Décroissance… de l’espérance de vie ?
L’espérance de vie actuelle dans les pays riches a été rendu possible par la croissance économique. Devons-nous accepter de vivre moins longtemps pour sauvegarder les conditions d’existence de nos descendants ?
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Olivier Rey : Le fond de l’idéologie croissanciste, c’est le principe que plus est toujours mieux. Lorsque vous avez des oppositions à certaines technologies, vous faites témoigner des associations de malades et tout le monde y adhère. L’augmentation de l’espérance de vie est devenu l’argument ultime au service d’une idéologie de la croissance. Or la poursuite du mouvement technologique engendre aujourd’hui plus de maladies qu’il ne permet d’en soigner. Le stade de la contre-productivité est atteint. Cela signifie que sortir du croissancisme, c’est admettre que, le cas échéant, l’espérance de vie puisse être réduite. Or ce n‘est pas la durée comme telle qui est en cause, mais la durée « de quoi » qui est en question.
Corinne Lalo : Quant à l’espérance de vie en bonne santé, elle recule déjà. Notons que l’énergie n’a été qu’un facteur parmi d’autres de l’allongement de la vie. Le premier, c’’est l’hygiène, par exemple se laver les mains lors d’un accouchement a eu un impact très fort sur la mortalité infantile. La nourriture aussi a contribué à l’amélioration, et aussi les vaccins. Mais depuis l’après-guerre, nous avons produit tellement de produits chimiques que beaucoup de produits du quotidien sont devenus toxiques. De même la nourriture avec des aliments ultra-transformés nous empoisonne. Au moment d’un deuil, au lieu de vous dire que c’est normal d’être triste, on vous donne un antidépresseur.
Jacques Testart : Il importe de parler de « vie en bonne santé », car la prolongation acharnée des grabataires ou des zombies ne saurait être une victoire de l’humanisme. Est-il d’ailleurs certain que la décroissance diminuerait l’espérance de vie à la naissance ? Dans les pays pauvres, des mesures élémentaires comme la prévention et le traitement des maladies contagieuses, l’hygiène des maternités ou la suffisance alimentaire augmenterait l’espérance de vie sans que la croissance économique soit requise. La survalorisation du progrès médical a masqué les bénéfices de l’amélioration des conditions sociales. Même au XVe siècle, soit avant l’apparition d’une médecine compétente, la longévité moyenne de personnes célèbres et donc de milieu favorisé montrent une longévité moyenne de 65 à 70 ans. Aujourd’hui de pollution de l’air, de l’eau, de la nourriture montrent que la médecine court désormais après la santé, jusqu’à des thérapies géniques à plus d’un million d’euros, une solution intenable.
Source : La Décroissance n° 195, décembre 2022-janvier 2023
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Le point de vue des écologistes
Comme les autres espèces, les humains sont programmés pour mourir, mais ils modifient leur environnement pour mieux résister au processus de dégradation des corps. Certains veulent même agir contre les processus de vieillissement, manipuler la télomérase, lutter contre les radicaux libres, encombrer les centres de soins palliatifs. Peine perdue, l’espérance de vie en bonne santé régresse. Soyons réalistes, il faudrait se demander si c’est bien vivre que de vivre tous centenaires, si c’est respecter les cycles vitaux que de s’attarder sur la planète et prendre ainsi un peu plus de l’espace vital tant d’autrui que de la biodiversité.
Il faudrait donc pouvoir déterminer le seuil à partir duquel une prise en charge thérapeutique devient inappropriée. On peut démontrer que la décroissance économique et démographique est inéluctable, mais il est très difficile de lister ce qui doit décroître et en quelle proportion. Se passer de certaines opérations chirurgicales, oublier la roulette du dentiste et les analgésiques, multiplier les médicaments de confort sans remboursement, arrêter le téléthon ? Le débat est ouvert…