énergie

Fiscalité carbone inepte, carte carbone inéluctable

La taxe carbone a été introduite en 2014, sous forme d’une composante incorporée dans les accises énergétiques (taxes sur les volumes d’énergie consommés), au prorata de leurs contenus respectifs en CO2. Entre 2014 et 2017, le taux de cette taxe a augmenté, mais son impact sur les énergies fossiles a été moindre que celui de la baisse de leurs prix hors taxe résultant de l’affaiblissement des cours mondiaux. Pour les ménages, le renchérissement de la taxe a donc été indolore. Mais en 2017, le cours du brent était voisin de 40 dollars le baril. Pour discuter du projet de loi de finances pour le budget 2019, il cotait à plus de 80 dollars*. La hausse du carburant devient cette fois visible, les consommateurs poussent des hauts cris. Alors le gouvernement opte pour des rustines, pour des mesures financières d’accompagnement, par exemple le chèque énergie, en fait un « bon d’achat » qui facilite l’abaissement des factures pour les seuls usages du chauffage. Ou bien une prime à la casse ou, abomination, l’aide à l’achat d’un véhicule électrique. « Il faut faire une bonne alliance entre la protection de la planète et la protection du porte-monnaie. Quand on fait des économies d’énergie, on pollue moins et on dépense moins », a déclaré M. de Rugy, le ministre de la transition écologique et solidaire**.

Or l’objectif des taxes « vertes » est d’abord de changer le comportement des Français. La fiscalité écologique est la seule composante de la fiscalité du budget de l’État qui ait une justification autre que celle de procurer des recettes. Il s’agit d’inciter les Français par un signal prix à réduire l’utilisation des énergies fossiles et donc les émissions de gaz à effet de serre : rouler moins, utiliser le vélo, améliorer l’isolation de son logement, etc. Toute hausse de 10 % du prix des carburants et combustibles fossiles entraîne une baisse d’environ 5 % de leur consommation***. Faut-il utiliser les recettes de la taxe carbone pour modifier les comportements, lutter contre la précarité énergétique, financer l’achat des hybrides, réduire le déficit public ou baisser d’autres impôts ? Faux dilemme puisqu’on envisage une transition énergétique indolore. Le signal prix amoindri par la distribution de prébendes ne change ni la diminution des ressources fossiles en voie de disparation, ni le réchauffement climatique en voie de dépasser 3°C.

Un gouvernement responsable de notre avenir commun mettrait en place un système directement égalitaire et non relié à la question budgétaire : la carte carbone. Malheureusement les gouvernements ne basculeront vers ce système de rationnement que contraint et forcé, juste après le prochain choc pétrolier ressenti comme tel. La dernière goutte de pétrole ira sans doute à un véhicule militaire… hybride !

* LE MONDE éco du 24 octobre 2018, « Pour la fiscalité carbone, c’est l’heure de vérité »

** LE MONDE du 19 octobre 2018, Fiscalité verte : le gouvernement annonce des coups de pouce pour les plus modestes

*** LE MONDE éco du 24 octobre 2018, « Il ne faut pas blâmer la fiscalité écologique »

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Divisons par trois notre consommation d’énergie

Pour ne pas dévier de la trajectoire fixée (neutralité carbone au milieu du siècle), il faudrait « multiplier par quatre le rythme de l’amélioration de l’efficacité énergétique », et « par trois celui de la baisse de consommation d’énergies primaires fossiles » note lInstitut du développement durable et des relations internationales (Iddri). Or sa dernière étude* montre que dans tous les secteurs clés – énergie, transports, bâtiments, agriculture –, l’Hexagone est en retard sur ses objectifs climatiques. Pire, cet écart se creuse. Début juillet, Nicolas Hulot, tirant le bilan de la première année de son plan climat, avait reconnu que « pour l’instant, le changement n’est pas à l’échelle ». Plus la France s’écarte de son cap et plus il sera difficile de redresser la barre. Pourtant le président du Conseil scientifique de l’Iddri sait mettre les pieds dans le plat, les petits pas mènent au désastre. Mais la réponse est collective et demande d’énormes efforts de sobriété énergétique de chacun de nous. Réactions sur lemonde.fr :

ChP : La France creuse son retard sur ses objectifs climatiques. Pourquoi ? Parce que la France a des objectifs et que les 60 millions de français qui la peuplent n’en ont pas ! Ils veulent une croissance toujours plus élevée, des gros SUV pour épater les voisins, partir loin en vacances et rouler tous les WE. Ils n’isolent pas leur maisons, et les maisons neuves ne sont pas assez performantes. Et maintenant ils mettent la climatisation à fond en été car il fait tellement chaud.

LO CATHERINE : Tant que l’énergie ne coûtera pas plus cher, la rénovation énergétique des logements ne décollera pas. Et tant que la route ne sera pas taxée, le transport par camion continuera à se développer…

le sceptique : De quoi a-t-on besoin pour à la fois repérer le kWh moins carboné, être incité à baisser sa facture de chauffage, faire gaffe au plein d’essence et regarder les alternatives, choisir les produits qui n’augmentent pas trop le CO2, réfléchir à 2 fois avant de se payer un voyage au loin… ? D’un signal prix. Donc d’une taxe carbone, fut-elle basse au départ, mais à hausse prévisible.

Jean Claude Grange : Personne ne fait d’effort : toujours plus de voitures (et de plus en plus grosse : SUV, 4×4), des travaux de rénovation à l’efficacité plus que douteuse, toujours plus de voyages en avion (petit week-end à Barcelone à 30 euros et 2 tonnes de carbone), toujours plus d’emballage, …. Pour une fois, je rejoins @le sceptique : sans prix du carbone, rien ne bougera. On ne peut pas compter sur le civisme des gens.

CB : Sommes nous prêts à changer drastiquement notre modèle de vie, de consommation? La réponse semble être non. Avons-nous des solutions alternatives viables et crédibles à proposer à court-moyen terme (ie 5 à 10 ans max) ? Le pire arrive et nous éliminons les pailles en plastiques…

AN : Les prix croissants du pétrole voire la crise qui viendra tôt ou tard devraient inciter à prendre les devants en encourageant le transport collectif et en facilitant les mobilité qui répondent au vrais besoins (transport en commun, co-voiturage etc).

nico : au final, Macron vaut-il mieux que Trump ? Seul le style change, en fait.

* LE MONDE du 17 octobre 2018, La France creuse son retard sur ses objectifs climatiques

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Fessenheim, démantèlement d’un plan de reconversion

Fessenheim nous rappelle de lointains souvenirs. La première manifestation d’envergure contre le nucléaire civil en France, une marche sur Fessenheim, a eu lieu en 1971. Nous étions solidaire des objectifs du CSFR (Comité pour la sauvegarde de Fessenheim et de la plaine du Rhin), à savoir : opposition par tous les moyens légaux à la construction ou au fonctionnement de la centrale nucléaire de Fessenheim ; création d’un courant populaire en faveur de la sauvegarde de la santé publique pour la non implantation de centrales nucléaire dans la plaine du Rhin. Mais le mouvement antinucléaire ne prendra son essor qu’en 1974, après le choix gouvernemental de construction en série des centrales. Aujourd’hui c’est la fin programmé de ce réacteur nucléaire. Emmanuel Macron dans son programme de présidentiable promettait : « Nous réduirons notre dépendance à l’énergie nucléaire, avec l’objectif de 50 % d’énergie nucléaire à l’horizon 2025. Nous prendrons nos décisions stratégiques une fois que l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) aura rendu ses conclusions, attendues pour 2018, sur la prolongation des centrales au-delà de 40 ans. La fermeture de la centrale de Fessenheim sera confirmée. »

En conséquence Sébastien Lecornu, secrétaire d’Etat à la transition écologique, présentait le 4 octobre un plan de reconversion économique du territoire*. L’enjeu économique ? Reconvertir 850 agents EDF et 300 salariés des sous-traitants travaillant sur le site. Le gouvernement s’engage à débloquer 10 millions d’euros et une prime de 15 000 euros par emploi créé. Pour supprimer des emplois dans la fonction publique, l’État prend moins de précautions. L’épicier de Tchernobyl a fermé boutique du jour au lendemain, celui de Fessenheim mettra la clé sous la porte tôt ou tard. Tous les paysans chassés de leur terre par l’industrialisation de l’agriculture ont été obligés de se reconvertir par leurs propres moyens, tous les métiers rendus obsolètes par la mécanisation ont nourri la longue liste des chômeurs.

Fessenheim, 2000 habitants, 13 millions d’euros de rentrée fiscale grâce à la Centrale. Le maire ne devaitt pas avoir de souci pour boucler son budget. Ce sera plus compliqué après la fermeture. La maire de ce bourg défendait donc « sa » centrale, comme le boucher du coin ou le syndicaliste CGT allié déclaré d’EDF. Les individus ne voient pas plus loin que le pas de leur porte. Ils tiennent le discours de leurs habitudes, ils ont intériorisé les avantages présents de la centrale, pas du tout l’inéluctable fin de leur gagne-pain. Pourtant rien ne garantit que le gouvernement mettra de l’argent public lors des prochaines fermetures de centrales. De toute façon la problématique de l’emploi occulte le principal problème, le coût du démantèlement. Nous nous trouvons devant la responsabilité à long terme d’une entreprise EDF dont les sources de revenus, le nucléaire, est voué à disparaître à moyen terme. Fessenheim dans cinquante ans ? Une friche industrielle dont les déchets radioactifs seront à la charge des générations futures. Que sera la démocratie dans 50 ans ? La gestion et le démantèlement d’une centrale nucléaire exige une société politiquement stable et financièrement solvable sur le long terme, et là aussi nous n’avons aucune garantie.

* LE MONDE du 5 octobre 2018, Fermeture de la centrale de Fessenheim : le gouvernement présente son plan de reconversion

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taxe carbone, un vrai serpent de mer

« Nous sommes la dernière génération qui puisse faire quelque chose contre le réchauffement climatique. »* Ce n’est pas un scientifique ni un politique qui lance cet avertissement, mais Kristalina Georgieva, la directrice de la Banque mondiale. Comment ? « Nous pensons très fermement que nous pouvons envoyer un signal économique en lançant un prix fictif sur le carbone. ». Ah Ah ! c’est ce que proposent les analystes éclairés depuis des lustres. En 2006,  Jean-Marc Jancovici dans « Le plein s’il vous plaît » envisageait ainsi la taxe carbone : « Le changement de mode de vie porte déjà un nom : un prix de l’énergie toujours croissant. C’est si simple, il suffit juste de le vouloir ! Votez pour le premier candidat qui proposera d’augmenter progressivement et indéfiniment la fiscalité sur les énergies fossiles ! » En 2006 Nicolas Hulot reprend l’idée dans le pacte écologique : « taxe carbone, passage obligé vers une société sobre ». En 2009, nous proposions sur ce blog la généralisation de la taxe carbone.

Mais il y a une fuite éperdue des politiques devant cette taxe carbone. Sarkozy en avait un peu parlé en 2008, pour abandonner l’idée. Pour Marine Le Pen, la position est explicitement opposée depuis 2012 : « Pas de taxe carbone, rien. Je pense que la seule façon de baisser les émissions de gaz à effet de serre, c’est de revenir à un modèle nationaliste, d’arrêter la course au libre-échange. » Contrairement à l’idée d’une augmentation du prix du carbone, Hollande voulait diminuer le prix de l’essence au début de son mandat ! En 2014 Ségolène Royal, soi-disant ministre de l’écologie, supprime l’écotaxe pour les poids lourds. La COP21 de 2015 laissait libre cours à la bonne volonté de chaque État pour parvenir à l’objectif symbolique de limiter l’augmentation des températures à 2°C, autant dire autorisait à ne rien faire. Soulignons que la tarification du carbone, nécessaire pour induire des changements de comportement, devrait selon nos dirigeants se faire d’une manière favorable à la croissance économique et au développement. Autant dire être indolore. Quand il était ministre, Nicolas Hulot ménageait la chèvre et le choux : »Une fiscalité basée sur une taxe carbone uniforme et le renchérissement du prix du diesel risquait de pénaliser les foyers les plus modestes. C’est pourquoi le gouvernement a prévu des « dispositifs d’accompagnement ciblés pour éviter que la fiscalité ne pèse sur le pouvoir d’achat des ménages les plus modestes ». » Donc dans un monde croissanciste, nous irons jusqu’à brûler la dernière goutte de pétrole, laissant à nos descendants la responsabilité de s’adapter à la montée des eaux océanes, aux sécheresses à répétitions, à la perte de rendements agricoles, aux déplacements forcés des migrants climatiques chassés de leurs terres et à toutes sortes de malheurs concomitants. Bravo les politiciens !

Alors comme nous n’aurons pas su mettre en place une carte carbone efficace suffisamment à temps, nous passerons de façon brutale à la carte carbone, c’est-à-dire un système de rationnement. En 2009, Yves Cochet dans « Antimanuel d’écologie » envisageait déjà cette hypothèse : « Si nous voulons conserver les valeurs cardinales de l’Europe que sont la paix, la démocratie et la solidarité, la transition vers la société de sobriété passe par la planification concertée et aux quotas, notamment en matières énergétique et alimentaire. »

* LE MONDE du 21 septembre 2018, Selon la Banque mondiale, la lutte pour le climat passe par un prix sur le carbone

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Le baril de pétrole à 80 dollars, ridiculement bas !

Pour la première fois, la barre historique des 100 millions de barils produits par jour a été franchie au mois d’août, soit 15 900 000 000 litres, soit environ deux litre par jour et par habitant au niveau mondial ! C’est vertigineux, démentiel, non durable. La prise de conscience planétaire pour le climat, le fait de devoir laisser les ressources fossiles sous terre pour éviter la catastrophe est encore loin. Pour rester en dessous de la barre symbolique de 2°C d’augmentation de la température mondiale, il faudrait en effet s’abstenir d’extraire un tiers des réserves de pétrole, la moitié des réserves de gaz et plus de 80 % du charbon disponibles dans le sous-sol mondial. Or les pays membres de l’OPEP, le cartel des exportateurs de pétrole, ont pourtant augmenté leur production ces derniers mois.

Il est vrai que la demande mondiale est soutenue par un prix du pétrole qui reste à un niveau ridiculement bas : le baril de brent reste en dessous des 80 dollars, soit un demi dollar par litre. C’est moins cher que le Coca Cola qui n’est que de l’eau gazéifiée avec un colorant alors que le pétrole a demandé des millions d’années pour se fabriquer. Comme d’habitude LE MONDE*, journal dit de référence, s’intéresse aux variations conjoncturelles du prix du pétrole et pas du tout aux fondamentaux, la disparation inéluctable d’une ressource très précieuse et le réchauffement climatique dû à sa combustion. L’AIE, cette officine au service de la croissance économique mondiale, s’inquiète : « Nous entrons dans une période cruciale…Si les exportations iraniennes et vénézuéliennes continuent de tomber, les marchés vont se tendre et les prix augmenter. » Le secrétaire d’État américain à l’énergie, son homologue russe et le ministre saoudien du pétrole aux Etats-Unis plaident tous pour une baisse des prix de l’or noir de peur que des cours élevés ne pèsent sur la demande ! Face à la folie furieuse de nos dirigeants aux service de la boulimie d’essence des consommateurs, il faut rappeler les données de base d’un raisonnement fiable, la connaissance de ce qui constitue le pic pétrolier et un choc pétrolier. L’un porte sur les quantités et l’autre sur le prix, mais les deux phénomènes sont bien sûr reliés.

Nous avons déjà dépassé le pic pétrolier, le moment où nous avons atteint le maximum de production possible avant le déclin, comme l’avait déjà signalé l’AIE : « La production de pétrole conventionnel a atteint son pic historique en 2006, elle ne le redépassera jamais. » Et Donald Trump ne peut rien contre les réalités géologiques. Nous sommes donc dans une période de descente énergétique, mais les efforts technologiques démesurés de prospection et les pétroles non conventionnels nous cachent cette réalité. Les majors ont de plus en plus de mal à trouver et produire autant de pétrole qu’elles le voudraient. Exxon, BP et les autres doivent s’aventurer toujours plus loin, tenter des projets toujours plus complexes, par exemple dans l’offshore ultra-profond ou la liquéfaction de gaz. Les coûts de production des grands pétroliers montent en flèche. La facture en Alberta pour les sables bitumineux se mesure aussi en dégâts environnementaux.

Le pic pétrolier entraînera inéluctablement une hausse du prix du baril quand les perspectives de court terme envisagés par les mécanismes de marché des hydrocarbures cesseront de nous leurrer. La répercussion sur l’activité économique sera non-linéaire, c’est le choc pétrolier. Cela signifie qu’au-delà de 200 dollars le baril, beaucoup de secteurs pourraient être incapables de faire face. On peut penser aux transports : le fret routier, les compagnies aériennes et toute l’industrie automobile souffriront très gravement d’un prix aussi élevé. Et puis il y aurait un effet domino sur l’ensemble des secteurs de l’économie. Jean Albert Grégoire nous avertissait dès 1979 : « Comment l’automobiliste pourrait-il admettre la pénurie lorsqu’il voit l’essence couler à flot dans les pompes et lorsqu’il s’agglutine à chaque congé dans des encombrements imbéciles ? L’observateur ne peut manquer d’être angoissé par le contraste entre l’insouciance de l’homme et la gravité des épreuves qui le guette. Comme le gouvernement crie au feu d’une voix rassurante et qu’on n’aperçoit pas d’incendie, personne n’y croit. Jusqu’au jour où la baraque flambera. » Pour Jean-Marc Jancovici, les carottes sont cuites.

* LE MONDE du 18 septembre 2018, Pétrole : la production mondiale atteint des records, les prix en hausse

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Idées-forces de Science and Survival (Barry Commoner)

Parmi les penseurs qui jalonnent le passage de la science écologique à l’écologie politique, il faut retenir les noms de Fairfield Osborn (1948), Rachel Carson (1962) et Barry Commoner (1966). ce dernier obtint une maîtrise et un doctorat en biologie. Mais il fut marqué par la multiplication des essais d’armes atomiques dans l’atmosphère. Dès 1958, Barry lança le comité de Saint-Louis pour l’information nucléaire. Il est à l’origine du traité de Moscou qui, en 1967, interdit les essais d’armes nucléaires dans l’atmosphère et sous l’eau. Il s’attacha en effet à prouver la nocivité des retombées radioactives en s’intéressant au strontium 90, qui se fixe dans les squelettes en croissance des enfants. En moins d’un an, son comité a récolté plus de 200 000 dents de lait qui confirmèrent les soupçons. Voici quelques idées-clés de son livre de 1966, Science and Survival.

Depuis la seconde guerre mondiale, la science et la technologie sont devenues hors contrôle. Leurs développements, non seulement militaires mais aussi industriels, menacent la survie même de l’espèce humaine. Il incombe aux scientifiques d’alerter l’opinion publique sur les dangers encourus, mais les décisions incombent aux instances politiques. La panne générale d’électricité qui plongea dans l’obscurité le nord-est des États-Unis en novembre 1965 montre par exemple la possibilité de défaillances en chaîne des dispositifs sophistiqués. Il existe aussi une disparité entre les sciences physico-chimiques et l’infinie complexité de la biosphère ; l’ascendant de l’idéologie arrogante véhiculée par la biologie moléculaire marque en particulier cette disparité. Les conséquences pour notre quotidien s’aggravent au fur et à mesure que nos sociétés deviennent tributaires des sciences et des techniques, donc au fur et à mesure qu’elles s’industrialisent. Barry Commoner en donne comme premier exemple (en 1966!) l’accroissement du taux de l’air en CO2, dû principalement à la combustion d’énergies fossiles : « La température terrestre ne va pas manquer de s’élever à mesure qu’augmente le taux de gaz carbonique dans l’air. La combustion des carburants engendrera peut-être des inondations susceptibles d’immerger la surface terrestre pendant des siècles. » Par ce livre de 1966, Barry est l’un des premiers à avoir alerté l’opinion publique sur la pertinence des mesures d’accroissement du CO2, entamées par C.D.Keeling à Hawaï dès 1958.

Sa pensée reste catastrophiste comme l’illustre ce passage du dernier chapitre de Science and Survival (Quelle Terre laisserons-nous à nos enfants) : « Les effets cumulatifs des polluants (y compris le CO2), leurs interactions, et l’amplification de ces dernières, peuvent être fatals à l’édifice complexe qu’est la biosphère. Et parce que l’homme dépend lui aussi de ce système, je crois que si cette pollution continue sans contrôle, elle finira sans doute par détruire l’aptitude de notre planète à favoriser la vie. »

source : Ivo Rens, Entretiens sur l’écologie (de la science au politique) aux éditions georg 2017

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Ivan Illich en 1973, l’énergie contre la performance

Dans la circulation, l’énergie se transforme en vitesse. L’utilisation de hauts quanta d’énergie a des effets aussi destructeurs pour la structure sociale que pour le milieu physique. Un tel emploi de l’énergie viole la société et détruit la nature. Le transport est un mode de circulation fondé sur l’utilisation intensive du capital, et le transit sur un recours au travail du corps. Le transit n’est pas un produit industriel, c’est l’opération autonome de ceux qui se déplacent à pied. Il a par définition une utilité, mais pas de valeur d’échange, car la mobilité personnelle est sans valeur marchande. Dès que le rapport entre force mécanique et énergie métabolique dépasse un seuil déterminable, le règne de la technocratie s’instaure. Toute société qui impose sa règle aux modes de déplacement opprime en fait le transit au profit du transport.

En semant dans le tiers monde la nouvelle thèse de l’industrialisation économie en énergie, on apporte plus de maux aux pauvres qu’on ne leur en enlève, et on leur cède les produits coûteux d’usines déjà démodées. Quand les pauvres acceptent de moderniser leur pauvreté en devenant dépendant de l’énergie fossile, ils renoncent définitivement à la possibilité d’une technique libératrice. Au Brésil, l’ambulance fait reculer le cabinet du médecin au-delà de la courte distance sur laquelle on peut porter un enfant malade. Dès que les poids lourds atteignent un village reculé des Andes, une partie du marché local disparaît. L’expert en développement qui, dans sa Land Rover, s’apitoie sur le paysan qui conduit ses cochons au marché refuse de reconnaître les avantages relatifs de la marche. Choisir un type d’économie consommant un minimum d’énergie demande aux pauvres de renoncer à leurs lointaines espérances et aux riches de reconnaître que la somme de leurs intérêts économiques n’est qu’une longue chaîne d’obligations. Une contre-recherche devrait déterminer le seuil au-delà duquel l’énergie corrompt. Au XIXe siècle en Occident, dès qu’un moyen de transport public a pu franchir plus de 25 kilomètres à l’heure, il a fait augmenter les prix, le manque d’espace et de temps. Durant les cinquante années qui ont suivi la construction du premier chemin de fer, la distance moyenne parcourue par un passager a presque été multipliée par cent. Un véhicule surpuissant engendre lui-même la distance qui aliène. Les transformateurs mécaniques de carburants minéraux interdisent aux hommes d’utiliser leur énergie métabolique et les transforment en consommateurs esclaves des moyens de transport. Dis-moi à quelle vitesse tu te déplaces, je te dirai qui tu es. La vitesse de leur voiture rend les gens prisonniers de la rotation quotidienne entre leur logement et leur travail. Une élite franchit des distances illimitées, tandis que la majorité perd son temps en trajets imposés. Le rêve hasardeux de passer quelques heures attaché sur un siège propulsé à grande vitesse rend l’ouvrier complice de la déformation imposée à l’espace humain et le conduit à se résigner à l’aménagement du pays non pour les hommes mais pour les voitures. Chacun augmente son rayon quotidien en perdant la capacité d’aller son propre chemin. Seule une basse consommation d’énergie permet une grande variété de modes de vie.

Entre des hommes libres, des rapports sociaux efficaces vont à l’allure d’une bicyclette, et pas plus vite. L’homme forme une machine thermodynamique plus rentable que n’importe quel véhicule à moteur. Pour transporter chaque gramme de son corps sur un kilomètre en dix minutes, il dépense 0,75 calories. Grâce au roulement à billes, l’homme à bicyclette va de trois à quatre fois plus vite qu’à pied tout en dépensant cinq fois moins d’énergie. Le vélo est le seul véhicule qui conduise l’homme à n’importe quelle heure et par l’intermédiaire de son choix. Le cycliste peut atteindre n’importe quel endroit sans que son vélo désorganise un espace qui pourrait mieux servir à la vie. Un cycliste est maître de sa propre mobilité sans empiéter sur celle des autres. Cet outil ne crée que des besoins qu’il peut satisfaire au lieu que chaque accroissement de l’accélération produit par des véhicules à moteur crée de nouvelles exigences de temps et d’espace. Au Vietnam, une armée sur-industrialisée n’a pu défaire un petit peuple qui se déplaçait à la vitesse de ses bicyclettes. Il reste à savoir si les Vietnamiens utiliseront dans une économie de paix ce que leur appris la guerre. Il est à craindre qu’au nom du développement et de la consommation croissante d’énergie, les Vietnamiens ne s’infligent à eux-mêmes une défaite en brisant de leurs mains ce système équitable, rationnel et autonome, imposé par les bombardiers américains à mesure qu’il les privaient d’essence, de moteurs et de routes.

Résumé de « Énergie et équité » d’Ivan Illich (texte initialement publiée en mai 1973 par LE MONDE, mai 2018 pour la présente version, Arthaud poche pour 5,90 euros)

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Un futur avec encore plus de déchets nucléaires ?

Chaque année, un Français produit, en volume de déchets radioactifs, l’équivalent d’une demi-brique de lait. Sur cette quantité, une cuillerée à café est composée de produits de haute activité ou à vie longue. Mais les images ont peu à voir avec la préparation d’un café au lait. Fin 2016, la France était à la tête d’un stock de 1,54 million de mètres cubes de déchets radioactifs, soit 85 000 m3 de plus que fin 2015. Ils proviennent en majorité (près de 60 %) du parc nucléaire, mais aussi des activités de recherche (27 %) et de la défense nationale (9 %), le reste étant issu d’autres industries (comme l’électronique utilisatrice de terres rares), ainsi que du secteur médical. Au terme du fonctionnement et du démantèlement du parc actuel, le volume des déchets radioactifs aura été multiplié par trois ou par quatre. (LE MONDE économie du 13 juillet 2018, La France a déjà un stock de 1,5 million de mètres cubes de déchets radioactif)

Notre volonté de confier notre destin à la fée électricité sans penser en termes d’économie circulaire (zéro déchets du berceau à la tombe) est le signe évident de l’impuissance française à nous mener sur les voies d’un futur acceptable…

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Un futur qui garde ses centrales à charbon !!!

«  En 2022, les centrales à charbon françaises seront fermées. » Cette promesse de campagne du candidat Macron était concrétisée en juillet 2018 par le plan climat de Nicolas Hulot. Macron a encore tenu un discours très ferme en mai 2018 : « Nous allons aider les entreprises concernée mais nous allons fermer ces centrales. Il n’y a pas d’autre choix. » Mais mais, en politique la certitude n’existe pas ! La France ne compte plus que quatre centrales de ce type en activité sur son territoire, 1,8 % de la production électrique française, mais 25 % des émissions de gaz à effet de serre du secteur. Les raisons de ne pas les fermer : leur rôle majeur pour passer les pointes hivernales, plus d’un millier de salariés, sans compter les emplois indirects. La centrale d’EDF du Havre, la ville d’Edouard Philippe, a par exemple un impact sur l’activité du port. De plus l’alimentation électrique de la Bretagne, une « péninsule » électrique, dépend énormément de la centrale de Cordemais. Bien entendu les syndicats sont pour ces centrales très sales et soutiennent EDF qui espère que le gouvernement laissera le temps à un projet alternatif de se développer pour remplacer le charbon… par des déchets de bois. (LE MONDE économie du 10 juillet 2018, Les centrales à charbon seront difficiles à remplacer)

Nous étions en train de brûler nos forêts, heureusement nous avons exploité le charbon. Pour ne pas qu’il s’épuise trop vite, nous avons utilisé le pétrole, le gaz, la fission atomique et même le photovoltaïque… aujourd’hui on veut en revenir au bois ! C’est le signe de l’impuissance collective actuelle à nous mener sur les voies d’un futur acceptable.

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Passage aux 80 km/h, une limitation de notre démesure

Aucun écologiste ne peut être contre la limitation à 80 km/h sur la plus grande partie de notre réseau routier. Mais que ce soit pour la bonne raison, pas pour la diminution du nombre de morts alors que la population française est excédentaire, mais pour des raisons de fond. C’est ce que fait Julien Dubuis, professeur de sciences économiques et sociales, dans une tribune du MONDE* : « Une baisse de 10 km/h réduit la consommation d’essence aux 100 km d’environ 0,8 litre. Pour un couple d’automobilistes moyens, cela représenterait 240 euros d’économie par an pour le ménage, selon la Sécurité routière. A cela s’ajoutent des bienfaits écologiques. Une baisse de la consommation totale de carburant signifiera une moindre pollution atmosphérique (ndlr, y compris pour l’effet de serre). Enfin, brûler moins de carburant réduit les importations de pétrole brut. Au-delà du cas français, le pétrole est une ressource précieuse car non renouvelable, qui se raréfie. Toutes les mesures permettant de l’économiser, comme conduire moins vite, vont dans le bon sens. Tous ces bénéfices pourraient être doublés, ou triplés, si la vitesse légale diminuait aussi sur les autoroutes et en ville… »

Passer aux 80 km/h va donc dans le bon sens, mais les automobilistes conscients des limites de la biosphère devraient se rendre compte que ce n’est qu’une étape vers le dévoiturage, c’est-à-dire l’abandon à moyen terme de la voiture individuelle comme moyen de déplacement. Car quand il n’y aura presque plus de pétrole, essence ou gas-oil seront à des tarifs dissuasifs. Nous devons nous préparer à cet événement géo-physique inéluctable. Des évolutions favorables qui limitent notre usage de la voiture sont déjà en cours, le covoiturage, les ralentisseurs qui se multiplient, le recours aux transports collectif. Mais le gouvernement devrait prendre bien d’autres mesures comme le bridage des moteurs. Notre ministre de l’écologie Nicolas Hulot devrait revendiquer ce qu’il écrivait avant d’être ministre : « Moteur du dynamisme économique et de la mobilité individuelle, le trafic routier se présente en même temps comme une des causes principales du fameux effet de double ciseau : raréfaction de la ressource pétrolière d’une part et aggravation de l’effet de serre d’autre part… En matière automobile, les réglementations nécessaires sont faciles à mettre en œuvre et à être comprises de l’opinion (réduction des vitesses ou seuil d’émission de 80 g de CO2 par kilomètre, par exemple)… On nous construit des voitures qui provoquent des tentations alors que les choses seraient plus claires si leur vitesse était limitée. Il faut être cohérent, car l’être humain a aussi ses propres faiblesses. Il m’arrive de dépasser les limites sans m’en rendre compte. On ne peut pas demander aux individus d’avoir une vigilance permanente. Si le moteur de la voiture était bridé, on n’en parle plus. Il faudrait que l’Europe dise à l’unisson : Ne rentrent dans nos frontières que les véhicules bridés…  »

Bien sûr on devrait aller encore plus loin si l’avenir nous intéresse. Chaque unité familiale ne devrait être autorisé à posséder qu’une seule voiture, une voiture en circulation devrait avoir au moins deux (ou trois) personnes à bord, les péages urbains devraient être monnaie courante, etc., etc.

* LE MONDE économie du 7 juillet 2018, « Le passage aux 80 km/h apporte aux automobilistes des bienfaits financiers et écologiques »

Passage aux 80 km/h, une limitation de notre démesure Lire la suite »

Hulot seul au gouvernement… contre tous les autres

Nicolas Hulot va-t-il quitter le navire ? C’est la question posée en page UNE de Libération du 3 juillet 2018. La réponse semble aller de soi dans le sous-titre: « Rester au risque de se décrédibiliser ou partir quitte à ne plus influer sur les décisions ? Couleuvre après couleuvre, le dilemme du ministre devient de plus en plus aigu. » Suivent six pages d’analyse du type « Hulot sous l’eau, les écolos soûlés » ou « l’exécutif s’accroche à sa caution verte ». LE MONDE du 3 juillet fait une analyse plus nuancée mais la question reste la même à propos du nucléaire ou de l’agenda chargé du ministre Hulot : « Ses différents rendez-vous pourraient être autant de tests politiques pour Nicolas Hulot et pour son avenir au sein du gouvernement. » Deux pages de commentaires en fin de journal mettent les pieds dans le plat : « Un ministre qui n’a pas cessé de se renier » , « Sa démission provoquerait peut-être un sursaut », etc.

En fait le véritable problème de Nicolas Hulot est qu’il est seul contre tous ! Pour lui les lignes sont claires, il faut changer profondément de système. En matière nucléaire par exemple, il assume devant les journalistes sa vision personnelle de la PPE (Programmation pluriannuelle de l’énergie) : « Je souhaite qu’à la fin de l’année 2018, on ait un calendrier précis avec un échéancier, qu’on sache quels réacteurs vont fermer. » Mais une connaissance de la puissance du lobby nucléaire en France fait déjà dire que mentionner dans la PPE une liste de centrales qui devront fermer est potentiellement explosif, que ce soit industriellement ou politiquement. Dans ce contexte, Nicolas a contre lui malheureusement EDF, et les politiques qui s’en font le relais. Le groupe public EDF affirme aujourd’hui accepter de viser l’objectif de 50 % de nucléaire dans la production d’électricité… puisque la date de concrétisation reste encore complètement indéterminé. Par contre EDF demande, en contre-partie immédiate, la décision de construire un deuxième EPR dont Nicolas ne veut pas. Bien sûr le ministre de l’économie Bruno Le Maire abondait dans le sens d’EDF lors du salon mondial du nucléaire le 26 juin : « N’ayez aucun doute : le nucléaire restera essentiel à long terme pour garantir la sécurité d’approvisionnement de notre pays, la compétitivité de notre pays, et l’indépendance énergétique de la nation française. »* L’arbitrage entre ces deux avis opposés, économie contre écologie, sera fait par Matignon (en fait par Macron) théoriquement d’ici à la fin de l’été. La messe est dite, demandez à un citoyen ordinaire s’il souhaite dans l’avenir pouvoir moins souvent regarder de match de foot à la télé ou ne pas accéder aux voitures électriques (car la fée électricité sera en manque de baguette magique), et vous verrez sa réaction, pronucléaire. Ce n’est pas parce qu’il existe un plan de libération de l’éolien terrestre depuis janvier, un plan méthanisation en mars, un plan hydrogène début juin et un plan solaire voici quelques jours que les énergies renouvelables pourront compenser une chute importante de la production nucléaire. Notons qu’une version provisoire de la PPE sera présentée mi-juillet et après, il suffirait d’un simple décret pour mise en application.

Nous espérons que le report sine die des 50 % ou la construction autorisée d’un deuxième EPR sera un motif suffisant pour que Nicolas Hulot décide de quitter ce gouvernement. Continuer à faire du greenwashing au nom de Macron devient insupportable.

* LE MONDE du 3 juillet 2018, Nicolas Hulot monte au front écologique

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Huile de palme ou colza, toujours des nécrocarburants

La FNSEA appelle à bloquer quatorze sites, raffineries et dépôts de carburant*. Il s’agit de combattre le projet de raffinerie Total de La Mède, ancienne raffinerie pétrolière reconvertie en un centre de production d‘agrocarburants, essentiellement avec de l’huile de palme. Il ne s’agit pas de protéger les orangs-outans que la destruction de leurs forêts en Indonésie ou Malaisie éradique, il s’agit de préserver la filière du colza. Mais colza ou huile de palme, c’est bonnet blanc et blanc bonnet. Voici ce que nous écrivions sur notre blog en octobre 2015 : La production d’un litre d’agrocarburant peut contribuer à l’effet de serre jusqu’à deux fois plus que la combustion de la même quantité de combustible fossile. C’est ce que démontre Paul Crutzen, prix Nobel de chimie 1995. Aux grands naïfs que nous sommes, on nous faisait valoir qu’un agrocarburant était neutre pour le climat, on ne relâchait dans l’atmosphère que le carbone préalablement absorbé par la plante. Cette présentation occulte les émissions de protoxyde d’azote (N2O) dues à l’agriculture intensive. Ce gaz issu de la dégradation des engrais contribue 296 fois plus à l’effet de serre que le CO2. Le GIEC estimait le taux de conversion de l’azote des fertilisants en N2O à environ 1 %, aujourd’hui P.Crutzen le situe entre 3 et 5 %. Ainsi la combustion de diesel issu de colza contribue de 1 à 1,7 fois plus au réchauffement que l’utilisation d’une énergie fossile. La seule culture qui aurait un bilan acceptable est la canne à sucre, mais seulement si on ne prend pas en compte la déforestation qui, de son côté, contribue aussi à l’augmentation de l’effet de serre. Rappelons que sur cette planète, certains brûlent encore des bouses de vache pour faire la cuisine. L’énergie n’est jamais gratuite, elle se vole dans les poches de plus en plus vides de la Biosphère. Les délices de Capoue ont toujours une fin…

Il suffit de taper « agrocarburant » sur le moteur de recherche interne à notre blog pour en savoir plus, par exemple :

mai 2015 : Les véhicules à moteur n’auront bientôt plus d’énergie. On croyait remplacer l’essence par des agrocarburants, on déchante. L’union européenne revient en arrière et « limite l’usage des agrocarburants nocifs pour la planète » après en avoir fait un cheval de bataille…

octobre 2013 : Les intérêts de l’industrie des biocarburants risquent de prendre le dessus sur notre responsabilité commune d’assurer le droit à l’alimentation…. Le minimum serait que le texte final fasse référence à l’impact des politiques d’incorporation obligatoire dans les carburants d’origine fossile sur la sécurité alimentaire mondiale…

janvier 2012 : Les agrocarburants contribuent à la déforestation. Au Brésil, en Indonésie ou en Malaisie, les cultures nécessaires se développent souvent au détriment de la forêt vierge : le bilan écologique est alors clairement négatif, la forêt ne sert plus à lutter contre le réchauffement climatique. Si nous ajoutons le fait que les changements d’affectation des sols entraînent la perte d’écosystèmes captant le CO2, la situation devient encore plus tendue…

octobre 2011 : le CSA (Comité de la sécurité alimentaire mondiale) révèle ce qu’on savait déjà : les agrocarburants sont méchants. Le CSA découvre que les politiques de soutien des nécrocarburants sont largement coupables de la flambée des prix internationaux des produits alimentaires en 2007-2008. Notre soif de carburant vient concurrencer les cultures vivrières et accélère la course aux terres arables…

février 2008 : La faiblesse des outils d’évaluation environnementale, sociale et économique ont conduit les politiques à prendre des décisions mal informées en matière de « bio »-carburants. Telle était la conclusion d’un séminaire  organisé par le ministère français de l’écologie fin janvier 2008.

* LE MONDE éco du 10-11 juin 2018, Les agriculteurs commencent à bloquer raffineries et dépôts de carburant

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Quel est le véritable prix du baril de pétrole ?

Les prix du pétrole sont très faciles à expliquer a posteriori et très risqués à prédire. Ce qui est un réel handicap puisque sans énergie bon marché, il n’y a pas de croissance. En douze mois, le prix du baril (160 litres) avait doublé. Une simple déclaration venue de Russie fait chuter les cours de plus de 5 dollars dans la journée. Le prix du pétrole ne reflète pas uniquement l’état de l’offre et de la demande mais aussi celui des anticipations ; les spéculateurs gagnent leur argent sur les signes avant coureurs d’un orage à venir ou d’une éclaircie. Pour tout ce petit monde, l’équilibre idéal se situerait entre 50 et 60 dollars. Avec constance, Goldman Sachs, l’un des grands oracles de ce marché nous prédit des tsunamis ravageurs, comme en 2008 où l’un de ses experts voyait le baril de pétrole à 200 dollars, avant qu’il ne tombe à 40, puis en 2015, ses analystes le voyaient s’effondrer sous les 20 dollars, alors que six mois après il repartait vers les sommets.*

Pour les Romains le gage de la croissance était le nombre d’esclaves, pour le monde moderne c’est la merde du diable (le pétrole). Le prix du baril Brent était de 74,75 dollars le 29 mai 2018, le marché du système libéral ne sait pas si demain il sera à 20 dollars ou à 1000 dollars. Tout ce qu’on prévoit quand on raisonne en fonction des réalités géophysiques, c’est que le pic du pétrole conventionnel est déjà dépassé depuis 2006, ce qui aurait dû entraîner une hausse constante de prix car plus c’est rare, plus c’est cher. L’ère utile du pétrole en tant que combustible fossile s’achèvera avant le milieu du XIXe siècle, autant dire demain. Actuellement le prix du pétrole est artificiellement maintenu à bas prix depuis le début de son exploitation puisqu’il a permis les trente Glorieuses, le confort à tous les étages et l’auto pour une grande partie de l’humanité (soit plus de 1 milliard de voitures particulières). Pour une période faste qui aura duré moins de deux siècles, les humains ont gaspillé un don de la nature accumulé pendant des millions d’année et enfoui sous terre. Le problème essentiel n’est pas seulement l’effet de serre, mais un système de croissance éphémère basé sur l’éloignement croissant entre domiciles et lieux de travail, entre localisation de la production et centres commerciaux, entre espaces de vie et destinations du tourisme. La société thermo-industrielle est très fragile puisqu’elle est basée sur une facilité de déplacement et un confort de vie issue du bas prix de l’essence et du gasoil, du fioul et du kérosène. Le changement structurel qui s’est opéré depuis la fin de la seconde guerre mondiale ne peut être modifié brutalement sauf à provoquer une crise économique et sociale sans précédents. Si nous étions prévoyants, il faudrait dès aujourd’hui se préparer à des changements structurels de nos modes de vie pour éviter la pétrole-apocalypse. Seule une augmentation du prix du pétrole constante et progressive, dont les royalties iraient à la promotion des économies d’énergie et non aux rentiers du pétrole, permettrait une prise de conscience mondiale. Ce n’est pas le cas, les conciliabules entre émirs du pétrole et tsar de Russie font que le baril fluctue selon des considérations uniquement politiques. Quel est le véritable prix du baril de pétrole ? Il va tendre vers l’infini au fur et à mesure qu’on se rapprochera des dernières gouttes de pétrole à extraire.

Yves Cochet exprimait déjà en 2005 ce qui reste toujours d’actualité : « La décroissance mondiale de la production de pétrole sera synonyme de décroissance du PIB pour l’économie mondiale dans son ensemble. Depuis plus de trente ans, les écologistes n’ont cessé de proposer la diminution des consommations d’énergie fossiles et la mise en œuvre de politiques de sobriété énergétique et de promotion des énergies renouvelables, l’abandon de l’agriculture productiviste au profit de l’agrobiologie, le désengagement de notre dépendance à l’égard des entreprises transnationales et la réhabilitation des circuits économiques courts. En vain. Il est déjà trop tard pour espérer transmettre à nos enfants un monde en meilleure santé que celui que nous connaissons aujourd’hui. Plus nous attendrons, plus leurs souffrances seront grandes et dévastatrices. Nous envisageons des communautés humaines géographiques, des êtres humains habitant sur une aire délimitée de petite dimension, quelle que soit l’origine culturelle de chacun. Les choix de vie dépendront des ressources locales renouvelables. Ces communautés ne relèvent nullement d’une sorte de nostalgie de la douceur de vie rurale qui n’a jamais existé. Elles ne constituent pas un projet de retour à la terre entre pétainisme et babacoolisme, entre Mao et Pol Pot. Elles ne sont que la seule solution organisationnelle permettant d’atténuer les conséquences meurtrières du triple choc qui approche. Nous n’avons tout simplement pas d’autre choix. Dans une interview du 2 juillet 2005, le ministre de l’environnement britannique, Elliot Morley, encourage ses concitoyens à « penser l’impensable » : la mise en place de cartes de rationnement énergétiques individuelles. » Mais on croit encore que Cassandre avait tort !

* LE MONDE économie du 30 mai 2018, Pétrole : la météo capricieuse des prix sur le baril

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Violer une centrale nucléaire, une très bonne action ?

Vingt-trois militants de Greenpeace ont été jugés mi-mai 2018 pour s’être introduits dans la centrale nucléaire de Cruas-Meysse. S’agit-il de lanceurs d’alerte ou d’actes de désobéissance civile ? Les décodeurs du MONDE* s’interrogent : « Avant la loi du 2 juin 2015 relative au renforcement de la protection des installations civiles abritant des matières nucléaires, les militants de Greenpeace n’auraient pu être poursuivis que pour « violation de domicile ». Le texte prévoit des peines allant jusqu’à sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende, quand l’intrusion est commise soit avec une arme, soit en bande organisée. Ni le mode d’action ni le statut des militants de Greenpeace n’entrent dans la définition légale du lanceur d’alerte, essentiellement délimitée par la loi Sapin II de 2016. Cette loi protège les lanceurs d’alerte « internes  à une entreprise » car elle a été pensée pour faire face aux affaires comme les « Panama Papers » ou LuxLeaks ; autrement dit des personne physiques, pas une personne morale comme Greenpeace. »

Pour nous, lanceur d’alerte ou désobéissance civile, peu importe la querelle de mots, la loi évolue constamment. Il faut surtout d’interroger sur la légitimité de l’acte, la dénonciation d’une menace dommageable au bien commun l’emporte sur la légalité. Voici un dialogue possible avec des commentateurs du monde.fr :

GEOFFREY BASSET : Encore heureux que ces militants irresponsables de Greenpeace ne peuvent prétendre au statut de lanceur d’alerte !

Biosphere : définition de Sciences citoyennes :  » Le lanceur d’alerte se trouve confronté à un fait pouvant constituer un danger potentiel pour l’homme ou son environnement, et décide dès lors de porter ce fait au regard de la société civile et des pouvoirs publics. Malheureusement, le temps que le risque soit publiquement reconnu et s’il est effectivement pris en compte, il est souvent trop tard ! » Greenpeace est donc plus perspicace que Geoffrey Basset…

le sceptique : Ces actions sont sans utilité. Si un groupe réellement hostile le faisait, les forces de sécurité ouvriraient le feu après sommation. Là, tout est fait pour prévenir « nous sommes de gentils manifestants », donc cela n’a aucune valeur de test de sécurité. Le buzz ONG-médias est fatigant, n’intéresse qu’un petit monde. Si les actions coup de poing, vidéos volées et rapports à méthodologies douteuses restent la dimension la plus médiatisée des écolos, leur cause stagnera ou régressera.

Biosphere : « Le sceptique » montre constamment son scepticisme, à croire qu’il n’y a rien à faire dans un monde où les motifs de révolte deviennent innombrables. Il serait plus productif de montrer avec quelles « méthodologies » on pourrait faire progresser la cause écolo. Greenpeace sait déjà médiatiser ces actions, qui parle des actions du « sceptique » ? On aimerait savoir…

ALEXANDRE FAULX-BRIOLE : Pénétrer sur un site protégé et indiqué par les panneaux appropriés est un délit, que l’on s’appelle GreenPeace ou non.

Biosphere : Pénétrer sur un site dangereux qui n’aurait jamais dû exister si le programme nucléaire avait été élaboré de manière démocratique et écologique est une dénonciation dans l’intérêt commun. Il y a légitimité de l’acte. Ce qui est considéré comme délit aujourd’hui sera sans doute étiqueté comme action de salut public dans l’avenir. Le seul panneau approprié, c’est celui qui indiquerait « matières dangereuses pour des milliers d’années ». Cela montrerait l’absurdité du nucléaire civil…

Sur ce blog, nous ne pouvons que vous inciter à devenir activiste avec Greenpeace. A l’origine de l’engagement de ces militants, il y a un sens très développé de la désobéissance civile et beaucoup de courage. Les activistes sont formés pour participer à des opérations de confrontation non violente. La priorité pour Greenpeace est de pouvoir poser une image sur ce qu’elle veut dénoncer. Protester n’intéresse pas Greenpeace, l’organisation a une culture du résultat…

* LE MONDE du 23 mai 2018, Les militants Greenpeace qui s’introduisent dans des centrales nucléaires sont-ils des « lanceurs d’alerte » ?

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BIOSPHERE-INFO, le débat sur les déchets nucléaires

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Pour ou contre l’enfouissement à Bure ? Un débat national sur la gestion des déchets radioactifs, annoncé par le gouvernement le 7 mars 2018, aura lieu entre septembre et décembre 2018. Voici une exposition dialectique, avec le pour et le contre, à partir d’articles parus sur le blog biosphere ainsi que les propos retranscrits de Nicolas Hulot.

1/4) Les termes du débat : Bure et la considération du long terme

Une des caractéristiques de l’écologisme est sa préoccupation du long terme, à savoir le sort des générations futures et de la biodiversité. Les zadistes contre l’aéroport à NDDL avaient comme principaux arguments l’accaparement des terres par la bétonisaiton, ce qui impacte à la fois les ressources agricoles et la biodiversité. D’autre part faire voler un plus lourd que l’air nécessité beaucoup d’énergie, on brûle du kérosène. Or la descente énergétique va commencer et le réchauffement climatique s’accélérer, ce qui rend improbable la montée en puissance de l’aviation dans l’avenir. Les zadistes de NDLL protégeaient donc le long terme, ils avaient raison. Qu’en est-il maintenant de Bure ? Deux opposants ont été condamnées à trois mois de prison ferme et incarcérées (19 mars 2018). Leur contestation du centre d’enfouissement des déchets radioactifs est-elle fondée ?

Le gouvernement devait tester trois options, la transmutation, l’entreposage de longue durée en sub-surface et le stockage en profondeur. La transmutation reste du domaine des utopies technologiques. Alors, entreposage ou enterrement ? Car il ne s’agit pas de s’opposer à un nouveau projet inutile et imposé comme à NDDL, il faut gérer l’existant, des déchets dont la virulence va mettre des milliers d’années pour se résorber. Le problème de fond, c’est qu’envisager sereinement une gestion des déchets sur des siècles est une imposture, car les sociétés humaines sont essentiellement fragiles sur le long terme. En un siècle passé, qu’a déjà connu la France ? Deux guerres mondiales, plusieurs chocs pétroliers, des crises financières… Comment répondre de la sécurité du Cigéo dans le siècle qui vient (option gouvernementale)… ou d’un entreposage en surface (option d’EELV) ? Cigéo (centre industriel de stockage géologique) est un projet de très longue haleine : la mise en service du centre de stockage est prévue vers 2026 ou 2027, et sa fermeture au milieu du XXIIe siècle. Il n’est pas sûr que nous pourrons financièrement et socialement tenir un tel agenda. Le site Reporterre estime qu’il est temps de réfléchir à l’entreposage à terre, ce qui se fait en piscine à l’heure actuelle. Cela permet une évacuation des calories, avec accessibilité garantie, sans risque de surchauffe accidentelle. Mais des déchets vitrifiés seront-ils aussi stabilisés dans l’avenir ? La question reste donc entière : mettre des déchets à très longue vie dans des piscines ou dans des grottes ne dit rien sur les possibilités humaines de maintenance des lieux pendant des centaines d’années.

Vaut-il mieux des déchets toxiques à 500 mètres sous terre ou à l’air libre pendant une période qui dépasse nos capacités socio-économiques ? Au début de l’année 2006, le président de l’Andra (agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs) avait envoyé aux députés français le « dossier 2005 Argile » (qui traite du centre d’enfouissement à Bure) en reconnaissant qu’il n’a pas été produit de seconde version du « dossier 2005 Granite » (centre de stockage dans le granite, projet qui a été abandonné). Argile ou granite ? En Finlande, le centre d’enfouissement nucléaire d’Onkalo ne suscite pas de protestations. Avec ses deux milliards d’années au compteur, la roche granitique est idéale, c’est une zone géologique stable. Et même si l’inconcevable se produisait, les modélisations montrent que la radioactivité qui remonterait à la surface sera largement en dessous des doses autorisées ». La pire option serait de ne rien faire et de laisser les combustibles usés à la surface, juge Greenpeace. Le nucléaire civil, qui ne tenait pas compte du cycle de vie du produit (de la ressource à la maîtrise des déchets), n’était pas une activité raisonnable. Accepter Bure parce qu’on n’a plus vraiment le choix, c’est aussi trouver absolument inacceptable toute nouvelle construction de réacteur nucléaire ! C’est sans doute l’EPR de Flamanville, mise en service prévue fin 2018, contre lequel aurait du porter de préférence les actions des militants écolos.

2/4) Pour une alternative à l’enfouissement à Bure

Reporterre, 16 février 2018 : Posons correctement la question des déchets. En soulignant que la situation dans laquelle l’industrie nucléaire a conduit la France est particulièrement compliquée. Pourquoi ? Parce que, alors que les autres pays exploitant l’énergie nucléaire n’ont à gérer qu’un seul type de déchets, les combustibles usés sortant très radioactifs des réacteurs, la France s’est engagé dans la voie du retraitement, qui aboutit à créer cinq types de déchets, comme nous l’avons expliqué en détail cette semaine : les actinides mineurs ; le plutonium ; le MOx usé ; l’uranium de retraitement ; le combustible uranium usé. Comme chacun présente des caractéristiques radioactives et thermiques différentes, chacun appelle une solution particulière. Autrement dit, alors que, par exemple, les États-Unis ou la Suède n’ont à gérer qu’un seul type de déchets nucléaires — et n’y trouvent d’ailleurs pas de solution —, la France a cinq casse-tête au lieu d’un. L’honnêteté consisterait à le reconnaître, plutôt qu’à faire croire à l’opinion qu’il y a des « déchets nucléaires » et qu’il suffira de les enfouir pour régler le problème. Il est temps de réfléchir à l’entreposage à sec, qui est pratiqué à grande échelle dans plusieurs pays.
Déchets nucléaires : il faut que l’État cesse de mentir

XXX, 12 février 2014 : Je travaille depuis longtemps au CEA dans le secteur de la thermique. Tout le monde comprendra que je ne saurais m’exprimer en dehors de la protection par un pseudonyme. Voici mon point de vue. Les liquides conduisent mieux la chaleur que les gaz, et c’est la raison pour laquelle on procède à un pré-stockage des éléments les plus chauds,  issus du déchargement de cœurs, dans de l’eau, pendant des années quand le combustible est de l’uranium, temps qui atteindra 50 à 60 années pour le combustible MOX, où l’élément thermogène est le plutonium. Dans les solides, tout mouvement de convexion est par définition impossible et, si on excepte les métaux,  ce sont les milieux les moins conducteurs de la chaleur qui soient. Ainsi toute galerie contenant des colis dégageant de la chaleur est susceptible de se transformer en four. Se pose alors la question du conditionnement des déchets à vie longue, les plus dangereux, dans leurs sarcophages de verre. A température ordinaire, la géométrie des verres ordinaires n’évolue pas, même à l’échelle de temps géologiques, même sur des milliards d’années. Ce conditionnement, si on vise une dispersion minimale semble donc optimal, s’ajoutant à une très faible solubilité dans l’eau et à une excellente résistance aux attaques chimiques. Mais le verre se comporte comme un fluide à une température  de 1400-1600°C, toujours aisément atteignable dans un four. Dans une verrerie, on travaille ce matériau à des températures allant de 400 à 600°. On lit qu’au moment de leur enfouissement les colis dégageront des flux thermiques allant de 200 watts, jusqu’à 500 et 700 watts pour ceux qui contiennent des déchets issus des cœurs ou du retraitement. C’est absolument énorme. Le contrôle thermique devra être assuré à l’aide d’une ventilation de telle façon que la température de l’argile se maintienne en dessous de 70 à 90°C.

Il y a deux sources d’échauffement possibles. Celles issues des décompositions radioactives, qui sont calculables et celles, accidentelles, qui découleraient de l’inflammation d’hydrogène dégagé au fil de la décomposition de matières plastiques, qui ne sont ni calculables, ni prédictibles, ne serait-ce que parce qu’on ne dispose pas d’un inventaire précis des contenus de chaque colis scellé. Le stockage souterrain, sur le long terme, est donc toujours dangereux parce que très difficile à contrôler. Je remarque au passage que CIGEO n’a nullement été conçu pour stocker les déchets qui seront issus du MOX (constitué d’environ 7 % de plutonium et 93 % d’uranium appauvri). La production électronucléaire, outre sa dangerosité et l’impossibilité de démanteler les installations, représente une erreur technologique de notre temps. L’accumulation de déchets ingérables, d’origine nucléaire, s’inscrit dans l’ensemble des activités humaines, dans la mesure où celles-ci se sont résolument écartées de toute idée d’équilibre naturel. L’humanité a forgé l’expression, « bio-dégradable » alors que tout ce que produit la nature est par essence bio-dégrable, depuis les excréments, les rejets gazeux, jusqu’aux structures pourrissantes. Une infinité de mécanismes étaient en place qui débouchaient sur une régulation de la biosphère, qui avait fait ses preuves jusqu’à l’apparition de l’homo technologicus. L’homo technologicus est un accumulateur de déchets de longue durée de vie. Les déchets de l’industrie nucléaire ne font qu’étendre la gamme des déchets en tous genres. Aucun agent biologique ou chimique ne peut les dégrader. L’idée d’entreposer des déchets, dont la durée de vie se chiffrerait en milliers de générations humaines, dans des galeries ajoute le risque d’une contamination de la croûte terrestre, sur des étendues que personne aujourd’hui ne saurait suspecter, du fait des incontrôlables circulations phréatiques.

La conclusion s’impose, vis à vis d’un projet comme CIGEO. Le seul système de stockage tout à la fois actuellement praticable et politiquement responsable est un stockage en surface, qui permet une évacuation illimitée de calories, à un rythme élevé et continu, par convexion, sans risque de surchauffe accidentelle, avec accessibilité garantie. Une solution consisterait non à les placer dans des grottes, accessibles, taillées à flancs de falaises, légèrement surélevées pour mettre leur contenu hors d’atteinte d’une inondation, naturellement ventilées et placées sous bonne garde. C’est la réelle maîtrise d’une future « chimie des noyaux » qui, en mettant en œuvre des mécanismes qui, à haute température, permettront d’orienter les processus de transmutations, rendront possible de réellement retraiter ces dix millions de tonnes de déchets nucléaires. Nos descendants, quand ils sauront maîtriser ces technologies, peut-être dans moins d’un siècle au train où vont les choses, seront bien en peine de récupérer si nous décidons de donner suite à ce projet de stockage profond.

https://apag2.wordpress.com/2014/02/12/cigeo/

3/4) Enfouir les déchets nucléaires à Bure, une bonne idée

La loi prévoit pour les déchets de haute activité un stockage à environ 500 mètres de profondeur. Conduit par l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), le projet de centre industriel de stockage géologique (Cigéo) à Bure (Meuse) définit les bases de ce stockage géologique. Francis Sorin est un partisan convaincu de cette solution. Voici son argumentation sur LE MONDE* :

Le confinement des déchets écarte pratiquement la menace d’une vaste contamination de l’environnement. Prenons l’exemple des déchets les plus radioactifs (HA) : incorporés dans une matrice de verre qui piège les radioéléments, ils sont enfermés dans des conteneurs en acier spécial, eux-mêmes placés dans des surconteneurs, lesquels sont disposés dans des ouvrages de protection scellés (alvéoles), creusés dans la roche et revêtus d’un chemisage métallique. Ces remparts successifs ont la capacité d’emprisonner les déchets sur des durées se chiffrant en milliers d’années. Le stockage bénéficie d’une barrière supplémentaire : une couche d’argile de forte épaisseur imperméable et stable. Les déplacements des radioéléments sont très réduits, de l’ordre de quelques centimètres tous les dix mille ans. Les rares déchets qui pourraient parvenir en surface le feront sur des dizaines de milliers d’années, cet étalement dans le temps rendant leur concentration très faible et leur impact potentiel quasiment nul. De plus les ingénieurs ont imaginé les cas de figure les plus préjudiciables à la sûreté du système. Dans tous ces cas, les études montrent que l’impact du stockage ne dépasserait guère celui de la radioactivité naturelle. Un autre avantage essentiel du stockage en profondeur est qu’il met les déchets à l’abri des phénomènes naturels extrêmes : inondations, séismes, érosions, glaciations. De même qu’il complique infiniment toute forme d’intrusion humaine, fortuite ou malveillante. C’est une des raisons majeures qui expliquent la préférence accordée au stockage géologique (en France et à l’étranger) plutôt qu’à l’entreposage de longue durée dans lequel les déchets restent exposés en permanence aux bouleversements environnementaux et aux incertitudes sociétales. Notre génération qui a bénéficié des avantages de l’énergie nucléaire n’abandonne pas aux générations à venir la charge d’en gérer les inconvénients. C’est là un avantage décisif par rapport à l’entreposage en subsurface qui impose un engagement permanent de nos descendants pour la surveillance et la maintenance des installations abritant les déchets reçus en « héritage ». Cette argumentation a entraîné d’un débat parmi les commentateurs du monde.fr, débat auquel a participé directement Francis Sorin :

Papa a dit : Il n’y a dans cette tribune aucun détail technique qui nous explique en quoi la couche d’argile est sûre. Quels avantages par rapport au granit ? Quid des infiltrations, d’un incendie des déchets ?… Pour convaincre il faut avancer des arguments, parler du haut de son estrade ne suffit pas. Je ne suis pas contre un enfouissement je lis ce que je trouve pour me forger une idée mais là je n’ai rien trouvé qu’un ton paternaliste.

Francis Sorin : Vous conviendrez que je ne peux tout dire en 6000 signes. Les cas que vous citez : infiltrations, incendies sont largement documentés…avec bien d’autres. Ils sont consultables sur internet; je fais confiance à votre volonté d’implacable censeur pour les trouver ! Contrairement à ce que vous dites, ce sont des arguments que j’ai présentés dans mon article, ceux qui ont fait préférer le stockage géologique à l’entreposage de surface. Trouver cela « paternaliste » est pour le moins bizarre…

triplezero : Après une deuxième lecture du texte de Monsieur SORIN, aucun terme technique ou scientifique précis n’apparaît dans son « argumentation » . On est en droit de supposer que ce  » journaliste scientifique » rapporte des avis et des connaissances qui ne sont pas les siens et dont il n’a pas toujours compris les significations .Ne serait-t-on pas en face d’un « lobby man » qui s’est trouvé un fromage à la mode ?

Francis Sorin à l’attention de triplezéro : merci d’avoir lu mon texte une deuxième fois. Vous lui portez un intérêt qui m’honore. De tous ces « avis et connaissances …dont je n’ai pas toujours compris les significations » j’ai fait un livre paru fin 2015 aux éditions EDP Sciences : »Déchets nucléaires, où est le problème? ». N’hésitez pas à l’acheter, il est plein de termes scientifiques et techniques qui vous plairont.

Pascal ANDREOLLI : Le problème ? Léguer à des milliers de générations un poison. Ces déchets sont un symbole de notre irresponsabilité.

Francis Sorin : Dans la plupart des entreprises humaines, le raisonnement éthique est affaire de comparaison. Ici, on compare stockage géologique et entreposage. On peut élargir ce champ de comparaison et considérer par exemple qu’au plan mondial la pollution atmosphérique due aux déchets des énergies fossiles (pétrole, charbon, gaz) cause plusieurs dizaines de milliers de morts par an.

* LE MONDE du 19 avril 2018, Francis Sorin : « Le stockage géologique est la solution efficace pour gérer les déchets nucléaires »

4/4) le point de vue du ministre Nicolas Hulot

Concernant le projet d’enfouissement des déchets radioactifs à Bure, je refuse de précipiter  les choses. Dans le sous-sol de cette commune de la Meuse, doivent être enfouis, à 500 mètres de profondeur, les déchets nucléaires français les plus dangereux : 85 000 m3 de produits hautement radioactifs et à vie longue – des dizaines ou des centaines de milliers d’années. Mon travail est de vérifier que le stockage se fasse dans des conditions de sécurité absolue. Ensuite, cela doit nous pousser encore plus à réfléchir sur le nucléaire. Ce n’est pas ma conception d’une civilisation d’avoir des déchets que l’on délègue aux générations futures. L’article premier de la loi française de décembre 1991 sur le stockage des déchets radioactifs disait : « Les générations futures ont le droit de jouir de cette terre indemne et non contaminée ; elles ont le droit de jouir de cette terre qui est le support de l’histoire de l’humanité. » J’ai répondu à une interpellation d’une députée de La France insoumise, montrant une photo où je manifestait contre le projet de Bure. « Je n’ai pas l’impression d’être en porte-à-faux avec ma conscience. J’aurais préféré ne jamais avoir à traiter ce sujet-là, que l’on n’arrive pas à cette situation avec ces déchets dont personne ne veut mais il fallait choisir la moins mauvaise solution. »

Lors de mes vœux à la presse en janvier 2018, je temporise : « Concernant le projet d’enfouissement des déchets radioactifs, ce n’est pas en 2018 qu’on va mettre au fond et rendre ça irréversible, il y a encore du temps. Si l’on m’offre des alternatives, je suis preneur. Je me serais bien passé des déchets nucléaires. Mais maintenant que je suis ministre et que j’en ai la charge, je veux bien les mettre au fond des océans ou les envoyer dans l’espace, mais je ne crois pas que ce soit très raisonnable. » Après l’abandon de NDDL, un nouveau problème de zadistes se profile. Plusieurs dizaines de jeunes antinucléaires ont choisi d’investir ce territoire, où ils ont acheté des maisons et construit des cabanes dans une forêt de 220 hectares, le bois Lejuc, qu’ils occupent depuis l’été 2016. Mon secrétaire d’État Sébastien Lecornu avait témoigné en conseil des ministres qu’une cabane dite « de la résistance et de la solidarité » était en voie d’installation à Bure. Mes collèges se sont marrés, « la cabane au fond du jardin », mais la situation a été prise au sérieux par le ministre de l’inétrieur Gérard Collomb : « La détermination suffit à provoquer des heurts ». J’ai dit aux zadistes que la décision d’abandon du projet d’aéroport n’était en aucun cas une licence pour reproduire ce type d’action ailleurs. Mais l’opposition à l’enfouissement à Bure va être très difficile à gérer, les militants anti-nucléaires seront encore plus virulent que les opposants à l’aéroport de NDDL.

Avec le gouvernement Macron, la force prime. Évacuations par la force des environs de Bure le 22 février 2018, 500 gendarmes mobiles pour quinze zadistes. Bien entendu mon secrétaire d’État Sébastien Lecornu, qui devait recevoir les associations qui le souhaitent à la préfecture, n’a rencontré personne. Il dénonce : « les occupants illégaux du bois Lejuc qui appartiennent à la mouvance d’extrême gauche anarchiste ». Sébastien Lecornu a annoncé le 7 mars qu’un débat national aura lieu entre septembre et décembre 2018 sur la gestion des déchets nucléaires. Cette concertation, organisée sous l’égide de la Commission nationale du débat public, comprendra aussi la mise en place « d’ici l’été » d’un centre de ressources en ligne ouvert au public et d’une « instance de dialogue » d’experts. Mais « à projet hors norme, il est normal que la concertation soit hors norme », a-t-il précisé. C’est ma conception, associer à ce débat non seulement le public local mais aussi l’opinion publique nationale. Sur mon compte twitter, j’ai commenté : « La gestion des déchets nucléaires est un choix qui engage notre pays pour des siècles. Je pose deux principes : transparence totale et débat serein où toutes les opinions pourront s’exprimer. » Le calendrier de réalisation des travaux est encore long puisque la demande de déclaration d’utilité publique doit être déposée en 2019 et sera validée en théorie aux alentours de 2022, la phase pilote ne devant commencer qu’en 2025 environ.

BIOSPHERE-INFO, le débat sur les déchets nucléaires Lire la suite »

Tout savoir sur les anti-éoliens… et même plus

Leurs slogans : « Non à l’éolien en France » ; « Défendons notre patrimoine rural contre les affairistes éoliens » ; « promoteurs imposteurs » ; « La Charente-Maritime aura bientôt plus d’éoliennes que d’églises romanes » ; « mensonge des emplois car ce sont des entreprises qui ne sont pas françaises qui viendront » ; « Le paysage est attaqué »…

La motivation des anti-éoliens avec leur « Fédération environnement durable » (FED, créée en 2007) : le président de la FED, Jean-Louis Bultré, soutient le nucléaire pour sortir des énergies fossiles.

Leurs actions : « Notre seul moyen, c’est le harcèlement : le temps joue contre l’industriel, il a emprunté de l’argent et plus cela traîne, plus il en perd » ;

La réaction du gouvernement,  préconisations du 18 janvier 2018 : recours jugés directement par la cour d’appel, ce qui ferait gagner deux ans. Simplification encore pour les procédures de « repowering »,avec la possibilité donnée aux opérateurs d’augmenter le nombre de mâts de « manière raisonnable » sans repasser par toutes les procédures.

Sur la défiguration des paysages : Des autoroutes, des pylônes électriques, des antennes relais et même des parkings près des lieux de rêve infectent ou tel terroir d’origine ! Rien de ce qui donne un sens à la vie, temps libre, espace libre, nature libre, ne peut être préservé dans une société croissanciste. Partout l’homme ne rencontre que lui-même. L’anthropocentrisme dominant ne reconnaît aucune valeur intrinsèque à la nature spontanée et non aménagée. Alors une éolienne de plus ou de moins ! Les nucléocrates et autres anti-éoliens n’ont pas choisi le bon combat. La seule restauration des paysages à la hauteur de nos enjeux écologiques d’aujourd’hui passe par la destruction de routes, de bâtiments et de pylônes de transmission pour redonner de l’espace à la nature… mais aussi des éoliennes de type industriel.

Sur le site de documentation des écologistes, « éolien » dans le lexique : Permet l’utilisation de l’énergie cinétique du vent pour produire de l’énergie, le plus souvent sous forme d’électricité. En 1980, une éolienne pouvait mesurer 20 mètres de haut avec une envergure de pales de 10,5 mètres et produire 26 kW. Vingt ans plus tard les éoliennes atteignent 80 mètres de haut, 80 mètres d’envergure de pales et une puissance de 2500 kW : une seule éolienne suffit alors pour les besoins d’une commune de 530 foyers ayant la norme de consommation européenne. Il ne faut pas voir dans ce gigantisme l’avenir ; l’éolien doit tout au contraire rester une énergie de proximité variable au gré des vents qui redonne aux humains le sens de leur dépendance vis-à-vis des richesses naturelles. Perfectionnez un peu les moulins à vent ou les moulins à eau du passé, tout le reste n’est que vaine tentative de maintenir artificiellement le système thermo-industrie . La première énergie est celle de ton corps, laisse à Eole la latitude de t’en fournir un peu plus à sa guise. (actualisation 2017, Diamètre du rotor : entre 80 et 110 m. Hauteur du mât : 80 à 100 m. Hauteur totale : entre 120 et 155 m. Puissance : entre 1,8 et 3 MW.)

* LE MONDE du 29 mai 2018, En France, la fronde anti-éoliennes ne faiblit pas

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Le nucléaire et la PPE, une énergie à oublier

Instaurée par la loi de transition énergétique d’août 2015, la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) vise à définir une feuille de route plaçant le pays sur la bonne trajectoire pour atteindre ses objectifs à long terme. Nicolas Hulot a annoncé, le 7 novembre 2017, que la France renonçait à l’objectif de 2025 pour atteindre 50 % de nucléaire dans sa production électrique (contre 75 % aujourd’hui). Voici les autres objectifs à atteindre : réduction de 30 % du recours aux énergies fossiles d’ici à 2030, développement des renouvelables à hauteur de 32 % des besoins énergétiques à la même date, neutralité carbone en 2050, diminution de moitié de la consommation d’énergie à la même échéance.* Depuis janvier 2018, la France est entrée dans les débats : les Français sont-ils capables de parler d’autre chose que du nucléaire ?

Le maintien du nucléaire serait justifié par le raisonnement suivant : priorité doit être donnée à la diminution des gaz à effets de serre… et le nucléaire n’émet pas de CO2. De plus ce serait conforter les centrales à charbon comme en Allemagne. Cela condamnerait la PPE à un exercice autour du mix électrique, sur le rythme du développement des renouvelables et le rythme de fermeture des réacteurs nucléaires. Liquidons immédiatement le choix nucléaire. Pénurie prévisible d’uranium (une ressource non renouvelable), impossibilité d’une gestion durable (sur des centaines d’années) des déchets nucléaires, garantie improbable d’une stabilité géopolitique de la France pour sécuriser les centrales dans le siècle à venir, autant de raisons de programmer l’abandon progressif et définitif du nucléaire… Mais le problème de fond, c’est que la génération actuelle a toujours vécu dans un contexte d’abondance énergétique. Toutes les sources d’énergies possibles (nucléaire, charbon, gaz, hydraulique, éolien, etc.) se cumulent actuellement : un mix énergétique de rêve ! Cette génération n’est donc pas préparée à envisager, encore moins à subir un choc énergétique. Si elle était écolo-compatible, elle demanderait par exemple l’arrêt des voyages en avion et de la fabrication de bagnoles individuelles… C’est dans un tel contexte social, énergétiquement boulimique, que Nicolas Hulot est amené à parler de fin du moteur thermique pour les voitures, ce qui veut dire pour les citoyens passage aux automobiles électriques… et construction de nouvelles centrale nucléaires !

Le seul élément fiable de la PPE, c’est l’idée d’une « diminution de la consommation d’énergie », c’est-à-dire le passage d’une politique d’offre d’énergie à une politique de la demande. C’est le sens du mot négaWatt, l’énergie que nous sommes condamnés ne pas consommer. Vous sentez-vous concernés quand j’écris « habitat-tertiaire » ? Et si je vous dis « chauffage de VOTRE appartement », cela ne vous parle-t-il pas mieux ? Nous entrons dans une période ou l‘action consciente de chacun, sa responsabilité, est indispensable. Ce qu’il faut, c’est intégrer dans l’ensemble de nos actes les externalités négatives, les conséquences néfastes de nos propres consommations d’énergie. Est-il bien raisonnable de circuler en ville avec une voiture de 1300-1500 kilos pour transporter un bonhomme qui en pèse 70 ? Nous devons réfléchir en termes de besoins, les classer selon une grille qui va de l’indispensable au nuisible, en passant par le nécessaire, le superflu… Et cette grille doit faire l’objet d’une législation. Ai-je vraiment besoin de me déplacer ? Quels sont les déplacements de loisirs et les déplacement contraints ? Il faut aussi être conscient que la problématique du temps est importante, c’est une rupture rapide de notre psychologie consumériste qu’il faut mettre en place. Le gouvernement macroniste, comme son prédécesseur hollandiste, se refuse à voir la réalité en face : il y aura bientôt pénurie, la descente énergétique est proche. Le pic pétrolier (la quantité maximum de pétrole conventionnel extrait), déjà dépassé en 2006, était annonciateur d’un choc pétrolier (augmentation brutale du prix de l’essence, du kérosène, du fuel…) aura des effets socio-économiques bien plus proche dans le temps que le réchauffement climatique. C’est pourquoi la première des solutions dans un scénario réaliste reste la sobriété énergétique.

* LE MONDE du 14 mai 2018, Transition énergétique : En France, un débat dans l’ombre du nucléaire

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Enfouir les déchets nucléaires, une bonne idée ?

La loi prévoit pour les déchets de haute activité un stockage à environ 500 mètres de profondeur. Conduit par l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), le projet de centre industriel de stockage géologique (Cigéo) à Bure (Meuse) définit les bases de ce stockage géologique. Francis Sorin est un partisan convaincu de cette solution. Voici son argumentation sur LE MONDE* : Le confinement des déchets écarte pratiquement la menace d’une vaste contamination de l’environnement. Prenons l’exemple des déchets les plus radioactifs (HA) : incorporés dans une matrice de verre qui piège les radioéléments, ils sont enfermés dans des conteneurs en acier spécial, eux-mêmes placés dans des surconteneurs, lesquels sont disposés dans des ouvrages de protection scellés (alvéoles), creusés dans la roche et revêtus d’un chemisage métallique. Ces remparts successifs ont la capacité d’emprisonner les déchets sur des durées se chiffrant en milliers d’années. Le stockage bénéficie d’une barrière supplémentaire : une couche d’argile de forte épaisseur imperméable et stable. Les déplacements des radioéléments sont très réduits, de l’ordre de quelques centimètres tous les dix mille ans. Les rares déchets qui pourraient parvenir en surface le feront sur des dizaines de milliers d’années, cet étalement dans le temps rendant leur concentration très faible et leur impact potentiel quasiment nul. De plus les ingénieurs ont imaginé les cas de figure les plus préjudiciables à la sûreté du système. Dans tous ces cas, les études montrent que l’impact du stockage ne dépasserait guère celui de la radioactivité naturelle. Un autre avantage essentiel du stockage en profondeur est qu’il met les déchets à l’abri des phénomènes naturels extrêmes : inondations, séismes, érosions, glaciations. De même qu’il complique infiniment toute forme d’intrusion humaine, fortuite ou malveillante. C’est une des raisons majeures qui expliquent la préférence accordée au stockage géologique (en France et à l’étranger) plutôt qu’à l’entreposage de longue durée dans lequel les déchets restent exposés en permanence aux bouleversements environnementaux et aux incertitudes sociétales. Notre génération qui a bénéficié des avantages de l’énergie nucléaire n’abandonne pas aux générations à venir la charge d’en gérer les inconvénients. C’est là un avantage décisif par rapport à l’entreposage en subsurface qui impose un engagement permanent de nos descendants pour la surveillance et la maintenance des installations abritant les déchets reçus en « héritage ».

Cette argumentation a entraîné d’un débat parmi les commentateurs du monde.fr, débat auquel a participé directement Francis Sorin :

Papa a dit : Il n’y a dans cette tribune aucun détail technique qui nous explique en quoi la couche d’argile est sûre. Quels avantages par rapport au granit ? Quid des infiltrations, d’un incendie des déchets ?… Pour convaincre il faut avancer des arguments, parler du haut de son estrade ne suffit pas. Je ne suis pas contre un enfouissement je lis ce que je trouve pour me forger une idée mais là je n’ai rien trouvé qu’un ton paternaliste.

Francis Sorin : Vous conviendrez que je ne peux tout dire en 6000 signes. Les cas que vous citez : infiltrations, incendies sont largement documentés…avec bien d’autres. Ils sont consultables sur internet; je fais confiance à votre volonté d’implacable censeur pour les trouver ! Contrairement à ce que vous dites, ce sont des arguments que j’ai présentés dans mon article, ceux qui ont fait préférer le stockage géologique à l’entreposage de surface. Trouver cela « paternaliste » est pour le moins bizarre…

triplezero : Après une deuxième lecture du texte de Monsieur SORIN, aucun terme technique ou scientifique précis n’apparaît dans son « argumentation » . On est en droit de supposer que ce  » journaliste scientifique » rapporte des avis et des connaissances qui ne sont pas les siens et dont il n’a pas toujours compris les significations .Ne serait-t-on pas en face d’un « lobby man » qui s’est trouvé un fromage à la mode ?

Francis Sorin à l’attention de triplezéro : merci d’avoir lu mon texte une deuxième fois. Vous lui portez un intérêt qui m’honore. De tous ces « avis et connaissances …dont je n’ai pas toujours compris les significations » j’ai fait un livre paru fin 2015 aux éditions EDP Sciences : »Déchets nucléaires, où est le problème? ». N’hésitez pas à l’acheter, il est plein de termes scientifiques et techniques qui vous plairont.

Pascal ANDREOLLI : Le problème ? Léguer à des milliers de générations un poison. Ces déchets sont un symbole de notre irresponsabilité.

Francis Sorin : Dans la plupart des entreprises humaines, le raisonnement éthique est affaire de comparaison. Ici, on compare stockage géologique et entreposage. On peut élargir ce champ de comparaison et considérer par exemple qu’au plan mondial la pollution atmosphérique due aux déchets des énergies fossiles (pétrole, charbon, gaz) cause plusieurs dizaines de milliers de morts par an. Ce raisonnement vous laisse-t-il lui aussi rêveur?

* LE MONDE du 19 avril 2018, Francis Sorin : « Le stockage géologique est la solution efficace pour gérer les déchets nucléaires »

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Linky, technique diabolique ou instrument à notre service

Une chaîne humaine en Isère et une manif à Bordeaux pour s’opposer aux compteurs Linky*, cela appelle à plus de réflexion. Toute introduction d’un nouveau outil pose le problème de son acceptabilité socio-économique et écologique. Les écologistes font une distinction entre les techniques douces et les techniques dures. Ivan Illich, dans son livre La convivialité (1973), avait défini ainsi le statut de l’outil : « Je distingue deux sortes d’outils : ceux qui permettent à tout homme, plus ou moins quand il veut, de satisfaire les besoins qu’il éprouve, et ceux qui créent des besoins qu’eux seuls peuvent satisfaire. » En d’autre termes, l’outil préserve-t-il notre autonomie, comme une simple bêche pour travailler la terre, ou nous fait-il dépendre d’une société complexifiée comme l’automobile ? Linky est bien à classer dans les techniques hétéronomes, celles qui nous font dépendre des autres et empêchent notre autonomie. Mais il faut alors aller jusqu’au bout du raisonnement : refuser Linky, c’est refuser de dépendre d’un réseau électrique centralisé sur lequel nous n’avons aucune prise. Ce refus serait une attitude de recherche de simplicité volontaire qui a toute notre estime et nos encouragements. Sinon un compteur reste un compteur, qui nous relie à des poteaux électriques et, in fine, à une centrale nucléaire pour 75 %. Que ce soit par le compteur traditionnel ou par celui dit « intelligent », l’État connecte nos foyers à des systèmes communicants centralisés. Linky ne fait que faciliter le pilotage de nos consommations, donc de la production électrique.

Bien sûr Linky a des désavantages. Remplacer systématiquement des compteurs qui fonctionnaient parfaitement, c’est assurément un gaspillage. Linky supprimera aussi de l’emploi dans les entreprises sous-traitantes chargées de relever périodiquement les compteurs. Linky semble n’avoir aucune tolérance à de ponctuels dépassements de puissance, par opposition aux compteurs précédents. Pas mal de consommateurs vont devoir augmenter leur puissance souscrite et donc payer plus cher. Et c’est EDF qui choisirait à tout moment à quel tarif vous êtes facturé, il n’y aurait plus de tarif fixe. Dire de ce compteur qu’il est « intelligent », c’est effectivement bafouer ce que pourrait être l’intelligence humaine. Mais les avantages semblent l’emporter. L’opérateur qui nous fournit notre courant a besoin de Linky pour préparer une gestion fine du réseau, besoin inéluctable à terme (sources intermittentes, stockages locaux, déséquilibres entre consommation et production). Quant à dévoiler notre consommation électrique, on ne voit pas en quoi cela serait une atteinte nos libertés. A travers les portables, nos données bancaires, les cookies sur notre ordinateur, on sait que nous sommes déjà espionnés à tout moment. Inutile d’être sur Facebook pour être pisté, il suffit d’avoir un smartphone. Et nous ne parlons pas des objets connectés (frigo, enceinte musicale Bose, Sonos, Google Home…). Tous ces objets font déjà partie du quotidien de beaucoup de personnes. En fait Linky a bien moins d’informations à communiquer, il ne sait rien de nos envies ou de nos turpitudes. En définitive ce nouveau compteur, qui vise à mieux connaître les consommations et productions individuelles instantanées, semble nécessaire à la transition écologique de notre alimentation électrique vers des énergies renouvelables et relocalisées. Notons que la liberté individuelle dans nos sociétés de masse n’existe pas, si tant est qu’elle ait déjà existé : les communautés restreintes ont aussi leurs moyens de contrôle sur l’individu.

Notre véritable liberté, c’est de savoir résister à ce qui met véritablement en péril le bien commun. La dénonciation de Linky est non seulement anecdotique, mais relève d’une analyse très très superficielle de l’emprise de la technologie sur nos destins collectifs. Par contre certaines luttes anti-techniques valent le coup, réagissant contre des dysfonctionnements socio-économiques, de vrais dangers écologiques, une atteinte aux générations futures… Les motifs de contestation sont innombrables, « stop plastique », « non aux néo-nicotinoïdes », « l’EPR ne passera pas par moi », « les écrans nous empoisonnent », etc.

Articles antérieurs sur notre blog

3 mai 2018 : Le compteur Linky n’entraîne pas mort d’homme !

18 mars 2018 : Faut-il être contre les compteurs Linky ?

* LE MONDE avec AFP du 5 mai 2018

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Le compteur Linky n’entraîne pas mort d’homme !

Des sites internet ont attribué la mort d’un homme dans un incendie au compteur Linky. Fake news, intoxication, rumeur non fondée*. Ainsi va la communication électronique, l’imaginaire a tendance à dépasser la réalité. Nous avons déjà consacré un article sur « pour et contre Linky », voici quelques commentaires complémentaires sur le monde.fr… dans l’attente de vos apports sur ce blog :

Refus Linky : Tous les technophiles prêts à tout accepter de leurs maîtres sont venus en commentaires aboyer leurs louanges parce que quelques excités se sont emballés contre le compteur Linky. Reste que ce compteur est fait pour satisfaire d’abord leurs concepteurs et incidemment augmenter votre facture. Puis, double bonus, ils vendront vos données récoltées. Ce n’est pas Facebook, que vous pouvez ne pas avoir, c’est pire, parce que vous ne pouvez vous passer d’électricité. Non au compteur mouchard Linky !

Alan @ « refus linky » : Simple détail, il n’est pas prévu d’augmentation liée à linky. Pour votre fantasme de données revendus, dans le cas de linky et contrairement à tous les sites que vous consultez qui vous glissent trois tonnes de cookies à l’insu de votre plein grès, il faudra votre autorisation pour utiliser ces données. Si vous devez être cohérent, arrêtez d’abord internet (et les réactions sur ce site qui contient déjà 8 cookies mouchards)

Fanch : Le problème de ces satané compteurs sont bien la collecte de vos données de consommation, revendu au plus offrant, qui est un problème. mais étant donné que même en sachant que Facebook ( entre autres) peut vous prendre pour des c..s et que vous en redemandez je ne m’étonne plus de rien.

HAREE G. : Fanch, vous ne savez absolument pas de quoi vous parlez, ces données sont essentielles pour la gestion du réseau pour équilibrer l’offre et la demande, Enedis n’est pas une société commerciale, Enedis ne vend rien, ce sont des techniciens qui gère la distribution BT. Le problème c’est que Stéphane Lhomme vous jette des os à ronger et vous vous jetez tous dessus sans réfléchir.

Jeavie : Le délire autour de ces malheureux compteurs Linky est devenu ahurissant, on n’est plus loin de la théorie du complot. Ils serait vraiment intéressant de décrypter comment on a pu en arriver là sur cet appareil, alors même que les gens (les mêmes?) déballent sans vergogne toute leur vie privée sur facebook.

Ménilmontant52 : La phobie des compteurs Linky relève du complotisme le plus absurde ; exemple de propos d’un ami la semaine passée « Ils vont t’espionner et tout savoir de ta vie…quand tu fais la lessive et combien de fois, etc… ». Whaou, ça c’est un secret intime…

JOSEPH MOUTIEN : C’est pour cela que les Allemands ont refusé leur smartmeter…il faut dire que les hackers du CCC avaient montré en direct, comment on pouvait savoir quelle émission de TV les gens regardaient, par le smartmeter, car la consommation varie en fonction du son amplifié par l’ampli et l’on peut tracer des courbes que l’on peut comparer avec celles du son des émissions.

HAREE G. @ Joseph Moutien : les allemands n’ont pas refusé les smart meter, c’est un hoax. L’Allemagne a choisi de n’équiper que les gros consommateurs pour le moment parce que le déploiement leur reviendrait trop cher sans les économies d’échelle que peut faire la France grâce au gestionnaire unique de réseau. Là bas les intervenants sont extrêmement nombreux. Ce sont des raisons de coût et non pas de sécurité ou que sais je.

Jonquille : La principale motivation de ceux qui ont lancé cette cabale anti-linky reside dans le fait que ce compteur est beaucoup plus difficile à contourner ou pirater que les précédents. Si vous saviez la quantité de gens qui « pompent gratos » leur électricité et qui voient évidemment d’un mauvais œil l’arrivée d’un compteur abri-fraude… Vous payez pour eux !

* LE MONDE du 1er mai 2018, L’intox du « premier mort lié au compteur Linky »

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