anthropisation

Réinventons notre relation à la montagne

Un collectif s’insurge contre le projet d’un téléphérique sur un glacier : « Et si les humains, les autres animaux et les glaciers partageaient plus qu’une simple relation d’utilitarisme… La bonne manière de se relier à la montagne est-elle de continuer à monter, plus vite, plus haut, plus fort… N’est-il pas temps de descendre d’un cran, de se poser la question de ce qu’est un glacier en train de mourir… Nous proposons de réinventer de nouvelles formes de relations au glacier, allier les pratiques de ski de montagne et l’éducation aux problématiques écologiques et climatiques… Nous sommes habitués, en Occident, à penser les glaciers comme des éléments inanimés faisant partie de notre « environnement naturel » plutôt que comme des acteurs à part entière d’un monde que nous habitons en commun. C’est cette idée qu’il nous faut déconstruire pour tisser les fils d’une autre histoire possible… Est-il si difficile de transformer une cosmologie héritée de la révolution industrielle, nous intimant de croire qu’il existerait une nature extérieure à nous que nous devrions exploiter jusqu’à ce que plus une once de ce grand dehors ne résiste à nos impératifs de gestion rentable et profitable ? Sentez-vous une tristesse naître en vous lorsque l’on vous explique que l’économie des vallées montagnardes ne tient qu’à l’aménagement touristique bétonné et mécanisé ? Si oui, c’est que vous vous demandez ce que nous avons fait du monde qui soutenait nos existences… A l’image des peuple autochtones, nous sommes nombreux à vouloir expérimenter d’autres formes de relation aux entités qui peuplent nos milieux… Nous ne disons pas que nous savons ce que c’est que penser comme un glacier. Mais nous décidons d’arrêter de nous acharner sur ses restes, nous décidons d’en prendre soin… Un autre modèle de développement est possible. Demandons l’étude d’un autre projet qui mette différemment en valeur le glacier de la Girose… » 

Admirable insurrection des consciences, sauf que ce collectif s’arrête en chemin. Respecter la haute montagne, c’est la laisser à sa splendeur inviolée. Les alpinistes ont été des conquérants de l’inutile, les skieurs hors ou sur pistes sont devenu des nuisibles. Les riverains d’un océan n’allaient pas autrefois sur le bord de la plage, ils avaient bien d’autres choses à faire. Les gens vivant à proximité de la montagne ne ressentaient pas du tout le fait que la montagne était synonyme de loisirs marchands. Dans un monde écologisé, on se contentera de ce qu’on a autour de soi, on ira moins loin, moins vite et moins haut. Après le choc pétrolier ultime, nous n’aurons de toute façon plus les moyens de rêver ni à aux voyages en voiture, ni aux vacances de neige…

Pour en savoir plus sur la radicalité de ce blog biosphere,

24 juin 2019, Stations de ski et réchauffement climatique

7 février 2018, Ne skiez pas, ni au Pla d’Adet ni ailleurs

20 octobre 2014, L’inutile conquête des sommets de l’Himalaya

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Éliminons chiens et chats de compagnie

Le culte de l’animal de compagnie sert les intérêts d’une puissante industrie. En 2023, le juteux business du « pet care » devrait atteindre au total 868 milliards de dollars de revenus sur les marchés des pays du Nord.En effet, les gens remplacent peu à peu les déchets alimentaires donnés traditionnellement aux animaux domestiques par de la nourriture industrielle préparée. On appelle cela la tyrannie de la commodité. Sans surprise, cette industrie en forte croissance génère un énorme impact écologique. Aux États-Unis, la production de nourriture pour chiens et chats produit autant de dioxyde de carbone que 13,6 millions de voitures en une année. Les chats et les chiens américains consomment autant de calories que la population française et leur consommation de viande se classerait en 5ème position s’ils représentaient un pays, juste derrière la Russie, le Brésil, les Etats-Unis et la Chine. En France, le marché du pet care — distribution, pet food, services, assurance — pèse près de 5 milliards d’euros et affiche une croissance de 2,5 % à 3 % par an.

Outre l’impact résultant de la marchandisation de l’animal de compagnie, leur prolifération est devenue une sérieuse menace pour la vie sauvage, principalement en raison de la prédation des chiens et des chats errants. Le chat domestique se classe comme la pire espèce invasive de mammifère dans le monde, devant le rat. Toujours guidé par son instinct malgré la domestication, le chat a une tendance naturelle à « l’abattage en surplus » : il continue à chasser même lorsqu’il est bien nourri. Côté reproduction, il est équipé pour coloniser rapidement un nouveau territoire. Avec deux phases de reproduction dans l’année durant lesquelles les femelles peuvent avoir jusqu’à 15 chatons et une maturité sexuelle atteinte en seulement quelques mois, un couple de chats peut produire une descendance de 10 000 à plus de 20 000 individus en seulement quelques années. En France depuis le début des années 2000, la population de chats domestiques est passée de 9 à 13,5 millions et cette croissance démographique s’accélère. Il faut encore y ajouter la population de chats errants estimée à 11 millions d’individus. A son tableau de chasse figurent 63 espèces exterminées en 500 ans. De son côté, le chien domestique rafle la troisième place du podium des mammifères invasifs avec 11 espèces éradiquées.

Face à cette catastrophe écologique, la plupart des défenseurs de la cause animale se gardent bien de faire une analyse globale du problème, encore moins de dénoncer ouvertement l’industrie du pet care. Pour mettre fin à l’exploitation animale, ils proposent par exemple de donner des droits aux animaux. 0l’hystérie collective autour de la cause animale peut être vue comme un symptôme du délabrement des relations humaines et des structures familiales. Ne jamais s’attaquer à la racine du mal. Toujours proposer des substituts à l’existant pour perpétuer le business. Énième pseudo-solution proposée par le mouvement animaliste : la nourriture vegan ! Sous couvert de rapprocher l’homme et l’animal, cette mouvance creuse en réalité le fossé entre les hommes et le vivant en faisant la promotion de la nourriture artificielle produite en labo-usine. Et durant leur vie, nos amis les bêtes ont désormais droit à l’allopathie, la chirurgie, la diététique et même à la psychanalyse. La cécité idéologique des animalistes les empêche de voir que ce qu’ils nomment progrès est en réalité une régression pour l’animal, une démarche qui ressemble bien au stade ultime de l’anthropocentrisme. En vérité, les humains civilisés seraient mieux avisés de soigner leur narcissisme pathologique pour renouer avec leur animalité afin de s’élever au rang de l’animal au lieu de faire la démarche inverse.

Dans les sociétés traditionnelles et rurales, la relation entre le chien et l’humain se distingue par le niveau d’interdépendance — le chien protège le troupeau et les cultures, il reçoit en échange le gîte, la protection et le couvert. Au sein des sociétés industrielles, le chien devient « animal de compagnie » sans autre fonction que de compenser un besoin résultant des inconvénients du mode de vie au sein du monde moderne ; divertir, responsabiliser les enfants, remédier à la solitude ou au stress, faire de l’exercice, etc. L’animal de compagnie est un palliatif, une béquille pour améliorer son existence sans agir sur la cause profonde du mal-être.

Philippe Oberlé

Pour en savoir plus grâce à notre blog biosphere :

31 octobre 2012, le coût écologique de ton animal de compagnie

11 juin 2019, Le coût écologique des animaux domestiques

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One Health, l’humain inséparable de la nature

One Health est un nouvel élément de langage liant santé humaine et santé de la planète qui devrait faire l’unanimité parmi les écologistes, et même à droite comme à gauche. Normal, le SARS-Cov2 a montré l’importance des zoonoses. Les grandes pandémies sont des maladies qui se propagent d’espèce en espèce et dont la diffusion est en grande partie dépendante des bouleversements écologiques provoqués par les humains. L’urbanisation, l’agriculture industrielle et l’expansion humaine entraînent la dégradation et le rétrécissement sans précédent des milieux anciennement peu anthropisés. Cette situation a eu pour effet que des espèces sauvages réservoirs de pathogènes se sont trouvées en contact beaucoup plus intense avec des humains vivant dans des habitats beaucoup plus denses…

One Halth, on peut aussi parler de « santé inclusive ». L’Association pour le contrat naturel a élaboré une approche intégrée qui permet de repenser les défis entrelacés auxquels nous sommes confrontés. Le Contrat naturel de Michel Serres était le cadre de pensée d’une nouvelle coexistence avec la terre et les vivants : « Nous dépendons de ce qui dépend de nous« , écrivait Michel Serres. La santé est l’expression d’une symbiose : le soin renoue les liens. Cela suppose de reconnaître toute leur place à des territoires sur lesquels se forment des socio-écosystèmes à dimensions plurielles. La modernité a cru pouvoir, par démesure, renoncer à penser dans un même monde global les relations croisées entre la santé humaine et la santé de la Terre. Une approche inclusive de la santé affirme au contraire qu’il existe une communauté de destin entre l’épanouissement de la santé personnelle, la santé des sociétés et celle des milieux naturels.

One Health est donc une notion qui permet de rompre l’hyperspécialisation disciplinaire qui nuit à la compréhension de certains phénomènes, de mettre l’activité scientifique au diapason des problèmes effectifs rencontrés par les sociétés. Comment illustrer au mieux cette approche ? En 1962, dans son livre Printemps silencieux, la biologiste Rachel Carson avait été la première à alerter publiquement sur les conséquence néfastes du DDT. Par la suite, une équipe d’épidémiologistes a montré en 2015 que les filles dont les mères appartenaient au quart de la population la plus exposée au DDT avaient, autour de la cinquantaine, un risque presque quadruplé de cancer du sein, par rapport à celles dont les mères avaient été le moins exposées. En 2021, la même équipe est parvenu à établir une association entre l’exposition au DDT de femmes californiennes dans les années 1960 et la susceptibilité au cancer du sein de leurs petites filles – des jeunes femmes d’aujourd’hui.

L’écologisme est aussi un engagement pour la santé publique. Les humains malgré tous leurs efforts démesurés d’artificialisation des milieux, ne peuvent pas être indépendants de la nature environnante et des autres espèces. Il faudrait le savoir avant même d’apprendre à lire et à compter.

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Le président Macron vendu à l’agro-industrie

Faut-il abattre les écologistes activistes ? Les actes d’intimidation pleuvent sur les défenseurs de l’environnement et le gouvernement Macron défend l’agro-industrie.

Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur : « Depuis quelques années, un phénomène grandit, inacceptable. De plus en plus, nos agriculteurs sont visés par des intimidations, des dégradations, des insultes. Des individus s’introduisent dans leurs exploitations agricoles et les bloquent. Ils font des films aux commentaires orduriers, avant de jeter les exploitants en pâture sur les réseaux sociaux. Parfois même, les intrus dégradent, cassent et volent… » Depuis octobre 2019, la cellule de gendarmerie Demeter est notamment chargée, selon la convention signée entre le ministère de l’intérieur et la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), « de la prévention et du suivi (…) des actions de nature idéologique » visant des exploitants, y compris lorsqu’il ne s’agit que « de simples actions symboliques de dénigrement du milieu agricole ».

Stéphane Foucart, journaliste au MONDE : « Morgan Large est connue pour son travail sur les dégâts de l’agro-industrie. Régulièrement stigmatisée par les collectivités locales ou des industriels, la journaliste est ciblée avec une agressivité décuplée depuis qu’elle a témoigné dans un remarquable documentaire, Bretagne, une terre sacrifiée. Appels téléphoniques nocturnes, menaces sur les réseaux sociaux où sa photo est diffusée, intrusion nocturne dans les locaux de RKB ou chez elle, où les prés ont été ouverts pour laisser ses animaux divaguer… En janvier, son chien a été empoisonné. Depuis plusieurs années, les journalistes installés en Bretagne alertent sur la « loi du silence » qui leur est imposée par l’industrie agroalimentaire. »

Le gouvernement a choisi son camp, il conforte les adversaires les plus radicaux de la liberté de la presse sur les questions d’agriculture et d’environnement. En reprenant à son compte les éléments de langage des propagandistes de l’agriculture intensive – le désormais célèbre « agribashing » – et en privatisant l’action de la gendarmerie nationale par la création de la cellule Demeter, le gouvernement a contribué à criminaliser ceux qui s’inquiètent publiquement des dégâts de l’agro-industrie. Dans la mythologie grecque, Déméter enseigna aux humains les semis et le labour. Dans la société agro-industrielle, on a oublié les rites de la paysannerie pour faire de la terre un objet d’exploitation forcenée.

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Pour ou contre la décroissance économique ?

Revue de presse

« Je ne suis pas décroissant, mais je sais qu’il y a des gens qui pensent que la seule solution à la crise écologique, c’est la déconsommation. Moi je pense que c’est pas la bonne solution parce que nos concitoyens sont pas pré-décroissance (sic). Par contre il faut trouver, on appelle ça la « croissance sobre », c’est-à-dire une croissance qui permet d’améliorer le niveau de vie et l’espérance de vie, mais qui, pour la même unité de prod… de consommation pollue moins la planéte » (Geoffroy Roux de Bézieux, patron du Medef)

« Je ne crois pas à la décroissance, concept qui ne prend pas en compte les réalités » (Jordan Bardella, numéro 2 du RN)

« Le mode de vie français ne se négocie pas car nous sommes déjà et heureusement les meilleurs de la classe écologique grâce au nucléaire » (Marine Le Pen, numéro 1 du RN)

Courriers des lecteurs

« Ma philosophie prend ses fondements chez Epicure qui disait : Celui qui ne sais pas se contenter de peu ne sera jamais content de rien. (David)

« J’ai découvert dans le bulletin municipal d’une banlieue de Bourg-en-Bresse la création d’une course de tracteurs de pelouses… On développe une pédagogie du gaspillage de ressources et du bonheur à détruire aux antipodes de ce qu’il faudrait faire en notre époque de catastrophe écologique généralisée. (Pierre Joly)

Une professeure d’économie dénonce le transport de part et d’autres des Alpes de bouteilles italiennes consommées en France et de bouteilles françaises consommées en Italie, d’une eau provenant du même massif. Et voici sa conclusion : « L’idée générale de limiter le commerce international pour réduire les émissions de gaz à effet de serre n’adresse pas la source du problème. La source n’est pas le commerce international, c’est le fait que le commerce mondial ne paye pas ses émissions. » Pour les élites de l’économie, depuis Ricardo* rien n’a changé ; les échanges internationaux sont intrinsèquement bénéfiques à l’humanité. Merci à la Décroissance de nous faire sortir de ce cadre par des articles parfois excessifs, mais qui ouvrent tous les possibles. (Bernard Riou)

(phrases à méditer, issues du mensuel « La Décroissance », avril 2021)

* La démonstration des avantages comparatifs de David Ricardo (1772-1823) repose sur l’exemple chiffré de deux pays (Angleterre et Portugal), de deux produits (drap et vin), et d’un facteur travail immobile entre les nations mais mobile à l’intérieur. Partant d’une situation d’autarcie, Ricardo montre que le Portugal détient un avantage absolu dans la fabrication des deux produits ; aussi l’Angleterre ne peut échanger quoi que ce soit si l’on suit la théorie des avantages absolus d’Adam Smith. Avec Ricardo, l’Angleterre va pouvoir se spécialiser là où son désavantage relatif est le moins grand, c’est-à-dire le drap. Le Portugal se spécialisera dans le vin. Il y a ré-allocation interne du facteur travail entre drap et vin dans les deux pays. Dans l’Angleterre du XIXe siècle David Ricardo a certes produit une théorie pure, mais largement subordonnée au fait de repousser les limites de l’accumulation du capital et de conjurer le spectre de l’état stationnaire. Sa théorie précède de quelque 25 ans la libéralisation du commerce des blés. Ce modèle va constituer la justification théorique d’une décision politique dont la visée est de sacrifier l’agriculture sur l’autel de l’industrialisation d’une Angleterre cherchant à asseoir son hégémonie sur le reste du monde.

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La conquête de Mars, une utopie dévastatrice

Quelle est cette époque qui ne sait pas distinguer entre la réalité présente et une construction virtuelle, On cultive l’impossible, l’imaginaire, la fiction, alors qu’Il n’y qu’une réalité bien terrestre. L’Antarctique est plus accueillant que la Lune ou Mars, pourtant personne n’envisage d’y construire une nouvelle civilisation.

Arnaud Saint-Martin nous explique : «  A la faveur de la multiplication des projets de mission extraterrestre refleurissent l’idée de villes dans l’espace. Pourtant dans les villes sur Terre, l’avenir n’est pas toujours aussi radieux, a fortiori à l’ère des pandémies et de l’urgence climatique. Ce qui frappe dans ces projets grandioses, c’est l’absence de délibération quant à leur viabilité et leur pertinence. On étoufferait sur la Planète rouge, mais il se trouve pourtant des milliers de passionnés pour rêver d’y habiter. La confiance dans la technologie et l’adaptabilité humaines se veut l’antithèse du pessimisme du mouvement environnemental. Qu’il s’agisse des projections martiennes d’Elon Musk ou des fictions de villes orbitales de Jeff Bezos, les élus de l’aventure cosmique ne sont pourtant que des citoyens ordinaires. Le projet Biosphere 2 est souvent cité. La vie organisées sous un dôme dans le désert d’Arizona entre 1991 et 1994 atteste pourtant de la difficulté d’un confinement en proie aux conflits interpersonnels. Les termes du contrat que doivent signer les abonnés à Starlink décrètent de façon unilatérale que Mars est une « planète libre, et qu’aucun gouvernement basé sur Terre n’a d’autorité ou de souveraineté sur les activités martiennes. »

Ce plaidoyer libertarien, à savoir retour aux principes d’autonomie comme au temps du Far West, laisse deviner le genre de gouvernement que les space cowboys de l’entreprise fantasment depuis le Texas. L’expérience historique montre qu’une colonisation n’est jamais une bonne chose, les Comanches en savent quelque chose. Nous avons aujourd’hui assez à faire pour essayer d’arrêter de mettre cette planète Terre au pillage sans rêver de faire de même dans l’espace. Pour en savoir plus grâce à notre blog biosphere :

18 février 2021, Tout savoir sur la conquête spatiale

22 juillet 2019, Conquête spatiale, rêveries extraterrestres

21 août 2019, Notre frontière est terrestre, pas martienne

9 juillet 2018, Branson ou Musk, l’idiotie de la conquête spatiale

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Ulrich Beck et la société du risque

« On se prend à rêver de l’époque où la seule catastrophe menaçant l’humanité était un conflit nucléaire » En janvier 1986, trois mois avant la catastrophe nucléaire de Tchernobyl, Ulrich Beck publiait La Société du risque, un ouvrage clé qui ne fut traduit en français qu’en 2002 (Aubier). Face aux accidents industriels précédents, entre autres fléaux, le sociologue allemand estimait que le principal enjeu des pays riches ne serait plus la répartition des fruits de la production, mais la réparation des dégâts du progrès. Ce proche des Grünen prônait une « modernité réflexive », capable d’intégrer la nature aux relations de plus en plus étroites avec la société humaine, et un débat citoyen sur les choix technologiques. En 2006, la menace du virus de grippe aviaire H5N1 lui inspira des déclarations critiques sur l’impréparation, notamment institutionnelle, face au risque annonciateur d’une catastrophe sanitaire qui n’advint pas. L’accident de Fukushima, en mars 2011, confirma « à quel point ce qui est imputable à la nature et ce qui l’est à la technique et aux compétences humaines sont directement enchevêtrés », déclara-t-il au Monde (daté 26 mars 2011). Mort le 1er janvier 2015, il n’a pas pu penser la crise du Covid-19. Elle ne fait que conforter ses analyses.

Jean-Michel Bezat : « Les dirigeants politiques, les chefs d’entreprise et les économistes ont mis du temps à intégrer les grands risques systémiques. C’est désormais acquis : Davos et d’autres forums anticipent des scénarios beaucoup plus noirs que la réalité actuelle. L’Organisation mondiale de la santé envisageait déjà en 2018 l’apparition d’un agent très pathogène. Fin 2019, l’université Johns Hopkins avait modélisé une pandémie de coronavirus partie du Brésil et tuant 65 millions de personnes. Le classement des risques fluctue. Au premier rang en 2019, le réchauffement climatique a cédé sa place aux maladies infectieuses, qui ne figuraient qu’en huitième position un an plus tôt. Viennent ensuite les cyberattaques, les tensions géopolitiques et les conflits sociaux. La tendance nouvelle est l’interconnexion croissante des risques. En plongeant de nombreux pays dans la récession, le Covid-19 est porteur de graves troubles sociaux. Les dettes publiques et privées peuvent déstabiliser la finance en sortie de crise sanitaire. Et le réchauffement climatique reste une bombe à retardement. »

Cette chronique de Jean-Michel Bezat oublie ce qui nous semble le risque le plus grand de déflagration mondiale, une hausse brutale du prix du baril. Sans oublier que notre nombre étouffe toute possibilité de solutions à court terme… Voici quelques risques analysés sur notre blog biosphere :

18 janvier 2021, Notre nombre accroît le risque épidémique

17 mars 2019, Nucléaire, des risques sans alternative nucléaire

19 novembre 2017, effondrement, le risque agricole/alimentaire

10 novembre 2011, contagion virale, un risque élevé pour l’humanité

30 août 2011, les risques de la techno-science selon Alex Türck

3 avril 2011, écologie et risque fasciste

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Yann Arthus-Bertrand transmet son héritage

« Legacy, notre héritage », ce documentaire de Yann Arthus-Bertrand est passé le mardi 26 janvier 2021sur la 6. Excellent et démoralisant , YAB s’exprime ainsi : « Faire un film sur la fin du monde, ce n’est pas facile… Les quatre cinquième de ma vie, je suis passé à côté de cette réalité… Désormais plus rien de naturel ne peut stopper l’expansion humaine… Dans quatre jours, nous serons un million de plus… L’humain a cru dominer les règles de la nature, elle se rappelle à lui… Nous sommes arrivés à la situation qui me faisait peur ; on pourrait décarboner nos vies, mais on a l’impression que c’est impossible tant nous sommes drogué à la croissance qui est pourtant en train de nous tuer… Disons à nos enfants qu’ils arrivent au début d’une histoire, je ne peux pas croire qu’il n’y aura pas un sursaut… » Sursaut il y a, du côté de jeunes activistes comme Greta Thunberg qui a fédéré un mouvement international contre le réchauffement climatique. Frémissement il y a même du côté des politiciens. Même aux États-Unis !

Le nouveau président des Etats-Unis, Joe Biden, a annoncé le 27 janvier 2021, un moratoire sur les forages d’hydrocarbures sur les terres et les eaux fédérales ainsi qu’un sommet international sur le climat le 22 avril 2021, le Jour de la Terre (célébré pour la première fois le 22 avril 1970). « De même que nous avons besoin d’une réponse nationale unie face au Covid-19, nous avons désespérément besoin d’une réponse nationale unie à la crise climatique, car il existe bien une crise climatique », a déclaré Biden. Il se rapproche de son objectif d’abandon progressif des énergies fossiles, et d’une neutralité carbone dans le secteur énergétique d’ici 2035 et dans l’ensemble de l’économie d’ici 2050. Les États-Unis vont aussi s’engager à préserver l’intégrité de 30 % des terres et des eaux fédérales d’ici 2030, afin d’enrayer la perte de la biodiversité. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres. En matière d’émissions de gaz à effet de serre, les États-Unis sont les champions. : actuellement, chaque Américain émet 3 ois plus de CO2 qu’un Français. (et 8.5 fois plus qu’un Indien).

Du côté de la France, on est beaucoup plus précis puisque la CCC (convention citoyenne sur le climat) a propoau législatif 149 mesures de lutte contre le réchauffement climatique. Mais la mise en œuvre va se heurter aux intérêts acquis, à l’influence des lobbyistes, mais aussi à l’aveuglement pro-business de beaucoup trop de parlementaires. Un représentant d’une organisation professionnelle résume l’enjeu : « Le Parlement n’a pas été associé aux travaux de la CCC, il va vouloir jouer un rôle soit pour filtrer soit pour revenir à l’esprit de la Convention. » Le travail de cartographie des députés met en lumière le fait que les élus de sensibilité écolo sont nombreux, cela va-t-il faire pencher la balance dans le bon sens ? Un atout, la stratégie de la ministre de l’écologie de Macron. Un collègue ministre de Barbara Pompili déplore ce qu’il appelle « la méthode Pompili ». « Je lui ai dit très clairement d’arrêter de jouer les citoyens contre Bercy. Elle ne se cherche pas d’alliés, c’est le syndrome écolo. Elle triangule, avec les citoyens, avec les ONG, avec les parlementaires. » C’est-à-dire que la ministre compte sur ces alliés extérieurs pour l’aider à faire monter la pression au moment des arbitrages. De leur côté, les 150 citoyens de CCC ne devraient pas être en reste, ils sont eux-mêmes devenus un lobby. Mais pour une fois dans l’intérêt général, pas pour des intérêts privés.

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À qui appartient la forêt amazonienne ?

Quand Bolsonaro est arrivé au pouvoir, il disait que les cavaleries brésiliennes auraient dû faire comme aux Etats-Unis pour en finir avec les indigènes. Dès le premier jour de son mandat, le président Bolsonaro a placé la démarcation des terres indigènes sous la tutelle du ministère de l’agriculture, les livrant ainsi à l’agrobusiness. Un projet de loi remettant en jeu les droits des indigènes a été déposé en février 2020 alors que la Constitution brésilienne rend ces terres « inaliénables et indisponibles . En deux ans, Le gouvernement Bolsonaro a mis en place la violations des droits constitutionnels des indigènes, le démantèlement des agences gouvernementales de protection de l’environnement, l’autorisation de pesticides toxiques… Pendant ce temps, la forêt amazonienne brûle.

Le cacique Raoni Metuktire accuse Jair Bolsonaro de crimes contre l’humanité : meurtres, extermination ou mise en esclavage, transferts forcés dess population autochtones de l’Amazonie : « Le Blanc n’a pas l’air de comprendre que si les indigènes veulent préserver l’eau et la terre, ce n’est pas seulement pour eux, mais c’est pour préserver la vie en général, celle des générations futures. » Sa plainte a été déposée le 22 janvier 2021 devant la CPI (Cour pénale internationale) aux Pays-Bas. Le Brésil a ratifié le traité de la CPI en 2002, lui donnant ainsi compétence pour enquêter sur les crimes commis sur son territoire et par ses ressortissants. Deux réactions sur lemonde.fr :

BCG : Cela interroge tant sur le destin commun des habitants de la planète que sur le droit des États : à force de considérer la foret amazonienne comme nécessaire à tous, beaucoup réagissent et pensent comme si elle appartenait à tous, zappant ainsi le droit le plus élémentaire d’un État à s’organiser et se gérer en autonomie.

Michel SOURROUILLE @ BCG : La question de fond c’est  de déterminer à qui appartient la forêt amazonienne. Du point de vue des colonisateurs dont Bolsonaro est un sinistre descendant, la propriété résulte d’un rapport de force, le vol à main armée fait la loi. Du point de vue des autochtones, la forêt appartient à ceux qui en vivent directement sans dilapider le capital naturel. Du point de vue des nationalistes, l’État fait ce qu’il veut de son territoire, il peut en abuser si ça lui chante. Mais du point de vue des générations futures, l’Amazonie, un des pôles de captage du CO2, appartient à tous les peuples de la terre ; sa conservation permet en effet de lutter contre le réchauffement climatique. C’est pourquoi on devrait aussi parler de crime écologique quant aux délires de Bolsonaro. Il fomente un crime contre la Terre-mère, ce droit traditionnel des peuples premiers que nous devrions remettre à l’ordre du jour au niveau international.

Du point de vue des écologistes, on peut transposer l’analyse de Mr Sourrouille à bien d’autres éléments de la nature. Par exemple, à qui appartient le pétrole enseveli depuis des millions d’années sous la terre ? Aux potentats locaux qui n’ont absolument rien fait pour fabriquer le produit de leur sous-sol ? Aux multinationales qui s’engraissent sans risque en distribuant l’or noir ? A l’OPEP qui fixe le prix du baril à sa convenance sur une marché oligopolistique ? Aux conducteurs et conductrices d’automobiles thermiques qui bénéficient d’une essence données gratuitement par la nature et qu’on fournit à si bas prix qu’on peut la gaspiller à son aise. Aux générations futures qui ne trouveront que les vestiges des ressources fossiles ? Ou plus fondamentalement à la Terre-mère qui avait enfoui profondément en son sein ces restes de la vie passé sur Terre pour qu’on ne l’y trouve pas si on avait été raisonnable ! Comme l’exprimait le chef Raoni, « nous pouvons beaucoup vous apprendre sur la façon de vivre en harmonie avec la nature. La nature est comme l’homme, le sol est sa peau, les forêts sont ses cheveux et les rivières sont ses veines. Nous respirons tous un seul air. Nous buvons tous une seule eau. Nous vivons tous sur une seule terre. Nous devons tous la protéger. La sauver, c’est nous sauver nous-mêmes. »

Pour en savoir plus sur Raoni Metuktire grâce à notre blog biosphere :

16 mai 2019, Raoni peut-il encore sauver l’Amazonie ?

17 octobre 2007, Chef Raoni

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Catastrophe OUI, catastrophisme NON

Les mots « catastrophe » et « catastrophisme » deviennent des incontournables du monde présent. Ainsi ces deux articles récents du MONDE, La peur de l’apocalypse écologique, entre catastrophisme et claivoyance, et « L’une des leçons du Covid-19 est que la catastrophe n’est pas complètement à exclure ». Il ne s’agit pas d’avoir peur, ce gros mot utilisé par les anti-écolos pour avoir peur des collapsologues. Nous affrontons actuellement sans peur la Covid-19 au niveau mondial, mais au prix d’atteintes aux libertés de se réunir, de se déplacer et de consommer. La population fait avec, et si on chope personnellement le virus, cela apparaît comme dans l’ordre des choses. Le problème n’est pas la peur, mais l’ignorance ou l’indifférence de nombre de citoyens et de responsables publics face à l’urgence écologique. Le problème, c’est qu’il faudrait changer complètement de comportements au niveau de nos déplacements et de nos consommations, et cela est inimaginable car nous sommes immergés dans une culture consumériste où la société du spectacle permet d’oublier les réalités.

Nous sommes entrés dans une nouvelle ère, l’« anthropocène », sans que ce soit perceptible ou audible pour la plus la grande partie de nos populations. Leffondrement écologique qui se prépare ne repose pas sur d’incertaines prophéties religieuses apocalypiques : « Je vis les sept anges qui se tiennent devant Dieu, et sept trompettes leur furent données. Le premier sonna de la trompette. Et il y eut de la grêle et du feu mêlés de sang, qui furent jetés sur la terre; et le tiers de la terre fut brûlé, et le tiers des arbres fut brûlé, et toute herbe verte fut brûlée… (apocalypse selon saint Jean)» L’apocalypse est prévue et bien documentée par les modèles scientifiques élaborés par les climatologues, les spécialistes de l’énergie fossile en voie de disparition, les connaisseurs de la biodiversité et de son extinction, etc. Mais l’horizon tragique des prévisions collapsologiques contraste de manière saisissante avec l’aveuglement des politiciens. La catastrophe n’est pas jugée possible parce qu’elle entre en confit avec la prochaine échéance électorale où madame/monsieur voudrait être (re)élu. D’ailleurs, la catastrophe à venir est toujours ignorée historiquement par le peuple et ses dirigeants. De la seconde guerre mondiale, avant qu’elle ne se déclare, on entendait le bruit des bottes et l’événement probable fut pourtant jugé impossible. Du premier choc pétrolier avant qu’il ne se déclare en 1974, on disait que le bas prix du baril était une bénédiction et nous en sommes restés là en 2020, attendant ce qu’on croit impossible, le choc pétrolier ultime. Il n’y aura pas que le réchauffement climatique dans la vie des générations futures, il y aura la baril à 100 dollars, l’épuisement des ressources halieutiques et des nappes phréatiques, etc. etc. Il ne faut pas confondre catastrophe écologique et catastrophisme, il nous faut pratiquer la pédagogie de la catastrophe avant que la catastrophe ne se transforme en apocalypse. Pour en savoir plus grâce à notre blog biosphere, ces extraits :

28 avril 2008, catastrophisme ou catastrophe ?

D’un côté il y a les 35 habitants de Mimina Place, au cœur de la mégalopole de Los Angeles. Vélo et sobriété énergétique pour 35 personnes sur une ville de 20 millions d’habitants. Ce sont des purs écolos par rapport au mode de vie de l’Américain moyen, surtout à Los Angeles où il n’y a pas de transports en commun et des autoroutes larges comme des pistes d’aéroport… Seuls 35 personnes et quelques autres poussières humaines montrent la voie de la simplicité volontaire. Ce n’est pas assez pour que la planète ne connaissent pas les convulsions humaines qui vont s’amplifier un peu partout, des révoltes incessantes, une police omniprésente et de plus en plus débordée… Il ne faut pas voir dans ce constat du catastrophisme, mais la simple description de la catastrophe en marche.

14 juin 2014, Pédagogie de la catastrophe n’est pas catastrophisme

courriel de la responsable académique de l’EEDD (Education à l’environnement et au développement durable) : « Le terme de « pédagogie de la catastrophe » me semble trop fort et peu adapté. Je suis comme toi globalement inquiète sur l’avenir  mais  le catastrophisme ne peut, selon moi convenir pour les enfants ou même les jeunes à qui nous laissons un monde difficile, ce n’est pas à eux de porter ce fardeau que nous n’avons su assumer; alors pédagogiquement, pour moi, il ne s’agit pas de masquer les choses mais de voir aussi le verre à moitié plein. Leur avenir professionnel est déjà tellement sombre… »

23 avril 2015, Collapsologie : catastrophe et non catastrophisme

« Nous disposons aujourd’hui d’un immense faisceau de preuves et d’indices qui suggèrent que nous faisons face à des instabilités systémiques croissantes qui menacent sérieusement la capacité de certaines populations humaines – voire des humains dans leur ensemble – à se maintenir dans un environnement viable. C’est ce que le prince Charles appelle un « acte de suicide à grande échelle ». Mais a-t-on vu un réel débat, par exemple sur le climat, en termes de changement social ? Non, bien sûr. Trop catastrophiste. D’une part on subit des discours apocalyptiques, survivalistes ou pseudo-mayas, et d’autre part on endure les dénégations « progressistes » des Luc Ferry, Claude Allègre et autres Pascal Bruckner. Les deux postures, toutes deux frénétiques et crispées autour d’un mythe (celui de l’apocalypse vs celui du progrès), se nourrissent mutuellement par un effet « épouvantail » et ont en commun la phobie du débat posé et respectueux, ce qui a pour effet de renforcer l’attitude de déni collectif qui caractérise si bien notre époque… C’est une sensation étrange que de faire partie de ce monde, mais d’être coupé de l’image dominante que les autres s’en font. »

Comment tout peut s’effondrer » de Pablo Servigne & Raphaël Stevens

16 décembre 2018, Serge Latouche et la pédagogie des catastrophes

« Lorsque j’ai commencé à prêcher la décroissance, j’espérais que l’on puisse bâtir une société alternative pour éviter la catastrophe. Maintenant que nous y sommes, il convient de réfléchir à la façon de limiter les dégâts. En tout cas, la transition douce, je n’y crois plus. Seul un choc peut nous permettre de nous ressaisir…

27 avril 2020, Covid-19, une pédagogie de la catastrophe ?

Je croyais à la pédagogie de la catastrophe dès le début des années 2000 avec le pic pétrolier. Désabusé par l’inertie sociale, j’ai alors pensé grâce au réchauffement climatique que la catastrophe servirait de pédagogie. Aujourd’hui je suis désespéré, la sensibilité écologique a progressé mais les politiques économiques restent suicidaires. Les avertissements multiples des différentes branches de la science sur l’imminence des catastrophes écologiques et démographiques n’ont entraîné que quelques brèves dans quelques médias sans rien changer au modèle croissanciste soutenu par les politiciens de tous bords. La crise profonde liée à la maladie Covid-19 montre encore une fois que l’histoire n’est qu’une lanterne accrochée derrière notre dos et qui n’éclaire que notre passé…

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APD, l’aide au développement, une illusion

L’Élysée veut réformer l’aide publique au développement (APD). Action vouée à l’échec car développement impossible. On hésite aujourd’hui sur le qualificatif à adopter, pays en développement, pays émergents, pays sous-développés, pays en difficulté, pays pauvres, pays les plus pauvres, pays à bas revenu, pays endettés, pays en faillite. Le terme « pays sous-développés » est daté, il remonte au discours du président américain Truman en 1949 : « Nous devons nous engager dans un nouveau programme audacieux et utiliser notre avancée scientifique et notre savoir-faire industriel pour favoriser l’amélioration des conditions de vie et la croissance économique dans les régions sous-développées ».  La société thermo-industrielle devenait ainsi une référence universelle, il fallait passer obligatoirement par les cinq étapes de la croissance économique, c’est-à-dire dépasser l’état de société traditionnelle, faire son décollage économique pour aboutir à l’ère de la consommation de masse. Cela n’a que trop bien réussi aux pays du Nord et entraîné une catastrophe au Sud. En définitive ce n’est qu’une spirale d’appauvrissements constants. Il nous faut donc déconstruire à la fois l’idée de développement et les pratiques d’aide.

Le développement n’a été que la poursuite de la colonisation par d’autres moyens .Ce n’est qu’une entreprise visant à transformer les rapports des hommes entre eux et avec la nature en marchandises. Quel que soit l’adjectif qu’on lui accole, le contenu du développement c’est la croissance économique, l’accumulation du capital avec tous les effets que l’on connaît : compétition sans pitié, croissance sans limites des inégalités, pillage sans retenue de la nature. Peu importe que les uns estiment que le « développement » adviendra grâce à l’aide financière alors que d’autres prônent le commerce (trade not aid), dans le domaine du « développement », tout est possible, et surtout son contraire.Si à chaque fois l’entreprise tourne court, c’est faute de se détacher de la notion de « développement » qui est piégée dès l’origine car assimilé à « croissance ». Il faut reconsidérer la notion de pauvreté. Cette notion est absente du vocabulaire de toutes les langues pendant des millénaires. « Pauvre » existait en tant qu’adjectif et ce, pour indiquer que quelque chose n’était pas à la hauteur de ce qu’il devrait être, comme par exemple un sol pauvre, une santé pauvre. Les gens vivaient de très peu, sans jamais penser qu’ils étaient pauvres. En effet, si l’on prend la pauvreté dans le sens d’un mode de vie qui se suffit du nécessaire, la pauvreté était la condition normale des humains. La façon de vivre ensemble était le rempart le plus durable de leur communauté contre la misère. Comme le dit un proverbe tswana : « Là où il n’y a pas de richesse, il n’y a pas non plus de pauvreté. » Dans l’Afrique traditionnelle, on considère comme pauvre non pas celui qui manque de moyens matériels, mais celui qui n’a personne vers qui se tourner, devenant ainsi un orphelin social, un pauvre en relations. En fait, ériger la pauvreté en problème, c’est occulter le fait qu’elle constitue un rapport social et qu’elle ne peut se définir que par rapport à la richesse économique. « Laissez les pauvres tranquilles ». Cette phrase est de Gandhi qui, lui, connaissait bien ce dont les pauvres avaient besoin. Il savait notamment que les pauvres avaient rarement les besoins socialement fabriqués que leur créaient les riches. Ils n’avaient pas besoin de technologies, de produits, de « services » et de gadgets de toutes sortes qui les rendaient systématique dépendants des autres. Mais on ne discute jamais de ce qui fait la vraie richesse des pauvres.

Le texte du gouvernement Macronprévoit d’augmenter son montant à 0,55 % du revenu national brut d’ici à 2022, contre 0,44 % en 2019. Les pays occidentaux n’ont jamais atteint leur objectif de prêter 1 % de leur PNB, dont 0,7 % d’aide publique. C’était pourtant l’objectif fixé par les Nations unies… en 1970 ! De toute façon l’investissement public et privé, pas plus que la globalisation des échanges commerciaux, n’ont conduit à un monde plus équitable et durable. L’aide au développement est même devenue une menace pour le pays en difficulté. Il sera entraîné dans une série de dépendances qui en feront un instrument entre les mains de l’institution « donatrice ». Ce n’est pas sans raison que le gros des dépenses va à l’aide militaire, l’aide pour les infrastructures du « développement » et l’aide financière pour sauver des institutions bancaires de la faillite. Aujourd’hui un experts nobelisé comme Esther Duflo pensent que la solution consiste à mettre en place au Togo des transferts financiers rapides par téléphone avec un système de porte-monnaie électronique ! Selon les derniers chiffres publiés fin septembre 2020 par le Fonds monétaire international (FMI), la moitié des pays à bas revenu frôlent le surendettement ou y sont déjà tombés. Pékin détient 46 % de la dette africaine en 2017, contre 28 % en 2005. La Chine a dépensé en aide au développement ces dix dernières années autant que la Banque mondiale, soit près de 500 milliards d’euros. De nombreux pays se sont embarqués dans des financements chinois et ils réalisent aujourd’hui qu’il est difficile de renégocier leur dette. A l’Elysée, on souligne « les possibles risques de déstabilisation » d’une crise économique sur un continent, l’Afrique, en pleine croissance démographique.

Dans la déclaration d’Arusha en 1967, on estimait à juste titre qu’il est « stupide d’imaginer que la Tanzanie pourra enrayer sa pauvreté avec l’aide financière étrangère plutôt qu’avec ses propres ressources (…) Etre indépendant, cela veut dire compter sur soi (…) Qu’elles proviennent de l’impôt ou de l’extérieur, les ressources financières de l’Etat doivent être affectées en priorité aux paysans et non aux villes (…) Il convient de viser l’autosuffisance alimentaire… ».L’aide au développement est une absurdité quand on connaît l’absurdité du type de développement capitaliste : des voitures pour tous et bonjour l’effet de serre, une société de services payants et non plus gratuits, des facultés qui accueillent la majorité des jeunes futurs chômeurs. Cette construction sociale est un faux modèle impossible à généraliser dans le monde entier.

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Qu’est-ce qu’être français ? Réponse écolo

Du point de vue des écologistes, être Français n’a pas grande signification puisque nous habitons tous et toutes la même planète qui se fout des frontières. Nous sommes tous cosmopolites dans un monde recroquevillé dans ses égoïsmes nationalistes. Qu’en pense Emmanuel Macron ? Il engage le débat sur l’identité dans un entretien à « L’Express » le 22 décembre 2020 : « Qu’est-ce qu’être français ? Au fond, vous n’aimez pas la France si vous choisissez des prénoms qui ne sont pas vraiment français. Être français, c’est habiter une langue et une histoire. Nous renforcerons les cours de français et nos exigences en histoire, en particulier pour accéder à la nationalité. On a dit que j’étais un multiculturaliste, ce que je n’ai jamais été. Ma matrice intellectuelle et mon parcours doivent beaucoup à Jean-Pierre Chevènement et à une pensée républicaine. Nous avons la volonté farouche de reprendre le contrôle de notre vie intime et de la France comme nation. » Être français est donc ineffable, un subtil mélange entre le camembert bien fait et Chanel numéro 5, un fumet immédiatement perceptible par n’importe quel allogène à 200 mètres à la ronde. Faire du nucléariste Chevènement un modèle est promouvoir un anti-écolo, lui qui disait dans L’Obs du 16 juin 2020 : « Sonner l’heure de la décroissance serait une erreur magistrale. C’est une vague de préconisation absurdes, écologie punitive, recommandations malthusiennes, technophobie galopante. Tomber dans le piège de la facilité serait l’assurance du déclin… »

Lors de la COP à Copenhague en 2009 sur le climat, l’ineffable Eric Besson estimait déjà qu’il faut « réaffirmer la fierté d’être français ». Ce n’est pas ainsi que nous préparons le monde de demain à l’heure du réchauffement climatique et de l’urgence écologique. Parce que les uns se sentent plutôt Français pendant que d’autres se veulent Hutu ou Tutsi nous n’arriverons jamais à conclure quelque conférence internationale que ce soit. A Copenhague en 2009, funeste échec, ou à Paris en 2015, succès illusoire, les négociateurs ne participent pas aux COP pour résoudre les problèmes de la planète, mais pour préserver les intérêts de la nation qu’ils représentent. Il ne devrait plus jamais y avoir de débat sur les identités nationales, il devrait y avoir une prise de conscience planétaire que nous appartenons tous à la même biosphère, que c’est la Terre qui est notre patrie, que nous dépendons du substrat qui nous fait vivre. A ce moment-là seulement, nous pourrons prendre des décisions qui puissent aller dans le sens de l’intérêt général. Un écologiste reconnaît qu’il n’est né français que par inadvertance, par le hasard du lieu de sa venue au monde et des pérégrinations de ses parents.

Ceci dit, un écolo n’est pas pour la libre circulation des personnes, l’absence totale de délimitations territoriales. C’est un adepte des biorégions et de l’attachement à un lieu déterminé. L’écolo veut une réorganisation de la société à l’échelle d’un territoire défini par des frontières naturelles qui puissent permettre l’autonomie alimentaire et énergétique. Il pense global, cosmopolite, mais en même temps il vit local, enraciné dans son terroir. Ni nationaliste ni internationaliste, écolo tout simplement !

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L’essentiel du mois de novembre 2020

En ce mois de reconfinement face à la pandémie, le gouvernent a décidé de différencier ce qui est essentiel de ce qui est dérisoire. Vaste débat dans une société déboussolée où la mort d’un footballeur est considéré comme un drame international. Débat biaisé quand M, le Magazine du MONDE, se permet de titrer « le luxe de l’essentiel » pour faire la promotion de Vuitton, Rolex, Van Cleef & Arpel ainsi que d’autres superflus. La première contribution du dessinateur Wolinski paru en 1976 à la une du journal est à connaître. L’Humanité présentait deux dessins : sur le premier, une bourgeoise affalée sur son divan explique à sa petite fille que le luxe, c’est les bijoux, les toilettes, le parfum, le champagne. Sur le deuxième, une prolétaire explique à son jeune fils que le luxe, c’est la viande et les oranges. Société aujourd’hui bloquée dans sa boulimie consumériste, le luxe ET la viande ?
Il est fort probable que dans un avenir proche la problématique du retour à l’essentiel deviendra un passage obligé pour mettre en œuvre une société post-croissance. On parlera de sobriété partagée sur une planète au pillage que nous avons rendue exsangue. « Allons à l’essentiel », voici notre article du mois de novembre développant cette idée :

Reconfinement, allons à l’essentiel

NB : Le blog biosphere existe depuis début 2005, il propose une analyse quotidienne du « point de vue des écologistes ». Comme l’écologie est multiple, chaque article est soumis à vos commentaires. Vous pouvez aussi proposer un texte afin d’alimenter le débat d’idées, il suffit de l’envoyer à biosphere@ouvaton.org.
– Seuls les textes ne dépassant pas 4000 caractères (espaces compris) seront pris en considération.
– Précisez clairement votre identité et votre qualité, mais on peut préserver votre anonymat à parution.

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Décroissance maîtrisée ou récession sévère

« Il est erroné de penser comme Christian Jacob que décroissance est synonyme de récession », écrit Stanislas Rigal, biologiste de la conservation :

«  La seule écologie réaliste, notamment dans les sociétés occidentales, est celle qui fait décroître l’impact humain sur la biosphère et les quantités d’énergie et de matière extraites de l’environnement. Alors que la récession touche la quasi-totalité des secteurs sans discernement en créant un chômage massif, la décroissance est une entreprise prévue, se concentrant sur les secteurs ayant l’impact environnemental le plus négatif, améliorant le quotidien des plus nombreux, réduisant les inégalités par une redistribution des ressources et une démarchandisation du monde. La décroissance permet le passage d’un système obèse reposant sur les énergies fossiles vers un système sobre et convivial. L’humain n’est pas un ennemi de la nature. S’il y a un ennemi, c’est le capitalisme extractiviste et productiviste et il y a des gens derrière chaque activité mortifère ou législation laxiste. Eux sont les vrais ennemis de la nature. Les attaques contre « l’idéologie écologiste » peuvent se retourner facilement, en partant de chiffres précis concernant la réalité physique. Les flux de matière et d’énergie ont atteint des niveaux non soutenables, même à l’échelle de la France. L’empreinte carbone y est de 11,2 tonnes équivalent par habitant au lieu de 2 tCO2eq. L’empreinte matérielle est à 13,2 tonnes par habitant et devrait être divisée au moins par deux pour redevenir soutenable, etc.
Les incantations sont le fait de ceux qui refusent la réalité physique, à savoir que la croissance des flux de matière et d’énergie extraits d’un environnement fini admet des limites physiques. Les minerais radioactifs sont des ressources limitées (et non souveraines) tout comme les ressources carbones fossiles. C’est donc de paradigme qu’il faut changer, à savoir baisser la consommation et la production d’énergie… Une modification des mobilités est indispensable, vers des véhicules partagés, mais cela ne remplacera pas une nécessaire réduction des distances parcourues. C’est d’autant plus vrai pour l’aviation pour laquelle il n’existe pas de moyen crédible de réduire les émissions ; l’honnêteté consiste à proposer aux travailleurs du secteur aérien des plans de formations qui assurent leur avenir. La question n’est pas d’avoir un gâteau toujours plus gros, surtout quand le four n’a plus la taille suffisante pour le cuire. La question est de découper plus équitablement ce gâteau et de lui rendre une taille qui permette de le passer dans le four. Finalement, le point principal n’est pas tant de savoir si la décroissance est, ou non, une utopie de néo-hippies nécessitant de rester confinés trente ans, mais de savoir si nous allons la prévoir ou la subir.
 »

Formidable tribune de Stanislas Rigal qui fait le tour de l’opposition fondamentale entre religion de la croissance et ses dévots d’une part et politiques concertées de sobriété partagée d’autre part. Les prétendants écolos à la présidentielle vont-ils avoir le courage de parler aux médias de décroissance maîtrisée ? Nous suivrons avec intérêt les déclarations publiques de Yannick Jaodt, Eric Piolle et Sandrine Rousseau…
Pour en savoir plus sur la décroissance maîtrisée :

La droite envisage l’idée de décroissance

EELV face au concept de « décroissance »

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Violer la Terre-mère, un simple délit

La convention citoyenne pour le climat avait voté pour la création d’un crime d’écocide, le gouvernement a décidé de n’en faire qu’un délit : « Nous allons créer un délit général de pollution. Les pénalités seront modulées en fonction de l’intentionnalité de l’auteur. Les peines encourues vont de trois ans d’emprisonnement à dix ans d’emprisonnement selon qu’on est en présence d’une infraction d’imprudence, d’une violation manifestement délibérée d’une obligation et la plus lourde, d’une infraction intentionnelle. » Les amendes, qui se veulent dissuasives, iront de 375 000 à 4,5 millions d’euros. « Autrefois vous polluiez, vous gagniez, demain vous polluerez, vous paierez jusqu’à dix fois le bénéfice que vous auriez fait  », assure le garde des sceaux. Un deuxième délit de « mise en danger de l’environnement » devrait aussi voir le jour. Voici quelques réactions :

Marie Toussaint : Les ministres se saisissent enfin de l’enjeu crucial de la répression pénale des atteintes à l’environnement. Parmi les propositions formulées nous ne trouvons toutefois trace ni d’une approche écocentrée, ni de la condamnation des atteintes autonomes à l’environnement, c’est-à-dire sans qu’elles ne soient rattachées à la violation d’une règle en vigueur.
Marine Yzquierdo (Notre Affaire à Tous) : Ce délit général de pollution est sans rapport avec le crime d’écocide, censé punir les atteintes les plus graves à l’environnement en intégrant une approche écosystémique en référence aux limites planétaires. Ce délit devrait s’ajouter au crime d’écocide et non le remplacer. Reste une avancée intéressante avec la création d’un délit de mise en danger de l’environnement, mais le critère de “violation délibérée” est à discuter car s’il faut en plus que cela soit “manifeste”, cela posera une condition supplémentaire et donc limitera le champ de la répression. »
Victor M : Et en même temps, le gouvernement a supprimé progressivement les effectifs des inspecteurs de l’environnement qui constatent les pollutions et mène des enquêtes, en outre, il a créé une cellule spéciale (demeter) pour intimider et poursuivre les lanceurs d’alerte qui dénoncent les pollutions !
Gérard Pinard : Un petite loi qui fait semblant de et qui ne changera rien. Pendant ce temps, le pôle nord est 12 degrés au dessus des moyennes historiques. Quand on se décidera d’agir pour Les différences entre un délit et un crime sont au niveau des tribunaux compétents pour les traiter et des peines encourues. Considérer l’atteinte à l’environnement comme un crime impliquerait une peine minimale de 15 ans de prison,
Pour en savoir plus grâce à notre blog biosphere

crime écologique, crimes verts, écocide

D’une définition de l’écocide à une application pénale

Crime d’écocide, bientôt la reconnaissance officielle

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Voici venu le temps de l’immobilité…

En 1968, 2 % seulement de l’humanité franchissait une frontière, 60 millions de personnes. Aujourd’hui 20 %, soit un milliard et demi. Face à ce bougisme pendulaire (on part d’un endroit pour revenir au même endroit), la période de confinement est propice à la réflexion sur place. Ainsi Jean Viard divague sur les chemins de traverse, de cette pandémie doit naître un code mondial du voyage. A son avis voyager, c’est l’internationalisme qui triomphe, une humanité en cours de construction, au-delà de ses différentes cultures et nationalités. Il n’attend qu’une chose du post-Covid, la remise en route des activités touristiques : «  On devrait retrouver la passion de découvrir cette terre dont les hommes ont fait un monument… » Mais avec un minuscule bémol,  « des voyages qui respectent un code mondial du voyage, avec des séjours moins intrusif et moins polluant. Viard ajoute le fond de sa pensée : « Ne laissons pas les ennemis des mobilités régir le monde. L’humain est une espèce migrante. » Encore un anti-écolo qui croit que les migrations de masse sont encore de saison sur une planète close et saturée d’humains. Rétablissons les faits.

Le réchauffement climatique et la déplétion pétrolière impliquent inéluctablement de refuser les voyages en avions et le tourisme d’éloignement. Les périodes de confinement ne sont qu’un avant-goût de ce qui nous attend, attestations de sortie, contrôles aux frontières, limitations des déplacements. « Voyager local », cette expression de Viard ne veut rien dire. La relocalisation des activités va faire disparaître au niveau socio-culturel toute idée de « voyage ». Comme l’exprime Michel Sourrouille dans un livre collectif « >Moins nombreux, plus heureux, l’urgence écologique de repenser la démographie : « Contrairement à la conception commune selon laquelle la mobilité est une constante de la société humaine, nous constatons historiquement qu’il n’y a jamais eu libre circulation des personnes. Partout dans le monde ancien, les peuples donnaient un caractère sacré aux portes de leur territoire, village ou ville : aller au-delà impliquait toutes sortes de précaution. Même le roi de Sparte s’arrêtait à la frontière de la Cité pour y effectuer des sacrifices ; à l’extérieur était le domaine de l’étranger et du combat. Jusqu’au XVIIIe siècle, seule une minorité de personnes se déplaçait : les soldats, les marchands, les aventuriers et les brigands. La masse de la population était peu mobile et le vagabondage proscrit ; on naissait, vivait et mourait dans le même village. Les frontières nationales érigées au XIXe siècle n’ont fait qu’actualiser cette constante humaine, la délimitation d’une appartenance territoriale. »*

Notre blog biosphere a pris position de multiples fois contre le tourisme, par exemple :

Pourra-t-on voyager après l’apocalypse ?

Tourisme de masse et écologie, incompatibles

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Pablo Servigne, covid-19 et effondrement

Des intellectuels que nous estimons visionnaires nous montrent la voie d’une spiritualité écologique qui s’épanouira au XXIe siècle. Ainsi Pablo Servigne, inventeur avec Raphaël Stevens de l’expression collapsologie :

« La pandémie montre l’extrême vulnérabilité de nos sociétés, leur degré d’interconnexion, de dépendances et d’instabilité. J’anticipais beaucoup de crises graves, en particulier financière, climatique ou énergétique, mais celle-là, je ne l’ai pas vue venir, alors que je la connaissais en théorie. J’ai « lissé » ma présentation des risques : dans les conférences ou les articles, je ne citais même plus les pandémies, parce qu’elles font très peur. Le piège serait de considérer cette crise comme uniquement sanitaire. C’est une crise globale, systémique. Si la finance s’effondre, provoque des politiques autoritaires ou identitaires, cela pourrait déboucher sur des guerres, des maladies et des famines, qui, elles, interagissent en boucle. Les catastrophes sont désormais la réalité de la génération présente : nous en vivrons de plus en plus tout au long du siècle. Reste que le confinement est une expérience très intéressante de renoncement : on renonce aux transports, aux voyages, etc. Dans quels cas est-ce désagréable ou agréable ? Quand le déconfinement viendra, on aura goûté à ce qui était vraiment essentiel. Les questions de vie ou de mort nous amènent à une certaine sagesse. Cela nous apprend l’auto-limitation et l’humilité, ce qui est capital pour la suite. Il faut retrouver de l’autonomie à toutes les échelles (individuelle, locale, nationale). Bref, des principes inverses au monde actuel, globalisé, technicisé et libéral… » Quelques réactions sur lemonde.fr :

Philippe Clément : Je rends un immense hommage à ce monsieur qui a la franchise de dire ce qui de fait résume les théories de collapsologie :  » Cette crise, je ne l’ai pas vue venir, même si je la connaissais en théorie ». Même Yves Cochet, personnalité très estimable, mais perdu dans ses délires bobos sur fond de confinement provincial dans un bel espace, hindouistes maison et toilettes sèches, n’avait pas une telle distance vis-à-vis de lui même !

Thibaut : Intéressant, mais aussi désespérant. Je me demande dans quelle mesure les collapsologues ne sont pas encore trop optimistes, notamment quand ils affirment que l’humanité serait encore capable de bifurquer.

Titouan : Si je comprends bien ce mec est génial parce qu’il dit que le pire peut toujours arriver, et tout ça serait la conséquence du libéralisme et de notre mode de vie occidental. Je ne vois pas le rapport avec le virus, on peut juste dire que les gains de productivité ont permis à la population mondiale de croître à tel point que les chauves-souris sont au contact de l’homme. A part supprimer les 3/4 de l’humanité et revenir 200 ans en arrière, quelle autre conséquence en tirer ?

Lithopedion : La proposition est la décroissance. La décroissance est un effondrement planifié et contrôlé dans la mesure du possible afin de limiter les dégâts. Dans le cas présent, cela signifierait de créer des zones autonomes, indépendantes énergétiquement, économiquement, pour éviter la propagation de la maladie et pour offrir plus de résilience en cas d’autres catastrophes. Imaginez si nous avions la possibilité d’être autonome en France ? Il aurait suffit de fermer les frontières et personne n’aurait été contaminé. Mais ce n’est pas possible dans un monde globalisé.

Eljulio : Manifestement beaucoup de contributeurs n’ont pas lu son livre « Comment tout peut s’effondrer« . D’une part il évoque le risque d’une pandémie qui provoquerait potentiellement un recul du PIB mondial de 12.6% d’après certaines études (la réalité pourrait dépasser la fiction !). Plus largement, il réalise une très bonne synthèse très pédagogique, des risques qui menacent des domaines malheureusement variés : la finance, les écosystèmes, l’accessibilité aux ressources naturelles, les infrastructures vieillissantes, les rendements agricoles etc. Il explique également très bien l’aspect systémique des problèmes, et les blocages socio-techniques, cognitifs et psychologiques qui ne nous permettent pas de les traiter (ou seulement de manière très cloisonnée et parcellaire). Je vous invite à mettre à profit le temps dont on dispose pour LIRE le livre qui bousculera certainement les certitudes de certains, mais qui apportera un éclairage peut être salutaire!

NB : Pablo Servigne a été aussi contributeur en 2014 du livre collectif « Moins nombreux, plus heureux (l’urgence écologique de repenser la démographie »

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L’effondrement actuel de l’empire humain

Pablo Servigne : dans l’univers d’un élevage de dindes, tout va pour le mieux dans le meilleur des monde, l’éleveur vient tous les jours donner des graines et il fait toujours chaud. Les dindes vivent dans un monde de croissance et d’abondance… jusqu’à la veille de Noël ! S’il y avait une dinde statisticienne spécialiste de la gestion des risques, le 23 décembre elle dirait à ses congénères qu’il n’y avait aucun souci à se faire pour l’avenir…

Jean Jouzel : pas besoin de faire du catastrophisme, la situation est catastrophique. Je le répète, on n’est plus dans le futur : ce sont les enfants d’aujourd’hui, ceux des cours d’école, qui pourraient subir ces étés à 50°C.

Nicolas Hulot : on est en train de perdre la guerre sur le climat, on va le payer plein pot et nos démocraties vont s’e-ffon-drer.

Yves Cochet : par effondrement, j’entends un phénomène démographique qui verrait environ la moitié de la population mondiale disparaître en moins de dix ans… et dans les autres domaines de la vie, l’ampleur du bouleversement serait du même ordre.

Vincent Mignerot : l’acceptation que nous ne sommes pas tout-puissants me semble prioritaire. Nous devons déconstruire cette illusion en tenant compte des limites physiques de notre planète. Cela me paraît essentiel afin de réduire la souffrance et les crispations dans un monde qui va devenir de plus en plus contraint, quoi qu’il arrive.

Derrick Jensen : Que feriez-vous si des extraterrestres avaient envahi la planète, vidaient les océans, rasaient les forêt naturelles, modifiaient le climat, contaminaient le lait maternel et la chair de tous ainsi que la vôtre ? A que point la situation devrait-elle empirer avant que vous ne vous décidiez à arrêter ceux qui détruisent la planète, qui tuent ceux que vous aimez, et qui vous tuent, vous ?

Nicolas Casaux : contrairement à ce que prétend la doxa, l’effondrement de la civilisation serait une bonne chose.

Carolyn Baker : ce qui me fascine, ce n’est pas tant l’engloutissement de l’humanité dans les ténèbres, mais le type de culture que nous allons construire à partir des décombres de celle-ci.

Source : citations en exergue de chaque interview dans le livre « L’effondrement de l’empire humain », édition rue de l’échiquier, août 2020

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EELV face au concept de « décroissance »

Le concept de « Décroissance » semble pour certains membres d’Europe Ecologie Les Verts utilisable politiquement, mais pour d’autre à rejeter. Exemple, Alain Coulombel (membre du Bureau exécutif) avec Claire Lejeune (Les jeunes écologistes) se positionnent dans un projet de Charte et principes de gouvernance pour un « Principe de décroissance choisie et sélective (ou principe de post-croissance choisie et sélective) ». Ils justifient ainsi leur point de vue : « Parce que le PIB, la croissance pour la croissance, ne peuvent plus être notre boussole, nous nous engageons à réévaluer l’ensemble de nos activités à l’aune du bien vivre et des limites de la planète. Contre le productivisme et son pendant consumériste, certaines activités doivent décroître rapidement (automobile, aérien, activité spéculative, industrie du luxe, élevage industrielle, industrie touristique…) et laisser la place à d’autres activités (énergie renouvelable, low tech, mobilité douce, soin…) . De l’autre côté Esther Benbassa, sénatrice EELV : « Si les écologistes d’EELV étaient décroissants, les Français n’auraient pas voté pour eux ! Je tiens à vous dire que les écologistes ne sont pas décroissants. Il y a peut-être eu des branches de la pensée décroissante parmi la pensée écologiste, mais il n’y a pas d’écologie pratique qui soit décroissante ! » ( CNews, 29 juin 2020)

Le débat sur le concept de décroissance est ouvert à EELV depuis longtemps. Le 21 avril 2011, une motion de Thierry Pradier proposait que les futurs programmes électoraux d’EELV intègre l’idée d’une société de décroissance et proposait 12 mesures concrètes pour une décroissance sélective, solidaire et favorable à l’emploi. Depuis il existe une commission post-croissance à EELV (motion du 14 mars 2017) : « La croissance vide de sens, telle qu’elle est comptabilisée aujourd’hui, n’est autre qu’une fuite en avant… Nous savons que la croissance illimitée se réalise forcément au détriment de l’écosystème de la planète, à travers les « incrémentations cumulatives »… Une décroissance du PIB semble inévitable, tellement nous vivons à crédit sur la planète, mais elle ne doit pas être synonyme de chaos. C’est tout l’enjeu de la période transitoire qui doit être anticipée… » Le 16 janvier 2020, le projet écologiste d’EELV (programme Bien Vivre) intitule le premier de ses 6 piliers « Vers une société de post-croissance » : «  à la démesure, les écologistes opposent la conscience des limites ; au dogme de la croissance infinie, la décroissance des excès ; à la dictature du PIB, les indicateurs de bien être, d’égalité et d’émancipation... ».

Les tenants de la société thermo-industrielle accusent les écologistes d’être des apôtres de la décroissance, c’est ce que montrait un article récent sur ce blog biosphere. Les représentants médiatisés de l’écologie politique peuvent retourner l’argument, ce sont les Croissancistes qui nous amènent à la crise économique, en d’autres termes à la décroissance. Nous écologistes, nous voulons une activité économique en équilibre durable avec les possibilités de la biosphère, donc une société post-croissance qui nécessite forcément une décroissance sélective. L’écologie politique présente une vision complexe des réalités humaines face aux contraintes biophysiques. La forte probabilité d’une crise durable du système croissanciste est bien documenté depuis le rapport de 1972 sur les limites de la croissance. Nos adversaires idéologiques confondent la décroissance sélective et maîtrisée que nous voulons et la décroissance forcée où nous mène la perpétuation d’un système croissanciste dans un monde fini dont nous avons déjà dépassé les limites. Il faut leur rappeler que le système marchand traverse depuis son origine au XIXe siècles des décroissances économiques récurrentes dont la grande crise de 1929 ou plus récemment la récession de 2008. Une récession cyclique du système actuel qui se transforme en dépression économique, c’est bien l’équivalent d’une décroissance, sauf qu’elle est forcée, induite par l’expansion désordonnée du capitalisme marchand. L’écologie politique veut au contraire éviter la crise économique en mettant en place une décroissance sélective permettant de revenir à un état d’équilibre durable entre l’activité humaine et les possibilités de la planète. Une société post-croissance implique que l’on décide collectivement des arbitrages entre la décroissance de certains secteurs économique carbonés et le soutien à des activités créatrices d’emploi et économes en énergie. Quelques exemple de ce qui devrait décroître : énergies carbonées, centrales nucléaires, circuits alimentaires longs, produits ultra-transformés, alimentation carnée issue des élevages intensifs, pesticides et engrais chimiques, artificialisation des sols, hyper-concentrations urbaines, transports routiers, paquebots de croisière, aéroports surdimensionnés, publicité pour des produits superflus, etc. Bien entendu il y a tout ce qui devrait au contraire croître, énergie renouvelable, sobriété énergétique, circuits courts, alimentation végétale, agriculture biologique, etc. Cette écologie n’est pas punitive, elle est positive et réaliste.

Le résultat final se concrétisera sans doute par une décroissance globale du PIB, mais la sobriété partagée peut devenir une source meilleure de bien-être qu’une addiction à l’accumulation de marchandises. Il nous faut aussi préciser publiquement que le PIB est un indicateur de croissance très imparfait puisqu’une pollution entraîne des dépenses pour réduire cette pollution et donc on mélange à la fois un mal et un bien. Il est même fort possible que si on enlevait toutes les externalités négatives du PIB, on mesurerait déjà une décroissance de la richesse réelle produite. Il nous faut collectivement utiliser des indicateurs alternatifs comme l’IBED (indicateur de bien-être véritable). En clair, atteindre le bonheur national brut est un meilleur projet politique que sacraliser le produit intérieur brut comme le font les Croissancistes. Ceux qui attaquent les écologistes en simplifiant indûment la complexité de la notion de décroissance ne font que soutenir le système « business as usual ». Les Croissancistes nous mènent au désastre et à l’appauvrissement collectif en retardant la rupture écologique nécessaire pour enrayer les émissions de gaz à effet de serre, l’extinction des espèces, le stress hydrique, l’épuisement des ressources non renouvelables, etc.

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Le faux dualisme entre nature et culture

« Fin de la nature, nature out ? » Catherine Vincent s’attaque à cette question à la fois philosophique et cruciale. Pour les uns la na­ture, ça n’existe pas, ce n’est qu’une construction de l’esprit, tout est culture. Or ce dualisme a mené l’humanité à une exploitation effrénée et suicidaire des res­sources naturelles. Pour d’autres comme l’anthropologue Philippe Descola, les tribus amérindiennes entrent en connivence avec les autres « existants », tous dotés d’une vie autonome dont dépend la qualité de vie des humains. Des forêts luxuriantes de l’Amazonie aux étendues glacées de l’Arctique canadien, certains peuples ne se conçoivent pas comme des collectifs sociaux gérant leurs relations à un écosystème, mais comme de simples composantes d’un ensemble plus vaste. Pour Bruno Latour, Nature et Kultur constituent les deux parties d’un même concept reliées « par un fort élastique » qui se battent à coups de poing sans cesser de partager le même tronc. Baptiste Morizot préfère référer au « tissu du vivant ». Isabelle Stengers l’affirme, « L’idée que “la nature n’existe pas” me semble faire partie de l’arsenal académique destiné à choquer. Au fond, les scientifiques qui s’occupent d’aspects dispersés de ce qu’on appelle “nature” se révoltent si on leur dit que “ce n’est qu’une construction”. Non, la nature “tient” indépendamment des humains. » Satish Kumar a fait une formidable « Déclaration de dépendance » :

« Vous remarquerez que Descartes dit deux fois « je » dans son « je pense, donc je suis ». Il fonde tout seul sa vérité, tout ce qui vit autour de lui n’existe plus ! D’ailleurs il a eu cette révélation en méditant enfermé dans une chambre. S’il avait réfléchi dans la nature, entouré d’arbres, d’animaux, caressé par le vent, il n’aurait pas conclu à une prise de conscience solitaire. En posant l’ego comme le moteur de l’être humain, votre Descartes a institué un dangereux dualisme, il a isolé l’homme de son environnement, il l’a proclamé indépendant. Les bouddhistes indiens se sont évertués au contraire à libérer l’homme des illusions de l’ego, ont développé le principe de co-dépendance entre tout ce qui vit. »

Voici le genre de « dialogue » qui peut s’instaurer entre commentateurs sur lemonde.fr :

Alazon : Sidérant comme certains ont l’impression de faire preuve de génie en redécouvrant l’animisme le plus naïf, pour ne pas dire niais. Il y a quelques millénaires pourtant de vrais penseurs s’en sont extraits pour dire que l’homme n’est pas juste un petit bout d’un grand tout mais la seule conscience de l’univers. Ils ont posé les fondements d’une autre pensée : l’humanisme, qui fait de l’humain la mesure de toute chose. La vision de la nature a été revue en conséquence. On a découvert qu’elle est le plus souvent hostile à l’homme. On a découvert l’horreur du sort qu’elle nous réserve, avec la mort pour perspective mais aussi la cruauté de voir périr la plupart des ses enfants avant même qu’ils sachent marcher. Peu à peu le progrès est apparu dans sa dimension émancipatrice. Malgré les résistances des esprits obtus, il a permis à une majorité d’humains de sortir de la famine, de réduire la mortalité infantile, de conquérir des loisirs. C’est ces progrès que menace l’animisme écolo.

Michel SOURROUILLE @ Alazon : Une nature profondément détérioré grâce à notre « humanisme » ne pourra plus permettre à une très grande partie de nos générations futures de survivre dignement. On pourra même s’entre-tuer un jour pour quelques gouttes d’eau, on verra périr des enfants avant même qu’ils sachent marcher. Cela a déjà commencé. Appeler cela le « progrès », c’est ne pas connaître le sens des mots qu’on utilise. Il n’est que temps que l’humanité cesse de se croire le nombril du monde et arrive plus d’humilité et de sens du terroir. On ne peut vivre qu’en fonction de ce que nous offrent comme services (de moins en moins gratuits) les écosystèmes. Et çà, ce n’est pas de l’animisme, c’est à la fois du réalisme culturel et économiques. Mais les poncifs d’Alazon resteront sans doute bien ancrés dans sa tête, les évidences biophysique ne peuvent rien contre les croyances humaines.

Clabbez : Si je ne m’abuse, le travail de l’anthropologue Descola n’était pas tant de dire que la nature n’existe pas mais plutôt de détricoter les concepts introduits par les humanistes qui voulaient opposer la culture « humaine » à la « nature » vue comme hostile, sauvage et dangereuse. Il est temps de changer de mythe avant que l’on finisse de couper la branche sur laquelle nous sommes assis…

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