Les mots « catastrophe » et « catastrophisme » deviennent des incontournables du monde présent. Ainsi ces deux articles récents du MONDE, La peur de l’apocalypse écologique, entre catastrophisme et claivoyance, et « L’une des leçons du Covid-19 est que la catastrophe n’est pas complètement à exclure ». Il ne s’agit pas d’avoir peur, ce gros mot utilisé par les anti-écolos pour avoir peur des collapsologues. Nous affrontons actuellement sans peur la Covid-19 au niveau mondial, mais au prix d’atteintes aux libertés de se réunir, de se déplacer et de consommer. La population fait avec, et si on chope personnellement le virus, cela apparaît comme dans l’ordre des choses. Le problème n’est pas la peur, mais l’ignorance ou l’indifférence de nombre de citoyens et de responsables publics face à l’urgence écologique. Le problème, c’est qu’il faudrait changer complètement de comportements au niveau de nos déplacements et de nos consommations, et cela est inimaginable car nous sommes immergés dans une culture consumériste où la société du spectacle permet d’oublier les réalités.
Nous sommes entrés dans une nouvelle ère, l’« anthropocène », sans que ce soit perceptible ou audible pour la plus la grande partie de nos populations. L’effondrement écologique qui se prépare ne repose pas sur d’incertaines prophéties religieuses apocalypiques : « Je vis les sept anges qui se tiennent devant Dieu, et sept trompettes leur furent données. Le premier sonna de la trompette. Et il y eut de la grêle et du feu mêlés de sang, qui furent jetés sur la terre; et le tiers de la terre fut brûlé, et le tiers des arbres fut brûlé, et toute herbe verte fut brûlée… (apocalypse selon saint Jean)» L’apocalypse est prévue et bien documentée par les modèles scientifiques élaborés par les climatologues, les spécialistes de l’énergie fossile en voie de disparition, les connaisseurs de la biodiversité et de son extinction, etc. Mais l’horizon tragique des prévisions collapsologiques contraste de manière saisissante avec l’aveuglement des politiciens. La catastrophe n’est pas jugée possible parce qu’elle entre en confit avec la prochaine échéance électorale où madame/monsieur voudrait être (re)élu. D’ailleurs, la catastrophe à venir est toujours ignorée historiquement par le peuple et ses dirigeants. De la seconde guerre mondiale, avant qu’elle ne se déclare, on entendait le bruit des bottes et l’événement probable fut pourtant jugé impossible. Du premier choc pétrolier avant qu’il ne se déclare en 1974, on disait que le bas prix du baril était une bénédiction et nous en sommes restés là en 2020, attendant ce qu’on croit impossible, le choc pétrolier ultime. Il n’y aura pas que le réchauffement climatique dans la vie des générations futures, il y aura la baril à 100 dollars, l’épuisement des ressources halieutiques et des nappes phréatiques, etc. etc. Il ne faut pas confondre catastrophe écologique et catastrophisme, il nous faut pratiquer la pédagogie de la catastrophe avant que la catastrophe ne se transforme en apocalypse. Pour en savoir plus grâce à notre blog biosphere, ces extraits :
28 avril 2008, catastrophisme ou catastrophe ?
D’un côté il y a les 35 habitants de Mimina Place, au cœur de la mégalopole de Los Angeles. Vélo et sobriété énergétique pour 35 personnes sur une ville de 20 millions d’habitants. Ce sont des purs écolos par rapport au mode de vie de l’Américain moyen, surtout à Los Angeles où il n’y a pas de transports en commun et des autoroutes larges comme des pistes d’aéroport… Seuls 35 personnes et quelques autres poussières humaines montrent la voie de la simplicité volontaire. Ce n’est pas assez pour que la planète ne connaissent pas les convulsions humaines qui vont s’amplifier un peu partout, des révoltes incessantes, une police omniprésente et de plus en plus débordée… Il ne faut pas voir dans ce constat du catastrophisme, mais la simple description de la catastrophe en marche.
14 juin 2014, Pédagogie de la catastrophe n’est pas catastrophisme
courriel de la responsable académique de l’EEDD (Education à l’environnement et au développement durable) : « Le terme de « pédagogie de la catastrophe » me semble trop fort et peu adapté. Je suis comme toi globalement inquiète sur l’avenir mais le catastrophisme ne peut, selon moi convenir pour les enfants ou même les jeunes à qui nous laissons un monde difficile, ce n’est pas à eux de porter ce fardeau que nous n’avons su assumer; alors pédagogiquement, pour moi, il ne s’agit pas de masquer les choses mais de voir aussi le verre à moitié plein. Leur avenir professionnel est déjà tellement sombre… »
23 avril 2015, Collapsologie : catastrophe et non catastrophisme
« Nous disposons aujourd’hui d’un immense faisceau de preuves et d’indices qui suggèrent que nous faisons face à des instabilités systémiques croissantes qui menacent sérieusement la capacité de certaines populations humaines – voire des humains dans leur ensemble – à se maintenir dans un environnement viable. C’est ce que le prince Charles appelle un « acte de suicide à grande échelle ». Mais a-t-on vu un réel débat, par exemple sur le climat, en termes de changement social ? Non, bien sûr. Trop catastrophiste. D’une part on subit des discours apocalyptiques, survivalistes ou pseudo-mayas, et d’autre part on endure les dénégations « progressistes » des Luc Ferry, Claude Allègre et autres Pascal Bruckner. Les deux postures, toutes deux frénétiques et crispées autour d’un mythe (celui de l’apocalypse vs celui du progrès), se nourrissent mutuellement par un effet « épouvantail » et ont en commun la phobie du débat posé et respectueux, ce qui a pour effet de renforcer l’attitude de déni collectif qui caractérise si bien notre époque… C’est une sensation étrange que de faire partie de ce monde, mais d’être coupé de l’image dominante que les autres s’en font. »
Comment tout peut s’effondrer » de Pablo Servigne & Raphaël Stevens
16 décembre 2018, Serge Latouche et la pédagogie des catastrophes
« Lorsque j’ai commencé à prêcher la décroissance, j’espérais que l’on puisse bâtir une société alternative pour éviter la catastrophe. Maintenant que nous y sommes, il convient de réfléchir à la façon de limiter les dégâts. En tout cas, la transition douce, je n’y crois plus. Seul un choc peut nous permettre de nous ressaisir…
27 avril 2020, Covid-19, une pédagogie de la catastrophe ?
Je croyais à la pédagogie de la catastrophe dès le début des années 2000 avec le pic pétrolier. Désabusé par l’inertie sociale, j’ai alors pensé grâce au réchauffement climatique que la catastrophe servirait de pédagogie. Aujourd’hui je suis désespéré, la sensibilité écologique a progressé mais les politiques économiques restent suicidaires. Les avertissements multiples des différentes branches de la science sur l’imminence des catastrophes écologiques et démographiques n’ont entraîné que quelques brèves dans quelques médias sans rien changer au modèle croissanciste soutenu par les politiciens de tous bords. La crise profonde liée à la maladie Covid-19 montre encore une fois que l’histoire n’est qu’une lanterne accrochée derrière notre dos et qui n’éclaire que notre passé…