Michel Sourrouille, auteur en 2017 du livre « On ne naît pas écolo, on le devient », a décidé avant de mourir de partager sa pensée avec tous les Internautes qui fréquentent ce blog biosphere. La parution se fera chaque jour pendant les mois de juillet-août. Il dédie ce livre aux enfants de ses enfants, sans oublier tous les autres enfants… car nous partageons tous la même maison, la Terre, si belle, si fragile…
Techniques appropriées et d’autres, à exclure
Je lisais en 1969 la 25ème heure de Virgil Gheorgiu, un livre sur les camps de concentration : « L’homme est obligé de s’adapter à la machine… Il devient une minorité brimée par la technique. Les esclaves techniques tiennent en main les points cardinaux de l’organisation sociale. Ils agissent selon des lois spécifiques, automatisme, uniformité, anonymat… Il y aura des arrestations automatiques, des condamnations, des distractions automatiques. »
En février 1971, je ne pouvais encore comprendre en quoi la différence entre techniques dures et techniques douces était importante. Je me contentais par exemple de recopier: « L’éclairage électrique a liquidé le régime de la nuit et du jour, de l’intérieur et de l’extérieur (Marshall Mac Luhan). »
En mars, j’étais un peu plus prolixe : « Dans le secteur industriel, on peut dorénavant déceler des limites au travers des déboires du progrès technique. Certaines techniques pourtant maîtrisables nous sont interdites comme les longs courriers supersoniques qui brûlent trop d’énergie. L’application civile de l’atome se révélera un jour impossible à cause des faibles réserves d’uranium, du danger des radiations et du problème des déchets. L’équilibre oxygène/gaz carbonique dans l’air est rompu, les ressources en eau posent problème. » Au milieu de mes notes disparates rien ne pouvait égaler le message d’Ellul… que je ne connaissais pas encore et qui écrivait pourtant dès 1960 :
« La machine a créé un milieu inhumain, concentration des grandes villes, manque d’espace, usines déshumanisées, travail des femmes, éloignement de la nature. La vie n’a plus de sens. Il est vain de déblatérer contre le capitalisme : ce n’est pas lui qui crée ce monde, c’est la machine… Lorsque la technique entre dans tous les domaines et dans l’homme lui-même qui devient pour elle un objet, la technique cesse d’être elle-même l’objet pour l’homme, elle n’est plus posée en face de l’homme, mais s’intègre en lui et progressivement l’absorbe. » (La technique ou l’enjeu du siècle de Jacques ELLUL – réédition Economica, 1990)
Il nous faut définir les limites technologiques à ne pas dépasser. Ivan Illich estimait dans son livre La convivialité (Seuil, 1973) que nous y arriverons tôt ou tard : « Quand la crise de la société surproductive s’aggravera, ce sera la première crise mondiale mettant en question le système industriel en lui-même et non plus localisée au sein de ce système. Cette crise obligera l’homme à choisir entre les outils conviviaux et l’écrasement par la méga-machine, entre la croissance indéfinie et l’acceptation de bornes multidimensionnelles. La seule réponse possible : établir, par accord politique, une autolimitation. »
Theodore J. Kaczynski dans L’effondrement du système technologique (Xénia, 2008) a fait une analyse complémentaire :
« Nous distinguons deux sortes de technologies, que nous appellerons technologie à petite échelle et technologie dépendant d’une organisation. La technologie à petite échelle est la technologie qui peut être utilisée par des communautés de petite dimension sans aide extérieure. La technologie dépendant d’une organisation est la technologie qui dépend de l’organisation sociale globale. Nous ne connaissons aucun cas significatif de régression dans la technologie à petite échelle. Mais la technologie dépendant d’une organisation régresse quand l’organisation sociale dont elle dépend s’écroule. Jusqu’à un siècle ou deux avant la Révolution Industrielle, la plus grande part de la technologie était une technologie à petite échelle. Mais depuis la Révolution Industrielle, la plus grande part de la technologie développée est la technologie dépendant d’une organisation. Vous avez besoin d’outils pour faire des outils pour faire des outils pour faire des outils… »
Mais à partir de quel seuil la limite à ne pas franchir est-elle dépassé ? Vaste débat.. Voici une tentative de classement, des techniques les plus douces aux techniques inacceptables (en rouge) :
– Bouche à oreille > téléphone fixe > téléphone mobile > mobile 3G > nouvelle génération…
– Energie corporelle > Energies renouvelables > énergies non renouvelables
– Solaire passif > éolien > hydroélectrique > bois > biomasse > photovoltaïque > agrocarburants > gaz > pétrole > charbon > nucléaire
– Economie non monétaire > banque de temps > monnaie locale > pièces et billets > monnaie scripturale (chèque) > carte bancaire
– Maison non chauffée > chauffage géothermique > chauffage au bois > au gaz > à l’électricité > au fuel > au charbon
– Marche > vélo > roller > cyclopousse > diligence > cheval > tramway > train > autobus > taxi > TGV > voiture individuelle > avion
– Naissance à domicile > maison de naissance (sage-femme) > clinique (médicalisation)
– Radio > cinéma (collectif) > télévision noir et blanc (individualisée) > télévision couleur > passage au numérique
Pour le moment nous mettons en œuvre tout ce dont le « progrès technique » est capable alors que nous sommes entrés dans une période de descente énergétique qui rendra obsolète beaucoup de nos techniques. L’épuisement des ressources fossiles et sa contrepartie, le réchauffement climatique, ne nous feront pas de cadeau.
La nature ne négocie pas, j’espère que nous en aurons suffisamment pris conscience avant l’irréversibilité des catastrophes. J’ai comme un doute…
(à suivre… demain sur ce blog biosphere)
Déjà paru :
On ne naît pas écolo, on le devient, introduction
Abécédaire, la façon la plus simple pour s’y retrouver
Abeille, qui ne pique que si on l’embête
Abondance, s’éloigne dès qu’on lui court après
Absolu, un mot à relativiser, un mot indispensable
Acteurs absents, dont on a eu tort d’ignorer l’existence
Adolescence, moment de révolte ou de soumission ?
Alcool, dur pour un écolo de refuser de trinquer !
Amour, une construction sociale trop orientée
Animal, une facette de notre humanité trop ignorée
Austérité, mot qui fait peur et pourtant source de bonheur
Barbe, un attribut des hommes qu’on voulait faire disparaître
Cannabis, une dépénalisation qui créerait l’usage
Chasse, activité dénaturée par des chasseurs motorisés
Compétition, système inhumain au service d’une société inhumaine
Croissance, l’objectif économique le plus débile que je connaisse
Démographie, le problème central qui est systématiquement ignoré
Devoir, la contre-partie nécessaire de nos droits
Doryphore, symbole d’une agriculture post-moderne
École obligatoire et gratuite, une entreprise de déculturation
Écologiste en devenir, notre avenir commun
Électricité, les inconvénients d’un avantage
Ethnologie, la leçon primordiale des aborigènes
Eugénisme, engendrer de bonne façon est-il condamnable ?
Euthanasie, mourir de belle manière comme heureuse conclusion
Féminisme, on ne naît pas femme, on le devient
Futur, il sera à l’image de notre passé !
Génériques, l’achat au meilleur rapport qualité/prix
Homoparentalité, la stérilité n’est pas une damnation
Interaction spéculaire, je fais ainsi parce que tu fais de même
IVG, une mauvaise expérience par manque d’expérience
Logement, une maison à la mesure de nos besoins réels
Loisirs, plutôt les échecs que le match de foot à la télé
Mariage pour tous, l’oubli du sens des limites
Militantisme, une construction de soi qui ne va pas de soi
Mobilité, aller moins loin est bien plus rapide
Musée, pas besoin du passé pour être un vrai artiste
Objecteur de conscience j’ai été, je suis, je serai
Pêche, une activité artisanale devenue un massacre de masse
Peine de mort, abolie un jour, tentation toujours
Philosophie, les valeurs de l’écologie profonde
Portable, suis-le le seul à ne pas en avoir ?
Publicité, une agression qui touche à l’acharnement
Recherche sans développement, refondation de la science
Religions, un frein à notre réflexion
Repas, manger comme acte profondément politique
Roman, qui ne mérite pas l’arbre qu’on a coupé pour lui
Sciences économiques et sociales, une tentative holistique ratée
Simplicité… volontaire aujourd’hui, obligatoire demain
Sourrouille Michel, présentation de l’auteur
Je pense qu’il ne faudrait pas découpler l’homme des machines qu’il utilise car ce ne sont pas les machines seules qui nous condamnent mais les activités que nous entreprenons avec leur aide. Alors on pourrait résumer la réflexion sur les techniques appropriées ou néfastes en paraphrasant le proverbe : il n’y a pas de sots métiers (en ce sens que tous peuvent être pratiqués avec intelligence)… mais il y en a de nombreux inutiles et un certain nombre de véritablement nuisibles. A chacun d’effectuer son classement.
Je ne suis pas d’accord. Je prends seulement deux exemples d’activités qui ne sont en rien néfastes, et qui nécessitent des outils. Ouvrir une boite de conserve et casser une noix. Soit on le fait avec des outils tout simples, comme un ouvre boite tout con, voire un couteau, et un casse-noix voire un caillou. Soit on le fait avec des outils bien plus compliqués et énergivores, comme un ouvre-boite électrique (une saloperie que nous n’achèterons pas), et un marteau-pilon pour casser la noix.
Qui est le plus con dans cette affaire ? Le type qui utilise l’ouvre-boite électrique, ou bien celui qui conçoit le nouveau marteau-pilon connecté pour casser la noix ?
Je ne connaissais pas les métiers d’ouvreur de boîtes de conserve et de casseur de noix. Mais j’apprends tous les jours.
Qui est-ce qui ouvre la boite de conserve ou qui casse la noix ?
C’est le con-sot-mateur, quand il a faim. Maintenant casser des noix peut être aussi un métier, un beau métier. Comment croyez-vous qu’on fait pour obtenir de beaux cerneaux de noix, encore de nos jours ? Tiens, justement, il y a peut-être là de quoi occuper les cerveaux qui s’ennuient. Le casse-noix intelligent… ça oui ce serait une belle innovation !
– « Il nous faut définir les limites technologiques à ne pas dépasser. Ivan Illich estimait dans son livre La convivialité (Seuil, 1973) que nous y arriverons tôt ou tard » (Michel Sourrouille)
BGA vient de commenter cette phrase. Dans le prolongement de ce que j’ai dit précédemment (À 09:56) en effet il nous faut (mieux vaut dire faudrait) définir ces limites.
Je ne suis pas convaincu que nous y arriverons tôt ou tard. Certes il est fortement probable, que tôt ou tard ces limites s’imposent par la force des choses. Ne serait-ce qu’à cause de la pénurie d’énergie qui réduira considérablement le feu sous la Marmite. Réduisant ainsi considérablement si ce n’est définitivement la progression du sacro-saint Progrès (technique) sensé progresser pour des siècles et des siècles amen. ( à suivre )
En attendant, il y a effectivement des domaines où nous devrions définir ces limites technologiques à ne pas dépasser. Plus exactement, vu qu’elles sont déjà dépassées, des domaines où nous devrions exclure toute continuation.
« Errare humanum est, perseverare diabolicum »
Les deux plus grands dangers qui nous menacent sont pour moi le nucléaire et l’IA (intelligence artificielle). Le premier est une impasse. Les limites s’imposeront d’elles mêmes (par la force des choses), sauf que nous devrons faire ensuite avec les conséquences. Pour des siècles (millénaires) et des siècles amen.
( à suivre )
Le second est peut-être encore pire. Déjà, vu qu’elle nous dispense de réfléchir, qu’elle le fait (théoriquement) à notre place, l’IA nous rend de plus en plus cons. Et fainéants et en même temps. Aujourd’hui, dans des tas de domaines de notre vie courante, ce sont des algorithmes qui décident à notre place. Et derrière, ce sont des moteurs et des machines qui agissent, toujours à notre place.
Un jour, qui sait… les machines prendront le dessus sur les humains. Je vous invite à voir ou revoir Matrix (1999), le premier épisode de la saga cyber-futuriste des frères Wachowski.
Je crains le jour où la technologie remplacera les interactions humaines. Nous aurons alors créé une génération d’idiots.
« Il nous faut définir les limites technologiques à ne pas dépasser. Ivan Illich estimait dans son livre La convivialité (Seuil, 1973) que nous y arriverons tôt ou tard »
Ben en tout cas, ces limites ne s’imposeront pas par les élections ni par la population d’ailleurs ! Pour exemple, un sondage sur Le Point à lequel ont répondu plus de 5200 personnes interrogées, dont voici la question « Faut-il interdire les jets privés comme le demande Julien Bayou ? » Et ben 66,8 % des gens s’opposent à cette interdiction !! Alors qu’il n’y a même pas 0,5% de gens propriétaires d’un jet privé ! A mon avis il y a beaucoup de gens qui rêvent de gagner au loto en espérant pouvoir s’offrir un jet privé ! C’est quand même incroyable que la majorité des gens s’opposent à cette interdiction alors que nous entrons en pleine déplétion de ressources naturelles !
Bon nombre de techniques peuvent être considérées comme néfastes, et/ou à exclure.
Pour commencer, la maîtrise du feu. Voilà maintenant plus de 450.000 ans que l’Homme déconne avec le feu. Tout laisse supposer qu’elle finira mal, sa petite histoire. Comme l’Homme est une espèce relativement jeune, en phase d’adolescence, alors de deux choses l’une. Soit il attend de bien se brûler la gueule, ou les ailes, pour comprendre et grandir… ce que bien sûr je lui (nous) souhaite… soit il n’aura définitivement jamais rien compris.
De toutes façons il est trop tard, le feu est là. Que ça nous plaise ou non il nous faut faire avec. Comme avec tout ce qui en découle, tout ce qui n’aurait jamais été possible sans la maîtrise du feu. La métallurgie, la machine à vapeur, la pétrochimie, la poudre à canon, le TNT, la bombe atomique et j’en passe.