Michel Sourrouille, auteur en 2017 du livre « On ne naît pas écolo, on le devient », a décidé avant de mourir de partager sa pensée avec tous les Internautes qui fréquentent ce blog biosphere. La parution se fera chaque jour pendant les mois de juillet-août. Il dédie ce livre aux enfants de ses enfants, sans oublier tous les autres enfants… car nous partageons tous la même maison, la Terre, si belle, si fragile…
Philosophie, les valeurs de l’écologie profonde
Il me semble que nous devons porter en nous une vision fondamentale de ce à quoi nous croyons. Le 1er février 1971, j’avais recopié cette notule :
« Comment, écrit Tchouang-Tseu, savons-nous si le moi et ce que nous appelons le moi ? Jadis moi, Tchouang-Tseu, je rêvai que j’étais un papillon, un papillon qui voltigeait, et je me sentais heureux. Je ne savais pas que j’étais Tchouang-Tseu. Soudain je m’éveillai, et je fus moi-même, le vrai Tchouang-Tseu. Et je ne savais plus si j’étais Tchouang-Tseu rêvant qu’il était un papillon, ou un papillon rêvant qu’il était Tchouang-Tseu. »
Je ne sais plus où j’avais pris ces fortes paroles, je ne suis pas bouddhiste, mais l’importance de savoir éteindre la soif du moi m’apparaissait clairement. En décalage au marxisme et au maoïsme qui imprégnait quelques-uns de mes camarades de jeunesse, j’ai choisi une voie marginale, celle de l’objection de conscience, donc un simple moyen, la non-violence. Cela ne constituait pas une philosophie globale qui puisse rayonner sur tous les engagements de mon existence. Un jour, dans la revue « L’écologiste », j’ai découvert l’écologie profonde (deep ecology) qui avait été théorisée par le philosophe norvégien Arne Naesss dès 1973. Dans son livre Ecologie, communauté et style de vie, Naess expose les fondements d’une nouvelle ontologie (étude de l’être en soi) qui rend l’humanité inséparable de la nature. Si nous saisissons cette ontologie, alors nous ne pourrons plus endommager gravement la nature, sans nuire en même temps à une partie de nous-mêmes. Formidable, j’avais trouvé ma voie. L’écologie profonde est une philosophie, une recherche de la sagesse. C’est pour moi les fondements d’une pensée qui paraît la seule à même de nous donner des repères stables dans le monde conflictuel qui s’annonce.
Voici sa plate-forme en 8 points, le regroupement en trois point découle de ma propre analyse.
I) les principes
1) le bien-être et l’épanouissement de la vie humaine et non-humaine sur Terre ont une valeur en eux-mêmes (ou : valeur intrinsèque, valeur inhérente). Ces valeurs sont indépendantes de l’utilité que peut représenter le monde non-humain pour nos intérêts humains.
2) la richesse et la diversité des formes de vie contribuent à l’accomplissement de ces valeurs et sont également des valeurs en elles-mêmes.
3) sauf pour la satisfaction de leurs besoins vitaux, les hommes n’ont pas le droit de réduire cette richesse et cette diversité.
II) le problème
4) l’interférence actuelle des hommes avec le monde non-humain est excessive et la situation s’aggrave rapidement.
III) les solutions
5) l’épanouissement de la vie et des cultures humaines est compatible avec une diminution substantielle de la population humaine. L’épanouissement de la vie non-humaine requiert une telle diminution.
6) les politiques doivent changer. Elles doivent affecter les structures économiques, technologiques et idéologiques de base. La situation qui résultera du changement sera profondément différente de la situation actuelle.
7) le principal changement idéologique consistera en la valorisation de la qualité de la vie plutôt que de toujours promouvoir un niveau de vie supérieur. Il y aura une profonde conscience de la différence entre « gros » et « grand ».
8) ceux qui adhèrent aux points précités ont obligation de tenter de mettre en place directement ou indirectement ces changements nécessaires.
[L’écologiste n° 12 (2004). Le dossier portait sur « l’écologie : une vision du monde »]
Il faut prendre la nature au sérieux et la considérer comme douée d’une valeur intrinsèque qui force le respect. Cette conversion suppose une véritable déconstruction du préjugé anthropocentrique qui conduit à considérer l’univers comme le simple théâtre de nos actions. Le principe de liberté donne aux humains la possibilité de façonner le monde conformément à leur volonté, d’où la destruction massive de l’environnement que seule la reconnaissance des droits et de la valeur intrinsèque de la nature pourrait contrecarrer. Selon le principe de l’égalitarisme biosphérique, il s’agit de protéger le tout avant les parties. Le holisme, thèse philosophique selon laquelle la totalité est moralement supérieure aux parties, est donc assumé de façon tout à fait explicite par l’écologie profonde, et s’oppose complètement à l’individualisme propre à la modernité occidentale. L’écosphère est la réalité dont les humains ne sont qu’une partie, ils sont nichés en elle et totalement dépendants d’elle.
Nous ne pouvons pas durablement faire abstraction des réalité biophysiques.
(à suivre… demain sur ce blog biosphere)
Déjà paru :
On ne naît pas écolo, on le devient, introduction
Abécédaire, la façon la plus simple pour s’y retrouver
Abeille, qui ne pique que si on l’embête
Abondance, s’éloigne dès qu’on lui court après
Absolu, un mot à relativiser, un mot indispensable
Acteurs absents, dont on a eu tort d’ignorer l’existence
Adolescence, moment de révolte ou de soumission ?
Alcool, dur pour un écolo de refuser de trinquer !
Amour, une construction sociale trop orientée
Animal, une facette de notre humanité trop ignorée
Austérité, mot qui fait peur et pourtant source de bonheur
Barbe, un attribut des hommes qu’on voulait faire disparaître
Cannabis, une dépénalisation qui créerait l’usage
Chasse, activité dénaturée par des chasseurs motorisés
Compétition, système inhumain au service d’une société inhumaine
Croissance, l’objectif économique le plus débile que je connaisse
Démographie, le problème central qui est systématiquement ignoré
Devoir, la contre-partie nécessaire de nos droits
Doryphore, symbole d’une agriculture post-moderne
École obligatoire et gratuite, une entreprise de déculturation
Écologiste en devenir, notre avenir commun
Électricité, les inconvénients d’un avantage
Ethnologie, la leçon primordiale des aborigènes
Eugénisme, engendrer de bonne façon est-il condamnable ?
Euthanasie, mourir de belle manière comme heureuse conclusion
Féminisme, on ne naît pas femme, on le devient
Futur, il sera à l’image de notre passé !
Génériques, l’achat au meilleur rapport qualité/prix
Homoparentalité, la stérilité n’est pas une damnation
Interaction spéculaire, je fais ainsi parce que tu fais de même
IVG, une mauvaise expérience par manque d’expérience
Logement, une maison à la mesure de nos besoins réels
Loisirs, plutôt les échecs que le match de foot à la télé
Mariage pour tous, l’oubli du sens des limites
Militantisme, une construction de soi qui ne va pas de soi
Mobilité, aller moins loin est bien plus rapide
Musée, pas besoin du passé pour être un vrai artiste
Objecteur de conscience j’ai été, je suis, je serai
Blagues à part. Bien sûr qu’il faut connaître Arne Naess, comme les autres d’ailleurs. Et les avoir un peu lu. Un peu ou beaucoup… seulement nos journées ne font que 24 h.
Maintenant n’allons surtout pas en faire des dieux. Des maîtres à penser certes, mais là encore dans une juste mesure. Déjà, ne laissons personne nous traduire la Bible ou le Coran.
La pensée de Kant ou d’Arne Naess… à la rigueur. Mais ne prenons jamais ces interprétations pour argent comptant. Nous savons très bien où peuvent mener certaines interprétations de tels ou tels textes, livres sacrés ou considérés comme tels. Les pensées des philosophes sont très complexes, elles évoluent dans le temps, comme chez tout le monde. Certains passionnés passent leur vie à étudier et à essayer de comprendre la pensée d’Untel ou d’Ontel, et même entre spécialistes ils ne sont pas toujours d’accord.
L’«écologie profonde» («deep ecology») d’Arne Naess n’échappe pas à la règle.
On peut déjà voir comment elle est interprétée, traduite, vendue, par qui, comment etc.
Douglas Tompkins, par exemple. Peut-on être milliardaire et écologiste ?
Le Business, fusse t-il Green-Business, l’esprit de conquête, fusse t-il de grands sommets (l’alpinisme) sont-ils compatibles avec l’écologie? Fusse t-elle radicale ou profonde…
N’ayons pas peur de creuser la question : L’écologie profonde est-elle une arnaque ?
Éléments de réflexion sur cet article de Pr Kilisehisar (26 avril 2022 – ibrecritique.fr) :
Arnaque écologie profonde: avis Douglas Tomkins – Arne Naess
Autres éléments de réflexion, cet article de Baptiste Lanaspeze* :
– L’écologie profonde (deep ecology) est-elle un humanisme ? ( studylibfr.com )
Dans ce texte très bien écrit, très riche (10 pages**) et très intéressant, Baptiste Lanaspeze tente, plutôt bien, de remettre les choses à leur place, pour mieux nous vendre la Deep Ecology.
* Baptiste Lanaspeze est auteur, éditeur et consultant. Le Monde du 02 août 2021 lui consacre un article ( Baptiste Lanaspeze : « L’écologie urbaine nous permet de refaire société avec la Terre »). On avance on avance, même le quotidien des milliardaires Niel-Pigasse & Kretinsky fait désormais dans la profonde.
** Ceux qui rechignent à lire ces 10 pages peuvent lire le résumé fait par Biosphère.(2007 L’écologie profonde n’est pas un « totalitarisme vert » par Baptiste Lanaspeze)
– « Qu’on le veuille ou non, Platon a mal vieilli, Kant reste utile, Botul est indispensable. » (Aphorisme anonyme)
C’est bien pour ça que dans ce registre, je ne peux que vous en conseiller deux.
Sénèque et Botul. Pour moi ces deux là valent plus que tous les autres réunis.
Sénèque nous apprend à vivre. Et à mourir. C’est déjà ça.
Botul, JBB pour les intimes, reste le seul qui soit allé aussi profond. Plus profond tu meurs.
Tout est là : le boyau, le sang, le trou, la vie, la fuite, la mort peut-être. Circulez, circulez, signes cruels, hémorragie de sens, Kant avait bien raison, le grand problème, pour un philosophe, c’est d’être étanche… Eh bien, soit. Homme je suis, donc, fort troué, comme tout un chacun, telle est la loi de notre anatomie ; néanmoins, en tant que Botul, par ce nom même, je suis un trou à peine enveloppé par une membrane de conscience, l’incarnation transcendantale du trou, en quelque sorte. Cela étant, la parcimonie de mon écriture ne pourra jamais obturer mon aptitude à la réflexion et à la communication : je suis un trou, mais un trou pensant. Ça va mieux en le disant, n’est-ce pas ? […] L’essentiel est de nous débarrasser du principe de non-contradiction, en posant qu’on peut à la fois penser au trou et au non-trou, voire au trou dans le trou. C’est-à-dire au trou percé.