptuelles plus performantes, peut-être pourrions-nous percevoir le monde tel qu’il faudrait le voir (s’améliorer)… C’est ce que tente ce blog biosphere que j’ai créé en 2005, avec l’intention d’œuvrer pour plus d’intelligence collective.
Michel SOURROUILLE (texte de 2002)
Quelques texte évoquant le cerveau lors des début de ce blog
4.07.2005 Suprême indécision
Dans une Amérique qui se judiciarise, la Cour suprême joue le rôle d’arbitre sur les questions de l’organisation socio-politique tout en restant le reflet d’une société profondément divisée sur la prière à l’école, le droit de perquisitionner des propriétés privées, la peine de mort… Les décisions de la Cour ne tiennent donc qu’à un fil et souvent Sandra Day O’Connor, la première femme à siéger à un tel poste, faisait pencher la balance (5 contre 4) grâce à son tempérament centre-gauche. Mais le Président conservateur Bush va la remplacer car elle démissionne à 75 ans. Les progressistes se lamentent déjà. La Biosphère se sent très mal en voyant des procédures démocratiques si fluctuantes alors qu’on juge seulement des affaires inter-humaines. En effet, quand il s’agira de juger du rapport entre les humains et l’environnement, elle prévoit déjà un verdict catastrophique : les humains ont un cerveau trop développé pour percevoir autre chose que leurs petites préoccupations personnelles…
15.08.2005 Blockbuster
Le groupe pharmaceutique français Sanofi Aventis devrait bientôt commercialiser un blockbuster, c’est-à-dire une nouvelle molécule miracle qui fera exploser le chiffre d’affaires. En effet le rimonabant permettrait non seulement d’arrêter de fumer sans prendre un gramme après 10 semaines de traitement, mais il ferait aussi perdre à un obèse en moyenne annuelle 9 kg tout en augmentant son taux de bon cholestérol et en baissant le taux de triglycérides. Le rimonabant agit en effet sur les mécanismes du cerveau et des cellules nerveuses qui interviennent dans le contrôle de l’équilibre énergétique de la personne. Plutôt que de limiter un système techno-industriel pernicieux, la chimie adapte les gens… La Biosphère se marre : les individus se croient complètement libres dans une société où on les a fortement incité à fumer et à grignoter n’importe quoi n’importe quand, et après on leur fait prendre « librement » des pilules qui les soulage du poids de leurs inconséquences.
10.11.2005 Robin des toits (association)
Les émission de téléphonie mobile ne sont pas émises de façon continue mais pulsées en microsaccades. Or depuis trois milliards et demi d’années, les êtres vivants fonctionnent en résonance avec des émissions électromagnétiques naturelles dont la structure est continue et régulière. Tout vivant est composition d’ordres de différents niveaux, ce qu’apportent les pulsations est désordre ! Il suffit à désorganiser non seulement les fonctionnements physiologiques mais même le structures moléculaires. Les principales perturbations constatées sont : la perte d’étanchéité de la barrière entre sang et cerveau. La diminution de production de la mélatonine, une hormone qui régule le blocage des processus cancéreux. La perturbation des régulations membranaires des cellules… La technique n’est plus une force qui dompte la Nature, elle devient un cheval de Troie qui détruira de l’intérieur les humains.
25.11.2005 Du nucléaire au pétrole
Les deux chocs pétroliers (forte augmentation du prix du baril) successifs ne sont pas dus à une volonté structurelle de l’OPEP de faire payer la rareté croissante du pétrole, mais à des raisons politiques complètement conjoncturelles (de court terme). Après la guerre du Kippour en 1973, le quadruplement du prix du baril n’est que le soutien des pays arabes à une Egypte en train de perdre la guerre contre Israël. Par la suite, c’est l’arrivée de l’imam Khomeyni en 1979 qui renverse le Shah en Iran et déstabilise le marché. Aujourd’hui le monde occidental risque encore d’être confronté à un choc pétrolier accéléré pour des raisons politiques : l’Iran voudrait avoir une politique nucléaire indépendante et face aux menaces américaines et européennes de sanction, elle envisageait en septembre 2005 d’user de l’arme pétrolière. La Biosphère, qui souhaite depuis longtemps un baril à plus de 100 dollars (et même très vite à 1000 dollars !), constate avec regret que les humains n’économisent pas par raison une ressource non renouvelable : il leur faut un conflit inter-humain ou l’arrivée de l’inéluctable, l’épuisement quasi-total de la ressource. Dire que leur cerveau est surdéveloppé, disons plutôt surdimensionné !