Parlons clairement de surpopulation
Du haut de mes 75 ans j’ai trouvé que le passage aux 8 milliards avait été largement minimisé par les médias. Un évènement chasse l’autre, il ne reste rien de tangible. Il me serait donc agréable de voir reprises certaines des idées suivantes, que ce soit à titre personnel ou de façon médiatisée.
L’idée de surpopulation, la grande absente du passage aux 8 milliards
Le passage aux 8 milliards d’êtres humains le 15 novembre dernier pouvait entraîner une prise de conscience. Mais l’idée de surpopulation démographique semble absente de nos médias, quand elle n’est pas rejetée d’emblée. Sur le site du Fonds mondial de l’ONU pour la population, on trouve cette réaction : « Le franchissement de ce seuil s’accompagnera sans doute de discours invoquant avec alarmisme le terme de « surpopulation ». Se laisser aller à de telles paroles serait une erreur. ». Il ne faut pas simplifier les problèmes complexes. Lors de ma naissance en novembre 1947, il y avait déjà 2,3 milliards d’humains ; il me paraît impossible de gérer de façon conviviale des milliards qui s’ajoutent aux milliards.
On récite en boucle ce type d’analyse: « il n’y a pas à s’inquiéter, ça décélère, et puis l’important c’est le mode de vie, certainement pas notre nombre » ! On vante la diminution du taux de croissance mondial, passé de 2 % à 1 %. Mais il s’agit toujours d’une évolution exponentielle qui s’applique à une plus grande valeur absolue : nous avons ajouté 1 milliard de personnes entre 2011 et 2022, ce n’est pas rien. Et toutes les prévisions indiquent que nous franchirons le cap des 10 milliards vers 2080. Or les deux milliards d’humains qui vont s’ajouter à la population mondiale feront beaucoup plus de dégâts que les milliards précédents car nous avons déjà utilisé les ressources les plus faciles à atteindre. Il est passé le temps où il fallait seulement un baril de pétrole pour en pomper 100. Dorénavant, il faudra encore plus d’énergie pour produire toujours moins d’énergie. Sans compter le fait qu’il faudrait laisser sous terre une bonne partie des ressources fossiles pour éviter l’emballement climatique.
D’autres pensent que nous avons les moyens de nourrir convenablement 10 milliards d’habitants. Nous connaissons des famines à l’heure actuelle, cela ne peut que s’amplifier par la suite. La loi des rendements décroissants s’applique à une agriculture industrielle qui a fragilisé les sols et épuisé les ressources nécessaires à son productivisme. La course entre croissance démographique et développement agricole ne peut se poursuivre indéfiniment. Norman Borlaug, initiateur de la révolution verte, lançait déjà en 1970 cet avertissement lors de son discours de réception du prix Nobel :
« Nous sommes face à deux forces contraires, le pouvoir scientifique de la production alimentaire et le pouvoir biologique de la reproduction humaine. L’homme a fait des progrès fantastiques, depuis quelques temps, pour ce qui est de maîtriser potentiellement ces deux puissance opposées. Il utilise ses pouvoirs pour augmenter le rythme et l’ampleur de la production alimentaire. Mais il n’exploite pas encore de façon adéquate son potentiel pour limiter la reproduction humaine… Il n’y aura pas de progrès durable, dans la guerre contre la faim, tant que les gens qui luttent pour augmenter la production alimentaire et ceux qui luttent pour contrôler la fécondité humaine n’auront pas uni leurs forces. »
Le « jour de dépassement de la terre », calculé par l’empreinte écologique, a été franchi par l’humanité dès le 28 juillet cette année. Pourtant les spécialistes croient encore que ce n’est pas tant un problème démographique qu’un problème de mode de vie. C’est ignorer l’équation IPAT, l’impact écologique « I « résulte à la fois du niveau de la population « P », de son niveau de vie « A » et de la technologie « T » employée. Diminuer notre poids sur la planète, c’est agir à la fois sur ces trois leviers sans en ignorer aucun. En d’autres termes, la population est toujours un multiplicateur des menaces. On mise aussi sur la transition démographique, ce moment où, grâce au développement économique, la natalité chute pour rejoindre la mortalité qui était déjà passée à un niveau peu élevé. Encore faut-il que le développement soit possible pour les pays surpeuplés où existe le cercle vicieux pauvreté, fécondité, encore plus de misère, familles nombreuses, etc. Sans compter que jamais les catégories à bas revenus n’accéderont à un niveau de vie convenable faute de possibilités de croissance économique durable sur une planète que nous avons déjà abondamment pillée. On nous suggère enfin que la bombe démographique, ce n’est pas notre nombre, mais la conséquence du vieillissement d’une partie de la population mondiale. Même la Chine s’inquiète. Or faire plus d’enfants pour payer les retraites, c’est en fait une pyramide de Ponzi démographique : plus de jeunes aujourd’hui veut dire encore plus de retraités dans l’avenir jusqu’à ce que la pyramide s’effondre. Et nous n’avons pas encore abordé la chute de la biodiversité. Notre expansionnisme, lié à la satisfaction de besoins qu’on croit illimité, détériore gravement le milieu de vie des non-humains. La chute de la biodiversité, le réchauffement climatique, le poids du nombre, tout est en interaction.
Soyons réaliste, qu’est-ce qui est le plus facile, agir sur la démographie ou agir sur le niveau de vie ? Certes il ne suffit pas d’adopter des politiques de contrôle des naissances pour voir la population mondiale baisser. A cause de l’inertie démographique, en particulier avec le poids des jeunes dans certaines pyramides des âges et le fait que le changement s’opère d’une génération à l’autre, il y a forcément un décalage entre la baisse de la natalité et la diminution de la population. Mais ce constat temporel devrait être un argument de plus pour dire qu’il est indispensable de prendre le plus rapidement possible les moyens de réguler la fécondité.
Quelque 214 millions de femmes des pays en développement ne disposent pas de méthodes de planification familiale sûres et efficaces. La plupart de ces femmes vivent dans les 69 pays les plus pauvres1. Le concept de « naissance désirée » est important. Et le coût de la santé reproductive est infiniment moins élevé que le coût d’une croissance « verte » ou de l’adaptation aux perturbations climatiques. Par contre il est beaucoup plus difficile de modifier la soif de consommation de la population vivant à la mode occidentale ou voulant y accéder : plus de 1 milliards d’automobiles individuelles dans le monde, plus de 5 milliards de personnes avec accès à Internet et des investissements publicitaires mondiaux de 1000 milliards de dollars prévus pour 2025.
Il ne faut pas simplifier les problèmes complexes.
Michel Sourrouille,
carrière de professeur de sciences économiques et sociales, coordinateur du livre « Moins nombreux, plus heureux – l’urgence écologique de repenser la démographie (éditions Sang de la Terre, 2014. Co-auteurs Yves Cochet, Alain Gras, Alain Hervé, Corinne Maier, Pablo Servigne…)
Mon dernier livre, « Alerte surpopulation – le combat de Démographie Responsable« , a été édité en octobre 2022 .
https://livre.fnac.com/a17437174/Michel-Sourrouille-Alerte-surpopulation
Parlons clairement de surpopulation Lire la suite »