Surpopulation, idée politiquement inclassable
Actuellement le mot « surpopulation » est médiatiquement absent et sa réalité paradoxalement déniée par les derniers livres parus à propos du passage aux 8 milliards d’êtres humains. On ne trouve donc d’analyses performantes qu’à la marge du système d’abrutissement des masses.
1) Surpopulation : le trop-plein. Ce titre du dossier d’Éléments n° 184 est sans équivoque. Entre ceux qui choisissent d’ignorer la bombe P et les autres qui en tirent la stupéfiante conclusion que les Européens devraient cesser d’avoir des enfants, Éléments a choisi une tierce voie. Fabien Niezgoda qui a dirigé ce dossier polémique s’en explique.
Peut-on dire que « chaque enfant né est un désastre écologique pour la planète toute entière » ?
FABIEN NIEZGODA. Être malthusien n’implique pas plus de jugement sur le bonheur d’une famille nombreuse que sur le choix d’un célibataire ou d’un couple sans enfant ; ce ne sont pas les personnes qui sont en cause, mais les pyramides des âges ou les courbes de population.
Notre avenir démographique peut-il se résumer aux chiffres et statistiques que l’on s’envoie à la figure à chaque polémique ?
FABIEN NIEZGODA. L’approche comptable, qui mesure l’empreinte écologique ou tente de planifier l’alimentation de milliards d’hommes, est incontestablement nécessaire – on ne gagne rien à vouloir ignorer les limites physiques du monde – mais n’en est pas moins très réductrice et évacue trop souvent des questions essentielles : quelle organisation de la société, quel rapport au monde, quelle conception de la liberté restent compatibles avec tel niveau de population ? Gaston Bouthoul le soulignait : il ne s’agit pas tant de fixer de façon normative un optimum que d’admettre l’existence même d’une limite à ne pas dépasser.
Ce sont dans les pays ayant le solde démographique le plus bas que les thèses néo-malthusiennes ont le plus d’adeptes…
FABIEN NIEZGODA. En effet. On peut d’ailleurs considérer comme un signe de sagesse le fait que certaines civilisations comprennent la leçon d’Aristote : « Une grande cité et une cité populeuse, ce n’est pas la même chose » (Politique, VII, 4). Mais il est vrai que le néo-malthusianisme peut prendre des aspects plus inquiétants, dont toute sagesse est absente. Malthus lui-même, réfléchissant à son « principe de population », cherchait à éviter des malheurs (miseries) aux générations futures, pas à éviter l’existence même de ces générations ! D’autre part, la question qui se pose évidemment est celle du déséquilibre entre zones de pression démographique différente : si la modération démographique n’est pas généralisée, rien ne justifie que les peuples qui la pratiquent voient leurs territoires livrés au trop-plein des autres, et leurs efforts ruinés par le jeu des vases communicants. Une vision globale de la question démographique ne peut que mettre en lumière l’importance cruciale des frontières.
De toutes les contrevérités sur la démographie que vous avez exposées et démontées dans ce dossier d’Éléments, quelle est selon vous la plus pernicieuse ?
FABIEN NIEZGODA. L’évacuation du facteur population par la question du niveau de vie : une démarche qui, tout en relevant d’une approche étroitement comptable, contient en elle-même plusieurs erreurs. Erreur mathématique : « Distinguer la consommation de la population, c’est comme prétendre que la surface d’un rectangle dépend davantage de sa longueur que de sa largeur », écrit Paul Ehrlich, l’auteur de La Bombe P. Erreur analytique ensuite : croire que la réduction généralisée du niveau de vie (objectif qui, sous le prétexte de la justice sociale, revient en fait à promouvoir le modèle de la pauvreté) permettrait de nourrir harmonieusement des milliards d’humains pratiquant l’agriculture vivrière, c’est ne pas comprendre que notre nombre inédit repose sur les interactions, les avantages comparatifs, la spécialisation des tâches, bref, que l’effectif pléthorique et le capitalisme sont liés par une étroite corrélation.
2) Il faudra s’entre-aider ou s’en-tretuer. (Le Point du 28/09/2019) Yves Cochet, ce « millénariste laïc » est formel : le monde tel que nous le connaissons se sera effondré d’ici à 2030, entraînant la mort brutale de la moitié de la population mondiale. Un scénario qu’il juge regrettable, mais parfaitement « rationnel ».
Vous êtes un malthusien assumé, expliquant qu’il faut une réduction massive de la population mondiale…
Yves Cochet : Un néomalthusien ! Je n’en ai rien à faire de Malthus, qui était un vieux curé réactionnaire du XIXe siècle. Ce n’est pas « il faut », mais « il va y avoir » une réduction massive de la population, avec la disparition en moins de dix ans, je pense, de la moitié de la population mondiale, ce qui laissera environ 3 milliards d’êtres humains sur Terre. Pendant un temps, c’est vrai, j’ai dit que j’étais pour la grève du troisième ventre européen. Européen, uniquement, et non pas africain, car la question n’est pas le nombre d’habitants, mais ce nombre multiplié par l’empreinte écologique. À Paris, il y a 2 millions de personnes. Or leur empreinte n’est pas équivalente à 100 kilomètres carrés, la surface de la ville, mais à 10 000 kilomètres carrés et plus ! (Il montre notre smartphone.) Rien dans ce téléphone n’est produit ici à Paris. L‘effondrement sera systémique et global.
Vous dites que vous n’espérez pas la catastrophe, mais, tout de même, vous seriez un peu déçu si vos prévisions se révélaient fausses, non ?
Yves Cochet : J’espère de tout mon cœur me tromper, mais mon scénario est le plus rationnel et le plus probable qui soit. Vous raisonnez par induction : ça n’est jamais arrivé, donc ça n’arrivera jamais. Mais les raisonnements par induction ne valent rien en histoire. Vous connaissez la dinde de Russel ? Bertrand Russell, grand philosophe, grand logicien, raconte qu’un 1er janvier naît une dinde. Elle batifole dans les champs, elle mange des graines. Même chose le 2 janvier, et le 3, et au mois de février, et au mois de mars. La dinde trouve cela formidable, évidemment : elle pense que demain sera toujours comme aujourd’hui (c’est l’induction). Et, le 24 décembre, elle meurt, assassinée. Elle n’avait pas prévu le coup. Voilà, nous sommes tous des dindons parce que nous ne pouvons ni ne voulons imaginer notre propre fin.
Vous-même, êtes-vous heureux dans votre ancienne ferme près de Rennes ?
Bien sûr, très heureux. La solution n’est pas nationale ni internationale, elle est locale. Car l’effondrement marquera la fin de l’État central qui détient le monopole de la violence physique légitime. C’est avec nos voisins géographiques qu’il faudra créer des réseaux de solidarité. Il n’y aura pas le choix : il faudra s’entraider ou s’entre-tuer. Il faut donc créer des biorégions, des éco-lieux, des biotopes de guérison humaine. Tout le monde rit quand je dis ça, mais le principal moyen de transport en 2030, ce sera le cheval. L’automobile ne servira plus à rien. Il y a un million de chevaux en France, c’est très insuffisant. Il est certain que Paris sera devenue complètement inhabitable.
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