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Appel à démissionner de tous les métiers inutiles

La réponse classique apportée à la question : « A quoi sert l’homme ? » à savoir : à rien, ou plus exactement à rien d’autre qu’à lui-même et son entreprise, est la réponse la plus destructrice qui soit pour lui-même et pour la planète. Exemple, cette histoire vraie que raconte Florent, un jeune ingénieur : « Un jour, mon chef m’a demandé de réaliser une mission d’expertise sur un cas de pollution environnementale. Deux conclusions étaient possibles après enquête : soit on arrêtait une activité quelques jours pour réparer une fuite de gaz à fort effet de serre, soit on continuait. Cette deuxième solution évitait à l’entreprise de perdre de l’argent, j’ai préconisé la première solution. On m’a donc demandé de changer ma conclusion. J’ai refusé. Mon chef l’a modifiée lui-même. J’ai refusé de signer le rapport. Je me suis retrouvé en entretien disciplinaire. Mon chef m’a alors lancé cette phrase : « Florent, il ne faut pas laisser tes valeurs personnelles interférer avec le travail. ». Pour ma hiérarchie, un travail sert avant tout à générer un revenu. Un bon travailleur doit faire preuve de loyauté envers son entreprise, qui le paie pour défendre les intérêts de l’entreprise. Pour moi, qui ai besoin d’être convaincu que mon travail contribue à rendre le monde meilleur, mes chefs étaient des mercenaires dénués de valeurs morales. »*

Tout est dit de la réalité de notre monde mercantile et destructeur. Le problème, c’est que le cas de conscience de Florent ne devrait pas être marginal. Quel est le sens de notre boulot ? Quels sont les métiers en France qui « rendent le monde meilleur » ? Suis-je véritablement utile ? Un tel questionnement devrait entraîner des démissions en chaîne. Le problème de fond, c’est que si chacun refusait de faire des boulots inutiles, c’est au moins 80 % des emplois actuels qui disparaîtraient. Déjà que le système a besoin de croissance économique pour perdurer ! En même temps les analystes envisagent sérieusement le chaos climatique et financier qui va résulter un jour ou l’autre de cette croissance… Donc en fin de compte on retrouvera alors des emplois utiles pour 20 % de personnes, mais que feront les autres ? Michel BERNARD nous donnait dans « Silence »** quelques pistes de réflexion : « Si on adoptait une politique écologiste, on arrêterait bon nombre de recherches inutiles (armement, biotechnologies, nanotechnologies, gadgets informatiques, etc.) : autant d’emplois en moins. Si l’on adoptait des mesures contre la publicité et contre l’obsolescence des objets, l’activité économique baisserait de façon très importante : on achèterait moins d’appareils ménagers et quand on en achèterait un, ce serait avec des durées de garantie plus longues. On importerait moins, on produirait moins de déchets… et globalement on baisserait de manière importante le nombre d’emplois inutiles… Le but dans la vie n’est pas de travailler. C’est pourquoi il faut soutenir les démarches qui vont vers un partage plus important du temps de travail, ce qui évitera de faire des activités industrielles se justifiant indûment par la création d’emplois. »

Finalement, à quoi sert l’homme ? Si on pose cette question à tout un chacun, il répondra spontanément « Je n’en sais rien ». En effet, il n’y a pas de réponse nécessaire. Homo sapiens/demens aux multiples facettes ne trouve de sens à son existence qu’au fur et à mesure de son vécu, imprégné par sa socialisation, conditionné par son environnement social. Dans ce monde occidentalisé, il a même oublié le sens de l’harmonie avec la biodiversité d’une planète qu’il considère comme extérieure à lui-même. Le travailleur ne sert qu’à lui-même, il est baigné dans l’anthropocentrisme des discours publicitaires. Il se sert, dans une nature taillable et corvéable jusqu’à épuisement ! Tant qu’il en sera ainsi, les humains ne trouveront pas à quoi il servent vraiment, si ce n’est en produisant et consommant de la futilité pour oublier à quoi ils pourraient servir. Le sens de notre vie, c’est de chercher l’engagement écologiste qui ait du sens… par exemple en démissionnant de tous les métiers inutiles !

* LE MONDE du 16 octobre 2018, « J’ai démissionné pour exercer un métier qui a du sens »

** De quels emplois parle le gouvernement, in mensuel Silence (novembre 2013)

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Les ingénieurs doivent démissionner (suite)

Discours de Clément Choisne lors de la remise de son diplôme (Centrale Nantes) le 30 novembre 2018 : « Comme bon nombre de mes camarades, alors que la situation climatique et les inégalités ne cessent de s’aggraver, que le GIEC [Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat] pleure et que les êtres se meurent : je suis perdu, incapable de me reconnaître dans la promesse d’une vie de cadre supérieur, en rouage essentiel d’un système capitaliste de surconsommation. » La vidéo, qui a fait plus de 270 000 vues sur YouTube, est l’un des nombreux échos du désarroi éprouvé par les jeunes diplômés face à un monde économique qu’ils jugent en décalage avec l’urgence climatique. Deux mois plus tôt, en septembre 2018, un groupe d’étudiants issus de grandes écoles prestigieuses, Polytechnique, Ensta, HEC, ENS – lançaient un manifeste en ligne pour appeler les futurs diplômés à soutenir un changement radical de trajectoire. « Au fur et à mesure que nous nous approchons de notre premier emploi, nous nous apercevons que le système dont nous faisons partie nous oriente vers des postes souvent incompatibles avec le fruit de nos réflexions et nous enferme dans des contradictions quotidiennes ».*

Quelques commentaires sur lemonde.fr :

Electron : Lors de ma longue carrière d’ingénieur au service de grandes entreprises j’ai ressenti la même gêne. Mais si l’on arrête tout je me demande ce que le monde va devenir. mais je crains que la fin programmé du pétrole nous y mène peut être encore plus, dans les décors. Et s’il existe une prise de conscience de certaines personnes, la majorité (cf Gilets Jaunes) ne veut pas en entendre parler.

Claude Hutin : Si la peste verte gagne totalement ces esprits le pire est à craindre pour notre économie. Industrie ravagée, exportations atrophiées, récession. Veut-on un pays de composteurs ahuris, de décroissants rétrogrades, de colapsologues béats ? Ne laissons pas l’avenir de nos enfants, leur santé, leur éducation, leur sécurité, s’assombrir à cause de l’écologisme qui ravage déjà notre pays.

Simon @ Claude : rassurez-moi et dites-moi que vous n’avez pas d’enfant !

Germaine Kouzain @Hutin : achetez vous une ile déserte sans écolo, ET sans internet SVP.

GUILLAUME SERRE : Je trouve ces réactions d’étudiants plutôt saines. Ce sont eux qui vont changer le monde, pas les gadgets avec label « développement durable ». On est beaucoup trop nombreux sur la planète pour que les solutions alternatives au pétrole soient suffisantes et efficaces. On n’échappera pas à une réduction drastique de nos consommations, déplacements. On ne veut pas voir qu’on va vers un recul très important de notre confort mais on y va et très vite. L’Histoire n’est pas synonyme de progrès.

ALAIN PANNETIER : De nombreuses universités américaines, chinoises et européennes proposent des cours de développement durable ou de chimie verte. On sortira de cette crise par le haut, avec plus de scientifiques, plus de techniques et surtout plus d’éthique.

LEE PAMPEAST : « Si tous les plus convaincus et les plus écolos fuient les entreprises comme Total, il ne restera plus que ceux intéressés par l’argent et donc qui ne feront rien pour le réchauffement climatique ». C’est une très grande illusion que de croire qu’on peut « faire quelque chose » depuis l’intérieur de cette compagnie. Le management par objectifs et les différents outils de gestion du personnel y règlent très efficacement la question des têtes qui pourraient dépasser.

GUILLAUME SERRE : J’ai bien peur que vous n’ayez raison. Les changements de l’intérieur ne peuvent se faire qu’à la marge et encore… Difficile pour un ingénieur de privilégier une solution plus « propre » écologiquement si elle coûte plus cher. Je crois plus efficace le refus de rentrer dans ces entreprises : elles seront alors peut-être obligées de revoir leurs stratégies si elles ne trouvent pas les cadres dont elles ont besoin. Comme il y a un vrai problème de recrutement de cadres, cela semble jouable.

thierry piot : La prise de conscience des ces petits maîtres est salutaire. Dommage qu’il faille l’écroulement du monde pour réaliser la nocivité des études dans lesquelles, eux, leurs familles et leurs pairs, ont choisi de s’inscrire. A coups de cours sur les meilleurs moyens de gérer, de produire, de rentabiliser, d’organiser, de commercer, financer, ces Hautes Études abîment l’humanité. Ne reste plus qu’à changer l’orientation politique des cours : réparer, partager, construire, protéger, aider…

* LE MONDE du 17 avril 2019, Le malaise des jeunes ingénieurs face au climat)

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Quoicoubeh ! De l’inutilité du langage humain

On ne peut être d’accord que sur ce que l’on partage clairement, sur les idées qui sont communes à tous. Schématiquement, l’entente se fait sur l’intersection des idées des protagonistes. Plus le nombre de personnes ayant à se mettre d’accord sur une décision à prendre est important, plus les points communs à leur réflexion sont réduits. Un consensus entre personnes multiples ne peut aboutir que s’il y a à la base un langage commun, « des idées qui sont communes à tous ». Réduire les échange à la consultation de Tiktok ou de Facebook appauvrit la richesse de la langue et nous empêche de voir l’essentiel.

lire, Nécessité pour la foule, partager un langage commun

Nicolas Santolaria : Nous sommes victimes consentante de jeux de langage qui deviennent une mode et nous cachent l’essentiel. Quoicoubeh, quèsaco ? Quelqu’un se met tout d’abord à vous parler de manière pas très audible, marmonnant en fin de phrase des propos volontairement inintelligibles du type… le but de la manœuvre est de vous inciter à demander une précision : « Quoi ? » Une fois que vous avez eu le malheur d’utiliser ce pronom interrogatif, le piège se referme sur vous et votre interlocuteur, comme s’il avait réussi à vous faire un croche-pied lexical, répond en exultant : « Quoicoubeh !!! » Origine de quoicoubeh? Un tiktokeur de 22 ans aux 350 000 abonnés, dont les répliques onomatopéiques circulent depuis quelques mois sur les réseaux. Dans une vidéo, on le voit piéger sa propre mère avec un quoicoubeh, alors que celle-ci vide les restes du repas à la poubelle. « T’as que ça à faire de ta vie, mon pauvre, c’est malheureux, déplore la maman. A ton âge, tu ferais mieux de chercher du travail. »

lire, L’invention diabolique du langage par les êtres humains

Le point de vue des écologistes qui savent ce qu’ils disent

Une linguiste Julie Neveux voit dans l’usage de cette interjection quoicoubeh le signe d’une « minipulsion nihiliste destinée à semer le chaos dans l’interaction linguistique classique ». Difficile de ne pas penser que Tiktok joue un rôle géopolitique, destiné à rendre nos jeunes générations totalement dégénérées. Ce tiktoteur cité par Santolaria est l’exemple parfait de l’inutilité de ce débris humain et de l’utilité de vider ses poubelles après son travail ! Qu’ils sont loin, Arne Naess ou Benveniste ! Les mots signifient forcément quelque chose, et même si la signification demande souvent un effort d’interprétation, ils permettent l’intelligence collective. La langue aujourd’hui est déjà suffisamment instrumentalisée, dévoyée, « fake-newsisée », « bullshitisée », elle n’a pas besoin qu’on y rajoute autre chose.

Nous les humains, et toute la vie sur Terre, aurions été davantage en sécurité si l’espèce homo dite sapiens n’avait pas évolué vers le langage complexe. Peut-être que l’usage de la connaissance qu’offre le langage, poussé à son extrême, nous permet seulement de parvenir à un plus haut niveau général de stupidité suicidaire.

Et quand mon enfant reviendra de l’école en cherchant à m’avoir par un langage incompréhensible, je dirai : « Je comprends que tu cherches à rompre le lien entre le signifiant et le signifié ». Il me répondra : « Quoi ? » Et là je savourerai ma vengeance, quoicoubeh ! D’où l’intérêt de permettre de discerner l’utile de l’inutile. Les enfants feraient mieux de jouer aux échecs dans la cour des écoles plutôt que pratiquer des jeux de langage sans avenir.

Le jeu d’échecs est un jeu utile et très écolo

Recension des activités inutiles

Appel à démissionner de tous les métiers inutiles

Surtourisme : 1,3 milliard de déplacements inutiles

Transidentités, un débat faussé et inutile

Tour de France, polluant et inutile

L’inutile conquête des sommets de l’Himalaya

Formule 1, un « sport » inutile et même pas dangereux

Sotchi ou Lavillenie, le triomphe de l’inutile

Tous ensemble contre les Grands Projets Inutiles

Le petit livre noir des grands travaux inutiles, 7 euros (2015)

un baccalauréat inutile (2008)

des records inutiles (2006)

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Ingénieur et écologiste, c’est incompatible

Être ingénieur et écologiste est une nécessité, une nouvelle génération de jeunes s’engage dans les grandes écoles. Mais que peut-elle faire ?

Benoît, 22 ans, aux Mines de Paris et à Polytechnique : « A raison de dix à vingt heures par semaine, avec l’équipe du Manifeste pour une transition écologique, je m’engage à faire pression sur les dirigeants d’entreprise avec l’objectif de révolutionner leur modèle économique.  Loin d’être antinomique, je suis convaincu qu’être ingénieur et écologiste est devenu une nécessité.»
Hugo, 22 ans, étudiant à l’école d’ingénieurs de Mines ParisTech: « Ce qui a déclenché mon sursaut écologique, c’est un cours sur l’énergie de Jean-Marc Jancovici ; il nous a enseigné que l’économie est très dépendante des énergies fossiles et qu’on ne peut pas les substituer en ayant la même énergétique. Il faut donc faire preuve de sobriété. J’ai donc rejoint le collectif Pour un réveil écologique, qui a pour but d’encourager les écoles et les universités à intégrer les enjeux environnementaux dans les programmes scolaires, mais aussi de mettre au défi les entreprises en analysant leurs politiques environnementales. »
Alexandrine, 20 ans, étudiante à CentraleSupélec : « J’ai adhéré à une association étudiante Forum Ingénieurs responsables. Le Forum aura lieu le 18 février 2021, réunira des entreprises engagées dans la transition écologique qui proposeront des stages ou des emplois aux étudiants. Pour moi, être ingénieure et engagée dans la cause écologique, c’est l’avenir. Ce que j’aimerais faire plus tard : utiliser ma technique pour contribuer à résoudre des problèmes mondiaux. »
Caroline, 23 ans, ingénierie du développement durable à l’INP de Toulouse : « Mes recherches étaient axées sur le côté environnemental pur, l’étude des phytosanitaires, les problèmes de nappes phréatiques… mais il n’y a personne qui me donne la possibilité d’agir efficacement face aux enjeux environnementaux. Dans notre cursus, on nous répète que 90 % des emplois qu’on occupera n’existent pas encore, que c’est à nous d’agir. En réalité, ce n’est pas nous, avec nos petits bras, qui allons tout changer. »

Commentaire de biosphere : Ce ne sont pas 4 clairvoyants qui peuvent s’opposer à leurs condisciples qui préfèrent le commerce et la finance. Mais les temps changent. Autrefois leurs aînés ayant fait les mêmes cursus montraient une même foi à réformer la société et à guider le peuple vers le bonheur, sauf que cette foi était techno-productiviste alors que la leur est écologiste. On ne connaissait pas à l’époque le mot sobriété et l’écologisme était considéré comme obscène. Le problème, c’est que la presque totalité des emplois offerts aux ingénieurs sont issus de cet ancien temps croissanciste, ils sont plutôt nocifs pour la planète et/ou la vie humaine. L’idéal, c’est que le tout nouveau diplômé ingénieur retourne à la terre ou à l’artisanat local. Certains super-diplômés font déjà cette démarche.. .Pour compléter cette analyse, lire sur notre blog biosphere :
22 avril 2019, Les ingénieurs doivent démissionner (suite)

Les ingénieurs doivent démissionner (suite)

21 avril 2019, Les ingénieurs doivent-ils renoncer à leur métier ?

Les ingénieurs doivent-ils renoncer à leur métier ?

9 novembre 2017, Les Écoles d’ingénieurs au service des entreprises

Les Écoles d’ingénieurs au service des entreprises

18 octobre 2018, Appel à démissionner de tous les métiers inutiles

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Les ingénieurs doivent-ils renoncer à leur métier ?

Extraits du débat dans le mensuel La décroissance d’avril 2019 :

Laurent Castaignède : Le développement de la technique dans les rouges de la société a été à l’origine de la création, à l’aube de la révolution industrielle, de nos célèbres écoles d’ingénieurs aux noms évocateurs, Ecole polytechnique, Arts et Manufactures, etc. Ces ingénieurs sont à un tournant de leur histoire, du moins faut-il l’espérer. Des « Rubicon de la technologie » pourraient être érigées pour exclure certaines recherches ou autres développements d’évidence insoutenables, en se demandant simplement « à quoi ça servirait » (et subsidiairement « à qui ça servirait »). Les vols spatiaux habités par exemple n’ont d’autre objet que de coloniser l’imaginaire d’une alternative d’installation de l’espèce humaine vers d’autres cieux, comme pour oublier notre incapacité à gérer correctement notre propre planète.

Le Postillon : En école d’ingénieur, on apprend à répondre aux questions « comment ? », mais jamais « pourquoi ? ». Alors de plus en plus d’ingénieurs savent résoudre plein de problèmes techniques, mais ne trouvent pas de réponse à la question du sens de leur activité. On voit donc dans les médias des portraits du type « Daniel a quitté son poste chez Thalès pour aller planter des céleris-raves ».

François Briens : De même qu’Alexandre Grothendieck demandait en 1972 dans une conférence au CERN : « Allons-nous continuer la recherche scientifique », des ingénieurs s’interrogent : faut-il démissionner ? » Quand la contribution de l’ingénieur au délitement du monde est évidente, oui, c’est une exigence morale élémentaire.. Mais cela n’implique pas nécessairement de renoncer au métier d(ingénieur. Car pour reconstruire une société à la mesure de l’homme, il faudra un bonne dose d’ingéniosité pour réduire les impacts des processus productifs, explorer des futurs possibles, développer les outils participatifs et conviviaux, etc.

Guillaume Carnino : De nombreux ingénieurs se sont engagés professionnellement contre les pratiques industrielles contemporaines. Lydia et Claude Bourgignon ont quitté l’INRA pour fonder le Laboratoire d’analyse microbiologiques des sols, le polytechnicien Cédric Sauviat a fondé l’Association française contre l’intelligence artificielle, les ingénieurs de l’association SystExt dénoncent les ravages de l’extraction minière planétaire, le centralien Philippe Bihouix propose les low tech comme alternative au modèle productiviste…

Pour compléter cette analyse, lire sur notre blog biosphere :

9 novembre 2017, Les Écoles d’ingénieurs au service des entreprises

18 octobre 2018, Appel à démissionner de tous les métiers inutiles

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Liberté de la presse et démocratie en lambeau

Guerres économiques, guerres idéologiques, guerres de propagande, nous sommes en guerre et pas seulement en Ukraine ou à Gaza. Le chemin vers une intelligence collective que nous recherchons sur ce blog biosphere est de plus en plus escarpé, la vérité est marginalisée, les journalistes de plus en plus écrasés par les différents pouvoirs. Le 3 mai, c’était la Journée mondiale de la liberté de la presse, l’organisation Reporters sans frontières a noté que plus de 50 % de la population mondiale vit sur un territoire « où exercer le métier de journaliste revient à risquer sa vie ou sa liberté ». Elle vient de rendre public son classement mondial de la liberté de la presse. Exemples :

Classement international (avec le score) : 1. Norvège (91.9) ; 2. Danemark (89.6)…….. 21. France (78.6)………. ; 46. Italie (69.6) …… ; 55. États-Unis (66.6)……… ; 61.Ukraine (65)………..101. Israël (53.2)……. ; 157. Palestine occupée (39.2)……… ; 162. Russie (29.9)…… ; 180. Érythrée (16.6)

À l’échelle mondiale, un constat s’impose : la liberté de la presse est menacée par ceux qui devraient en être les garants : les autorités politiques. Parmi les cinq indicateurs qui composent le score des pays, l’indicateur politique est celui qui baisse le plus en 2024, avec une chute globale de 7,6 points. Le gouvernement israélien a décidé de réduire au silence la chaîne d’information qatarie Al-Jazira au nom de la sécurité du pays. Plus d’une centaine de journalistes palestiniens a été tuée par les bombardements de l’armée israélienne depuis le 7 octobre 2023. Or la liberté d’informer sans avoir peur est un pilier constitutif de toute vraie démocratie. En France on a interdit la chaîne RT (Russia Today) quand la Russie a envahi l’Ukraine, et tout le monde a trouvé ça normal. En période de guerre armée, les chaînes du camp adverse ne sont pas tolérées.

Le journalisme, le 4ème pouvoir, est normalement la condition d’un système démocratique grâce à la transparence de l’information et la recherche d’un débat constructif. En 2024, plus de la moitié de la population mondiale est appelée aux urnes. Mais les pouvoirs politiques en place sont nombreux à opérer un contrôle accru sur Internet, la répression envers les journalistes se fait parfois violente, l’autocensure par crainte des représailles se généralise. Reconnaissons que les autorités politiques ne peuvent briser la libre information que grâce à la passivité d’une population, ce qu’on appelle aussi « soumission volontaire ». Écoutez Anna Politkovskaïa, journaliste, qui a été assassinée le 7 octobre 2006 à Moscou :

« Les valets souriront servilement, tous des petits gradés du KGB ayant reçu leurs postes importants sous Poutine, ils se mettront au garde à vous… Mais je constate que les responsables de tout ce qui se passe, c’est nous. Nous d’abord. Pas Poutine. Notre attitude vis-à-vis de Poutine, notre attitude qui se limite à des « bavardages de cuisine », a permis à Poutine de transformer sans entrave la Russie. L’apathie dont fait preuve la société est incommensurable. Et elle est une indulgence pour Poutine pour les années à venir. Nous avons réagi à ses actions et à ses discours non seulement avec mollesse, mais avec peur. Et cette peur qui est la nôtre, nous l’avons montrée aux tchékistes, enracinés dans le pouvoir. Et cela n’a fait que renforcer leur désir de nous traiter comme du bétail. »

Le point de vue des journalistes écologistes

La censure n’est pas l’apanage des régimes autoritaires, il est aussi au cœur de nos démocraties dites libérales. Mais ce n’est pas une censure déclarée, elle se trouve de façon subreptice dans les modalités de l’information. Dans nos sociétés pluralistes et fragmentées, ce ne sont pas seulement des arguments qui s’affrontent mais aussi des identités forgés par les réseaux sociaux. Dans ce contexte, les propos qui rappellent les faits et font appel à la raison deviennent vite inaudibles. Gaza ou l’Ukraine sont certes couverts par le fil des infos, mais les médias même en France n’informent plus globalement sur rien, ils font du divertissement qui sature l’intelligence des gens. Les écrans publicitaires à tout moment, c’est une telle soupe commerciale ingurgitée sans résistance que la censure n’est plus utile, elle se fait toute seule par la loi du pognon.…. Un journaliste fait des choix éditoriaux, il approfondit certains thèmes et veut ignorer ce qui n’est pas à la mode du moment : le journalisme est toujours orienté. Prenons, l’écologie, la raison d’être de ce blog biosphere.

L’immense majorité des journalistes amenés à traiter d’environnement adhère à la doxa du « capitalisme vert ». Sous l’emprise de puissantes logiques commerciales, les journalistes s’engouffrent dans la célébration du « green business ». Dans le droit fil du succès de l’expression « développement durable », l’expression longtemps à la mode, c’est aujourd’hui autour du label « croissance verte » de faire florès auprès des professionnels de l’information. Profondément enfouis dans leur for intérieur, les principes de rentabilité, concurrence, compétitivité… leur apparaissent comme légitimes et incontournables. A bien des égards, ne pas remettre en cause l’esprit croissanciste de la société thermo-industrielle, c’est le considérer pour acquis et donc prendre parti en sa faveur. Mis aller contre le sens du courant idéologique dominant, c’est – pour un journaliste – prendre le risque de se discréditer auprès de son employeur.

S’ils veulent être le « contre-pouvoir » qu’ils prétendent constituer, alors les journalistes doivent avoir le courage de questionner leurs convictions les plus profondes, celles qui les empêchent de voir que d’autres visions du monde existent en dehors de l’étroit moule capitaliste.

En savoir plus grâce à notre blog biosphere

A69, entraves à la liberté de la presse (2024)

extraits : Le rapporteur spécial des Nations unies sur les défenseurs de l’environnement, Michel Forst, a demandé le 29 février 2024 à ce que le travail de la presse soit facilité sur le site occupé par les opposants au projet de l’autoroute A69. A l’issue de sa visite sur le lieu de la mobilisation, à Saïx, dans le Tarn, il a pointé plusieurs atteintes aux droits de l’homme….

Liberté de la presse et écologie, le cas Hervé Kempf (2013)

extraits : Dans les années 1970, il y avait des militants journalistes et des journalistes militants. L’écologie faisait son entrée dans les médias. Aujourd’hui l’écologie est une rubrique parmi d’autres. L’information produite a tendance à se formater, à se dépolitiser, à se déconflictualiser. La logique commerciale, la crise de endettement et la vulgate croissanciste ont étouffé le militantisme écolo ; rares sont les journalistes qui peuvent encore s’exprimer librement. Hervé Kempf était un de ceux-là. Censuré par LE MONDE, il a été acculé à démissionner le lundi 2 septembre 2013….

Les journalistes et l’écologie vendue au capitalisme (2013)

extraits : Nos analyses sur le traitement médiatique des enjeux climatiques en France ont ainsi montré que plus les journalistes parlent du problème climatique, plus ils parlent de ses conséquences au détriment de ses causes et solutions. Cette tendance à illustrer les problèmes plutôt qu’à les expliquer n’est pas neutre, les journalistes évacuent du champ du pensable environnemental la question des relations entre la mécanique capitaliste et la détérioration des écosystèmes. S’ils veulent être le « contre-pouvoir » qu’ils prétendent constituer, alors les journalistes doivent avoir le courage de questionner leurs convictions les plus profondes, celles qui les empêchent de voir que d’autres visions du monde existent en dehors de l’étroit moule capitaliste….

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Manifeste du pacifisme (Michel Sourrouille, 2010)

Sommaire

1. Désobéir pour la paix ?

11. le débat théorique

–          « si tu veux la paix, prépare la guerre » : l’option militaire

–           « si tu veux la paix, prépare la paix » : la défense civile

12. La résistance à la soumission volontaire, un préalable à la recherche de la paix

La Boétie, l’expérience de Milgram, le jeu télévisé « La zone Xtrême »

13. techniques de la non-violence

2. petite histoire de la désobéissance pour la paix

21. l’histoire des résistances à la violence armée

22. la résistance au service militaire : l’objection de conscience

23. la résistance à l’arme nucléaire

24. la résistance au commerce des armes

3. Agir

31. agir par l’action individuelle

32. agir par l’action collective

33. agir quelle que soient les formes d’organisation militaire

–          contre la conscription obligatoire

–          contre l’armée de  métier

34. agir contre la croissance pour l’autonomie territoriale

–          la croissance capitaliste, cause des guerres

–          seule des communautés en équilibre avec les écosystèmes peuvent obtenir une paix durable

4. Des ressources pour aller plus loin

Développement

1. Désobéir pour la paix ?

Désobéir pour la paix est à la fois un acte individuel et un acte collectif. La démarche de l’objecteur de conscience, refusant l’armée pour des motifs personnels, ne peut en réalité se concevoir que dans une vision de la société désirable et dans la volonté de faire partager un idéal. Car la recherche de la paix a le mérite de poser publiquement des questions fondamentales :

–          Quel type de société mérite d’être défendu ?

–          Contre qui ?

–          Par quels moyens qui soient à la fois efficace et justes ?

Lutter contre l’encasernement nous semble un bon signe de santé mentale, mais difficile à mettre en œuvre quand toute notre existence est une mise en boîte. De l’action individuelle du désobéissant pour la paix jusqu’à l’organisation d’une société durable en passant par la défense civile non violente à l’échelle de toute une communauté, nos possibilités de libération sont nombreuses. Elles passent par la désobéissance à un monde à la fois militarisé et injuste. Mais désobéir pour la paix, c’est aussi se débarrasser de la soumission volontaire que le système nous a fait intérioriser pour pouvoir mieux nous dominer. Désobéir pour la paix s’apprend grâce à un entraînement personnel et le souvenir de ceux qui nous précèdent.

Prenons l’exemple de Denis Langlois, incarcéré en 1966 à Fresnes où il était détenu en tant qu’objecteur de conscience. Il raconte ses 45 jours de mitard dans un livre, Le cachot, récit de 45 jours de solitude, avec un seul repas tous les deux jours. Il en tire la conclusion suivant : « Quand il m’arrive de ne plus croire, c’est à mes frères, les insoumis, que je songe, à ceux qui ont osé dire non au moins une fois dans leur vie. Je vais peut-être choquer beaucoup de monde et paraître bien prétentieux. Mais celui qui n’a pas été insoumis une seule fois dans sa vie n’est rien. Il lui manquera toujours quelque chose. Une finition, une maturité, une naissance. Une fois au moins dans sa vie, il faut avoir dit non au pouvoir pour ne pas être condamné à dire oui toute sa vie. » Denis Langlois est une de nos références, écrivant en 1972 le « Guide du militant » et récemment encore Slogan pour les nouvelles révolutions (mai 1968-mai 2008).

Désobéir pour la paix, c’est vouloir une société meilleure. C’est faire connaître son  témoignage dans une société de violences et parfois risquer la prison ou même la mort. Il ne s’agit pas seulement de se situer par rapport à la défense de son pays, mais par rapport aux règles et normes que véhicule une société, parfois acceptables, parfois insupportables. A chacun de réfléchir et d’agir en toute conscience.

11. le débat théorique : défense militaire ou défense civile non violente ?

« si tu veux la paix, prépare la guerre » : l’option militaire

Une étude récente montre que nos plus proches cousins, les chimpanzé Pan troglodytes, organisent des expéditions guerrières meurtrières. Des mâles partent en mission vers les marges de leur territoire, tout mâle isolé adverse sera battu jusqu’à la mort. Les autres grands singes ne tuent pas leur adversaire dès que celui-ci a monté des signes de soumission. Chez le gorille, par exemple, qui est très peu territorial, ce genre de conflit n’existe pas. Selon les auteurs, cet expansionnisme des chimpanzés est motivé par la conquête de nouvelles ressources alimentaires [Le Monde du 26 juin 2010]. La guerre est le propre de l’homme et de ses semblables, mais l’origine est toujours la même, mobiliser ses propres ressources sur un territoire particulier ou les prendre sur un autre territoire. L’expropriation du surplus alimentaire par une caste dirigeante est donc la source principale de la création des guerriers (des militaires) qui se mettent à leur service et leur permettent de consolider leur pouvoir au niveau interne à une société. Au niveau externe, la guerre est le moyen d’agrandir sont territoire et donc les ressources à accaparer.

Là où se trouvent les armées, la population est délestée d’une partie de ses richesses pour permettre aux soldats de subsister. Ce système s’institutionnalise progressivement, les militaires obtiennent en France le statut de fonctionnaire dès 1675 : l’ordre du tableau permet de faire progresser à l’ancienneté la rémunération des soldats, l’impôt et l’armée se justifient dorénavant l’un par l’autre. « Si tu veux la paix, prépare la guerre » devient le signe trompeur de la protection d’un territoire déterminé ; L’armée devient la concrétisation d’un Etat et de la protection des puissants. Depuis la révolution française, il faut même s’inventer un adversaire pour justifier des dépenses « citoyennes ». Alors parfois on s’invente un « ennemi intérieur ». En 1906, une énorme surproduction provoque la chute des cours du vin. Les manifestations se multiplient dans tout le Languedoc. Le 9 juin 1907, une foule estimée à un million de personnes manifeste à Montpellier. Le 19 juin, à Narbonne, des cuirassiers chargent et tuent un homme. Le lendemain l’armée tire sur la foule faisant cinq victimes.

Si l’option militaire est discutable en matière d’offensives, elle est aussi discutable en matière défensive. Depuis le début du XIXe siècle, l’histoire de la France offre une impressionnante série d’échecs de sa défense militaire. Cinq agressions contre le pays (1814, 1815, 1870, 1914, 1940) se sont soldés par quatre échecs indiscutables et par une guerre de 1914-18 qui a nécessité l’intervention étrangère, tout le Nord-Est du pays ravagé et près de 1,4 millions de morts et 740 000 mutilés. Si l’on ajoute les deux revers subis en Indochine et en Algérie, il est légitime de se demander si la confiance dans l’option militaire ne relève pas de l’illusion collective. De plus, en luttant contre un autre système politique (dont l’armée d’invasion n’est qu’un des éléments) par la violence armée, on renforce chez l’autre l’exaltation militariste qui cimente le pays adverse unifié par ses morts ; la violence s’exacerbe. On se défend alors en constituant un système aussi monolithique et porteur des mêmes tares que celui contre lequel on voudrait lutter.

Aujourd’hui la logique du système de défense militaire est telle qu’un pays qui voudrait se défendre efficacement par les armes doit mener une politique agressive et impérialiste, pour avoir toujours l’avantage de l’offensive : l’épée l’emporte d’ordinaire sur le bouclier. Les Etats-Unis ont même défini une doctrine de la guerre préventive (preemptive actions, Bush, 1er juin 2002). Le secrétaire à la défense, M. Donald Rumsfeld, l’avait déjà expliqué clairement en déclarant : « La défense des Etats-Unis requiert la prévention, l’autodéfense et parfois l’action en premier. Se défendre contre le terrorisme et d’autres menaces émergentes du XXIe siècle peut très bien exiger que l’on porte la guerre chez l’ennemi. Dans certains cas, la seule défense est une bonne offensive. » Paradoxe indéfendable, la guerre préventive a même donné à Barack Obama le droit d’obtenir le prix Nobel de la paix. Voici le discours d’Obama quand il a reçu sa distinction le 10 décembre 2009 : « Je suis le commandant en chef d’une nation engagée dans deux guerres. J’ai juré de protéger et de défendre mon pays. Je ne peux rester passif face aux menaces qui pèsent sur le peuple américain. Je me réserve le droit d’agir unilatéralement si cela s’avère nécessaire pour défendre mon pays. Ce qui est dangereux, c’est ceux qui ont attaqué mon pays depuis l’Afghanistan. » (LeMonde du 12 décembre).  Suivant le même modèle, les Israéliens estiment se défendre efficacement en se mettant en position d’agresseur. Mais c’est une position avec laquelle ils se condamnent à un perpétuel état de guerre, comme les Américains. La logique de la défense militaire ne peut pas être une logique de paix.

Cette préparation à la guerre qui favorise la guerre devient tellement absurde que les grandes puissances exportent leur armement ! Selon le Sipri (Institut international de Stockholm de recherche de la paix), les dépenses militaires mondiales ont battu un nouveau record en 2005 avec 1118 milliards de dollars, soit un total de 173 dollars par habitant de la planète, bébés compris (LeMonde du 3 juin 2010). Les exportations d’armements sont un facteur important de cette progression. Le renchérissement des prix de l’énergie donne en effet un pouvoir d’achat pour les militaires de l’Algérie, de l’Azerbaïdjan, de la Russie, de l’Arabie saoudite. Ce pouvoir d’achat préfère ainsi se consacrer à la protection du régime plutôt qu’au bien-être du peuple. Alors que le nombre de conflits ne cesse de diminuer depuis la fin de la guerre froide, alors que les opérations multilatérales de pacification se multiplient, des pays comme la Chine font preuve d’irresponsabilité en matière d’exportation d’armements : elle envoie de façon illicite des armes au Népal, dans la région des Grands lacs en Afrique, au Tchad, au Libéria, en Malaisie, en Thaïlande, en Afrique du sud, nourrissant ainsi des guerres civiles à répétition. Les Etats-Unis ne sont pas en reste qui jouent au cow-boy flingueur dans des guerres dites préventives.

Alors que les ventes d’armes n’ont pour finalité que de semer la souffrance et la mort, les dirigeants de l’industrie d’armement ne se cachent pas, ils ont même tenu salon du 14 au 18 juin au parc des expositions de Paris à Villepinte. Depuis 1967 où il se tenait dans la ville éponyme de Satory, ce supermarché de la mort n’a cessé de se réunir tous les deux ans et de croître. L’armement terrestre et aéroterrestre ne connaît pas la crise si l’on en juge par le nombre record d’exposants (1300). La France – pays-hôte – figure naturellement en tête (400), devant les Américains (123), les Allemands (118), les Britanniques (88) et donc les Israéliens (58). Au total, plus de cinquante pays sont représentés, y compris la Chine qui dispose d’un pavillon national, tout comme le Brésil et l’Afrique du Sud, ainsi que des pays d’Europe de l’Est, traditionnellement très actifs dans l’armement terrestre (Russie, Ukraine, Bulgarie, Roumanie). Déjà, en mars 2010, l’institut suédois s’était ému de la constitution de stocks d’armes – avions, navires, missiles, etc – jugés « dangereux », notamment dans certaines zones de l’ex-tiers-monde. Il a calculé que le total des transactions sur l’armement a atteint 116 milliards de dollars de 2005 à 2009 (contre 96 milliards sur les cinq ans précédents), donc une augmentation de 22 %. Avec toujours les mêmes grands vendeurs : Etats-Unis (35 milliards, + 17 %), Allemagne (12 milliards, + 100 %), France (9,2 milliards, + 30 %), à l’exception d’un recul sévère du Royaume-Uni (5 milliards, – 11 %).

Et du côté des acheteurs, des surenchères régionales ruineuses : la Grèce, sous prétexte de tenir tête à la Turquie, s’équipe au rythme d’un milliard de dollars par an ; la Malaisie a multiplié par huit ses achats, et Singapour est devenu le septième importateur du monde, derrière la Chine, l’Inde, la Corée du Sud, les Emirats arabes unis, la Grèce et Israël. L’Algérie s’est hissée à la 9ème place mondiale, après avoir consacré 3,4 milliards à des achats d’équipements militaires. Sur des volumes plus modestes, le Qatar, la Syrie, Oman enregistrent des progressions plus fortes. Et puis la vente des équipements destinés à la surveillance aux frontières a fait un bond en avant !

C’est en grande partie la prise de conscience de l’inefficacité de la défense militaire classique qui a poussé le gouvernement français à doter le pays d’un armement nucléaire. Or ce pari nucléaire de l’action dissuasive rayerait la France de la carte du monde s’il était perdu. Plus généralement, la « paix nucléaire » recouvre en fait une guerre mondiale ininterrompue dont les combats se déroulent sur des champs de bataille limités et constamment mouvants. En 1964, Alastair Buchan, directeur de l’Institut des Etudes stratégiques de Londres, écrivait : « Puisque les stratégies directes classiques pour protéger l’intégrité des nations perdent de leur crédibilité avec le développement d’armes capables de détruire des civilisations, il est essentiel que nous accordions une attention de plus en plus grande aux stratégies indirectes pour préserver nos sociétés de la domination ou de l’autorité étrangère. Il est possible en effet que ce soit dans des concepts comme celui de la défense civile non-violente que réside la clé de la  sauvegarde de la société, dans un monde qui contient tellement de formes explosives de puissance que les armes vont devenir trop dangereuses pour être employées ».

Parler aujourd’hui de la défense armée contre des fusées téléguidées, c’est s’attarder à un rêve puéril.  La « défense » militaire, classique ou nucléaire, ses dérives marchandes et ses bombes nucléaires semble ne plus avoir de justificatif, on ne prépare pas la paix en préparant la guerre. Une autre critique de l’Armée porte sur son coût économique. Qui dit armée moderne dit armes modernes. Des armements de plus en plus sophistiqués nous entraînent dans une logique contraignante : la lutte technologique, sans fin, du temps de paix. Même la constitution de l’Union européenne, qui sécurise les frontières de la France, n’a pas enrayé ce mécanisme. En France, le budget 2010 de la Défense s’élève à 37,1 milliards d’euros, soit 10,2 % des dépenses totales (hors charge de la dette). Mais une alternative est-elle possible ? Pour les tenants de la non-violence, il est nécessaire d’organiser une défense civile en lieu et place de l’option militaire.

« si tu veux la paix, prépare la paix » : la défense civile

Il serait dangereux de se laisser aller à un antimilitarisme sommaire : un peuple a le droit et le devoir de se défendre contre une agression extérieure. Autrement dit, la remise en question de la défense armée ne peut aller sans la recherche d’une autre forme de défense. Certains préconisent un système de défense qui consiste à armer la population et à fonder la résistance sur des milices populaires. Les partisans de cette défense populaire armée se réfèrent aux divers exemples de guérilla, mouvements de résistance armée sous l’occupation nazie, guerres de libération dans le tiers-monde, etc. Ni la Suisse ni la Chine, pourvu d’un tel système, n’ont eu à faire face à une invasion. Mais si cela arrive, la guérilla n’est possible que si un pays ami ou limitrophe peut servir de sanctuaire, d’appui logistique. De plus les traitements réservés aux populations civiles qui ont eu à subir des années de guérilla, ratissages, massacres, tortures, viols, déportations entraînent un coût humain qui paraît souvent démesuré. Il ne paraît donc nullement déraisonnable d’étudier la possibilité d’une stratégie de défense non armée. Les objecteurs norvégiens au service militaire ont obtenu en 1971 l’institution d’une école de préparation au service alternatif, dont le programme comporte l’étude des techniques non violentes dans la solution des conflits internationaux.

A la différence de la défense nationale armée, qui a pour seul but la défense du territoire national, la défense civile non violente est la prolongation particulière d’une attitude permanente à l’égard de l’injustice sociale et du pouvoir. Désobéir pour la paix trouve dans cette argumentation une solide base théorique. L’attitude non-violente dépasse en effet le problème de la guerre et de la paix. Il y a continuité entre la lutte intérieure pour une plus grande justice, et l’action contre un envahisseur ; ce sont les mêmes techniques qui sont utilisées dans les deux  cas, dans le même esprit. La défense non-violente porte non pas simplement sur des frontières territoriales, mais sur des frontières morales et politiques ; il s’agit non seulement de défendre la vie de la population, mais aussi ses droits fondamentaux : droit à la liberté de parole et de réunion, droit de presse, de vote, de grève, mode de vie, respect des croyances. Une population habituée à ne pas tolérer les atteintes aux droits des personnes et à réagir immédiatement devient, pour un envahisseur ou un pouvoir dictatorial, un mur  sur lequel sa violence se brise.

Le stratège britannique Sir Basil Liddle Hart rapporte le témoignage de généraux allemands qu’il avait interrogé après la seconde guerre mondiale : « Les formes de résistance violente n’avaient été efficaces que dans les régions désertiques ou montagneuses, comme en Russie ou dans les Balkans. Il avaient été incapables de faire face à la résistance non-violente. Ils étaient des experts entraînés à affronter des adversaires qui utilisaient la violence. Devant d’autres formes de résistance, ils s’étaient trouvés décontenancés, d’autant plus que les méthodes employées gardaient un caractère subtil. Ils étaient soulagés en voyant la résistance devenir violente. »

Les techniques de la lutte non-violente ont été pratiquées avant d’être mises en théorie et cela, dans des circonstances politiques, économiques ou culturelles extrêmement diverses. On peut aussi bien se référer à la lutte contre la colonisation en Inde qu’à certains épisodes de la résistance de Norvégiens, des Danois et des Bulgares face aux nazis durant la dernière guerre mondiale, le combat menés contre la Mafia en Sicile, la lutte pour les droits  civiques des Noirs aux Etats-Unis, la résistance des Tchécoslovaques aux troupes du pacte de Varsovie, l’action de la minorité mexicaine en Californie contre les grands trusts agricoles, etc.

Les exemples d’une population pratiquant la désobéissance civile sont en fait peu nombreux, mais significatifs. Ainsi le 1er février 1942, le chef du parti nazi norvégien, Quisling, est installé chef du gouvernement. Son premier souci, inculquer à la jeunesse l’idéologie nationale-socialiste. Dès le 3 février, il lance un Front des jeunes, réplique des jeunesses hitlériennes. Le 5, il crée une Union des professeurs norvégiens qui doit être le pilier d’un Etat corporatif copié sur celui de Mussolini. Tous les professeurs doivent adhérer à cette organisation. Mais, en accord avec les chefs de la résistance, ils décident de refuser : chacun devra en aviser lui-même le ministre de l’Education selon une formule mise au point et transmise secrètement à tous. Sur 12 000 maîtres, 8 à 10 000 écrivent le même jour au ministre pour déclarer leur refus pour motif de conscience. Le 20 mars, 1000 professeurs sont arrêtés, 687 déportés dans un camp avec longues séances de « gymnastique » dans la neige et travail exténuant, une soupe claire et du pain pour toute nourriture. Mais la Norvège les exalte comme des héros, la résistance continue. Le 22 mai, Quisling se rend au lycée de Stabbeck et tempête : « Vous, les professeurs, vous avez tout ruiné pour moi ». Finalement Hitler ordonne personnellement d’abandonner le projet d’Etat corporatif. De façon improvisé et solidaire, les Norvégiens ont expérimenté la possibilité de vaincre sans armes. Autre exemple au Danemark. L’occupation du pays s’étant faite sans coup férir, le vieux Roi avait gardé son trône. Mais dès qu’il apprit l’obligation qu’on faisait aux juifs de porter l’étoile jaune, il a fait sa promenade habituelle à pieds par les rues de la capitale, la boutonnière décorée de ce « signe sacré, cher à tous ceux qui croient aux Ecritures ». Les Nazis grincèrent des dents, mais ne sachant comment réagir, l’heure des persécutions fut retardée.

Aux Etats-Unis, les résistants à la guerre du Vietnam ont refusé le service militaire par dizaines de milliers. Ils se livrent à des manifestations de masse de plus en plus importantes, ils détruisent en public leurs livrets militaires, quelques-uns envahissent les bureaux de recrutement et souillent les fichiers de leur sang. Quelques-uns poussèrent l’atroce courage jusqu’à jeûner 100 jours, d’autres jusqu’à s’arroser de pétrole et brûler vif. L’action décisive, ce n’est pas sur les champs de bataille qu’elle eu a lieu, c’est sur le pavé des capitales. En août 1968, l’URSS entrait en Tchécoslovaquie. Des chars soviétiques et de soldats armés envahissaient un pays armé. Il a été ordonné de rester en caserne et de ne rien faire ; ce sont des civils, les mains nues, qui ont reçu les militaires du Pacte de Varsovie. Des chars russes refusèrent d’écraser des ouvriers protégeant de leurs corps le parlement tchèque qui s’était réuni dans leur usine. Des officiers ont abattu les conducteurs de char qui refusaient d’avancer, une division de blindés fut rappelée en Russie. Le 16 janvier 1969, l’étudiant en philosophie tchécoslovaque Jan Palach s’immole par le feu sur la place Wenceslas à Prague. Il mourra trois jours plus tard des suites de ses blessures. Jan est devenu le symbole de la résistance anti-soviétique. Et vingt ans plus tard, le Mur de Berlin est tombé de façon pacifique. Il n’y a jamais fatalité de la violence.

Progressivement au cours des années 1960 la défense civile non-violente a commencé à être théorisée. La non-violence à l’égard des personnes et la révélation au grand jour des injustices ne sont que deux aspects de la lutte non-violente. L’absence de violence à l’égard des personnes, à condition qu’elle soit liée à des actions clairement perçues comme attaquant l’injustice, loin de favoriser la formation d’un bloc uni chez l’adversaire, tend à isoler la minorité responsable de cette injustice en affaiblissant sa liaison avec l’opinion publique et avec ses agents. Les possibilités de dialogue restent intactes entre les victimes de l’oppression, la majorité silencieuse, et les agents du pouvoir (policiers et militaires). Contrairement à ce qui se passe dans la lutte armée où des gens qui ne se connaissent pas se tuent au profit de gens qui se connaissent bien et ne se tuent pas, la lutte non-violente permet à ceux qui, en d’autres circonstances, se seraient entre-tués, de mieux se connaître et affaiblit le pouvoir de ceux qui auraient bénéficié du carnage. Un des avantages majeurs de la lutte non-violente est de maintenir constamment ouvert le dialogue à tous les niveaux, ce qui interdit au pouvoir adverse de brouiller les cartes : il est si facile d’assimiler à du brigandage l’action des maquisards armés.

Un comportement qui suppose que la peur du gendarme et de la loi ait été surmontée par les opprimés, et qu’ils soient prêts à supporter les conséquences de leur attitude, n’est pas beaucoup plus héroïque que celui du soldat sur le champ de bataille qui est prêt à mourir. De plus un comportement non-violent présente l’énorme avantage de permettre à tous de voir où est l’injustice, où est l’oppression. Les actes de violence finissent toujours, au contraire, par cacher la cause, si juste soit-elle, pour laquelle on se bat. Même lorsque les moyens d’information normaux sont aux mains de l’adversaire, la non-violence offre des moyens d’action : grève de la faim, si-in, occupation de locaux, distribution de tracts…

Tout pouvoir a besoin de la collaboration active d’une partie de la population. La stratégie non-violente s’appuie sur une série de techniques de non coopération : grève sous toutes ses formes (partielle, générale, tournante, grève du zèle) de la part des travailleurs, boycott des consommateurs, refus de l’impôt des contribuables, démission ou résistance des notables. La grève est simple non coopération quand elle est légale, elle devient désobéissance civile si la grève est interdite. Le refus de l’impôt est déjà une forme de la désobéissance civile. Ajoutons qu’en cas de péril extrême, la défense non-violente ne s’interdirait pas de recourir à des actes de sabotage non meurtrier. Toutes ces méthodes nécessitent de l’imagination et du courage. Gandhi disait : « Je vois bien comment je peux enseigner la non-violence à un violent, mais je ne peux pas l’enseigner à un lâche. » Mais dès qu’une part importante de la population refuse de coopérer, la situation du pouvoir devient difficile. Elle devient impossible si le refus se généralise. La tactique non-violente, c’est comme le judo. Au lieu de vaincre la violence par une violence encore plus grande, elle cherche à tirer parti de la violence du système adverse pour le déséquilibrer, désorganiser son unité et, finalement, le réduire à l’impuissance. Cette méthode de défense permet aussi aux minorités les plus faibles de se faire respecter et d’assurer leur propre défense.

La résistance non-violente présent trois avantages immédiats par rapport à une résistance armée. Tout d’abord, l’absence de résistance armée rendrait vraisemblablement la période d’invasion beaucoup moins meurtrières. Chacun serait bien conscient que même si la résistance non-violente devait coûter des vies humaines, toute forme de résistance violente en coûterait bien davantage. Les partisans de la résistance non-violente ne nient pas qu’une effusion de sang puisse se produire. Cela semble même inévitable de la part d’un pouvoir oppresseur. Mais ce qu’ils nient, c’est que les opprimés ne puissent venir à bout de cette violence que par une violence contraire. On a vu historiquement le résultat de l’argumentation marxiste d’une transformation révolutionnaire de la société après une prise du pouvoir d’Etat. Une classe dominante est remplacée par une autre classe dominante, rien ne change. Lors de la révolution française, ce ne sont pas les intérêts du Tiers-état qui ont été défendus, mais l’avènement d’une bourgeoise d’affaires. Second avantage, toute la population résisterait en restant sur place. On éviterait ainsi l’affaiblissement considérable qui résulte d’une mobilisation militaire : rupture des familles et ralentissement de l’activité économique. Les troupes d’invasion, composées de soldats déracinés, se trouverait face à une population dont la texture sociale serait intacte et qu’une longue habitude de l’action non-violente aurait accoutumée à ne pas s’émouvoir d’affrontements avec des forces de répressions. Troisième avantage, une attaque de l’adversaire n’est nullement ressentie comme un échec, mais comme une imprudence de sa part. L’armée adverse est rentrée dans un piège quand l’action non-violente est bien préparée. La tactique non-violente consiste à affaiblir la liaison entre l’Etat agresseur et les individus qui composent ses forces armées. On fait prendre conscience aux agresseurs qu’ils ne courent aucun risque en tant que personnes, mais qu’on leur opposera systématiquement le plus ferme des refus d’obéissance aussi souvent  que nécessaire. Cette attitude a un véritable pouvoir corrosif. La population devient, pour le moral des troupes, un bain d’acide dans lequel aucun gouvernement ne peut se permettre de faire tremper trop longtemps son armée.

La tactique à adopter durant la première phase du conflit est d’éviter les affrontements avec les troupes d’occupation et  de faire connaissance quand les troupes s’installent. L’action non-violente est en effet d’autant plus efficace qu’elle est moins anonyme et que ceux qui s’affrontent ont eu l’occasion de se rencontrer et de se comprendre. Ainsi, lors de l’invasion de la Tchécoslovaquie, les Etats du pacte de Varsovie ont dû rapatrier des troupes complètement démoralisées par la résistance non-violente à laquelle elles s’étaient heurtées. Si les six jours de résistance non-violente en Tchécoslovaquie ont suffi à mettre en difficulté l’Etat soviétique, on peut imaginer l’efficacité que pourrait avoir une résistance non-violente dûment préparée pendant des années par une population maîtresse d’elle-même et consciente de ce qu’elle veut défendre. On peut même légitimement penser qu’un peuple aguerri à la pratique de la non-violence constituerait un danger redoutable pour le moral d’une armée d’invasion. Si l’adversaire laisse faire, il se ridiculise et paraît faire preuve de faiblesse. S’il réprime, il sera obligé d’avoir recours à un nombre important de militaires et de policiers dont le contrôle idéologique sera d’autant plus difficile qu’ils seront en contact étroit et constant avec une population amicale, mais déterminée dans son refus d’obéissance. Toute violence exercée sur la population serait suivie de manifestations de masse. Contrairement à la lutte armée qui peut servir à défendre n’importe quelle cause y compris et de préférence les pires, la lutte non-violente n’est adaptée qu’à la défense des causes réellement justes.

De toute façon toute forme de dissuasion, armée ou non-violente ne joue qu’à la condition que l’adversaire soit relativement raisonnable. Des chefs d’Etat peuvent se lancer dans des entreprises parfaitement démentielles, un peuple peut mener contre un autre une guerre d’extermination, réaliser un génocide, déporter en masse. Ce qu’il reste des peuples indiens d’Amérique en est un témoignage bouleversant. C’est pourquoi la coopération entre les peuples est un accompagnement nécessaire de la mise en place d’un système d’action pour conserver la paix. Une politique extérieure résolument pacifique suppose :

– le renoncement à toute politique de défense fondée sur la terreur militaire et sur la course aux armements ainsi qu’à toute forme d’impérialisme de type colonial.

– la reconversion des industries de guerre en industries civiles et l’achat à un juste prix des matières premières produites par les pays du Tiers-Monde.

La création d’un réseau international de sympathies croisées rendrait la tâche plus difficile à un gouvernement qui chercherait à obtenir un soutien populaire pour une politique belliciste. Cette modification de la politique étrangère va à l’inverse de la force de frappe, des ventes d’armes et de la militarisation de la société dans les pays occidentaux. En France, aux Etats-Unis et ailleurs, c’est dans la lutte contre la course aux armements et dans la lutte pour la justice sociale que commence la désobéissance pour la paix. Mais pour cela, encore faut-il que la population ne soit pas soumise aux pouvoirs en place.

12. La résistance à la soumission volontaire, un préalable à la recherche de la paix

La cause profonde des conduites les plus cruelles est beaucoup moins le sadisme de quelques individus que la soumission collective à l’autorité. Il est donc absurde de prétendre lutter contre un Etat totalitaire au moyen d’un service militaire fondé sur la soumission à l’autorité hiérarchique. En développant celle-ci, on ne fait que rendre plus probable un système fondé sur la torture et la terreur. Au contraire, le développement de la pratique de la désobéissance civile a des chances de former des individus plus libres à l’égard de toute autorité, plus responsables, et donc plus capables de désobéir et d’entraver l’avènement d’une dictature totalitaire. Mais l’observation sociologique montre l’ampleur du conditionnement. Contre les sociétés autoritaires, le monde occidental a prôné l’égalité, mais il sécrète pourtant le même respect sacralisé de la hiérarchie. Désobéir pour la paix passe par un véritable contre-conditionnement qui passe par la connaissance du texte de La Boétie, des expériences de Milgram et de leur actualité.

Le texte d’Etienne de La Boétie sur la servitude volontaire, publié pour la première fois en 1576 est un joyau qui détaille les bases de notre esclavage : « Comment il peut se faire que tant d’hommes, tant de bourgs, tant de villes, tant de nations endurent quelquefois un tyran seul, qui n’a de puissance que celle qu’ils lui donnent, qui n’a de pouvoir de leur nuire sinon tant qu’ils ont vouloir de l’endurer, qui ne saurait leur faire mal aucun sinon lorsqu’ils aiment mieux le souffrir que le contredire (…) Plus ils pillent, plus ils exigent, plus ils ruinent et détruisent, plus on leur donne, plus on les sert, de tant plus ils se fortifient  et deviennent toujours plus forts. Si on ne leur donne rien, si on ne leur obéit point, ils demeurent nus et défaits, et ne sont rien, sinon que, comme la racine n’ayant plus d’aliment, la branche devient sèche et morte (…) Celui qui vous maîtrise tant n’a que deux yeux, n’a que deux mains, n’a qu’un corps, sinon qu’il a plus que vous tous : c’est l’avantage que vous lui faites pour vous détruire. D’où a-t-il pris tant d’yeux dont il vous épie si vous ne lui donniez ? Combien a-t-il tant de mains pour vous frapper s’il ne les prend de vous ? Les pieds dont il foule vos cités, d’où les a-t-il s’ils ne sont les vôtres ? (…) La nature de l’homme est bien d’être libre et de le vouloir être, mais sa nature est telle que naturellement, il tient le pli que l’éducation lui donne. Disons qu’à l’homme toutes choses lui sont comme naturelles, à quoi il se nourrit et s’accoutume. Ainsi la première raison de la servitude volontaire, c’est la coutume ; on ne regrette jamais ce que l’on n’a jamais eu. »

Le XXe siècle a amplement démontré la facilité avec laquelle une personne normale peut se transformer en criminel en série, il suffit pour abandonner son sens moral de s’en remettre à une autorité exigeant des comportements destructeurs, que ce soit au nom de l’ethnie, de la religion ou de l’idéologie. Au sortir du procès des dignitaires nazis à Nuremberg, Hannah Arendt nous montrait ainsi la banalité du mal. Elle en était arrivé à la conclusion que l’introduction de la désobéissance civile parmi nos institutions politiques pourrait constituer le meilleur remède l’impuissance en dernier ressort du contrôle juridictionnel. Au début des années 1960, le psychosociologue Stanley Milgram confirme les mécanismes de soumission à l’autorité, même dans un pays considéré comme composé d’individualistes, les Etats-Unis. L’analyse de ce processus a eu lieu dans un laboratoire de psychologie : un américain moyen recruté par petites annonces est prié, dans le cadre de prétendues recherches sur la mémoire, d’infliger à un élève des punitions de plus en plus sévère grâce à des décharges électriques allant de 15 à 450 volts. Un acteur professionnel tient le rôle de  « l’élève » : il gémit à 75 volts, il supplie qu’on le libère à 110 volts, à 286 volts, sa seule réaction est un cri d’agonie. Près des deux tiers des individus administrèrent pourtant les chocs les plus élevés, non pour assouvir des tendances particulièrement agressives, mais parce que l’idée qu’ils avaient de leurs obligations les y contraignait moralement. Stanley Milgram, note : « Ils étaient tellement absorbés par les aspects techniques de leur tâche et tellement soucieux de se montrer dignes de ce que l’autorité attendait d’eux que l’aspect inhumain et odieux de l’expérience leur échappait. » Ce test de Milgram montre que la clef de notre comportement n’est pas à chercher dans un sadisme latent, mais dans notre soumission à l’autorité même dans une société occidentale qui a vécu pleinement la démocratie dès le XIXe siècle (tout en déniant aux noirs l’exercice de leurs droits civiques).

Une émission réalisée pour la télévision a confirmé récemment les résultats de Milgram. Pour cette variante réalisée en 2009, 80 volontaires sont recrutés pour un pseudo-nouveau-jeu, « La zone Xtrême » : Sommes-nous prêt à électrocuter un inconnu pour les besoins d’un jeu télévisé ? Oui, d’après les résultats de cette expérience. Encouragé par l’animatrice Tania Young (« Nous assumons toutes les conséquences ») et un public frétillant (« Châ-ti-ment ! Châ-ti-ment ! »), chaque candidat doit électrocuter un inconnu, invisible mais audible, à chaque erreur commise lors d’une épreuve de mémoire verbale. Le voltage augmente au fil des décharges électriques. Aucun des tortionnaires ne sait que la « victime » est en réalité un comédien. 82 % des candidats du jeu télévisé iront pourtant jusqu’au bout, à la stupéfaction des scientifiques. Que l’émission soit présentée comme destinée au grand public ou uniquement réservée à des directeurs de programmes, les résultats ont été identiques. Les candidats sont tiraillés entre l’obéissance à la règle (« je me suis engagé à jouer ce jeu ») et leurs valeurs morales (« Je ne peux pas faire souffrir cet homme »). Pour l’écrasante majorité, la docilité prime. Pour le téléspectateur, ce constat est aussi une forme d’électrochoc.

Pour pouvoir multiplier le nombre de désobéissants pour la paix, ce tortionnaire blotti en chacun de nous est une bien mauvaise nouvelle. Mais c’est seulement par la conscience du conditionnement social que nous pouvons accéder à une liberté responsable. Tout choix personnel est en effet encadré par des normes sociales de façon à nous faire juger comme « naturel » ce qui n’est en fait que « normal », habituel dans une société donnée. Un apprentissage de la mise à distance de son conditionnement du type comparaison ethnologique est nécessaire. La connaissance des mécanismes de la soumission à l’autorité dans la plupart des sociétés peut aussi permettre à une personne de se détacher des commandements proférés par sa société d’appartenance. C’est seulement à ce prix que tu peux accéder à une véritable liberté et désobéir en toute connaissance de cause. Désobéir résulte d’un contre-conditionnement et de pratiques que nous allons maintenant aborder.

13. techniques de la non-violence

Le désarmement total ne peut être imposé, et si par hasard il pouvait être imposé, il resterait inopérant puisqu’on peut tuer avec la pierre, l’eau ou le couteau à pain, mais aussi avec la haine, le mépris ou l’indifférence. Le désarmement ne peut donc être le premier pas. C’est le second. Le premier pas, c’est l’entente, l’art de la rencontre et de l’échange.

La non-violence est à la fois solution des conflits et levier de conversion. On ne peut appeler acte de non-violence que s’il y a conflit, on ne peut appeler non-violent celui qui se met à l’abri tandis que le monde est en feu. Car la non-violence, c’est dire non à la violence et à ses formes les plus virulentes. Celui qui m’arrache mes biens, qui piétine mes droits, qui veut ma mort ou celle des autres, cet ennemi n’est en fait qu’un homme qui se trompe. La première conséquence, c’est que je me vois dispensé de le haïr. Il serait ridicule et injuste d’en vouloir à un homme parce qu’il se trompe. La seconde conséquence, c’est que j’ai le devoir de le détromper, il faut le convertir à une vérité commune. Le retournement de l’adversaire, c’est la véritable fin de la non-violence. Il ne faut pas confondre la force et la violence, excès de la force. Cette violence ne peut être arrêté par un excès de même nature, c’est ainsi qu’elle s’excite et s’amplifie. Si la non-violence ne peut arrêter la guerre, rien ne pourra l’arrêter, elle reprendra vie à un moment ou un autre. Sans la force de la non-violence, il n’y a pas d’avenir durable pour l’humanité. La seule force qui puise s’opposer à la violence, c’est la force de la justice. Même Napoléon pouvait dire : « Il y a deux forces dans le monde, la force de l’épée et la force de l’esprit. La force de l’esprit finira toujours par vaincre la force de l’épée. » Gandhi éprouva le besoin de trouver un autre nom à la non-violence, plus fort et plus positif ; il parla de Satyagraha ou force de vérité.

Prenons l’exemple d’Arne Naess, écologiste dans ses principes et non-violent dans ses moyens : « L’un des principaux aspects de nos actions est d’attirer l’attention du public. La condition du succès est alors dépendante de notre capacité à confirmer l’hypothèse suivante : si seulement l’opinion publique savait ce que les écologistes défendent, alors la majorité des gens serait de leur côté. L’expérience accumulée ces dernières années indique que le point de vue écologique avance grâce à une communication politique non-violente qui mobilise à la racine. Historiquement, les voies de la non-violence sont étroitement associées aux philosophies de la totalité et de l’unicité. La violence à court terme contredit la réduction universelle à long terme de la violence. L’expérience scandinave montre que la possibilité d’un succès est hautement dépendante du niveau de non-violence de nos actions. Maximiser le contact avec votre opposant est une norme centrale de l’approche gandhienne. Plus votre opposant comprend votre conduite, moins vous aurez de risques qu’il fasse usage de la violence. Vous gagnez au bout du compte quand vous ralliez votre opposant  à votre cas et que vous en faites un allié. Quand on travaille pour un parti, on doit utiliser une terminologie qui encourage l’écoute de la part des personnes qui votent. Sur ce point, un parti vert aurait pu adopter un programme de décroissance, mais cela aurait immédiatement limité le nombre de voix en sa faveur. Il n’est pas bon d’exprimer des positions hostiles à l’industrie en général. Notre point de vue doit être que nous soutenons l’industrie, puis ensuite souligner que la grande industrie est une déviance historique. Pareillement, nous ne devons pas émettre de slogan général contre la technologie. Les technologies doivent être essentiellement légères ou « proches » ; les choses sont faites dans le voisinage, ou du moins de régions aussi proches que possibles. L’approche gandhienne est telle qu’on doit mener des actions illégales aussi rarement que possibles. La plupart des actions peuvent et doivent être menées dans la sphère de la légalité. »

Il n’est pas nécessaire de mettre en face de son ennemi, le capitalisme par exemple, une puissance matérielle supérieure à la sienne. Utilisez simplement, dit Gandhi, ce petit mot magique qui existe dans toutes les langues : « non ». Ma tâche sera terminée, disait Gandhi, si je réussis à convaincre l’humanité que chaque homme ou chaque femme est le gardien de sa dignité et de sa liberté.

2. petite histoire de la désobéissance pour la paix

21. l’histoire des résistances à la violence armée

La réalité est cruelle. Aussi loin que l’on remonte dans le temps, les humains paraissent avoir plaisir à se disputer ou à se massacrer. La naissance des « civilisations » était censée canaliser la violence, elle l’a en fin de compte exacerbée. C’est pourquoi ils ne sont pas rares les exemples qui témoignent d’ une « pacification » par les armes. L’archéologue Clemens Reichel affirmait même avoir découvert les traces de la première guerre de l’humanité dans le nord-est de la Syrie. Des assaillants venus du sud de la Mésopotamie auraient, il y a 6000 ans, assiégé et réduit en cendres la ville de Hamoukar. Lors des fouilles, l’archéologue a mis au jour 2300 boulets d’argile qui auraient servi de projectile. Bien sûr cela aurait pu être le théâtre d’une immense partie de pétanque, mais déjà les temps n’étaient pas à la rigolade. Par contre rares sont les exemples historiques anciens qui témoignent d’une volonté pacifique. Le plus ancien à notre connaissance n’est qu’une pièce de théatre.

En 411 avant J.-C., la pièce d’Aristophane, Lysistrata (littéralement « celle qui dissout les armées »), imaginait pour les femmes un mot d’ordre efficace : « Pour arrêter la guerre, refusez-vous à vos maris. » Alors qu’Athènes et Sparte sont en guerre, Lysistrata, belle Athénienne, aussi rusée qu’audacieuse, convainc les femmes de toutes les cités grecques de déclencher et de poursuivre une grève totale du sexe, jusqu’à ce que les hommes reviennent à la raison et cessent le combat. La grève du sexe, quoi de mieux pour les désobéissantes. Mais si le slogan « Faites l’amour, pas la guerre » est certes un plaidoyer pour la paix, il n’aurait la force de convaincre des guerriers en campagne que si les hommes partageaient le pacifisme de leurs compagnes. L’humanité a suffisamment fomenté de conflits meurtriers pour qu’on sache historiquement que les hommes préfèrent, contraints et forcés, la guerre au sexe. Et quand ils font l’amour, c’est pour procréer de nouveaux guerriers en puissance. Le premier signe de résistance à la violence armée se trouve dans une histoire dont on pense qu’elle est aussi inventée : les Evangiles.

Le Nouveau Testament présente Jésus comme un adversaire de toute violence et se rapprochant de la non-violence active. « Si quelqu’un te donne un soufflet sur la joue droite, tends la gauche » (Mt 5/28) ; « Vous avez appris tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi, je vous dis, aimez vos ennemis » (Mt 5/38-48) ; « Jésus  envoie ses disciples dans le monde entier comme des brebis aux milieux des loups, en leur demandant  de se montre malins comme des serpents et candides comme des colombes » (Mt 10/16) ; « Rengaine le glaive car tous ceux qui prennent le glaive périront par le glaive » (Mt 26/51-52) ; « Un garde gifla Jésus  : « Si j’ai mal parlé montre où est le mal ; mais si j’ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu ? » (Jn 18/22). Si les chrétiens, aux trois premiers siècles de l’Eglise, ont en conséquence de leur foi refusé le service des armes, leur ralliement à l’Etat constantinien, à partir du IVe siècle, les a conduit à considérer la guerre comme « un moindre mal » quand il s’agit de s’opposer à une invasion étrangère. Saint Bernard affirmait par exemple au XIIe siècle que les soldats chrétiens sont les ministres de la justice de dieu, chargés de poursuivre les méchants… la mort qu’ils donnent est le profit du Christ… ». Il faudra donc attendre le XIXe siècle et la fin des guerres de religion pour qu’une volonté laïque de paix puisse s’exprimer.

Frédéric Passy (1822-1912) est un parlementaire français qui consacra sa vie à l’idéal pacifiste. En 1867, il crée la Ligue Internationale de la Paix qui deviendra en 1870 la Société française d’arbitrage entre les nations (ancêtre de l’ONU). En 1889, il institutionnalise avec le Britannique William Randal Cremer de l’Union interparlementaire, l’organisation mondiale des Parlements des Etats souverains qui a pour but de rechercher les moyens de régler les différends entre Etats autrement que par la force. En 1891, il organise le 1er Congrès universel de la paix : rencontres de sociétés nationales de la paix qui aboutit dès 1894 à la constitution d’une organisation permanente dotée d’un secrétariat : le Bureau International pour la paix. En 1901, F.Passy est co-titulaire avec Henri Dunant (fondateur de la Croix-Rouge), du premier Prix Nobel de la Paix. Qui connaît F.Passy ? Nous avons là la preuve que le militarisme est omniprésent, le pacifisme ignoré par les systèmes d’éducation.

Le pacifisme est donc une notion récente dont E.Faguet donnait la définition suivante en 1908 : « Doctrine de ceux qui croient à la possibilité d’établir une paix universelle et qui s’efforcent d’en préparer l’avènement ». Les militants pacifistes se sont engagés dans trois voies : refus de participer aux actes de violence, effort pour essayer de supprimer les causes de la guerre, conception d’un régime de « paix par le Droit », fondé sur les règles juridiques et animé par des institutions internationales. D’après J.J.Becker, ses partisans croient au triptyque : « désarmement, arbitrage, sécurité collective » que l’on va retrouver dans « l’esprit de Genève ». Mais le pacifisme reste encore marginal, le soutien du mouvement marxiste n’aura ouvert qu’une brève parenthèse, faisant mentir le mot d’ordre : « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous. »

L’Internationale Socialiste (fondation de la première internationale en 1864) aurait pu être une force de paix, mais elle est divisée en deux écoles. Pour la première, jamais la solidarité nationale ne doit l’emporter sur la solidarité internationale. L’objectif est donc d’éviter la guerre. Il existe toutefois une subdivision au sein de cette première conception. Certains autour de Lénine pensent qu’il faut empêcher la guerre. Mais ils sont aussi conscients que la guerre peut servir à installer le socialisme plus rapidement. D’autres veulent éviter la guerre sans aucune arrière pensée (Jean Jaurès en France). Une motion de la CGT en 1912 précise : « En cas d’aventure guerrière, le devoir de tout travailleur est de ne pas répondre à l’ordre d’appel et de rejoindre son organisation de classe pour y mener la lutte contre ses seuls adversaires : les capitalistes. » Le 20 mai 1913 craignant des débordements antimilitaristes, le gouvernement interdit la manifestation annuelle à la mémoire des communards qui devait se dérouler au Père-Lachaise. Pour contourner cette décision, la SFIO appelle à manifester le dimanche 25 mai au Pré-Saint-Gervais ; la manifestation en mémoire de la Commune se transformera en un vaste meeting pacifiste conçu comme le point d’orgue de la campagne contre le rétablissement de la loi de trois ans de service militaire.

Mais la seconde conception marxiste pense au contraire qu’il y a des cas où les socialistes doivent « se rattacher » à la guerre. C’est cette option qui l’emportera avec le début de la Première Guerre mondiale, les partis socialistes européens se rallient à l’Union sacrée au nom de la défense de la patrie. Le XXIe congrès universel de la Paix devait se tenir à Vienne du 15 au 19 septembre 1914, il n’eut pas lieu. Le pape Benoît XV, élu en septembre 1914 – un mois après le début de la guerre – n’eut qu’un but : le rétablissement de la paix. Il s’est heurté à une incompréhension totale. Pire, on accusera plus tard le pacifisme en France et en Angleterre d’être responsable du déclenchement de la deuxième Guerre mondiale. Lors des élections législatives de 1936, en pleine période de tension internationale (remilitarisation de la Rhénanie), le slogan du Front populaire est « pain, paix, liberté ». Roger Martin du Gard en 1936 dans le dernier tome des Thibault : « Tout plutôt que la guerre ! Tout ! Tout même Hitler, plutôt que la guerre ». En 1938, après Munich, un sondage de l’IFOP indique que 57 % des Français sont satisfaits de ces accords. Pour M.Vaisse, « la période 1930-1936 est une période d’affaiblissement de l’armée française, due en premier lieu aux difficultés financières et économiques, ensuite à l’instabilité politique, enfin au développement du pacifisme. »

Après les deux guerres mondiales, les conditions deviennent plus favorables à l’expression des forces de paix. L’Organisation des Nations unies (ONU ou encore Nations unies) est une organisation internationale fondée le 26 juin 1945 pour résoudre les problèmes internationaux. Cette nouvelle institution internationale est destinée à garantir la paix et la sécurité dans le monde issu de la Seconde Guerre mondiale, et se dote d’une force militaire d’intervention (les casques bleus) afin de ne pas souffrir de la même impuissance que la Société des Nations dans l’entre-deux-guerres. Mais étant donné le rôle dévolu au Conseil de sécurité, ce projet repose sur l’entente supposée des cinq membres permanents, les États-Unis, l’U.R.S.S., la Chine, le Royaume-Uni et la France qui disposent chacun d’un droit de veto. La logique de guerre froide qui s’impose à partir de 1947 limite par conséquent la marge de manœuvre de l’O.N.U., qui ne peut éviter l’éclatement de nombreux conflits périphériques dans la seconde moitié du XXe siècle. Aujourd’hui, l’ONU fait essentiellement de l’humanitaire. L’article 1 de la charte des Nations unies stipule pourtant les buts suivants :

« Maintenir la paix et la sécurité internationales et à cette fin : prendre des mesures collectives efficaces en vue de prévenir et d’écarter les menaces à la paix et de réprimer tout acte d’agression ou autre rupture de la paix, et réaliser, par des moyens pacifiques, conformément aux principes de la justice et du droit international, l’ajustement ou le règlement de différends ou de situations, de caractère international, susceptibles de mener à une rupture de la paix;

« Développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes, et prendre toutes autres mesures propres à consolider la paix du monde;

« Réaliser la coopération internationale en résolvant les problèmes internationaux d’ordre économique, social, intellectuel ou humanitaire, en développant et en encourageant le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinctions de race, de sexe, de langue ou de religion.

« Etre un centre où s’harmonisent les efforts des nations vers ces fins communes. »

L’expérience nous montre malheureusement que la voie de la sagesse ne peut venir du haut des Etats. Il faut une manifestation médiatique ou une mobilisation populaire pour forcer la paix. Depuis les années 1960 se manifestent un peu partout dans le monde des résistances à la guerre, en particulier avec la condamnation des guerres coloniales ou de la guerre du Vietnam. L’actrice américaine Jane Fonda effectue un séjour de deux semaines à Hanoï en juillet 1972 pour dénoncer la politique américaine au Vietnam. Sur « Radio-Hanoï » elle exhortera les G.I américains à cesser les bombardements sur le Nord Vietnam. Elle ira même jusqu’à à monter sur le siège d’un canon anti-aérien nord-vietnamien coiffée d’un casque militaire. L’action de Jane Fonda au Vietnam sera violemment dénoncée par la classe politique américaine qui verra en elle le symbole de l’antipatriotisme.

Une autre voie de résistance à l’armée  est systématisée par des mouvements d’extrême gauche en France condamnant l’arme de classe au service du pouvoir ; l’armée embrigade la jeunesse, réprime les mouvements populaires, maintient à l’extérieur l’impérialisme capitaliste. En janvier 1970, le secrétaire d’Etat à la défense insista sur « la nécessité d’organiser l’armée de façon à éviter tout retour aux événements qui ébranlèrent la nation en mai 1968 ». L’ordonnance n° 59-147  du 7 janvier 1959 portant organisation générale de la défense définissait celle-ci comme « un état permanent qui prévoit et permet de mobiliser et réquisitionner militaires et  civils, hommes et femmes, sous la même autorité et avec les mêmes obligations en cas de menace ». Or la signification du terme « menace » n’est pas précisé. Ainsi la grève des mineurs des Charbonnages de France en 1965 a été considérée comme telle. Certains groupes n’ont pas manqué d’utiliser le « malaise des armées » pour essayer de faire comprendre aux jeunes officiers et sous-officiers que leur rôle était d’être au service du peuple et non de la minorité qui détient le pouvoir. En temps normal, le contingent est mis à l’écart  et ne bénéficie d’aucune marge de manœuvre pouvant lui permettre de jouer un rôle important. Cependant certains groupes révolutionnaires ont créé des comités clandestins de soldats, diffusant des journaux et des tracts.

Les multiples coups d’Etat montrent aussi de façon évidente que l’armée est très souvent employée par les gouvernements comme force de répression interne. Les problèmes militaires doivent retenir toute l’attention des militants, qu’ils soient sous le drapeaux ou non, ne serait-ce que parce que l’armée peut, par un seul coup de force, anéantir, comme au Chili de Pinochet, des dizaines de milliers de vies humaines et plonger un pays dans la dictature la plus totale. Désobéir par l’objection de conscience paraît donc une nécessité.

22. la résistance au service militaire : l’objection de conscience

La « désobéissance civile » est considérée comme une démarche collective et politique, à la différence de « l’objection de conscience » qui est assurément une démarche individuelle de refus n’ayant pas vocation initiale à créer un rapport de force, mais à permettre à l’individu de poser un acte par lequel il reste en accord avec sa conscience. Parce qu’elle est une contestation de la loi sociale au nom des impératifs de la conscience individuelle, l’objection de conscience pourrait être vue comme une attitude antisociale, une rupture du contrat tacite qui prévoit un certain nombre de contraintes pour le citoyen en échange des avantages d’une appartenance collective. Pourtant l’objecteur de conscience, sauf cas exceptionnel, ne se soucie pas avant tout de se démarquer des traditions sociales : il veut montrer une voie autre à la communauté dont il est membre. Il n’hésite pas à s’opposer à la majorité des citoyens ; au nom précisément du bien social que selon lui ils ne respectent pas. Une telle attitude a émergé lentement au cours des siècles.

Dans la cité antique, la notion de conscience morale individuelle était inconnue en tant que telle, dans la mesure où elle coïncidait avec la conscience civique : l’individu était totalement absorbé dans la cité, et il était impensable qu’il puisse se démarquer, d’autant que les croyances civiques coïncidaient avec les croyances religieuses. Avec l’avènement du christianisme peut surgir les conditions d’un conflit entre la conscience morale et la volonté des gouvernants dans la mesure où toute autorité est considérée comme venant de Dieu. Le refus du service armé, ainsi que du serment à l’empereur a constitué la position officielle de l’Eglise jusqu’en 314, date du Synode d’Arles. On officialise une distinction subtile : le chrétien pouvait militare (accomplir un service militaire), mais il lui était interdit de bellare (prendre part à une guerre). Cette distinction trop fragile devait bientôt disparaître. Depuis le ralliement à l’empereur Constantin, les Eglises sont unanimes à reconnaître, en cas de conflit entre un citoyen et l’Etat, une présomption de droit en faveur de ce dernier. Le temps a passé, des centaines d’années de guerres et de souffrances. Seuls quelques mouvements isolés ont préservé une objection de conscience, d’origine religieuse.

Les sectes issues de la réforme, par exemple les Anabaptistes, qui prêcheront dès le XVe siècle l’observation à la lettre des prescription du Nouveau Testament concernant le refus des serments et de devoir de ne pas résister au mal. Mais cette objection serait plutôt la réaction de défense d’une communauté close, plus soucieuse de la préservation de sa propre culture que de la transformation de la société où elle se trouve. Une exception cependant, celle de William Penn, converti au quakerisme, et qui reçut du roi Jacques II un vaste territoire en Amérique du Nord. Depuis sa création jusqu’en 1756, date de son rattachement à l’Union, la Pennsylvanie présente l’exemple unique dans l’histoire d’un Etat sans armée, pratiquement sans prison, où régna la plus grande liberté religieuse, où l’exercice de la démocratie était volontairement limité aux domaines où la conscience individuelle ne suffisait pas à  résoudre les problèmes de la communauté. Le premier service civil fut institué en 1875 pour les Mennonites, qui devaient servir sur des chantiers forestiers. Une législation en faveur des objecteurs présentant une demande à titre individuel a été adopté en 1902 en suède, 1916 en Grande Bretagne, 1917 au Canada, aux Etats-Unis et au Danemark. En France, on fusillait les objecteurs de conscience en 1917. Durant le première guerre mondiale, une forte proportion d’objecteurs « absolutistes » refusèrent toute affectation car cela libérerait autant d’homme valides pour un service combattant. Il faut remarquer que les pays qui ont adopté un statut pour les objecteurs sont des pays de forte tradition protestante avec libre examen des Ecritures. La pratique de désobéissance résulte du libre examen des lois qui nous gouvernent, ce qui implique une capacité de distanciation par rapport à la tradition.

Normalement toutes les guerres devraient nous amener à refuser l’armée, mais seul quelques rares personnes se sont exprimées en ce sens dans un contexte non religieux. Le plus explicite parmi les personnes célèbres est Albert Einstein :  « La pire des institutions grégaires se nomme l’armée. Je la hais. Si un homme peut éprouver quelques plaisir à défiler en rang au son d’une musique, je méprise cet homme… Il ne mérite pas un cerveau humain puisqu’une moelle épinière le satisfait. Je hais violemment l’héroïsme sur ordre, la violence gratuite et le nationalisme débile. La guerre est la chose la plus méprisable. Je préfèrerais me laisse assassiner que de participer à cette ignominie. Je soutiens que le moyen violent du refus du service militaire reste le meilleur moyen. Il est préconisé par des organisations qui, dans divers pays, aident moralement et matériellement les courageux objecteurs de conscience. Dans tous les pays du monde, de groupes industriels puissants fabriquent des armes ; et dans tous les pays du monde, ils  s’opposent au règlement pacifique du moindre litige international. Mais contre eux les gouvernants atteindront l’objectif de la paix entre les nations quand la majorité des électeurs les appuiera énergiquement. » [Comment je vois le monde – Flammarion, 2009]

Si l’Eglise réformée de France affirma en 1948 la légitimité de l’objection de conscience et réclama un statut pour les objecteurs, il fallut attendre le concile Vatican II pour voir l’Eglise catholique se pencher sur ce problème. Et encore, la recommandation adoptée déclarait simplement qu’il semblait « équitable que les lois pourvoient humainement au cas des objecteurs de conscience ». On donne l’impression d’un appel à l’indulgence en faveur de sujets qui se sont rendus coupables de quelque méfait ! Au niveau collectif, seule l’Allemagne a tiré enseignement après-guerre de son expérience du nazisme. La Constitution allemande déclare en effet explicitement en son article 4 : « Nul ne peut être contraint d’accomplir contre sa conscience un service militaire armé. » En France, il faut attendre la fin de la guerre d’Algérie et l’action du pacifiste Louis Lecoin pour que le gouvernement fasse voter par le Parlement un statut des objecteurs de conscience qui reconnaissait aux appelés le droit de ne par être soldat, mais d’accomplir un service civil. Louis Lecoin avait été condamné en 1908 par un tribunal militaire pour objection et refus d’obéissance à l’intérieur de l’armée. A l’âge de 74 ans, Louis Lecoin entreprit le 28 mai 1962 une grève de la faim. Le statut a été officiellement promulgué le 21 décembre 1963.

Ce statut est très en retrait par rapport à ce qui était défini par le Comité de secours aux objecteurs de conscience de Louis Lecoin, avec Albert Camus qui tiendra couramment la plume et présenté au gouvernement le 15 octobre 1958 :

« Les OC ne peuvent accepter qu’on les mette dans le cas de détruire leur semblable ni qu’on leur impose le port de l’uniforme ou le maniement d’aucune arme. Leur refus est absolu et ne s’autorise jamais de la conjoncture politique. Toute guerre, de quelque façon qu’elle se présente, quel que soit le jeu des alliances qu’elle met en cause, ne saurait recevoir d’approbation de leur part. Il n’est rien dans l’attitude des OC qui ne puisse être rattachée aux aspirations les plus généreuses du pays. Il est évident que les OC appelés dans le Service civil international ou dans la Protection civile ne pourraient, en aucun cas, être employés à des tâches militaires ou paramilitaires. Leur mission essentielle consisterait dans la prévention de certains fléaux et dans le secours à apporter aux populations victimes de catastrophes. »

D’où ce projet d’ordonnance :

Article premier : l’objecteur de conscience est celui qui, en raison de ses convictions philosophiques, religieuses ou purement pacifistes, se déclare opposé à toute violence dans le règlement de tout différend entre nations et qui se refuse, en conséquence, pour motifs de conscience, à l’accomplissement du service militaire et à répondre à un ordre de mobilisation, tout en étant prêt à fournir un service civil de remplacement.

Article 3 : si, au cours de l’accomplissement des obligations militaires, une jeune recrue demande à bénéficier des dispositions prévues aux articles précédents, sa requête sera transmise à la commission d’affectation qui en délibérera à sa plus prochaine réunion.

En juin 1971, le statut officiel fut légèrement amélioré et englobé dans le code du service national. Il faut se déclarer opposé en toutes circonstances à l’usage personnel des armes en raison de convictions religieuses ou philosophiques. Cela écarte ceux qui refusent le service militaire pour des raisons politiques ou qui n’hésiteraient pas à se servir d’armes dans certaines circonstances. La demande de Dominique Valton fut rejeté parce qu’il avait invoqué son refus de toute collaboration avec un régime d’oppression. De même pour François Hénaff car sa demande contenait une « critique politique de l’armée ».

C’est pourquoi « l’opération 20 » a été tentée avec succès. A l’origine, une vingtaine d’objecteurs de conscience se sont engagés à envoyer le même texte à la commission juridictionnelle, soulignant ainsi le caractère collectif de leur démarche. Après deux ans de lutte, plusieurs mois de prison pour certains, des recours en Conseil d’Etat, la commission juridictionnelle a été en fin de compte obligée d’admettre leur demande. Première lettre : « Je m’oppose en toutes circonstance à l’usage personnel des armes, en raison de mes convictions philosophiques. En conséquence, je vous prie de me faire bénéficier des dispositions de la loi n° 71-424 du 10 juin 1971. » Réponse de la commission : « …Pour permettre d’étudier votre demande, vous voudrez bien me faire connaître les raisons qui vous incitent à refuser d’accomplir les obligations légales d’activités qui vous sont imposées par la loi du… » D’où une deuxième lettre standard, dite la pelle et la pioche  :

« Je me déclare opposé à l’usage personnel des armes. C’est là une attitude de principe dans laquelle j’engage ma personnalité toute entière. En effet, mes armes sont la pelle et la pioche pour l’élaboration d’un monde meilleur où tous les hommes qu’ils soient noirs, jaunes, rouges, blancs pourront vivre en paix, libres et heureux. Je suis au service de l’humanité toute entière sans aucune distinction de race, de nation, de religion, d’éthique. Etant profondément épris de liberté, je ne pense pas pouvoir m’épanouir pleinement dans le cadre de l’armée. Je ne pense pas utile, Monsieur le Ministre, d’étayer davantage mon argumentation… » Si la commission insiste, il fut décidé de rédiger ainsi une dernière lettre :

« Suite à la lettre de la commission juridictionnelle du…, je réaffirme que mes convictions profondes sont entièrement exprimées dans mes précédents déclarations. La seule preuve que je puisse apporter de ma sincérité est la façon dont j’assume mes convictions vis-à-vis des pressions ou poursuites que j’ai subies ou que j’aurai à subir… »

Si l’on poursuivait l’examen du statut, on rencontrait un curieux article 50 qui était un non sens juridique puisqu’il interdisait « toute propagande, sous quelques forme que ce soit, tendant à inciter autrui à bénéficier des dispositions de la loi, dans le but exclusif de se soustraire aux obligations militaires ». Or par définition, nul n’est censé ignorer la loi, l’information est obligatoire. Cela n’a pas empêché le journal Fais pas le zouave, qui avait publié le texte du statut, d’être condamné en juin 1972 à 800 F d’amende. Le résultat de toutes ces entraves est que chaque année des objecteurs sont poursuivis, emprisonnée et condamnés. Cela entraîne la solidarité militante, grèves de la faim, manifestations, protestations diverses, médiatisation. Cependant ce mouvement d’objection est resté marginal. Il n’y a eu en France que 705 demandes de statut entre 1964 et 1970 et 621 en 1971. D’autres pays ont cependant une autre conscience des choses : en Allemagne, le nombre des objecteurs est passé de 6 000 en 1967 à 35 000 en 1972. Après près de 10 années d’efforts, en 1989, le droit à l’objection de conscience au service militaire a été reconnu par l’ONU comme découlant du droit de la liberté de religion et de conviction dans sa résolution 1989/59. Le 15 mai, c’est la Journée de l’objection de conscience.

Aujourd’hui au niveau international, la plupart des objecteurs de conscience encore en prison sont des témoins de Jéhovah, en particulier dans les pays où le service militaire est une condition essentielle de loyauté envers l’Etat : La République de Corée (Corée du Sud) et la Turquie. A l’exception des Témoins de Jéhovah, l’accent est mis aujourd’hui moins sur le refus individuel que sur l’action non-violente collective.

Avec l’abolition du service militaire ou la conscription dans de nombreux pays européens et Amérique du Nord, la question devient  aujourd’hui moins centrale, ce qui est une illusion : le service militaire est seulement suspendu (en France pour tous les jeunes nés après 1979). La fin de la conscription dans un pays ne devrait donc pas marquer la fin de l’objection de conscience. En France depuis 1997, la journée d’appel de préparation à la défense (JAPD) est obligatoire pour les garçons comme pour les filles si tu souhaites pouvoir passer un diplôme, devenir fonctionnaire, décrocher le permis. En 2011, JAPD devient JDC (Journée Défense et Citoyenneté), mais le contenu reste le même.  C’est présenté comme la troisième étape du parcours citoyenneté : cela commence en France avec l’éducation nationale qui dispense quelques cours (théoriques) sur les principes et l’organisation de la défense. On continue avec l’obligation de se faire recenser en mairie, prélude à l’inscription à 18 ans sur les listes électorales. Enfin la journée proprement dit « qui permet de rappeler à chacun que la liberté, sur notre territoire, mais également en Europe et sur d’autres continents, à un prix ». Mais ce prix, c’est l’existence de l’armée ! Tu restes donc au terme de cette JAPD un appelé, c’est à dire en cas de conflit quelqu’un de mobilisable sous l’étendard de la « Mère Patrie ». C’est pourquoi nous te recommandons d’adresser une lettre de ce type aux autorités compétentes en matière de JAPD :

« Dans le contexte actuel de suspension de la conscription, l’appel sous les drapeaux peut être « rétabli à tout moment par la loi dès lors que les conditions de la défense de la Nation l’exigent ou que les objectifs assignés aux armées le nécessitent » (Loi portant réforme du service national du 28 octobre 1997, L. 112.2).

« Selon mes informations, l’objection de conscience est un droit reconnu par les articles L. 116.1 à L. 116.9 du Code du Service National dont les dispositions ne sont pas abrogées, mais simplement suspendues par la loi n° 97.1019 du 28 octobre 1997 portant réforme du Service National. Cela signifie que les personnes concernées ne pourront demander à bénéficier de ces dispositions qu’au moment du rétablissement de l’appel sous les drapeaux. En cas d’appel sous les drapeaux redevenu obligatoire « si les conditions de la défense de la Nation l’exigent », il pourrait être difficile pour les services compétents de traiter dans l’urgence et massivement des demandes d’objection de conscience.

« C’est pourquoi je désire manifester dès maintenant mon refus d’un service militaire armé pour motif de conscience et vous remettre ma demande de bénéficier du droit à l’objection de conscience exprimés dans les articles L.116.1 à L.116.9. Mes convictions basées sur la recherche de la bonne entente collective me conduisent à d’autres formes d’engagement pour la nation et les peuples qu’un service militaire armé qui redeviendrait obligatoire.

« Je vous prie d’ajouter ce courrier à mon dossier de cette Journée d’Appel de Préparation à la Défense et j’en garderai copie moi-même. »

Comme une action individuelle n’est jamais qu’un moment de l’action collective, nous te conseillons d’envoyer copie de cette lettre à un mouvement qui peut coordonner les actions, par exemple en envoyant un mail à l’adresse des désobéissants (manifeste@desobeir.net) en précisant tes coordonnées.

23. la résistance à l’arme nucléaire

Dans le programme du premier candidat écologiste René Dumont pour les Présidentielles de 1974, il était écrit : « Nous refusons de continuer à faire des bombes atomiques et à gaspiller la majorité des chercheurs en recherche militaire. » mais la dissuasion nucléaire compte encore aujourd’hui pour 10 % du budget global de la défense nationale en France et pour 25 % des crédits d’équipement. La bombe est l’aboutissement ultime de l’évolution technique qui dépossède les humains de leur autonomie. Force de frappe dite « dissuasive », cette bombe est uniquement un moyen d’agression, et, fait nouveau par rapport aux guerres traditionnelles, elle est destinées aux populations civiles ; ce qui devrait poser un problème de conscience aux militaires eux-mêmes. Au Moyen Age, on connaissait surtout des armes défensives, cotte de mailles, cuirasses, murailles, doubles et triples courtines, etc. Avec le canon et le mousquet, la prédominance des armes offensives se profile, la cuirasse se défonce et les murailles s’écroulent. La Première guerre mondiale marque le renoncement à toute défense, les mitrailleuses fauchent les hommes et les chars d’assaut forcent les tranchées. L’épée était l’arme noble par excellence, elle était offensive par sa seule pointe, et par tout le reste défensive. La bombe atomique est l’arme ignoble par définition puisque sans parade. Si la légitimité de la lutte, c’est la défense, alors l’arme absolue qui s’impose sans protection possible est absolument mauvaise. Exterminer l’ennemi de façon massive, de loin et sans même l’avoir vu, adultes et enfants indistinctement, c’est le contraire de toute guerre juste, de tout honneur et de toute gloire. La possession de l’arme nucléaire par la France et autres puissances étatiques devrait entraîner une réprobation unanime.

Désobéir à la bombe a déjà été traité dans Désobéir au nucléaire. Nous rappelons que désobéir à la bombe, c’est aussi désobéir à l’énergie nucléaire. Un réacteur de 1000 MW produit en un an autant de  déchets de longue durée que 1000 bombes d’hiroshima. On ne peut distinguer nucléaire civil et nucléaire militaire, une centrale nucléaire n’étant qu’un sous-produit de la recherche militaire depuis le projet Manhattan qui a permis de rayer d’un seul coup deux villes japonaises. Technologie et matière sont les mêmes et les déchets des centrales peuvent alimenter les bombes. Le Commissariat à l’énergie atomique gère d’ailleurs indistinctement le civil et le militaire. Les deux sont des institutions centralisées, opaques, régies par des technocrates, relevant du secret d’Etat. Le rapport Roussely sur « l’évolution du nucléaire civil à l’horizon 2030 » dort depuis deux mois, estampillé secret-défense, dans le coffre fort de l’Elysée [Le Monde du 29 juin 2010]

Désobéir pour la paix en contestant la bombe a été l’œuvre des scientifiques comme des citoyens. Le physicien Josef Rotblat démissionne du projet Manhattan (construction de la première bombe atomique) lorsqu’il en comprend les implications morales. Son collègue Léo Szilard initie en juillet 1945 une pétition conjurant le président Truman de ne pas utiliser la bombe nucléaire contre des populations civiles. En France, le physicien Frédéric Joliot-Curie lance en 1950 l’appel de Stockholm. Cette pétition recueille 10 millions de signatures en France, et plusieurs centaines de millions dans le monde, pour l’interdiction de la bombe atomique, « arme d’épouvante et d’extermination des populations ». En 1960, le mathématicien Bertrand Russel lance un appel « Agis ou péris », qui invite à la désobéissance civile.

L’objection de conscience peut prendre la bombe atomique comme motivation de désobéissance. Ainsi cette déclaration dans les années 1970 qui garde tout son sens, intemporel: « Je ne me sens aucun lien particulier avec un pays dont la devise « Liberté, Egalité, Fraternité » est une triste plaisanterie quand on sait que la France est le deuxième vendeur d’armes du monde et fait régulièrement des essais de bombe atomique, prouvant ainsi son esprit de « fraternité » en risquant la mort ou la maladie grave pour les habitants d’autres pays. Je considère que c’est une folie que de vouloir faire reposer la paix ou tout au moins ce qu’il en reste sur un équilibre de forces, exigeant des dépenses de plus en plus importantes au profit d’un matériel dont le but avoué est de ne pas être utilisé, renforçant le déséquilibre entre nations riches capables de se payer un armement nucléaire et nations pauvres. » Cette demande d’obtention du statut d’objecteur de conscience avait été refusée, puisque d’ordre politique ! Au milieu des année 1980, le physicien nucléaire israélien Mordeshaï Vanunu révèle l’existence du programme nucléaire israélien, qu’il ne veut plus soutenir. En septembre 1980, des  catholiques détruisent plusieurs enveloppes de missiles au marteau sur un site de fabrication de têtes nucléaires. Le mouvement Plowshare est né, qui tente de réaliser la prophétie biblique invitant à transformer l’épée en soc de charrue.

En 1983, le mouvement pour une alternative non violent (MAN) lance une campagne d’auto-réduction de l’impôt de 3 % – l’équivalent de la part du budget de la défense nationale consacrée à l’arme atomique –  pour protester contre la construction d’un septième sous-marin nucléaire lanceur d’engins. Devant le PC nucléaire français à Taverny, Théodore Monod renouvelait les jeûnes qu’il s’imposait à chaque anniversaire de la bombe d’Hiroshima. Les désobéissants pour la paix ne sont pas assez nombreux, pourtant les modes d’action sont innombrables. Au milieu des années 1970, sans aucun débat public, la France fait le choix de la construction massive de centrales nucléaires. L’opposition à la construction des centrales commence. Lire la suite dans Désobéir au nucléaire…

Tous ces mouvements, s’ils sont restés isolés jusqu’à présent, devraient prendre de l’ampleur, cela ne tient qu’à chacun de nous. Ainsi, après 4 années de lutte acharnée et d’actions de désobéissance civile, le premier procès des opposants à la relance de l’arme nucléaire en France se tiendra le 8 septembre 2010 à Mont de Marsan. Les 7 activistes collectif pacifiste « non au missile M51 » poursuivis avaient occupé le radar principal du Centre d’Essai et de Lancement de Missiles (CELM) des Landes, à Biscarrosse, le 1er décembre 2009. Ce jour-là, la France s’apprêtait à procéder à un nouveau tir d’essai -le 4ème- du nouveau missile nucléaire français, le M51. Ce tir devait être le premier tir en conditions réelles, effectué depuis le sous marin nucléaire « Le Terrible », en baie d’Audierne, et suivi et supervisé par le CELM. Le tir avait finalement été reporté.

Depuis 2006, les militants du collectif « Non au missile M51 » tentent d’empêcher ces tirs d’essai en intervenant physiquement sur les lieux du tir ou en essayant de perturber le bon fonctionnement des instruments de mesure du CELM (occupation du radar, lâcher de ballons « métallisés »). Le collectif réaffirme sa détermination à mener toute les actions non-violentes nécessaires pour contraindre les autorités de notre pays à respecter leurs engagements vis à vis de la communauté internationale et oeuvrer à un véritable désarmement nucléaire.

24. la résistance au commerce des armes

Dans le programme du premier candidat écologiste René Dumont pour les Présidentielles de 1974, il était écrit : « Chaque fois que vous prenez votre voiture pour le week-end, la France doit vendre un revolver à un pays pétrolier du Tiers-Monde. » Les dépenses militaires du Sud représentaient dans les années 1990 trois fois et demi le montant de l’aide publique au développement versée au tiers monde par les 18 Etats les plus riches de la planète. Alors que le Nord commence à réduire timidement les budgets militaires, les élites du tiers-monde continuent à acheter les armes que les pays industrialisés bradent. On constate que dans de nombreux pays, la militarisation alimente l’insécurité. Chaque année, 500 000 civils sont tués par des armes légères, soit une personne par minute. En l’absence de réglementation sur le commerce mondial des armes est alarmante, les gouvernements répressifs obtiennent les moyens de leur répression, comme les auteurs de violations des droits humains et les criminels. Face à ce constat, une campagne internationale avait été lancée dans plus de 50 pays le 9 octobre 2003 à l’initiative de 3 ONG : Oxfam, RAIAL et Amnesty International, avec le soutien de 19 prix Nobel de la paix. Cette campagne visait à convaincre les gouvernements d’adopter un traité sur le commerce des armes, qui ferait force de loi lors de la prochaine conférence des Nations unies sur les armes légères.

Du 26 juin au 7 juillet 2006, à New York, la Conférence de révision des Nations unies sur le commerce illicite des armes légères s’est tenue au siège de l’Onu. En raison du blocage de quelques pays – Cuba, Inde, Iran, Israël, Pakistan, mais aussi États-Unis, aucun accord sur un système mondial de contrôle n’a pu se dégager. Face à ce blocage étatique, des mouvements comme la COVA (Campagne d’opposition aux ventes d’armes) qui depuis 1988 participait au Réseau européen contre les ventes d’armes ont un impact dérisoire. Pour la fermeture d’Eurosatory, supermarché de la mort qui se tient tous les deux ans à Paris, il y eut une intense mobilisation en 1998 : des protestataires venus d’Angleterre avec CAAT (Campaign Against Arms Trade), d’Italie avec le groupe VERDI (jeunes verts), des Pays Bas avec l’association d’objecteurs AMOK avaient rejoint les groupes français COT, APOC, CLOC, MOC et CNT ainsi que quelques représentants du MAN et de l’Union Pacifiste. En l’an 2000 le collectif pour fermer Eurosatory était composé de plus de 50 groupes. En 2010, seul un petit rassemblement contre les Profiteurs de guerre et les Marchands d’armes était prévu le 15 juin à 18h à Paris au Mur de la Paix (Champ de Mars).

La propagande de masse et l’armée sont au service des possédants, de l’appareil militaro-industriels, des marchands d’armes. Les médias étouffent la contestation et nous font oublier que les armes servent à tuer et que ceux qui les vendent planifient des massacres. Mais il en est de la désobéissance pour la paix comme des autre formes de désobéissance, il n’est pas besoin de gagner pour persévérer. Et les formes d’action sont innombrables.

3. Agir

On ne se découvre pas du jour au lendemain réfractaire à l’ordre militaire et militant pour la paix. Il faut savoir cultiver son sens personnel des valeurs contre le poids de l’autorité. Il faut qu’il y ait une attitude renouvelée de remise en cause de l’ordre existant. Il faut donc accéder à l’état d’autonomie. A chacun de prendre ses responsabilités, voici une histoire qui peut servir d’exemple avant d’aborder les différentes modalités de l’action collective.

31. agir par l’action individuelle

La résistance personnelle à la militarisation des esprits peut prendre des formes multiples. Prenons l’exemple de l’insoumission au service civil au début des années 1970. Alors que le choix de l’organisme civil était assez libre grâce aux actions passées des objecteurs de conscience, un décret du 17 août 1972 les affecte d’office la première année à des chantiers forestiers contrôlés par l’Office national des forêts. Cette affectation imposée est suivie le 2 septembre 1972 par la publication du décret de Brégançon, un règlement disciplinaire particulièrement sévère pour des personnes censées travailler dans le civil.

Réunis à Bièvre, le premier « contingent » de 136 « recrues » décide pour plus de la moitié de désobéir à une affectation  à l’ONF. A l’hôpital Boucicaut, ils refuserons aussi majoritairement d’être pris en photo ainsi que la radio des poumons et ils envoient au ministre de la défense une lettre standard le 25 septembre 1972 motivant leur refus :

«  Le travail que nous projetions de faire dans les associations auprès des plus déshérités de notre société s’inscrit dans un engagement global de notre part. Nous estimons que ce témoignage de notre part qui repose sur notre volonté de paix sera infiniment plus d’« intérêt général » que de travailler à l’O.N.F financièrement prospère et qui, elle, peut se permettre de payer des employés. Nous n’avons toujours  pas reçu l’assurance que notre présence à l’ONF ne concurrencerait pas la main d’ouvre salariée.

D’autre part, nous considérons que le décret du 17 août 1972 nous impose une discipline militaire, un embrigadement que nous avons refusé en demandant le statut d’objecteur de conscience. Les droits élémentaires de tout civil dans une démocratie sont de pouvoir exprimer ses idées, de pouvoir se réunir, se syndiquer s’il travaille, etc. Ce décret nous assimile bien davantage à des militaires qu’à des civils. Pour ces raisons nous refusons d’accomplir le service national qui nous est demandé aujourd’hui, et nous le refuseront tant que les affectations d’office seront maintenus et que le décret du 17 août 1972 ne sera pas abrogé. N’ayant aucunement été consulté pour cette décision et étant en total désaccord avec elle, nous avons l’honneur de vous demander une audience afin d’examiner ensembles les solutions possibles à ce problème… »

Cet acte d’insoumission au service civil repose sur l’action des individus qui réfléchissent et agissent avec d’autres mais la résistance peut être exprimée par un seul individu. Comme l’exprimait Thoreau : « Tout homme qui a raison contre les autres constitue déjà une majorité d’une voix ». Un des insoumis à l’« usine à bois », Michel Sourrouille, était revenu dans sa région et l’armée comme la justice avaient laissé pourrir la situation, intentant quelques procès de temps en temps. Puis il avait passé le concours pour devenir professeur. Un jour il a reçu une lettre du Recteur de l’Académie : « Je vous serais obligé de bien vouloir me faire parvenir toutes justifications établissant votre position au regard des lois sur le recrutement dans la fonction publique. » Tout fonctionnaire doit en effet avoir satisfait ses « obligations légales d’activité ». Son cas n’étant prévu par aucun texte, il a été amené à s’engager dans l’armée où il est toujours possible de désobéir.

On a voulu lui apprendre un chant militaire, il a refusé. Le dernier couplet faisait dire à un jeune mourant sur le champ de bataille d’une de nos colonies : « Tu diras à ma mère que nous nous retrouverons ». C’était là une référence chrétienne au paradis. L’armée devant rester neutre en matière religieuse, il ne pouvait chanter cela. Dans la cour, un gradé hurlait : « Bande de bœufs, mettez-vous en rang ». Il rétorquait aussitôt : « On n’est pas des bœufs ». On lui faisait répéter des mouvement avec un fusil. A chaque fois qu’on devait porter le fusil autrement, il demandait pourquoi. L’instructeur avait explosé au bout de quelques « pourquoi », mais il ne pouvait rien intenter, il ne savait justifier ses instructions. On lui a fait tirer au fusil ; au lieutenant qui discutait de son carton, il a dit qu’il était seul à décider vers qui il devait tirer… L’armée ne l’a gardé que 11 jours. Une armée composée d’individus qui déterminent par eux-mêmes ce qu’il faut penser et pour quoi il faut se battre ne pourrait être utilisée par aucun pouvoir politique. Michel Sourrouille a été successivement objecteur de  conscience, insoumis au service civil, puis militaire. L’essentiel est de garder en toutes circonstances sa capacité d’autodétermination et de résistance.

Si les individus étaient clairvoyants, ils n’auraient pas suivi les fantasmes de gloire de Napoléon, ils ne seraient jamais intervenus militairement en Indochine ou en Algérie, ils n’auraient pas envoyé des supplétifs en Afghanistan ou en Côte d’Ivoire. La France aurait été un pays déterminant pour éliminer toutes les armées et construire une paix durable au niveau international. Mais pour cela, il faut que la conscience individuelle soit relayée par l’action collective.

32. agir par l’action collective

Lanza del Vasto [approche de la vie intérieure, 1962] remarque que l’objecteur véritable objecte autant à la guerre qu’à la paix, dans la mesure où la paix est faite de violences sourdes, d’états d’injustice, de relations d’exploitation et de servage, dont une conscience exigeante ne peut pas plus s’accommoder que des violences éclatantes. Il y a des milliers de gens qui par principe s’opposent à l’injustice et à la guerre mais qui en pratique ne font rien pour y mettre un terme. Pourtant les moyens d’agir sont nombreux.

Connaître le droit :

L’action militante ne se codifie pas. Il serait cependant absurde, sous prétexte que c’est tout un système qui doit être renversé, de se priver des avantages de sa loi, qui correspondent à des concessions arrachés au fil des siècles par le mouvement démocratique pour une société plus juste. Il n’est pas contradictoire de s’appuyer sur la Constitution ou le Code de procédure pénale pour éviter d’être brisé. Il est également important de connaître les subtilités du droit pour en dénoncer les contradictions. Dans son livre La désobéissance civile, Henry David Thoreau s’exprimait ainsi en 1849 : « La vérité du juriste n’est pas la Vérité : elle n’est qu’opportunisme cohérent. »

Les droits qu’on revendique sont toujours d’élaboration humaine, ce qui explique que la guerre est toujours juste, doublement juste, chaque partie croyant en son bon droit. Et plus elle est juste, plus elle justifie d’atrocités. La guerre n’est jamais juste. Dans ce contexte, la désobéissance civile peut être définie comme un acte public, non violent, décidé en conscience, mais politique, contraire à la loi et accompli le plus souvent pour amener un changement dans la loi ou bien dans la politique du gouvernement. La non-violence exprime des convictions réfléchies issues des profondeurs de la conscience et justifiées par un sens de la justice largement partagé, elle exclut par principe la force brutale. Le désobéissant assume les conséquences légales de ses actes. (John Rawls)

Agir à l’intérieur de l’armée

Dans les années 1970, il y eut en France une certaine volonté d’obtenir l’application des droits démocratiques dans l’armée. L’I.D.S. (Information pour les droits du soldat) avait comme objectif de former un syndicat de soldats. Il existait à l’époque un syndicat de soldats néerlandais qui regroupait 70 % des appelés de ce pays, avec délégués élus et locaux dans les casernes. C’est une démarche intéressante car elle implique qu’une volonté guerrière n’est pas applicable sans que des contre-pouvoirs au sein de l’armée puisse s’exercer. Une brochure de 1976 déclarait explicitement : « S’il s’agit de faire partir les soldats en guerre contre les pays « socialistes », un mouvement de libération nationale du tiers-monde ou des travailleurs du pays même, nous avons le droit de juger cette mission illégitime. »

La France ne reconnaît pas aux militaires le droit de se syndiquer. Aussi convient-il de s’intéresser à la très discrète création de l’Association de défense des droits des militaires (Adefdromil), qui se donne pour objet « l’étude et la défense des droits, des intérêts matériels, professionnels et moraux, collectifs ou individuels des militaires ». Ce qui n’est rien d’autre que la définition d’une organisation syndicale. Afin de ne pas tomber sous le coup de la loi les initiateurs de l’Adefdromil ont pris soin d’être à la retraite pour faire connaître sa naissance en 2001. Mais personne ne peut interdire à un militaire de tenter de mettre sur pied un syndicat dans l’armée, le droit syndical est une longue lutte de désobéissants.

Refuser l’armée :

L’insoumission est le fait de ne pas répondre à un ordre de route, c’est-à-dire à la convocation d’appel sous les drapeaux apportée généralement par la gendarmerie.

La désertion est le fait pour un soldat déjà incorporé de s’absenter sans autorisation de son cantonnement.

Autres désobéissances militaires : Le refus d’obéissance, la révolte, la rébellion, les voies de fait et outrages, l’incitation à commettre des actes contraires au devoir ou à la discipline.

Nous ne donnons ces formes de refus que pour information. Désobéir pour la paix implique normalement le fait de ne pas s’engager dans une formation armée. La paix se construit en pacifiant la société, en oeuvrant pour le rapprochement entre les peuples, pas en cultivant la menace militaire.

Risquer la  prison :

Pour Henry David Thoreau, il « existe des lois injustes : consentirons-nous à leur obéir ? Tenterons-nous  de mes amender en leur obéissant ou les transgressons-nous tout de suite ? Si le gouvernement veut faire de nous l’instrument de l’injustice, alors je vous le dis, enfreignez la loi ». Pour aller jusqu’au bout de cette logique, il écrivait en 1849 dans son livre La désobéissance civile : « Sous un gouvernement qui emprisonne injustement, la véritable place de l’homme juste est aussi en prison ». Il avait mis en pratique son idéal, il se retrouva en prison : « Je me trouvais en plein champ d’airelles sur l’une de nos plus hautes collines, et de là on ne voyait l’Etat nulle part. C’est là toute la chronique de « Mes prisons ».

Les procès sont de toute façon une manière de mettre en valeur les actes de désobéissance. Gandhi déclarait en 1922 devant un tribunal indien : « Je suis ici pour réclamer et accepter joyeusement la peine la plus sévère qui puisse m’être infligée pour ce qui est, selon la loi, un crime délibéré, et qui me paraît, à moi, le premier devoir d’un citoyen. » François Mauriac, avant que le statut d’objecteur ne devienne légal, exprimait cette problématique : « L’Etat doit combattre sans haine, mais implacablement, l’objecteur de conscience qui, lui, doit se réjouir d’être persécuté ; car son consentement à souffrir est le signe de sa bonne foi ». Entre 1958 et 1962, 44 objecteurs de conscience furent libérés après cinq années d’incarcération. A une époque antérieure, les objecteurs français au service militaire sont restés neuf ans en prison, uniquement du fait de la « clémence » des autorités militaires qui auraient eu le droit de les garder en prison jusqu’à l’âge de cinquante ans.

Faire preuve de solidarité active

Quand l’un d’entre nous est suspect, nous sommes tous suspects. En septembre 1960, Pierre Boisgontier avait quitté la caserne, en laissant son adresse, il était déserteur. Quand le gendarme vint le chercher, il en trouva trois qui disaient : « Pierre Boisgontier, c’est moi ». Quatre autres vinrent qui dirent à leur tour : « C’est moi ». Le pauvre homme ne savait s’il devait se fâcher ou rire, il rit : « On vous embarque, vous vous débrouillerez avec le capitaine ». Le Capitaine devant ce cas sans précédents s’essoufflait à répéter un interrogatoire qui aboutissait à la même impasse. Il consulta le tribunal, revint au téléphone pour demander la caserne : «  Allô, allô ! Nous avons arrêté Boisgontier… oui mon colonel… Très bien mon colonel… mais l’embêtant, c’est qu’il y en a sept.. Oui sept : trois plus quatre… » Jo se leva alors, parla de la non-violence, de la guerre d’Algérie… Les gendarmes tendaient l’oreille, hochaient la tête… [ Technique de la non violence de Lanza del Vasto].

Cette méthode de solidarité autour d’un désobéissant pour la bonne cause peut être repris chaque fois qu’il y a arrestation. Par exemple les faucheurs volontaires non poursuivis demandaient leur inculpation lors du procès de certains d’entre eux. Imaginez un million de Français qui manifestent et demandent à être inculpés lors d’une occupation du PC nucléaire français à Taverny : la bombe atomique aurait-elle encore un grand avenir ?

Objecter à l’impôt :

Dans son livre La désobéissance civile, Henry David Thoreau s’exprimait ainsi en 1849 : «  Si un millier d’homme devaient s’abstenir de payer leurs impôts cette année, ce ne serait pas une initiative aussi brutale et sanglante que celle qui consisterait à les régler, et à permettre ainsi à l’Etat de commettre des violences et de verser le sang innocent. (Thoreau critique la guerre contre le Mexique, 1846-48, et l’Etat en général)… « Je n’ai payé aucune capitation depuis six ans ; cela me valut de passer une nuit en prison. Pas un instant je n’eus le sentiment d’être enfermé et les murs me semblaient un gâchis de pierre et de mortier.

La grève totale ou partielle de l’impôt, parfois accompagnée du versement direct à des organismes d’utilité publique, a aussi été utilisé par Gandhi lors de différentes campagnes pour l’indépendance de l’Inde. En 1971 en France, environ 80 personnes ont retiré de leur versement au percepteur une part équivalente à celle des dépenses militaires dans le budget national pour verser cette somme au Service Civil International ou à des mouvements de protection de la nature, etc. C’est une manière de désobéir pour la paix intéressante.

Objecter dans sa profession

Bien peu d’objecteurs de conscience sont susceptibles d’aller travailler dans des usines d’armement. Mais les syndicats pourraient aborder avec leurs adhérents les liens entre la guerre et l’activité des travailleurs. De même les savants et les ingénieurs ne doivent pas se désintéresser des applications pratiques de leurs recherches. Les exemples de critique de la bombe atomique par les physiciens sont assez nombreuses. Par contre les tentatives de transformer les armes pour tuer en outils pour faire vivre et les épées en socs de charrue sont peu nombreuses. En septembre 1971, les 850 travailleurs de l’usine Moncenisio, près de Turin, ont adopté à la quasi-unanimité une résolution selon laquelle ils se refuseraient désormais à fabriquer des armes. Il est toujours possible d’objecter, de désobéir ou même de démissionner de son poste quand celui-ci nous transforme directement ou indirectement en instrument de mort.

Aujourd’hui Internet permet d’autres modes d’action, on peut devenir lanceur d’alerte. Le site Internet Wikileaks, créé en 2006, a publié des milliers de documents dénonçant des méfaits perpétrés par des politiciens, des fonctionnaires et des hommes d’affaires du monde entier. Il est aussi utilisable par des militaires. Bradley Manning, américain affecté à une unité de renseignement en Irak, a envoyé des documents secrets au site Wikileaks. Parmi ces fichiers, le plus célèbre est une vidéo prise en 2007 à Bagdad par un hélicoptère de combat. On y voit l’équipage abattre à la mitrailleuse un groupe d’hommes, dont deux photographes de l’agence Reuters, puis s’acharner sur les occupants d’une camionnette qui s’était arrêté pour secourir les blessés. Ces dossiers compromettants sont envoyés par des whistle blowers ou lanceurs d’alerte, des citoyens qui prennent des risques parfois importants pour faire éclater la vérité. Malheureusement Manning, trop confiant, n’a pu resté anonyme, il est en prison [Le Monde du 16 juin 2010]. Mais pour les désobéissants pour la paix, Manning sera un héros.

Agir sur les symboles de la guerre

Pour un réfractaire à la guerre, la question de fond reste posé : est-ce que le drapeau bleu-blanc-rouge ou la Marseillaise font partie des valeurs de la République ? Si les seules valeurs à reconnaître sont les principes de liberté, d’égalité et de fraternité ainsi que la déclaration universelle des droits de l’homme, les emblèmes qui ont accompagné tant de guerres n’en font pas partie. Pourtant un délit institué en 2003 a puni de 7500 euros d’amende « le fait au cours d’une manifestation organisée ou réglementaire par les autorités publiques d’outrager publiquement l’hymne national ou le drapeau tricolore ». Tout cela parce que des supporters de l’équipe de foot algérienne eurent sifflé l’hymne national, acte compréhensible dans une manifestation sportive où les symbole nationaux n’ont rien à faire. C’est le fait de chanter la Marseillaise et d’agiter le drapeau tricolore lors d’un match de foot qui paraît au contraire obscène. Maintenant une contravention est créé par décret du 23 juillet 2010 suite à la publication d’une photo représentant un homme qui s’essuyait les fesses avec le drapeau national : 1500 euros pour « Le fait de détériorer le drapeau ou l’utiliser de manière dégradante, dans un lieu public ou même commis dans un lieu privé ». Michèle Alliot-Marie, ancienne ministre de la guerre, a pris l’initiative de modifier la loi sans passer par le parlement.

Délit ou contravention, ces lois de circonstances paraissent d’un autre âge, celui du XIXe siècle et de l’apparition des nationalismes qui ont ensanglanté l’Europe et le monde. Ces lois portent gravement atteinte à la liberté d’expression, base de la démocratie. D’autres pays respectent cette liberté, fondement de la démocratie. Les Pays-Bas ne connaissent aucune infraction spécifique portant sur l’outrage à drapeau. Aux États-Unis, dans une importante décision Texas v. Johnson , la Cour Suprême a jugé en 1989 que les réglementations sanctionnant l’outrage au drapeau (flag desecration) étaient inconstitutionnelles, car elles portaient atteinte à la liberté d’expression, reconnue et protégée par le Premier Amendement. Brûler un drapeau a donc été considéré comme une manifestation de la liberté d’expression dont bénéficie tout citoyen du fait du Premier Amendement. Le Congrès a néanmoins décidé d’imposer une vue différente. Dès 1989, le Flag Protection Act fût voté, malgré la position de la juridiction suprême. Les membres du Congrès estimaient que l’attitude de la Cour Suprême pouvait s’expliquer par le fait que la loi texane, en cause dans l’affaire Johnson était particulièrement sévère et large. Une infraction fédérale d’atteinte à l’intégrité physique du drapeau a donc été crée. Dès 1990, un recours fût formé devant la Cour Suprême, laquelle devait réaffirmer, le 11 juin, sa position initiale. Cette décision United States v. Eichman et l’arrêt Texas v. Johnson constituent aujourd’hui la doctrine officielle de la Cour Suprême sur la question. Il y a donc peu de chances que l’outrage au drapeau fasse l’objet de poursuites, cela constituerait la première atteinte au Bill of Rights depuis 1791.

Les États-Unis sont donc dans une situation particulière : le Flag Protection Act ainsi que de nombreuses lois étatiques sanctionnant l’outrage au drapeau n’ont pas été retirées de l’arsenal législatif . Mais elles ne peuvent servir de fondement à une quelconque poursuite puisqu’elles sont inconstitutionnelles. Dans tous les pays, les emblèmes du nationalisme se doivent d’être éliminés.

Agir pour un service civique non violent

Fortement relancé, via la loi du 10 mars 2010, par Martin Hirsch, alors haut-commissaire à la jeunesse, le service civique est la possibilité offerte à tout jeune de 16 à 25 ans d’effectuer une mission au service de la collectivité pendant six mois à un an. Le service civique incite en particulier les jeunes à s’engager dans « la vie de la cité ». Il ne coûte que 100 euros à l’association qui l’emploi. Epatant. Mais ce beau geste est aussi un emploi non régi par le Code du travail. Et puis surtout, cela n’a plus rien à voir avec le service militaire ou une défense civile non violente ! Ce n’est donc pas étonnant que la grande école de management HEC propose à ses diplômés d’effectuer ce petit boulot, appelé « SolidariFrance »,  avant d’entrer dans la vie active. Plus intéressant, le programme Médiaterre de l’association Unis-cité consiste, pour des volontaires du service civique, à apprendre des éco-gestes aux familles défavorisées de grandes barres de la région parisienne ; plus prosaïquement à apprendre à  consommer moins d’énergie, moins d’eau et à produire moins de déchets et de les trier (de la vraie décroissance).

Le service civique nouvelle génération doit encore faire ses preuves. L’objectif de 10 000 jeunes inscrits en 2010 ne sera pas atteint. Celui de 75 000 d’ici à 2014, soit un jeune sur dix, encore moins. Mais contribuer à une société pacifiée grâce à la mobilisation des jeunes semble un projet digne d’être défendu par les désobéissants. Encore faudrait-il que ce service civique devienne un jour un moment de préparation à une défense civile non violente ; alors seulement ce sera quelque chose d’important. Pour l’instant, les stages de formation à l’action directe non-violente et à la désobéissance civile sont laissés à l’initiative privée !

Faire la grève du ventre

Dans les années 1970, le philosophe Gaston Bouthoul a pu définir la guerre comme un infanticide différé. C’était déjà la conception des néo-malthusiens à la fin du XIXe siècle, mis en évidence par une désobéissance spécifique et démographique, la grève du ventre. Ainsi Eugène Humbert, propagandiste des idées d’une « bonne naissance » de Paul Robin, s’exprime ainsi dans Regénération (22 mars 1903) : « Ne faites plus d’enfants que vous ne pouvez en élever convenablement. […] Aux jérémiades des repopulateurs répondez par la pus grande, la plus efficace, la plus puissante, la plus imposante, la première des grèves : la grève des ventres ». Il reprend cette idée en 1912 lors d’un appel à résistance devant les menaces croissantes du conflit européen : « Par milliers et par milliers, on tuera des hommes de vingt ans. Le moment serait mal choisi pour faire des enfants. Plutôt que de fournir encore de la chair à mitraille, femmes refusez vos flancs aux fécondations malheureuses. Que vos étreintes soient stériles. Pour protester efficacement contre les criminelles hécatombes humaines, faites la grève des ventres ! »

Mais en 1919, l'Alliance nationale pour l’accroissement de la population française développe une vaste campagne pour obtenir le vote d'une loi hostile aux propagandistes de la limitation des naissances. En dépit des efforts des néo-malthusiens, la loi du 31 juillet 1920 donne satisfaction à l'Alliance en prévoyant de très lourdes peines contre l'utilisation ou la propagande de tout moyen anticonceptionnel ! Nous aurons donc une deuxième guerre mondiale.

L’idée néo-malthusienne est reprise en avril 2009 par le député Verts Yves Cochet qui propose une directive européenne baptisée «grève du troisième ventre» avancée par Yves Cochet fait couler beaucoup d’encre : le niveau des prestations familiales décroîtrait à partir du troisième enfant. Il nous semble que désobéir pour la paix, c’est aussi limiter le nombre des naissances dans son couple.

Faire la grève de la faim

L’exemple de Louis Lecoin, qui a imposé l’adoption du statut des objecteurs de conscience par une grève de la faim illimitée  : « L’adoption légale d’un statut des objecteurs de conscience, voilà la grosse affaire que nous entamons en ce début de 1957. Les objecteurs étaient alors emprisonnés indéfiniment, il y en avait 90 dans les ergastules de France. En 1959, Albert Camus, l’abbé Pierre, Guy Mollet purent joindre, différemment chacun, le général De Gaulle et l’interroger sur ses intentions. Il leur répondit qu’il nous donnait raison, que les objecteurs auraient leur statut, mais qu’il fallait attendre le moment opportun. C’est-à-dire la fin de la guerre d’Algérie. Nous sommes au début de 1962, les soldats des deux camps déposent enfin les armes. Je donne trois mois au Gouvernement pour tenir ses engagements. Et le 1er juin je commence la grève de la faim. Une corvée qui me sera pénible durant toute cette grève : la corvée d’eau ! que j’aie soif ou non il me faut boire, toues les 24 heures, trois litres de ce liquide. Au douzième jour de grève, le scandale de ma protestation s’étalait dans tous les journaux, à la radio, à la télévision. Voilà vingt jour que je jeûne ; sans souffrance appréciable je vous l’assure. Mais les médecins craignent pour mon existence ; ils ont analysé mes urines, mon sang, découvert un état d’acidose et ils annoncent le coma dans cinq jours au plus tard. J’en étais le premier surpris. Bien sûr je commençais à devenir squelettique, mais mon moral était très bon et mon esprit des plus clairs. Le 21 juin, mon médecin attitré m’annonce :

–          Votre sang se transforme en alcool…

–          Je deviens donc une affaire pour les bouilleurs de cru…

Le 22 juin, un collaborateur du Figaro m’annonce : « Un projet de loi sur l’objection de conscience sera déposé incessamment sur le bureau de la Chambre. » Mais il est indispensable qu’un communiqué officiel soir remis à la presse. C’est seulement à cette condition que je cesserai la grève de la faim. Ledit communiqué sera effectivement remis aux représentants des journaux, le projet de statut sera adopté par le Conseil des ministres du 4 juillet. »

Au soir de son 22ème jour de grève de la faim, Louis Lecoin, 74 ans, décide donc de mettre fin au jeûne. Mais rien ne se fait et Louis Lecoin envisage de remettre ça en 1963 : « Mon organisme avait manqué de sucre très tôt en 1962 et c’est pourquoi le coma me menaça si vite. Je prends donc du jus d’orange chaque matin et je mange du miel le plus que je peux. Je désire que le physique soit au niveau du moral le plus longtemps possible, ne serai-ce que pour emmerder l’armée plus longtemps. » Finalement la loi accordant le statut aux objecteurs de conscience est promulguée le 22 décembre 1963.

Devenir un Prix Nobel de la paix

Le Prix Nobel de la paix récompense « la personnalité ayant le plus ou le mieux contribué au rapprochement des peuples, à la suppression ou à la réduction des armées permanentes, à la réunion et à la propagation des progrès pour la paix. ». Ceci regroupe la lutte pour la paix, les droits de l’homme, l’aide humanitaire, la liberté. Il peut être partagé une même année entre deux voire trois personnalités ou institutions. Attribué pour la première fois en 1901, il ne l’a pas été à de multiples reprises, ce qui montre la rareté des actions mondiales pour la paix. D’abord occidentale, l’origine des candidats s’est progressivement étendue au monde entier. Il a aujourd’hui une extraordinaire importance politique, certains prix ayant une valeur de désaveu de gouvernements autoritaires. Voici quelques récompenses méritées :

1901 Henry Dunant (Suisse), fondateur du Comité international de la Croix-Rouge et promoteur de la Convention de Genève.
Frédéric Passy (France), fondateur et président de la Société française pour l’arbitrage entre nations.

1962 Linus Pauling pour sa campagne contre les essais d’armes nucléaire

1964 Marthin Luther King pour sa campagne en faveur des droits civils

1975 Andrei Sakharov pour sa campagne en faveur des droits de l’homme

1995 Joseph Rotblat et la conférence Pugwash sur la science et les affaires mondiales pour leurs efforts en faveur du désarmement nucléaire

1997 Jody Williams et la Campagne internationale pour l’interdiction des mines antipersonnel.

2007 Al Gore et le GIEC, car la sécurité mondiale passe aussi par la lutte contre le réchauffement climatique.

2009 un prix Nobel de la paix non mérité pour Obama

Un prix Nobel non attribué à Louis Lecoin qui le méritait : Un Comité composé d’Albert Camus, Claude Autant-Lara, René Dumont et 12 autres personnalités avaient présenté la candidature de Louis Lecoin au Prix Nobel de la Paix pour 1964. L’apprenant après coup, louis Lecoin avait déclaré : « Pendant que tant de gouvernants qui clament vouloir la Paix ne contribuent qu’à alimenter la guerre en renforçant sans cesse la puissance matérielle des armées, je déclare que sur les quelque 20 millions de francs anciens du prix Nobel de la paix, pas un sou ne serait prélevé pour des motifs personnels ; que cette somme serait exclusivement employée à intensifier l’action purement pacifiste et à hâter donc le désarmement général, intégral et universel. »

Ce fut le pasteur Martin Luther King qui obtint le Nobel en 1964 ; Louis Lecoin avait retiré sa candidature pour laisser sa place. Il méritait pourtant lui aussi un prix Nobel de la paix, 12 ans de prison pour simplement revendiquer la cause du pacifisme.

Suivre des stages de formation à l’action directe non-violente et à la désobéissance civile

Les militants intéressés par les actions pacifistes se retrouvent généralement dans d’autres causes « progressistes », « altermondialistes », « décroissantes », « écologistes », « sociales », « tiers-mondistes », etc. Le cloisonnement et la concurrence entre les causes n’ayant pas lieu d’être, il était intéressant de proposer des occasions de convergences de luttes et de pratiques, d’échanges de savoirs et d’expériences, afin de favoriser concrètement les solidarités entre militants.

La désobéissance pour la paix n’est efficace que si certaines conditions sont remplies. La résistance à la guerre et l’injustice suppose d’abord une population bien informée des principes et des techniques de la non-violence. Cette étude aurait sa place dans les différents niveaux du système scolaire, en même temps que sa pratique serait mise en œuvre dans la vie active. Un tel enseignement exige des méthodes pédagogiques qui feraient appel au sens de la responsabilité, à la solidarité et à la créativité. Ainsi le collectif « les désobéissants », créé en novembre 2006, résulte des réflexions menées par des militants pacifistes français en lutte contre le missile nucléaire M51. Conscients des limites liées aux modes traditionnels de mobilisation (pétitions, manifestations…), qui ne valent que de trop rares victoires, et n’attirent plus guère les nouvelles générations de militants, il a été décidé de former un réseau informel de militants de l’action directe non violente. Parce que nous voulons nous battre pour la défense de la vie et de la justice sociale, il a été décidé de s’organiser en un groupe de volontaires et d’activistes prêts à agir de manière directe et non violente aussi souvent que nécessaire/possible.

Beaucoup de militants pratiquent l’action directe non-violente de façon spontanée, sans formation ni préparation. Or cette méthode de militantisme comporte des risques pour ceux qui la pratiquent. Il est nécessaire de donner aux militants des opportunités de formation, en organisant des stages et en suscitant l’émergence de formateurs toujours plus nombreux, afin de diffuser les techniques et principes de l’action directe non-violente auprès du plus grand nombre. C’est pourquoi des stages sont organisés par  « les désobéissants » (http://www.desobeir.net/). Ils se tiennent en général sur deux jours. Ils s’adressent aux militants expérimentés comme aux militants débutants, et impliquent une adhésion à l’esprit du Manifeste des désobéissants. Ces stages associent approche théorique et exercices pratiques, mises en situation, techniques et bricolage destinés à permettre de mener à bien des actions directes non violentes. Les stages sont réservés aux personnes majeures (à partir de 18 ans).

La participation aux frais est destinée à couvrir les frais tels que le transport des formateurs, la nourriture, l’hébergement et le fonctionnement du collectif. Les formateurs sont tous bénévoles. L’argent ne doit jamais être un obstacle à la participation à un stage : Les stages sont à prix libre pour les petits et sans revenus.

33. agir quelles que soient les formes d’organisation militaire

contre la conscription obligatoire et le sentiment nationaliste

Nombreux sont ceux qui voient dans l’Armée une institution de la République au service de la nation et dans le service militaire obligatoire le lieu où se réalise la fusion des classes sociales, le cantonnement où prend corps la solidarité nationale. Une majorité de la population adhère au principe « la fin justifie les moyens » : la guerre est horrible, certes, et terribles les atrocités qu’elle entraîne, mais il faut bien défendre sa communauté et son territoire. Contre ce point de vue patriotique, tu peux désobéir à l’idée nationaliste et te déclarer citoyen du monde, allergique au drapeau et aux frontière nationales. On ne devrait pas se sentir plutôt français que brésilien ou burkinabais. Notre lieu de naissance ne fait pas notre identité.

Personne n’a d’amour naturel pour son pays, tu n’obéis qu’à un patriotisme culturellement imposé et aucun pays au monde ne donne aujourd’hui l’ouverture d’esprit que demande l’esprit de notre temps sur une planète qui se mondialise de façon chaotique et non réfléchie. L’amour envers l’humanité et la Biosphère est à inventer, mais c’est la seule histoire qui vaille. Pour arriver à cela, il faut d’abord être citoyen du monde, s’affranchir des fausses distinctions. Partout dans le monde ancien les peuples donnaient un caractère sacré aux portes de leur territoire, ville ou village : aller au delà impliquait toutes sortes de précaution car à l’extérieur était le domaine de l’étranger et du combat. Le roi de Sparte s’arrêtait à la frontière de la Cité pour y effectuer des sacrifices ; plus généralement sortir d’un groupe et entrer en contact avec un autre relève d’une ritualisation, ne serait-ce que par un geste de politesse. Les frontières nationales sont l’actualisation de cette constante humaine. La frontière a ainsi défini l’espace du droit contre la tyrannie de la force, elle détermine le lieu où les privilèges de quelques-uns s’exercent mais ne se partagent pas avec l’étranger. Cependant, ni l’Etat ni la nation n’ont d’existence fondée en soi, c’est seulement l’expression d’une évolution historique qui a partagé le territoire terrestre en zones d’influence. « Nous nous sommes donnés les uns aux autres des montagnes, des fleuves et des lacs alors que – si incroyable que cela puisse paraître – nous n’avons jamais su où se trouvaient ces montagnes, ces fleuves et ces lacs ». C’est ainsi qu’un homme politique résumait le partage de l’Afrique par l’Europe à la fin du XIXe siècle. Les frontières sont donc de curieux objets dont la manière de partager l’espace est à l’évidence un artifice. Elles sont dépourvues d’existence matérielle et pourtant on s’y fracasse la tête. En effet elles sont construites pour distinguer le « chez nous, notre citoyenneté » de ce qui doit rester étranger, c’est-à-dire exclu. Dans une optique universaliste, l’individu devrait pouvoir au contraire se libérer de ses liens communautaires à tout moment, donc migrer à sa guise. Pourtant l’organisation mondiale actuelle ne donne aucun territoire libre sur une planète compartimentée par des égoïsmes nationaux enfermés dans des frontières. Le libéralisme a défini la libre circulation des marchandises et des capitaux, il s’est bien garder de proclamer la libre circulation des humains ; seuls circulent assez librement les hommes d’affaires et les touristes de la classe globale.

L’idée de nation, corrélative à la stabilisation des frontières, est récente et consubstantielle à la grande révolution idéologique engagée à la fin du XVIIIe siècle : on récuse la division sociale en ordres distincts et on transfert la légitimité de la souveraineté dans le peuple. Proclamée en France par la déclaration des droits de 1789, la souveraineté nationale s’est d’abord définie face à la souveraineté du monarque absolu, mais en reprenant ses deux caractéristiques : souveraineté vis-à-vis des puissances étrangères et souveraineté interne. La seule différence, c’est que cette souveraineté ne trouve plus sa légitimité dans une volonté de droit divin, mais dans le peuple ; le droit international appelle maintenant cela le droit à l’autodétermination, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. En liaison avec le mouvement de décolonisation, l’ONU reprend dès sa création en 1945 le droit des peuples à choisir la forme de gouvernement sous laquelle ils veulent vivre : c’est le triomphe du principe des nationalités. L’individu qui n’est lié à aucun Etat est un apatride, et cette situation le prive du bénéfice de nombreux droits, garanties et protections que les Etats réservent à leur ressortissants. Il convenait donc en 1948 de réagir à la forme d’oppression que pratiquaient certains Etats en privant des groupes d’individus de leur nationalité pour des raisons politiques ou raciales. « Tout individu a droit à une nationalité. Nul ne peut être arbitrairement privé de sa nationalité, ni du droit de changer de nationalité » (article 15 de la Déclaration universelle). Cette défense de l’individu passe malheureusement par la sacralisation de la nation, l’espèce humaine s’éloigne d’une perception de son unité en tant que race unique sur une planète commune. Il faudrait donc modifier l’enseignement de l’histoire.

Une mémoire orientée n’est pas seulement la spécialité des systèmes autocratiques qui prétendent soumettre les faits à leur propre conception. Longtemps au service des princes, l’histoire continue d’être manipulée pour défendre encore des intérêts particuliers. En effet les Etats-nations sélectionnent les faits pour les transformer à leur avantage au détriment du libre arbitre des individus. Les historiens sont la plupart du temps des nationaux, défenseurs acharnés d’un fragment de terre unique. L’œil fixé au-dedans des frontières, ils mettent en oeuvre une reconstruction de la mémoire qui entretient avec le passé une relation affective et militante, mémoire portée par les exigences existentielles de communautés pour lesquelles la présence du passé dans le présent est un élément essentiel de l’être collectif. L’histoire enseignée à l’école offre peu d’ouverture sur le monde, peu d’ouverture sur la science, peu d’ouverture sur ce qui n’est pas humain : dans les écoles élémentaires françaises, deux explorateurs et deux savants seulement, mais par contre deux ministres, six militaires et dix monarques ; seulement deux non-Français dans cette liste, Christophe Colomb et Jules César. Cette histoire franco-française est semblable à l’imaginaire imposé aux peuples dans les autres contrées du monde : peu d’ouverture vers les « étrangers », peu d’ouverture sur la science, peu d’ouverture culturelle. En Bosnie, c’est le summum : les écoliers serbes, croates et musulmans étudient l’histoire de leur pays dans des manuels différents. Les enfants serbes apprennent que la responsabilité de la guerre qui vient d’ensanglanter la Yougoslavie incombe aux musulmans ; les musulmans qu’ils ont été la cible des Serbes et des Monténégrins organisés en formations terroristes ; les Croates qu’ils ont été victimes d’une agression au nom de la Grande Serbie. Le ministère de la Fédération applique ces programmes séparés « au nom du respect des minorités ». Comment alors se réconcilier sur les ruines des combats passés ?

Pourtant l’ histoire humaine n’est pas celles des ethnies particulières, même pas celle des hominidés, elle est aussi ce qui récuse toute forme d’ethnocentrisme pour se centrer sur les relations de l’humanité et de la Biosphère. Ce qui importe, ce sont les histoires des déséquilibres que les pratiques agro-industrielles ont entraîné dans le passé comme dans le présent et les perspectives d’avenir souhaitable pour les générations suivantes comme pour les non-humains. Les écoliers ne doivent plus apprendre le temps des Capétiens qui défendent leur royaume contre ses voisins (histoire inversée chez les autres pays concernés), mais le niveau de respect des forêts et des autres espèces qu’on pouvait avoir à l’époque. L’histoire formate l’esprit humain, l’idéologie du territoire national doit laisser place au sens du respect des écosystèmes. Aucun peuple n’a le droit d’interpréter l’histoire de sa propre manière  et de la transmettre comme elle l’entend à ses enfants. Une Histoire universelle peut au contraire contribuer à donner à tous les humains un horizon semblable de savoir et de culture à partir d’un temps unifié. Tu dois cultiver la compréhension de tes semblables les homo sapiens, mais surtout retrouver tes racines dans la Nature. C’est seulement ainsi que nous pourrons construire ensemble un espace de paix.

Notre véritable histoire, après le temps de la dispersion, devrait être le temps de la réunification. Alexandre de Macédoine, vers – 333, a le premier cherché à rassembler sous son sceptre l’ensemble de l’oikoumené, des terres habitées. Charles Quint assignait à l’Autriche du XVIe siècle la mission de régenter la planète (Austriae est imperare orbi universo). Il ne faut voir derrière les différents impérialismes qui se sont succédés que des tentatives partielles d’unifier le groupe humain. Mais notre histoire ne devrait plus se construire par les armes, l’Histoire à conceptualiser est une conscience de la globalité obligeant à refuser toute forme d’ethnocentrisme. Une telle attitude est d’autant plus nécessaire que la destruction accélérée des écosystèmes par l’activité humaine montre que l’essentiel n’est pas seulement l’histoire de humains, mais surtout l’histoire des rapports entre homo sapiens et la Nature. Encore faudrait-il d’abord apaiser les relations humaines, nous transformer en citoyen du monde. La route sera longue, elle commence par la désobéissance à la conception actuelle de la citoyenneté.

Aujourd’hui le citoyen, c’est un membre de la Cité, c’est-à-dire quelqu’un qui bénéficie de droits et de devoirs dans un cadre territorial déterminé. La souveraineté s’exprime donc dans le cadre d’une nation et le citoyen ne peut exprimer son pouvoir que selon sa nationalité. La Cour internationale de justice  précise en 1955 que « La nationalité est un lien juridique ayant à sa base un fait social de rattachement, une solidarité effective d’existence joints à une réciprocité de droits et de devoirs ; l’individu est donc plus étroitement attaché à la population de l’Etat qui lui confère sa nationalité qu’à celle de tout autre Etat ». Dans ce cadre, la citoyenneté est toujours synonyme de nationalité. Avec le traité de Maastricht de 1992 qui crée une citoyenneté européenne, avec liberté de circulation, de résidence, de travail, droit de vote et d’éligibilité aux élections européennes ou locales, il y a toujours association entre nationalité et citoyenneté : il faut avoir la nationalité d’un des pays membres pour acquérir cette citoyenneté européenne. L’article 17 du traité d’Amsterdam décrète : « Il est institué une citoyenneté de l’Union. Est citoyen de l’Union toute personne ayant la nationalité d’un Etat membre. La citoyenneté de l’Union complète la citoyenneté nationale et ne la remplace pas. » On reste Espagnol, Français ou Italien en étant de surcroît citoyen de l’Union, générant du même coup un effet d’exclusion vis-à-vis des étrangers à l’Union.

La conception traditionnelle de la citoyenneté se caractérise par une grande rigidité : un seul espace de citoyenneté, l’Etat-Nation ; un strict encadrement de l’accès à la nationalité par le biais des conditions de naturalisation ; un statut conçu de manière limitative à travers les droits civiques spécifiques. Cependant, une conception plus souple et plus tolérante apparaît indispensable compte tenu de la dynamique d’évolution des sociétés contemporaines poussant à la déconnexion progressive de la citoyenneté et de la nationalité. Certes, nombreux sont les intellectuels, depuis la Renaissance, qui se sont déclarés citoyens du monde, sans pour autant aller au-delà de cette déclaration platonique. En septembre 1948, un ancien officier américain nommé Garry Davis décida de tirer pleinement les conséquences des principes énoncés dans la Charte des Nations Unies et la Déclaration des Droits de l’Homme ; il déchira publiquement les papiers attestant sa citoyenneté américaine au moment même où se tenait l’assemblée générale des Nations Unies et s’installa symboliquement sur le territoire international du palais de Chaillot, alors siège de l’organisation internationale. Il boulait montrer que l’ONU ne traitait pas les problèmes dans une perspective mondialiste, mais se bornait à composer selon les intérêts de ses Etats membres. Le mouvement a eu à l’époque un certain impact : Pierre Bergé s’est engagé dans le mouvement pour la paix de Garry Davis. Il avait même fondé à ce moment un journal politique, La Patrie Mondiale, auquel contribuèrent Camus, Cocteau, Giono, Breton…

Nous sommes cosmopolite par essence et d’une nationalité quelconque par nécessité temporaire. La citoyenneté moderne n’a plus guère à voir avec la citoyenneté antique, limitée à quelques personnes. La citoyenneté n’est pas non plus une essence donnée une fois pour toutes qu’il importerait de maintenir et de transmettre. C’est une utopie créatrice fondée sur l’égalité de droit de tous les individus de la planète quelles que soient par ailleurs leurs différences et les inégalités qui les séparent. Si on obéit à des raisons d’humanité, on ne peut plus faire de distinction entre les nationalités, les races et les religions. Il n’y socialement ni Pakistanais, ni Français, ni n’importe quelle autre ethnie, il n’y a que des humains. Un jour, et certains s’y emploient, les citoyens du monde éliront des délégués à un congrès des peuples. Des milliers d’hommes et de femmes se déclarent aujourd’hui Citoyens du Monde au nom d’une lutte commune pour l’organisation de la paix et de la sécurité fondées sur des institutions mondiales : un congrès des peuples, une assemblée constituante pour la paix et l’organisation mondiale. A l’exemple des villes d’Hiroshima, de Cahors, de Figeac, de Nîmes, des centaines de communes du Japon, du Gard et du Lot mondialisées depuis 1950, d’autres communautés se déclarent symboliquement territoire mondial. La citoyenneté sur une planète mondialisé n’a plus de frontières géographiques visibles. Désobéir pour la paix, c’est se sentir citoyen du monde, cosmopolite, apatride. Celui qui demeure passif devient complice du système nationaliste et rend la paix impossible.

Si la fin de la conscription veut encore dire « défense de la nation », il n’y a pas de paix possible. Si l’armée de métier devient une force d’interposition, il faut s’interroger.

Contre l’armée de  métier, force illusoire d’interposition

L’idée d’une professionnalisation des armées gagne du terrain. Depuis le 1er juillet 2010, la Suède n’a plus de service militaire obligatoire. En Allemagne, le débat est ouvert ; en Autriche, le sujet agite les médias ; en Suisse, pourtant sanctuaire d’une armée de citoyens, la gauche veut abolir cette tradition « absurde » [Le Monde du 11-12 juillet 2010]. Aujourd’hui les militaires deviennent parfois des fonctionnaires de la paix qui délaissent le slogan  « pour qui suis-je prêt à mourir, pour quel territoire ? » et adoptent l’objectif : « Pour quoi suis-je prêt à mourir, pour quelle paix durable ? ». La question se pose, transformer l’armée française en force d’interposition ? Devenir casque bleu ? Construire une paix durable impose de rejeter toute armée à connotation nationale. Par contre une armée supranationale pourrait ne plus être considérée comme une armée.

Même un pays qui se dit démocratique et avancé comme les Etats-Unis utilise la force des armes de façon disproportionnée. Trois ans avant les évènements du 11 septembre 2001, un ancien lieutenant-colonel de l’aviation américaine, Robert Bowman, qui avait mené 101 missions de combat au Vietnam, déclarait à propos des attentats à la bombe contre les ambassades américaines de Tanzanie et du Kenya : « Nous ne sommes pas haïs parce que nous nous pratiquons la démocratie, aimons la liberté ou défendons les droits de l’homme. Nous sommes détestés parce que notre gouvernement refuse tout cela aux pays du tiers-monde dont les ressources naturelles sont convoitées par nos multinationales. Cette haine que nous avons semée est revenue nous hanter sous forme du terrorisme. Au lieu d’envoyer nos fils et nos filles à travers le monde pour tue des arabes afin que nous puissions nous emparer du pétrole sous les sables de leurs déserts, nous devrions les y envoyer pour les aider à reconstruire leurs infrastructures, leur fournir de l’eau potable… En bref, nous devrions faire le bien au lieu du mal. Qui voudrait nous en empêcher ? Qui pourrait nous haïr pour cela ? Qui voudrait nous bombarder ? C’est cette vérité-là que le peuple américain devrait entendre. » Robert Bowman démontre ainsi les dérives d’un interventionnisme international sous l’égide d’une nation.

En juin 2008, le président tchadien Idriss Deby aurait probablement déjà été renversé, si la France – et ses moyens militaires sur place – ne l’avait soutenu. Pourtant il déclare : « Nous sommes en droit de nous interroger sur l’efficacité de cette force et l’utilité de sa présence au Tchad ». Il critique l’attitude passive de la force européenne Eufor-Tchad-Centrafrique, qui s’est contentée de procéder à quelques tirs de sommation, alors que les rebelles avaient entamé une nouvelle offensive. En septembre 2009, les « Forum des forces vives » de Guinée, regroupant partis d’opposition, syndicats et représentants de la société civile avaient demandé qu’une « force de paix » internationale soit envoyée en Guinée pour protéger la population « contre ses forces armées déchaînées ». Le capitaine Dadis Camara, qui avait pris le pouvoir avec d’autres jeunes officiers, affirme que ce mouvement fait de l’intoxication et n’a pas d’assises dans le pays. Qui croire ?

La transformation des armées nationales en force de paix par interposition est discutable car derrière les tensions politiques des enjeux économiques et sociaux apparaissent. Le Tchad commence à exploiter son pétrole sans que les fruits de cette manne soient équitablement répartis. L’extrême pauvreté qui règne dans ce pays, comme en RCA, alors que la hausse des cours mondiaux des matières premières permet l’enrichissement de quelques-uns, est une source permanente de déstabilisation. Quelle est la force vive d’un pays qui est le plus à même de lutter contre la corruption et de favoriser l’égalisation des conditions de vie ? Question piège ! D’autant plus que les intervenants extérieurs, à commencer par la France, ne sont pas souvent des anges et favorisent leur propre intérêt.

Par contre un évolution de l’ONU dans le sens d’une paix véritable est possible. La Charte des Nations Unies adoptée le 26 juin 1945 prévoyait des mesures pratiques pour  imposer la paix dans le monde. L’article 42 de la charte donnait ainsi au Conseil de Sécurité le droit d’entreprendre « au moyen de forces aériennes, navales ou terrestres toute action qu’il juge nécessaire au maintien ou au rétablissement de la paix et de la sécurité internationales ». Selon l’article 43, « les Etats membres s’engageaient à mettre à la disposition du Conseil de Sécurité les forces armées nécessaires ». Ce bel édifice n’a jamais fonctionné. Le système de sécurité collective a été annihilé par les veto de tel ou tel des cinq membres permanents. La conséquence de cette paralysie a été l’incapacité de l’ONU à empêcher que n’éclatent entre Etats une quarantaine de conflits qui firent plus de 10 millions de morts, les guerres civiles ayant à peu près le même bilan.

Les « Casques bleus » sont apparus lors de la première force de maintien de la paix, créée en 1956 pour s’interposer entre l’armée égyptienne et le corps expéditionnaire franco-britannique à Suez. En raison des vetos de la France et de la Grande-Bretagne au Conseil de Sécurité, c’est l’Assemblée Générale qui dut prendre la décision de l’envoi de cette force dite d’urgence (la FUNU) Le type de force ainsi créé n’était pas du tout prévu par la Charte. Par la suite les interventions obéirent au même schéma, c’est à dire une mise en œuvre subordonnée à l’accord préalable des parties en conflit et à un cessez-le-feu effectif, avec un emploi des armes limité au cas de légitime défense. C’est dans les années qui ont suivi la fin de la guerre froide que nous avons assisté à une soudaine intensification des opérations de maintien de la paix : l’ONU a pris en charge des Etats en décomposition et a travaillé à leur reconstruction. C’est ce qui s’est passé en ex- Yougoslavie, au Cambodge et dans plusieurs Etats africains. Mais les échecs subis au Rwanda, en Somalie puis en ex-Yougoslavie ont refroidi l’enthousiasme des nations contributrices. Aussi l’engouement qui avait suivi la fin de la guerre froide s’est vite dissipé. Si l’effectif total des Casques bleus, qui était monté à 78 000 en 1993 était encore de 67 000 en 1995, il a chuté à 12 000 en 1999.

Il existe une solution pour améliorer l’efficacité des troupes de l’ONU. C’est la création de forces permanentes de l’ONU. A ce moment-là, l’humanité posséderait une sorte de police qui, si elle devenait supranationale, marquerait l’avènement d’une société pacifiée. Encore faut-il que certaines conditions socio-économiques soient remplies. La paix, c’est comme la démocratie, elle ne peut être imposée de l’extérieur, elle résulte d’une maturité des peuples qui ont droit à leur autonomie économique, sociale et politique. La paix est un long processus sur lequel aucune armée d’interposition ne peut avoir prise. Encore faut-il que le contexte économique et écologique s’y prête. Or il y a de fortes chances que commence une période de grandes turbulences, marquée par des crises financières à répétition et l’épuisement des ressources naturelles. Désobéir pour la paix, c’est aussi revendiquer l’objection de croissance, la préoccupation écologiste et la décentralisation politique.

34. agir contre la croissance pour l’autonomie territoriale

les objecteurs de croissance contre une mondialisation prédatrice et facteur de conflits

Il ne faut pas simplement refuser la guerre, mais refuser tout ce qui la rend inévitable. L’objecteur de conscience qui prend l’armée pour la cause de la guerre se trompe, elle n’en est que l’instrument. L’objecteur qui prend la guerre pour un mal en soi ne perçoit pas qu’elle n’est qu’une conséquence. L’idéologie du doux commerce s’accommode parfaitement de la pérennité des armées nationales. La dépression issue de la crise de 1929 ne s’est vraiment résolue que par l’entrée dans la seconde guerre mondiale, ce qui a donné un coup de fouet aux activités industrielles humaines. Le commerce n’est pas pacificateur, il entraîne inégalités sociales, pillage des ressources naturelles et crises économiques. Comme la politique et le commerce ont partie liée, la guerre n’est que la continuation du commerce par d’autres moyens.

Le véritable objecteur de conscience objecte aussi bien à la paix qu’à la guerre : aux abus, aux excès, aux mensonges publics, à l’oppression et à l’exploitation, au système industriel et commercial, au système policier et politique. Du point de vue des désobéissants pour la paix, il peut exister une économie non violente qui ne suppose aucune pression sur les hommes et la nature, une autorité non-violente qui ne s’appuie par sur les châtiments et ne comporte aucun privilège, une agriculture non-violente qui respecte les hommes, les animaux et les sols, une industrie non-violente qui favorise les techniques douces, une médecine non-violente, une religion non-violente, une sexualité non-violente, etc.

Désobéir pour la paix, c’est donc quasiment contester tous les éléments qui formatent la société occidentalisée. Non seulement il faut désobéir à l’armée et au nucléaire, mais aussi désobéir à la publicité, à la mode, à l’industrialisation, au productivisme, à l’agriculture intensive, à l’urbanisation, à la croissance démographique, à la négation de la nature, à la perte de biodiversité, à l’émission de gaz à effet de serre, etc., etc. Dans un contexte de ressources terrestres surexploitées, l’objecteur de conscience doit aujourd’hui devenir aussi un objecteur de croissance. Les actions des objecteurs de croissance vont à l’encontre de l’idéologie publicitaire et consumériste, avec l’objectif de rompre avec les symboles de la société marchande : barbouillage de publicités, « dégonflage » de 4×4, journée sans achat, semaine sans écran, boycott de produits, etc.

Mais attention, nous sommes déjà entrés dans l’ère des guerres du climat. [Harald Welzer, Les guerres du climat (Gallimard, 2009)] Comment finira l’affaire du changement climatique ? Sauf généralisation des actions de désobéissance pour la paix, pas bien. Ses conséquences marqueront peut-être la fin du rationalisme des Lumières et de sa conception de la liberté. Comme les ressources vitales s’épuisent, il y aura de plus en plus d’hommes qui disposeront de moins en moins de bases pour assurer leur survie. Il est évident que cela entraînera des conflits violents entre ceux qui prétendent boire à la même source en train de se tarir, et il est non moins  évident que, dans un proche avenir, on ne pourra plus faire de distinction pertinente entre les réfugiés fuyant la guerre et ceux qui fuient leur environnement. Le XXIe siècle verra non seulement des migrations massives, mais des solutions violentes aux problèmes de réfugiés. La violence a toujours été une option de l’action humaine dans laquelle on bascule souvent sans s’en rendre compte.

Les êtres humains hommes changent dans leurs perceptions et leurs valeurs, en même temps que leur environnement : c’est le phénomène des shifting baselines ou lignes de références fluctuantes. Ils sont capables de s’ajuster à une vitesse surprenante dans leurs orientations morales, leurs valeurs, leurs identifications. C’est en particulier le cas quand des menaces, ressenties ou réelles, rétrécissent le spectre d’action qui est perçu et paraissent exiger des décisions rapides. Le degré de concrétisation ou d’abstraction d’une menace joue là un grand rôle. Les changements ne sont pas perçus dans l’absolu, mais toujours de façon relative à leur point d’observation. Des processus sociaux comme l’holocauste ne doivent pas être compris comme une « rupture de civilisation » ou une « rechute dans la barbarie », mais comme la conséquence logique de tentatives modernes pour établir l’ordre et résoudre les problèmes majeurs ressentis par des sociétés. On constate, de la part des Etats-Unis en position d’attaqués, que les mesures de sécurité prennent de plus en plus le pas sur les libertés : torture de prisonniers, création de camps censés jouir de l’exterritorialité, stratégie d’arrestations illégales ; le déséquilibre entre liberté et sécurité s’accroît progressivement. Or de tels glissements ne sont pas l’apanage de l’Amérique. Une radicalisation des conséquences du changement climatique pourrait entraîner un changement radical des valeurs. Quelle sera la réaction d’un Etat le jour où augmentera le nombre de réfugiés chassés par leur environnement et où ils causeront aux frontières des problèmes massifs de sécurité ?

Contre l’émergence de nouvelles violences, il reste aux désobéissants pour la paix un moyen de lutter pour l’avènement d’une société pacifiée : créer cette société sans plus attendre et la développer au milieu d’une population qui ne partage pas encore cette conviction.

la recherche d’autonomie territoriale pour construire la paix

Une prise de conscience écologique qui s’associerait à la construction progressive d’une société où les relations entre les hommes et le milieu naturel seraient différentes pourrait être un élément dynamique puissant pour désobéir à la société thermo-industrielle. L’action non-violente n’est pas limitée au désarmement militaire, elle doit participer au passage d’une forme de société à une autre forme de société. La création d’un état de paix exige que la majorité des citoyens ait le sens des responsabilités et la possibilité de les assumer réellement. Or, une telle démocratie paraît impraticable à l’intérieur d’un Etat centralisé. Une telle structure sociale engendre, quel que soit le parti au pouvoir, un profond sentiment d’impuissance et de passivité. Toutes les bonnes paroles sur la démocratie ou la participation n’y peuvent rien. Il nous semble donc qu’une véritable société de non-violence ne pourra s’instaurer que dans la dynamique d’un mouvement de décentralisation dans tous les domaines, politique, économique et social. Autant la défense nationale armée convient à une société hiérarchisée, orientée vers la production et la consommation de masse, autant la défense civile n’est concevable qu’au sein d’une société décentralisée dans tous les domaines, relativement égalitaire, organisée en unités de vie et de production autonomes.

Il faut lutter contre tout ce qui entraîne une perte d’autonomie, à commencer par la destruction de la paysannerie. La société thermo-industrielle a fait la guerre aux paysans, elle a fait la guerre à la terre. Désobéir pour la paix, c’est donc se mettre aux côtés de la paysannerie. Au XIXe siècle près de 97 % de la population mondiale vivaient encore dans les campagnes. Entre 1900 et 1990, on estime que la population des villes est passée de 10 % à plus de 50 %. La monétarisation, souvent forcée, des activités va faire perdre aux sociétés agraires une partie de leur autonomie. De dominantes, ces sociétés vont se trouver dominées. Ce qu’on appelle à tort « exode rural » est en fait le résultat d’une véritable déportation économique et sociale. Migrations des populations des campagnes vers les villes, destruction des langues et des cultures, dévalorisation des savoir-faire et des modes de vie, destruction de l’environnement naturel : Pierre Thuillier parle du « meurtre du paysan » qui est inscrit dans le programme symbolique de l’Occident. Contre cette évolution, Gandhi peut être considéré comme le premier théoricien et praticien de l’autonomie territoriale, la communauté de l’Arche de Lanza del Vasto en est une application particulière et le mouvement des villes en transition forme la concrétisation contemporaine de ces idées.

C’est avec Gandhi que l’objection de conscience ne se limita plus aux lois, mais s’étendit à tout un mode de vie, à toute une culture. Ce n’est pas tant à l’occupation de l’Inde que s’opposait Gandhi, qu’à toute une civilisation occidentale coupée des valeurs spirituelles et abandonnée à la logique de la marchandisation. Il se rendit compte à quel point l’intégration intellectuelle des jeunes Indiens dans les écoles britanniques était un puissant facteur d’asservissement pour son pays. Il disait : « Je dois reconnaître qu’entre l’économie et l’éthique je ne trace aucune frontière précise : le régime économique qui va à l’encontre du progrès moral d’un individu ou d’une nation ne peut qu’être immoral. Le but à atteindre est de promouvoir le bonheur de l’homme, tout en le faisant parvenir à une complète maturité mentale et spirituelle. Pour parvenir à cette fin, il faut qu’il y ait décentralisation. Car la centralisation est incompatible avec une structure sociale non-violente. Si chaque région produit ce dont elle a besoin, le problème de la distribution se trouve automatiquement réglé ; il devient plus difficile de frauder et impossible de spéculer. Après des réflexions prolongées, j’en suis venu à une définition du Swadeshi : le fait de nous restreindre à l’usage et aux ressources de notre environnement immédiat. En matière économique, ne faire usage que des biens produits par le voisinage. Un Swadeshiste apprendra à se passer de centaines d’objets qu’il considère aujourd’hui comme indispensables. La civilisation, au vrai sens du terme, ne consiste pas à multiplier les besoins, mais à les limiter volontairement. Sous la discipline du Swadeshi, la privation d’une épingle qui ne soit pas fabriquée en Inde n’a rien d’intolérable. La profonde misère dans laquelle est plongée la majorité des Indiens est due à l’abandon du Swadeshi. Si aucun bien n’avait été importé en Inde, ce pays serait aujourd’hui une contrée où coulerait le miel. »

Lanza del Vasto, poète et philosophe, découvrait l’ Inde en 1937 et rencontrait Gandhi. De retour en France, inspiré par le mouvement gandhien et ses ashrams, il forme ce qui à partir de 1948 allait devenir la Communauté de l’Arche : réhabilitation du travail manuel, méditation. La communauté ne peut accumuler des réserves sous quelque forme que ce soit, elle doit donner le surplus pour de nouvelles fondations ou des formes d’entraide. Elle s’efforce de tirer du sol toute sa nourriture à l’aide de techniques simple tout en respectant le milieu naturel. Il n’est pas question de revendre et tirer profit de l’échange. Cet exemple particulier se retrouve aujourd’hui dans le mouvement de la transition. La prise de conscience actuelle des enjeux écologiques va dans le sens de la décentralisation au niveau politique, dans le sens de la recherche d’outils conviviaux au niveau technique et dans le sens d’une autonomie alimentaire et énergétique plus grande des personnes et des territoires. La communauté de l’Arche s’efforce d’appliquer l’esprit de la non-violence à tous les domaines de la vie : éducation des enfants, agriculture, élevage, diététique, médecine, etc. Cette communauté, qui existe toujours, est contre le progrès par la technique et la science, contre le progrès par avilissement et la dégradation de l’homme et de la nature, pour le progrès des techniques d’épanouissement. Cette communauté n’est qu’un exemple particulier des différentes formes de contestation sociale et de retour à la terre qui se sont multipliées au cours des années 1960 dans le monde entier.

Récemment Pierre Rabhi résumait ainsi le projet  de relocalisation : « l’autonomie, c’est le maître mot, c’est la seule chose qui nous permettra de sortir de l’impasse dans laquelle nous nous trouvons. Car on ne se rend pas compte que notre capacité à survire par nous-mêmes est chaque jour confisqué par des systèmes totalitaires, des tyrannies économiques. Et la seule chose qui puisse ébranler les multinationales, c’est de nous organiser pour ne pas en avoir besoin. Ce qui implique de re-localiser l’économie et que chaque territoire puisse assumer ses besoins, ce qui limitera les transports, la dépendance, la pollution, la dégradation…  Cultiver son jardin quand on en a la possibilité, c’est donc un acte politique, un acte de résistance. » Côté mouvement collectif, le débat est porté par les Transition Towns : leur réflexion sur l’imminence du pic pétrolier les mène logiquement à imaginer des formes nouvelles de rationnement : une distribution raisonnée de l’énergie leur semble la seule solution pour qu’une pénurie importante n’entraîne pas automatiquement une explosion des prix et des inégalités sociales. Quand l’Etat n’aura plus les moyens de gérer la pénurie à l’échelon national, la guerre civile éclatera dans la moitié des pays du monde. Toute la chaîne logistique d’apport de l’énergie aura du mal à se maintenir. Dans ces circonstances, la résistance au chaos sera locale, tendue vers l’autonomie énergétique et alimentaire à l’échelon d’un petit territoire. Cela fera un monde plus fragmenté. Il faut anticiper cette vie future en commençant la transition dès aujourd’hui, afin que les villes et les villages soient vraiment résilients vers 2025.

Une telle démarche d’autonomie devrait aboutir à la reprise en main par les individus et les collectivités locales d’une grande partie de leurs responsabilités politiques actuellement dévolues à l’Etat central. La non coopération et la désobéissance civile conjuguée avec la création d’institutions locales indépendantes et la mise au point de techniques légères ou d’outils conviviaux contrôlables par tous, permettraient de réaliser une libération progressive par la base. Il ne serait pas impossible de constituer alors de véritables territoires « libérés » dont la gestion serait prise en main par la population locale. Sur le plan militaire, une démilitarisation par la base serait très concevable : l’objection de conscience des jeunes, le refus par les adultes de payer la part d’impôt dévolue à la défense nationale et sa redistribution à la commune, une action des syndicats en faveur de la reconversion des usines d’armement vers le secteur civil, l’évolution vers l’autonomie économique de la région, tout cela constituerait des modalités pratiques de démilitarisation d’une nation. Et qui voudrait faire la guerre s’il vivait en équilibre avec son écosystème ?

Parce que les écosystèmes de la planète sont actuellement complètement déstabilisée par l’activité humaine, chacun doit se sentir à nouveau rattaché à un territoire déterminé, espace dans lequel peut se créer progressivement une relative autarcie, y compris avec une monnaie locale. Cela ne devrait pas empêcher de se ressentir cosmopolite, ouvert au voyageur sans frontières et aux différences culturelles, tout à l’opposé de l’état d’esprit nationaliste. En résumé, « glocal », penser globalement et agir localement.

4. Des ressources pour aller plus loin

Bouquins

1576 La servitude volontaire d’Etienne de La BOETIE (éditions Arléa, 2007)

1849 La désobéissance civile de Henry David Thoreau (Le passager clandestin , 2007)

1965 le cours d’une vie de Louis Lecoin (édité par l’auteur)

1971 Technique de la non violence de Lanza del Vasto (Denoël)

1972 Guide du militant de Denis Langlois (Seuil)

1973 L’objection de conscience de Jean-Pierre Cattelain (Que sais-je ?)

1975 Armée ou défense civile non violente, ouvrage collectif édité par Combat non violent

1976 I.D.S.  Information pour les droits du soldat (Maspero)

2002 Une histoire populaire des Etats-Unis d’Howard Zinn (Agone)

2005 Les paysans sont de retour de Silvia Pérez-Vitoria (actes sud)

2010 Désobéir au nucléaire (le passager clandestin)

En image, en musique et en jeu

Les jeux vidéos sont à l’image d’une société guerrière en formation. Désobéir pour la paix, c’est donc ne pas acheter la presque totalité des jeux videos !

– Les 500 000 joueurs français de World of Warcraft ne sont pas tous des drogués de la souris et encore moins des serial killers en puissance. Mais cela ne fait  certainement pas avancer la cause de la non-violence !

– Teamchman a choisi d’innover et de se faire connaître à travers Banja, un jeu vidéo gratuit non violent, basé sur les rencontres et diffusé sur le web par épisodes… La « societe » teamchman n’existe plus depuis juin 2004 !

– Fantasy Life, le jeu de rôle non-violent par Level-5. La jauge de « Happiness » détermine votre charisme et votre bonté, plus elle est haute plus il sera possible de communiquer avec différentes personnes par exemple. Sortie au Japon 31.12.2010…

Sur Internet

– culture de la désobéissance civile/civique, de l’action directe non-violente, du refus radical et ludique :

http://www.desobeir.net/

– Site web de Ressources pour la Paix au service d’Artisans du monde entier en vue d’outiller leurs efforts pour repenser la paix et proposer de nouveaux modes d’action :

http://www.irenees.net/fr/

– En France, le droit de former des syndicats ou des groupements professionnels n’est pas reconnu aux militaires. Pour l’ADEFDROMIL, les militaires sont des citoyens à part entière et le gouvernement doit leur reconnaître la parité avec tous les fonctionnaires civils.

NB : cette version de Michel Sourrouille était préparatoire au livre de Xavier Renou, « Désobéir à la guerre » (édition le passager clandestin, 2013).

Xavier a écrit en exergue : « Merci à Michel Sourrouille pour son aide précieuse ».

Manifeste du pacifisme (Michel Sourrouille, 2010) Lire la suite »

Écologie, le ministère de l’impossible

Robert Poujade (1928-2020), le premier titulaire du portefeuille de l’environnement en 1971, avait qualifié son poste de « ministère de l’impossible » ; la formule reste d’actualité. Michel Sourrouille avait publié un livre en octobre 2018, « Nicolas Hulot, la brûlure du pouvoir ». Dès la nomination de Nicolas comme ministre de l’écologie, il avait prévu qu’il démissionnerait, un écologiste sincère, même très motivé, ne peut pas grand-chose au gouvernement. Mais ce n’est pas seulement la faute des politiciens en place et d’un système économique croissanciste. Comme l’exprimait Nicolas Hulot, « il n’y aura pas de sortie de la myopie démocratique si les citoyens ne sont pas eux-mêmes les défenseurs d’une conscience élargie du monde dans le temps et dans l’espace. » Un ministre de l’écologie a besoin de l’engagement de chacun d’entre nous, sinon il ne peut pas faire grand chose. Nous sommes tous co-responsables face à l’urgence écologique.

Lire, Nicolas Hulot vivait au ministère de l’impossible

Léo Cohen

Après huit cents jours passés à l’hôtel de Roquelaure à Paris, auprès de Barbara Pompili lorsqu’elle était secrétaire d’Etat à la biodiversité (2016-2017), puis du ministre de l’écologie François de Rugy (2018-2019), j’ai quitté mes fonctions ministérielles épuisé, découragé. J’ai vu de près les blocages s’additionner, jusqu’à former un mur infranchissable, notre manière de gouverner est antinomique de l’action environnementale. Les lobbys privés ralentissent ou empêchent l’action, des projets désastreux pour l’environnement, comme la Montagne d’or, une immense mine au cœur de la forêt tropicale guyanaise, deviennent rentables grâce aux subventions publiques. Les hauts fonctionnaires sont pour la plupart « totalement hermétique » au défi climatique. Le ministre de l’écologie est confronté à la fois à une grande « solitude » et à un « parcours du combattant » .

« 800 jours au ministère de l’impossible. L’écologie à l’épreuve du pouvoir », de Léo Cohen, Les Petits Matins, 144 pages, 15 euros.

Justine Reix

J’ai mené l’enquête pendant deux ans, des couloirs de l’Assemblée nationale aux bureaux feutrés, à la rencontre de ministres, de députés, d’ONG, de chercheurs ou de lobbyistes. Le ministère n’a cessé de voir son budget et ses effectifs fondre, année après année − même si son administration compte 52 000 agents. Il est encore trop petit et trop faible pour une cause bien trop grande, l’espérance de vie du mandat est une des plus courtes au sein du gouvernement. Le fait de placer le ministère de l’écologie comme numéro deux ou trois relève seulement de la poudre aux yeux. Roquelaure est le siège d’un ministère transversal confronté à ses ennemis, l’économie, mais aussi l’agriculture, l’éducation ou les armées. Il y a concurrence temporelle entre l’écologie – dont les bénéfices se mesurent à long terme – et un système politique centré sur le court terme, dont la priorité est de faire baisser la dette et le taux de chômage pour voir ses dirigeants réélus. Nicole Bricq a été écartée du ministère de l’écologie, un mois après son arrivée, pour avoir annoncé la suspension des permis d’exploration d’hydrocarbures, une décision pénalisant l’entreprise pétrolière Shell, qui prospectait au large de la Guyane. La ministre Ségolène Royal a institutionnalisé la formule de l’« écologie punitive », qui a contribué à décrédibiliser les politiques environnementales…

« La Poudre aux yeux. Enquête sur le ministère de l’écologie », de Justine Reix, JC Lattès, 240 pages, 19 euros.

Michel Sourrouille : Être ministre de l’écologie, c’est difficile, souvent insupportable. D’une certaine manière, on sort toujours abîmé de l’antagonisme qui existe entre nos idéaux et la dure réalité de la politique. En tant que ministre, tu dois à la fois protéger les loups et protéger les éleveurs. Il n’y a plus de choix parfait, il faut mécontenter tout le monde en choisissant entre deux mauvaises solutions. Le problème global, c’est qu’on devrait aller à contre-sens de la marche actuelle de la société thermo-industrielle. Le problème personnel d’un ministre de l’écologie, c’est qu’il doit éviter d’être contaminé par les habitudes de pensée des autres membres du gouvernement qui pensent majoritairement business as usual et croissance à n’importe quel prix. En 1995, Nicolas pouvait écrire : « Je passais en revue le spectacle politique, médiatique, judiciaire qui souvent nous égare. Ces règles qu’on nous impose, ces opinions que l’on nous dicte, ces notions de réussite dont on nous gave, ces pouvoirs dispersés, chacun rêve d’en abuser. Je me méfie comme de la peste de ces influences sournoises qui diffusent et s’immiscent sans éveiller la conscience. Religieuses, éducatives, idéologiques, elles façonnent le creuset de nos pensées en évitant trop souvent le chemin de la réflexion. Je me méfie des grands courants impétueux comme de la peste. Il faut savoir se rebeller contre toutes ces dépendances et conserver son libre arbitre : être rebelle pour choisir ensuite. » Mais difficile de nager de façon autonome contre le courant dominant. Le troisième problème est temporel. Un ministre de l’écologie ne peut pas tout faire en même temps, il doit donc décider d’un calendrier programmatique, ce qui laissera de côté bien des domaines d’action. De plus il devra gérer en priorité les événements de court terme, ce qui l’empêchera de prendre le temps de préparer le long terme pour les générations futures.

Les prédécesseurs de Nicolas Hulot forment un florilège de ministres en difficulté, si ce n’est en perdition. Le premier de nos ministres, délégué à la Protection de la nature et de l’Environnement (Robert Poujade), est nommé en janvier 1971. Dans son livre-témoignage, Le ministère de l’impossible (Calmann-Lévy, 1975), il s’appuyait sur sa propre expérience pour montrer l’impossibilité d’une politique écologique au sein d’un gouvernement obnubilé par le PIB. « C’est intéressant, votre ministère. Il ne devrait rien coûter à l’Etat », entend-il dès son arrivée. « Vous n’aurez pas beaucoup de moyens. Vous aurez peu d’action très directe sur les choses. » prévient le président de la République Pompidou. Ses bureaux, composés à la hâte avec des paravents, ne sont pas fonctionnels : « Avec 300 fonctionnaires et un budget minuscule, il me fallait infléchir – essayer d’infléchir ! – la politique d’une douzaine de ministères, disposant d’administrations puissantes, et de très grands moyens. » Les autoroutes se multiplient, le ministère de l’Environnement a le droit d’émettre un avis sur le tracé, en aucun cas de s’interroger sur le bien-fondé de la bétonnisation. Alors que Pompidou martèle qu’ « il faut adapter la ville à l’automobile », on détruit des anciens quartiers pour dérouler des voies express ; on ferme aussi des voies de chemin de fer, on développe l’agriculture intensive à grands déversements d’engrais et de pesticides. Robert Poujade est réduit à l’impuissance :

« J’ai souvent ressenti avec amertume la force des intérêts privés et la faiblesse de l’État. J’ai eu trop souvent le sentiment de lutter presque seul contre des entreprises que tout aurait dû condamner… On accepte de subventionner n’importe quelle activité sous la pression des intérêts privés, mais beaucoup plus difficilement de prélever une part très modeste de profits, faits au détriment de la collectivité, pour lui permettre de réparer des dommages… La civilisation industrielle a préféré le rendement immédiat à la protection des ressources naturelles. »

Ministre de l’environnement entre 1995 et 1997, Corinne Lepage tire de son expérience le livre On ne peut rien faire, Madame le ministre (Albin Michel, 1998) :

« Il est un abîme entre la manière dont l’immense majorité des politiques croient pouvoir traiter les questions écologiques et ce qui serait, en réalité, impératif pour répliquer de manière efficace aux périls Le principe d’intégration qui veut que l’environnement soit intégré en amont de tous les choix publics est piétiné… Les ministères de l’agriculture, de l’industrie, des transports, de la santé, gèrent désormais seuls ou presque les pesticides et les nitrates, les choix énergétiques, le bruit des avions et les pollutions de la mer… Le ministère de l’agriculture sera celui des agriculteurs, le ministère des transports celui des transporteurs : cette organisation verticale est en contradiction totale avec les impératifs de la gestion des systèmes complexes qui appellent à l’horizontalité. »

Serge Lepeltier, ministre de l’écologie et du développement durable en 2004-2005, ose dans son allocution de départ :

« J’ai réalisé que les enjeux environnementaux sont plus considérables qu’on ne le dit. Mon ministère est un ministère qui dérange, l’empêcheur de tourner en rond. Alors ceux que l’on dérange, les représentants d’intérêts particuliers, ne souhaitent qu’une chose, c’est qu’il n’existe pas. C’est ma crainte. On ne le supprimera pas, c’est impossible politiquement. Mais, sans le dire, on risque de n’en faire qu’une vitrine. »

Chantal Jouanno, secrétaire d’Etat chargée de l’écologie (2009-2010) a pu écrire :

« On m’a fait venir au gouvernement en me disant « on veut une écolo moderne ». En fait, ils voulaient l’image, mais pas le son. Et moi, j’ai produit du son ! J’étais en désaccord avec le premier ministre François Fillon sur la construction du circuit de formule 1 dans les Yvelines, ou la taxe carbone, je l’ai dit. On me l’a reproché. « Maintenant que tu es ministre, tu n’es plus une militante, mais une politique » m’a dit François Fillon. Sous-entendu : tu dois savoir taire tes convictions. C’est castrateur d’être au gouvernement. On a le choix entre se taire, pour espérer faire avancer ses dossiers, ou dire ce qu’on pense et abandonner l’idée de peser dans l’action gouvernementale. »

Nicole Bricq, ministre (socialiste) de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie, n’a duré qu’un mois (16 mai 2012 au 18 juin 2012). Elle a été licenciée par le premier ministre (socialiste) Jean-Marc Ayrault pour avoir voulu suspendre des forages pétroliers au large de la Guyane. Sa remplaçante entre juin 2012 et juillet 2013, la socialiste Delphine Batho, a été licenciée par Jean-Marc Ayrault… parce qu’elle contestait la faiblesse du budget qui avait été attribué à l’écologie ! Un ministre de l’écologie, ça ferme sa gueule ou il est mis à la porte.

Nicolas Hulot savait tout cela, et il a été confronté aux mêmes difficultés. Rappelons son état d’esprit :

« Je peux passer dans la même phrase de l’abattement à l’espoir. Trois fois par jour, j’ai envie de tout abandonner. Et puis je me dis qu’il ne faut pas. A un moment, le bon sens finira par s’imposer. Je suis surnommé le « commandant couche-tôt » par mes amis – je ne bois pas, je ne fume pas, je m’endors avec les poules et je me réveille avec les mouettes. J’ai pourtant du mal à dormir car chaque nuit, je fais le procès de la veille. On peut toujours aller plus loin, faire mieux. J’ai un côté Primo Levi, celui de l’homme qui se demande « pourquoi suis-je vivant, à quoi puis-je être utile ? » Je suis « habité » par mes convictions. »

Or il est impossible de défendre véritablement la cause écologique dans une France où nos ressortissants sont arc-boutés sur leur privilèges et leur niveau de vie, dans une Europe ressassant les slogans usés de la concurrence libérale et de la compétitivité, dans une cacophonie mondiale où les nations du monde entier sont allergiques à la pensée du bien commun. Nicolas, moi-même et bien d’autres militants, nous essayons de forger un discours commun, un langage de référence qui puisse se généraliser à l’ensemble de nos concitoyens. Nous sommes un peuple en formation, taraudé par le même désir, l’équilibre entre l’espèce humaine et notre terre d’appartenance. Pour changer la société, nous devons être des millions, pas une poignée de radicaux. Un ministre écolo sans le soutien du peuple ne peut pas faire grand-chose, un peuple sans ministre écolo se retrouve orphelin. L écologie au gouvernement, c’est impossible, mais pour reprendre les mots de Nelson Mandela, « Cela semblait impossible jusqu’à ce que ce soit fait ».

« Nicolas Hulot, la brûlure du pouvoir » de Michel Sourrouille, octobre 2018

Écologie, le ministère de l’impossible Lire la suite »

de Rugy ministre de l’écologie, l’ambition au pouvoir

Les prétendants au poste quitté par Nicolas Hulot étaient peu nombreux. Normal, la succession ne pouvait aller à un écolo tant la politique macroniste n’est qu’écoblanchiment. On pouvait même craindre un retour de Ségolène Royal ! Mais l’ambition paye, François de Rugy obtient le job pourri après des années de galère. Après avoir été maire adjoint à Nantes (à 27 ans), il devient député Europe Ecologie-Les Verts (EELV) de Loire-Atlantique à partir de 2007 (à 33 ans). Il était devenu aujourd’hui président de l’Assemblée nationale sous Macron après un séjour chez les socialistes. Après avoir espéré que Jean-Marc Ayrault, dont il avait été l’adjoint, ne l’appelle en 2012, il avait vu ses compagnons de route écologistes Jean-Vincent Placé et Barbara Pompili rejoindre le gouvernement socialiste en 2016. Sans lui ! Alors il est devenu macroniste après avoir participé à la primaire socialiste pour la présidentielle 2017 !

Nous avons cerné depuis 2012 sur ce blog l’idéologie qui rugy, une écologie dite réaliste, c’est-à-dire vendu au pouvoir en place : « Il y a une sensibilité radicale, mais que je pense moins efficace en matière de participation aux politiques publiques : c’est les fondamentaliste. Et puis il y a celles et ceux qui ont une approche plus pragmatique, les réalistes. Moi (de Rugy,) j’assume pleinement mon appartenance à cette deuxième branche de l’écologie politique.  (A quoi peut bien servir un député écolo) »  En conséquence François de Rugy cultive l’écologie superficielle, anthropocentrique. Il s’attaque aux « catastrophistes », comme le font les intellectuels libéraux qui pourfendent les « fanatiques de l’apocalypse ». Il privilégie l’emploi et la préservation du niveau de vie des Français, ce qui nécessairement détériore les conditions de vie dans d’autres pays ainsi que les perspectives pour les générations futures. Il critique l’éloge de la lenteur et oublie qu’il faudrait aller moins loin, moins vite et moins souvent. Les prises de position de François de Rugy sont tellement proches de la vulgate courante que son positionnement d’écologiste devient imperceptible. Mais pour être élu, il est sans doute nécessaire actuellement d’en passer par là… En nommant François de Rugy au ministère de l’écologie, l’exécutif fait le choix de nommer un homme qui devrait se montrer plus souple et davantage enclin à accepter la discipline gouvernementale que son prédécesseur. Juste après la démission de Nicolas, de Rugy avait écrit : « Celui ou celle qui lui succédera à cette difficile responsabilité devra avoir pour lui la possibilité d’agir dans la durée. » En terme clair, ne pas démissionner et fermer sa gueule. La langue de bois est déjà sa spécialité : « L’écologie, cela ne peut pas être que des grands discours d’analyse, de dénonciation ou même de propositions mais bien de l’action, encore de l’action et toujours de l’action. »

Voici quelques réactions sur lemonde.fr à cette nomination sans surprise :

– « incarner de manière aussi visible la politique écologiste de M. Macron » La politique écologiste de Macron ? Hulot part justement car il n’y pas de politique écologiste de Macron. Que va donner ce gars “contrôlable” dans “la durée”?

– Il a tout pour être un ministre parfait pour Manupiter Ier : carpette sur le fond, et très investi dans la communication présidentielle pour tenter de faire croire que l’écologie reste une priorité gouvernementale…

– La nomination de De Rugy a surtout l’avantage de libérer le Perchoir pour Ferrand qui, mise en examen oblige, avait vu passer la présidence de l’Assemblée sous son nez. De Rugy avait été investit par LREM pour le Perchoir à condition qu’il quitte ce poste 2 ans après. Ce qu’il refusait de faire. Bombardé ministre, le pb politicien est réglé.

– On passe de « Il faut impérativement faire très vite quelque chose de fondamental » avec Hulot à « Je propose que nous nommions une commission pour examiner la faisabilité de l’élaboration d’une ébauche de congrès destinée à se prononcer sur la possibilité de réfléchir sur l’éventualité de déterminer pour l’avenir le contenu d’une charte que nous soumettrons aux partenaires concernés. » avec Rugy.

– Candidat aux primaires socialistes (3,8 % des voix), il s’était engagé à soutenir le vainqueur et a trahi cet engagement dès le lendemain du vote.

– Au lendemain du Référendum sur ND des Landes il disait : « Il faut avoir le courage de reconnaître le résultat »… Pour saluer l’abandon du Projet par Macron. L’écologie a besoin d’éoliennes. Pas d’une girouette qui tourne à droite et à droite en fonction de sa seule ambition.

– Maintenant, on va voir comment il concilie son nouveau rôle avec sa mesure de 100% d’électricité renouvelable et 0% de nucléaire prônée lors de la présidentielle 2017. Comment, vous dites ? Renoncement ? ! Ah bon..

– Cette nomination a le mérite de la clarté : ce ministère ne sert à rien dans ce gouvernement.

* LE MONDE du 5 septembre 2018, Remaniement : François de Rugy remplace Nicolas Hulot au ministère de la transition écologique

de Rugy ministre de l’écologie, l’ambition au pouvoir Lire la suite »

BIOSPHERE-INFO, l’antispéciste Brigitte Bardot

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Ce mois-ci dans Biosphere-Info un aspect de Brigitte Bardot, méconnu, son engagement quelle déclare appartenir au courant anti-spéciste. Le texte qui suit est reconstitué à partir d’éléments disséminés tout au cours de son livre, Larmes de combat (avec Anne-Cécile Huprelle) :

Introduction : Brigitte Bardot, un extrémisme antispéciste revendiqué

Ne faisons aucune différence entre les espèces. Aussi longtemps que l’animal sera considéré comme une espèce inférieure, qu’on lui infligera toutes sortes de maux et de souffrances, qu’on le tuera pour nos loisirs et nos plaisirs, je ne ferai pas partie de cette race insolente et sanguinaire. Je suis « anti-spéciste », de corps et d’âme, mais depuis 44 ans je le clame d’une façon différente, sans termes savants. Je suis heureuse d’avoir pu vivre assez longtemps pour voir, lire, toucher du doigt le débat autour de l’anti-spécisme et le développement du végétarisme. On entend beaucoup le mot « spécisme » aujourd’hui, le fait de donner plus d’importance à telle espèce plutôt qu’à telle autre. L’idée de « libération animale » a été créée par Peter Singer. J’avais entendu parler de la sortie de son livre en 1975, mais je ne l’ai pas lu à l’époque, malheureusement.

Les animaux sont tenus en esclavage. Je souhaite l’abolition de cet esclavage animal. Autrefois on niait l’humanité des hommes qui étaient enchaînés. On nie aujourd’hui la sensibilité des bêtes. S’il n’y a pas prise de conscience, des espèces disparaîtront de façon imminente. L’homme n’est pas supérieur aux animaux. Ce mot « spéciste », je le trouve compliqué, mais il définit bien une réalité, un classement entre les bêtes. Grouper les animaux dans des catégories, c’est du spécisme. Les animaux n’ont rien, ils ne possèdent rien d’autre que leur vie. L’amour que je souhaite porter aux êtres vulnérables ne tient pas compte des différences entre les espèces.

Dire qu’il faut s’occuper des hommes avant les animaux s’apparente à une lâche tentative de se déculpabiliser. La cause animale est une cause humanitaire, celle de défendre les opprimés et les humiliés. Lorsqu’on sauve un humain, on est un héros. Quand on sauve un animal, qu’est-ce qu’on est ? Imaginer faire des animaux autre chose que nos ressources, c’est élargir nos horizons « anthropocentrés », c’est-à-dire appréhender la réalité autrement qu’avec un œil humain. Ce ne serait plus exploiter le naturel, mais vivre avec. Et parfois s’y soumettre. Diane Fossey, Joey Adamson, Jill Philipps, Barry Horne, tous ces martyrs morts au nom de la cause animale devraient soulever des hommage mondiaux. Non. On ne réagit pas. On préfère dire que ce sont des illuminés, des suicidaires, des extrémistes… Oui ce sont des extrémistes. Mais ne faut-il pas toucher du doigt l’extrême quand on se tape autant la tête contre le mur de l’indifférence ? J’ai également reçu des menaces de mort, mais je m’en foutais. Je me disais : «  Si je meurs, au moins, c’est pour une cause que j’aurais défendue jusqu’au bout. » Un chasseur m’a un jour mis en joue parce que je m’interposais entre lui et un sanglier qui s’était réfugié chez moi : « J’ai deux cartouches, il y en a une pour vous et une pour lui. » Il n’en a pas fallu plus pour que je défie ce trou-du-cul : « Alors, tirez ! » Mon âme était animale.

NB : l’antispécisme est un courant de pensée refusant la hiérarchie entre les espèces animales, dont les humains.

B.B.phoques

Au début des années 1970, des articles précisaient que des tueries concernaient 150 000 à 300 000 phoques chaque année. En avril 1976, n’ayant que ma notoriété comme arme, je favorisai le déclenchement d’une vaste campagne internationale. La chasse des bébés phoques est d’une facilité déconcertante. Le blanchon se laisse, innocent, approcher par les chasseurs qui le tuent d’un coup de gourdin puis dépecé, la plupart du temps encore vivant. Son magnifique pelage permet de se cacher plus facilement sur la glace. Après avoir été allaité par sa mère pendant plusieurs semaines, le blanchon va devenir phoque et son poil imperméable se colorer de gris. J’ai plaidé la cause des bébés phoques, milité pour l’interdiction de l’importation de peaux de blanchons. J’ai pu serrer contre moi un bébé phoque. J’ai tout appris avec cette bataille de mon « sacerdoce » pour la défense des animaux. B.B.phoque, un surnom dont je suis fière.

Les abattoirs

L’alimentation casher pour les juifs et hallal pour les musulmans ne me dérange évidemment pas tant que cette prescription n’impose pas de la souffrance à un animal égorgé à vif. Je pense bien fondé l’électronarcose. Le 5 octobre 2005, j’obtenais un entretien avec Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur en charge des cultes. Il m’assura les yeux dans les yeux qu’il allait réunir les chefs musulmans et que le débat serait tranché sous huit jours. 4046 jours plus tard, à l’heure où ces lignes sont écrites, les animaux se font toujours trancher la gorge à vif dans le cadre de l’abattage rituel.

Les acteurs et actrices

Que garderez-vous de moi ? Une danse lascive au son d’un mambo endiablé ? Un cri dans le silence pour sauver les animaux ? Je suis la preuve vivante qu’un statut hors norme n’offre rien d’autre qu’un prestige qui s’éteint avec les lumières artificielles qui l’ont éclairé un temps. Cela ne donne pas le pouvoir. Quand j’ai dit en 1973 au revoir au métier de star, à cet art de vivre de fastes et de paillettes, d’images et d’adoration, je me suis sauvée. La célébrité est l’illusion de la puissance. Si quelques dispositions liées à mon ancien métier d’actrice me sont restées, elles se trouvent dans ma capacité à incarner mon combat. Mon pouvoir est celui de mettre en lumière des vies animales, d’inviter les gens à refuser des choses insupportables, à faire que chacun voit le monde avec mes yeux. J’ai donné ma jeunesse et ma beauté aux hommes et maintenant je donne ma sagesse et mon expérience aux animaux.

Des animaux intelligents

Je n’aime pas le mot intelligence car il est le signe d’une arrogance humaine dévastatrice. L’intelligence humaine est la référence. Or le monde animal est bien plus riche que cela, il nous offre en fonction des espèces tout un éventail de capacité, d’ingéniosité. Les animaux font évidemment fonctionner leur esprit à plein régime. Les animaux ont tout un tas de signaux pour exprimer leur joie, leur colère, leur surprise… Pourquoi aurait-on l’exclusivité de l’émotion ? La différence de langage ne prouve en rien le manque de réflexion des animaux. Leur communication n’est pas verbale, elle est autre. Seul le regard prédateur de l’homme nie cette diversité. L’animal ne vit pas dans les affres des sentiments tournés vers la méchanceté, la revanche agressive.

Les animaux sauvages

On doit respecter les animaux pour leur nature, leurs mœurs, leurs besoins, leur façon de vivre dans les territoires où ils ont besoin d’être. Pour profiter des possibilités de sa biologie, l’animal doit pouvoir jouir de l’espace qui lui convient, des besoins de son espèce, de sa nature solitaire ou sociale. On n’imagine pas à quel point la nature est devenue un espace réduit : les plaines sont bétonnées, les forêts coupées. Même les animaux dans les grands parcs d’Afrique qui s’étendent sur des milliers d’hectares sont braconnés malgré la surveillance des rangers. Durant des décennies, j’avais franchi des portes présidentielles, ministérielles ou européennes, chaque échec était un coup supplémentaire. Le 23 juillet 2017, pour la première fois de ma vie, j’ai songé à démissionner de mon combat public pour la cause animale. La raison en était un écœurement profond et intense : le gouvernement français venait de donner satisfaction aux éleveurs en autorisant 40 abattages supplémentaires de loups pour la saison en cours. Cette décision me tua, d’autant plus qu’elle avait été accepté par le ministre Nicolas Hulot, en qui j’avais placé tant d’espoir. Et puis un soir d’août, Nicolas m’appela à la Madrague. Il se confondit en excuses. Avant de raccrocher, il me promit : « Si dans un an, je n’ai rien changé (globalement) et je n’arrive à rien, à ce moment-là je partirais. » Je versais des larmes de combat. La bataille devait se poursuivre, il y avait d’autres loups à sauver, des cirques avec animaux sauvages à faire interdire. Mes héritiers étaient en ordre de bataille.

Les chasseurs

Les chasseurs sont munis d’un véritable attirail, dignes de champs de bataille. Aujourd’hui l’homme se donne tous les droits. Il ne fait pas que se nourrir, il gaspille, il ne fait pas que s’habiller, il pille, il ne fait pas que s’amuser, il pervertit. Quelques chose me choque horriblement : ce que les gouvernants et les chasseurs appellent les nuisibles. Les chasseurs reprochent aux nuisibles d’être aussi prédateurs qu’eux. La chasse à courre est interdite en Allemagne depuis 1952, en Belgique depuis 1995, en Angleterre depuis 2004, mais pas en France.

L’expérimentation animale

L’intelligence animale est incroyable. Je regrette qu’il faille faire des expériences, parfois grotesques, pour se le prouver et pouvoir respecter les animaux à leur juste mesure. Des mots très admirables comme « test », « expérience », « science » cachent une réalité terrifiante où des millions d’animaux de laboratoires sont charcutés chaque année. L’expérimentation animale est horrible. Des expérimentations très douloureuses sont réalisées sans anesthésie, certains protocoles précisant même que l’utilisation d’antalgiques « contreviendrait aux résultats ». Où est la ligne rouge entre le scientifique et le sadique ?

Les éleveurs

Quand en 1962 j’ai commencé à dénoncer la façon dont on tuait les animaux, je n’imaginais pas que 55 ans plus tard je dénoncerais la façon dont on les obligeait à « vivre ». La mort est une peine moins lourde que la vie dans un élevage intensif. Les animaux sont désanimalisés. Ce sont des choses, des machins et des machines qui doivent produire en un temps record. Rien n’y est naturel. Nous vivons dans un monde où on fait bouffer de l’agonie aux gens. J’ai un dégoût profond pour l’époque dans laquelle je vis. On empoisonne les animaux qui sont censés nourrir sainement les hommes, on les maintient en vie avec des substances dégueulasses et lorsqu’on se rend compte qu’on a créé des créatures dangereuses, on les euthanasie, on les brûle, on les raye de la carte. Et on recommence ! Le foie gras est une maladie dont les cons se régalent. La pratique du gavage est interdite en Allemagne, Autriche, Danemark, Finlande, Italie, Royaume-Uni… mais pas en France.

Ma Fondation

Seule ma Fondation est ancrée dans la terre ferme des réalités. En 1986, je tentai de monter ma propre organisation. On m’expliqua qu’une association, c’était bien, mais qu’une Fondation était sans commune mesure. Or pour obtenir une telle dénomination, elle devait bénéficier d’un capital de 3 millions de francs auxquels on ne devait pas toucher, le fameux « Fonds » de la Fondation. J’ai alors vendu tout un tas de babioles héritées de ma vie d’artiste, ma première vie laissait place à la seconde. Ma fondation obtint la notoriété grâce à l’émission « SOS animaux » que j’ai animé de 1989 à 1992. Le 21 février 1992 un décret paru au Journal Officiel stipulait que la Madrague, ma propriété mythique de Saint Tropez, était donnée à la Fondation. Le capital nécessaire pour la reconnaissance d’utilité publique était ainsi obtenue, ce qui nous permettait d’agir en justice et d’accepter dons et legs. Je suis à la base de cet organisme d’une centaine des salariés à Paris.

Les humanistes

Je ne fais pas partie de l’espèce humaine. Je ne veux pas en faire partie. Ce sont les humains tournés vers eux-mêmes que je n’estime pas, les Narcisse et les arrogants. Je méprise l’humain quand il refuse d’accepter d’où il vient et la nature dont il est constitué. Nous autres êtres humains sommes des « petits-rien-du-tout » dans l’immensité de l’univers. Si avant toute chose nous nous remettions cette évidence à l’esprit, bien des désagréments nous seraient évités. Nous faisons partie d’un tout : la nature, la Terre, l’espace forment un ensemble homogène et cohérent. Je distingue l’humanité qui se satisfait de son existence d’une humanité humaine. Un humain-humain est un être en perpétuelle recherche de perfectionnement. Nous avons toujours la possibilité de nous comporter en héros ou en crapule. Le sens de l’humanité, c’est faire avancer les droits de tous les êtres vivants. J’ai connu un monde où la femme était la propriété de son mari, où les enfants n’avaient pas le droit de s’exprimer. J’aimerais que l’évolution de l’humanité passe aujourd’hui par l’amélioration de la place des animaux. Considérer les animaux, c’est être capable de se mettre à leur place. Les programmes scolaires devraient être repensés pour intégrer des cours sur les animaux, la nature, la place que l’homme y occupe.

Les politiciens

Je veux que le public s’indigne, qu’il sorte de son confort, de son nombrilisme et de sa machine à laver. Parfois j’ai peur, j’ai peur du temps qui file à toute vitesse, de l’inertie des peuples, de la lourdeur administrative, de l’indifférence des politiques. Bien souvent j’ai rencontré des élus débutant dans leur métier politique, mués par des idéaux honorables. Puis leur ascension dans les hautes sphères a balayé leurs rêves. Le pouvoir est une force perverse et nombriliste. Le pouvoir est un serpent mouvant et lié à des intérêts propres, des réseaux et des connivences. Ce pouvoir, tel qu’il est exercé aujourd’hui, tend plus volontiers vers la destruction que vers la construction. En ayant conscience de ce rien que nous sommes, de ce court passage qu’est la vie, chacun devrait passer son existence à améliorer la nature et le sort des êtres animaux et humains. Tous les gouvernants, les décideurs vont mourir un jour. Ils vont eux aussi pourrir et redevenir poussière !

Les végétariens

La grande question… Combien de fois m’a-t-elle été posée ? Je suis végétarienne, pas encore végan, je ne mange pas de viande, mais je me nourris toujours de lait et d’œufs. Pour mes 83 ans, on m’a offert des « saucisses végans » à base de protéines végétales. Elles avaient l’allure de saucisses de viande, sans l’être. Et cela m’a fait le même effet, l’appellation que l’on donne à ces nourritures alternatives me rappellent trop l’univers de la viande. Je suis né en 1934, je viens d’une époque où la viande était un produit rare, cher et respecté. Aujourd’hui elle n’est plus qu’un bout de chair vulgaire, moche et jetable. Autrefois, dans la ferme, l’abattage annuel du cochon était ritualisé. On savait ce que l’animal nous offrait. Ce n’était pas des numéros, tout était encore à l’échelle humaine. On vivait, on grandissait, on mourait avec les animaux. Si toutes les familles aujourd’hui devaient tuer leur propre bête pour manger, je vous assure que le nombre de végétariens exploserait. La tante de Tolstoï avait signifié à cet auteur célèbre, végétarien, qu’elle souhaitait manger de la viande lors du repas familial. Elle trouva près de sa chaise un poulet vivant et un couteau. Tolstoï lui explique que si elle voulait dîner de la volaille, elle n’avait qu’à la tuer elle-même.

Les zoos et les cirques

Les animaux sauvages ne sont pas des objets de divertissement. L’animal n’est pas programmé pour sauter sur ses pattes de derrière et faire des roulés-boulés. Le cirque et les zoos jouent sur l’illusion du bonheur. Mais comment peut-on faire croire au public que ces attractions ne sont pas basés sur la contrainte. Les animaux mis en captivité se battent et se débattent tant qu’il est encore temps puis, quand il n’y a plus d’espoir, ils se résignent, ils comprennent vite que la seule issue de leur calvaire est la mort. La nomination de Nicolas Hulot en tant que ministre de la transition écologique fut mon grand espoir déçu. En juin 2017, le maire du Luc se battait pour empêcher l’installation d’un cirque avec animaux sauvages sur son sol. J’appelais Nicolas qui me répondit : « Je suis ministre, mais je ne sais pas ce que je peux faire. »

Conclusion

Depuis toujours je me pose des questions sur le sens de la vie, le bien et le mal, le nécessaire et le superflu. Grâce aux moyens de défense et d’attaque hyper-sophistiqués, nous pouvons soumettre n’importe quel être vivant. L’homme exploite les autres au-delà de ses besoins de survie. Il n’y a plus de limites, il n’y a plus de mesure. L’être humain pratique la tuerie de masse à grande échelle. La planète ne peut plus absorber tous ces êtres humains qui saccagent.

Aucun être n’est la propriété d’un autre. Mais pour vivre en bonne entente, « en colocataires » sur terre, il faut se laisser aller à compatir, à ressentir, à respecter, à s’agenouiller parfois face à la nature. Avant d’être responsable collectivement, il faut l’être individuellement. A celles et ceux qui luttent contre la maltraitance animale, je vous aime. Je fais mienne cette règle d’or : un équilibre doit pouvoir se faire entre la nature, l’animal et l’homme. Et si cet équilibre se brise, la chaîne écologique du monde ne fonctionne plus. L’homme en sera la première victime.

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