Dans le contenu du journal LE MONDE, il aura fallu la persévérance de quelques reporters pionniers, dès les années 1970, pour que les enjeux environnementaux se fraient un chemin parmi les sujets politiques et internationaux. Voici un résumé de l’article La longue bataille du climat dans les pages du « Monde » :
« Il serait trompeur de raconter que LE MONDE, né le 18 décembre 1944, a toujours été aux premières loges des grandes questions environnementales. Au premier rapport sur les limites de la croissance, publié en 1972 – dit « rapport Meadows » –, le journal réserve un traitement minimal et sceptique. Dans un très court article, quelques lignes en page 18, titré « La fin du monde en 2100 ? », Jean-Louis Lavallard souligne que « ce rapport est loin de faire l’unanimité » et que « les méthodes utilisées sont critiquées, ainsi que les conclusions ». Les tribunes publiées dans la foulée par le quotidien s’inquiètent, dans leur quasi-totalité, du « catastrophisme » des « futurologues » du Club de Rome.
Marc Ambroise-Rendu, entré au journal en 1974, se trouvait toujours « un peu seul dans son coin ». Il sera suivi dans cette démarche par son successeur, Roger Cans, qui témoignera de la difficulté à imposer ce type de sujet dans la rédaction. Les questions écologiques, réduites à la protection de la nature, sont alors considérées par une partie du journal comme une curiosité plus que comme un sujet sérieux. Le journal peine encore à faire le lien entre ce bouleversement climatique et ce qui le cause. Le 27 juillet 1990, le premier rapport du GIEC est certes évoqué à la une, mais il ne bénéficie que d’un court article en page 7. LE MONDE partage la une avec ce qui apparaît bien plus important à l’époque : une autre conférence, celle de l’OPEP, le cartel des pays producteurs de pétrole. Le journal titre, inquiet : « Les prix du pétrole pourraient durablement augmenter ». La question du pétrole – au cœur des enjeux géopolitiques et économiques de l’époque – est traitée en majesté par le journal, sans lien apparent avec les gaz à effet de serre, pourtant émis par l’usage du même pétrole. Cette tension dans les pages du MONDE, comme plus tard sur le site Internet, continue de traverser la couverture de l’actualité : comment faire coexister d’un côté les pétroliers, les avionneurs, les industriels et, de l’autre, les rapports scientifiques qui s’accumulent.
L’année 1995 apparaît comme le premier virage climatique du MONDE. En mars, un article écrit en partenariat avec la revue scientifique britannique Nature détaille, sur une pleine page, les pistes dessinées par le deuxième rapport du GIEC, à paraître. Mais cette même année, les pages science restent prudentes dans leur couverture du GIEC. Le journal publie, quelques mois après la signature du protocole de 1997, une tribune qui conteste même ouvertement la science climatique. L’économiste Michel Godet écrit ainsi en août 1998, à rebours des connaissances déjà bien établies : « Certains sont ainsi persuadés que le réchauffement actuel de la planète est lié aux activités humaines. Cela reste à prouver ! »
Dans une équipe obsédée par la géopolitique, les questions environnementales apparaissent mineures, voire incongrues. En 2007, pour la première fois, Le Monde mentionne le « climatoscepticisme » – il s’agit de la première occurrence du terme dans la presse française. Au sein du journal, le débat est loin d’être serein : une partie de la rédaction estime qu’il faut leur laisser le droit de défendre leurs opinions. En janvier 2008, le journal étale au grand jour ses contradictions en publiant, sur une pleine page, un droit de réponse du climatosceptique Vincent Courtillot. Mais, contrairement à l’usage, il est précisé : « Pour la bonne compréhension du sujet, nous avons exceptionnellement intercalé [nos] commentaires, en italique et entre crochets, dans le texte de M. Courtillot. » Une pratique jamais vue au Monde : critiquer un propos pièce par pièce au sein même du texte. Il faut dire que, à l’époque, le premier des climatosceptiques n’est autre que l’ancien ministre de l’éducation Claude Allègre, qui n’est pas climatologue, mais qui dispose de nombreux relais politiques et médiatiques. En 2010, la sortie de son livre L’Imposture climatique (Plon) bénéficie d’une large couverture.
En mai 2010, l’occasion lui est donnée d’exposer sur une pleine page, titrée « Le droit au doute », une série de contrevérités. Le mal est fait : le journal pose une fausse équivalence, comme si l’on pouvait donner le même temps de parole à des scientifiques et à ceux qui nient la science.
La polémique interne sur le sujet est d’autant plus étonnante que, depuis mars 2008, Le Monde a entamé une révolution copernicienne : le lancement de ses pages Planète et la création d’un service consacré aux sujets environnementaux. Un sacrilège. On subit les railleries du service International ou du service Politique – où l’on moque la place prise par les « pages pingouin ». Tous les jours, à la conférence de rédaction, les chefs du service Planète doivent batailler pour imposer leurs sujets. « Quand j’arrivais, on me regardait en me disant : “Qu’est-ce que tu vas nous annoncer comme catastrophe encore” ». Pour ne pas se voir taxé de catastrophisme, le directeur du journal imagine même que le changement climatique pourrait être une occasion pour l’humanité. Et d’imaginer dans le futur « la libération de terres cultivables sur les hautes latitudes, l’augmentation de la période propice à la croissance des végétaux, l’ouverture de nouvelles routes circumpolaires ». En 2014, la nouvelle directrice du journal, Natalie Nougayrède, ne cache même pas sa méfiance envers les questions climatiques. Quelques mois après son élection à la tête du quotidien, elle propose la suppression des pages Planète et leur rattachement au service International. Elle juge le traitement du climat à la fois trop politisé et trop proche des scientifiques. Elle suscite la colère de nombreux lecteurs. Par une étonnante tectonique des plaques, elle est remplacée par un directeur par intérim, Gilles van Kote… issu du service Planète.
En 2017, le directeur de la rédaction Luc Bronner, incite le service à mettre en scène un appel de plus de 15 000 scientifiques inquiets de la dégradation de la planète. LE MONDE titre en gros caractères : « Il sera bientôt trop tard ».
Le point de vue des écologistes
Aucune cohérence n’est apportée à toutes les informations données par LE MONDE alors que le lien commun est évident : le massacre de la planète par la société thermo-industrielle. L’écologie ne prend que la place socio-culturelle que les merdias lui donnent. Il faut dire que LE MONDE est resté un journal centré sur la vie politique au niveau national et mondial, pas du tout ouvert à la pensée écologique. Voici un historique de la rubrique environnement dans ce quotidien :
1945-1973 : Les débuts du MONDE en la matière ont été désastreux. Dans son numéro 199 du 8 août 1945, le quotidien annonçait le largage de la première bombe atomique en manchette sur trois colonnes avec, en surtitre, cette formule ingénue et terrible : « Une révolution scientifique » (…) C’est seulement à partir de 1969 que LE MONDE ouvre un dossier « Environnement »… au service de documentation !
1974-1981 : Le premier journaliste dédié à l’écologie, Marc Ambroise-Rendu, est arrivé au MONDE en mars 1974. Son directeur, Jacques Fauvet, n’avait aucune idée de la manière dont il fallait traiter la nouvelle rubrique environnement, mais comme il y avait un ministère du même nom depuis le 7 janvier 1971, un ministre (Robert Poujade), des officines diverses, des salons de l’environnement et des réactions patronales, il fallait « couvrir »…
1981-1988 : L’élection de Mitterrand en 1981 a été un coup d’arrêt à la politique environnementale ; c’est pourquoi, quand Roger Cans reprend la rubrique environnement du MONDE, il se retrouve seul et isolé. L’affaire de Bhopal, cette fuite de gaz mortel qui tue ou blesse des milliers d’habitants d’une grande ville indienne en décembre 1984 ne donne lieu qu’à une brève le premier jour. Et le correspondant à New-Delhi n’ira à Bhopal que plusieurs mois après la catastrophe, lorsque l’affaire deviendra politique…
1998-2011 : Avec l’arrivée à la direction d’Eric Fottorino en juin 2007, LE MONDE mobilise davantage de rédacteurs à la chose environnementale : six ou sept rédacteurs au lieu d’un seul durant la période 1974-1998. A partir du numéro du 23 septembre 2008, une page est consacrée à la Planète, au même titre que les pages International ou France.
2012-2013 : Les journalistes écolos du MONDE Marc Ambroise-Rendu, Roger Cans et Hervé Kempf ont témoigné que l’écologie avait pris de l’importance dans ce quotidien de référence. Mais comme il faut préserver les convenances et les recettes publicitaires, LE MONDE cultive encore la croissance, le tout automobile et les néfastes futilités…
Le départ d’Hervé Kempf le 2 septembre 2013 a révélé qu’il valait mieux pour les journalistes environnementalistes ne pas faire de « militantisme ». Le directeur du journal n’hésite pas à lui écrire : « Ce ne sont pas tes compétences qui sont en question, mais un problème d’image : nous tenons à ce que l’approche du journal reste aussi impavide que possible, tout particulièrement dans les pages Planète ». Il s’est fait traité de « chroniqueur engagé » par un directeur de la rédaction, etc. L’environnement gêne dans un journal vendu aux intérêts financiers. Plus que jamais avec la crise de la presse, LE MONDE dépend des recettes publicitaires. La prise de contrôle par MM. Bergé, Niel et Pigasse en 2010 n’avait fait que renforcer ce processus. La parole des écologistes est captive d’un système marchand qui n’a pas encore compris que l’écologie sera la pensée dominante du XXIème siècle.
2014-2024 : Rien n’a changé fondamentalement dans le journal « de référence ». Les crises multiples étouffent toute perception claire de la crise écologique qui va portant dans les années prochaines approfondir gravement les crises socio-économiques. Car, comme le disait un jour Stéphane Foucart devant un parterre de journalistes environnementaux : « LE MONDE est un quotidien : par définition le long terme ne vaut donc rien par rapport au court terme. »
Rappelons l’à propos (http://biosphere.blog.lemonde.fr/a-propos)
de ce blog biosphere
quand il était hébergé par lemonde.fr
La déformation de l’information est perceptible dans une société dont l’idéologie dominante nous a fait oublier depuis deux siècles les limites de la planète et le sens des limites. Alors que la situation actuelle devrait nous inciter à la simplicité du mode de vie et à la sobriété énergétique, c’est toujours l’achat de la plus récente automobile qui structure les pages du MONDE et qui manipule la pensée collective. Ce blog biosphere s’est donc donné pour objectif depuis début 2005 de commenter au jour le jour LE MONDE, journal qui nous semble le plus « objectif » de la presse française.
Si nous sommes personnellement satisfaits de l’éventail des connaissances que nous fournissent ce quotidien, nous ne sommes pas entièrement convaincus par la manière dont les journalistes font leur boulot de tri et de hiérarchisation. Car qu’est-ce qui fait sens ? Quelle place relative donne-t-on à tel événement ou à telle démarche ? Quel doit être le commentaire pertinent d’une information ? Quelle est l’idéologie qui sous-tend l’article d’un journaliste ? LE MONDE n’est pas à l’abri des critiques.
Historiquement les premiers journaux n’étaient que de simples instruments pour organiser le bavardage, et ils le sont plus ou moins restés. Ce blog veut rompre avec le bavardage, c’est la tentative désespérée de porter un autre regard sur l’actualité, un regard un peu moins économico-libéral, un peu moins anthropocentrique, un regard que nous voudrions plus ouvert, plus glocal, plus écolo. Pour que change LE MONDE…
En savoir encore plus grâce à notre blog biosphere
l’ignorance de la question écologique par LE MONDE (1945-2023)
extraits : J’ai eu l’occasion en tant que membre des JNE d’interroger les journalistes « écolo » du MONDE. Marc Ambroise-Rendu : « Quand René Dumont a fait acte de candidature à la présidentielle de 1974, le service politique n’a même pas envoyé un stagiaire pour voir à quoi ressemblait ce « zozo ». En 1984, Roger Cans avait proposé de couvrir une AG des Verts dans un gymnase de Dijon. Le service politique lui avait dit alors qu’il « avait du temps à perdre ». Hervé Kempf été embauché en septembre 1998. Son départ le 2 septembre 2013 a révélé qu’il valait mieux pour les journalistes environnementalistes ne pas faire de « militantisme ». Le directeur du journal n’hésite pas à lui écrire : « Ce ne sont pas tes compétences qui sont en question, mais un problème d’image : nous tenons à ce que l’approche du journal reste aussi impavide que possible, tout particulièrement dans les pages Planète »….
Dissolution de la rubrique Planète dans l’économisme
extraits : Certains ont cru à la disparition de la rubrique Planète au MONDE. La mèche fut allumée le 26 avril par le site Arrêt sur images : « Planète menacée au Monde : l’écologie victime de l’économie ? ». La directrice du MONDE, Natalie Nougayrède précise la ligne éditoriale du quotidien : « Il n’y a et n’y aura aucune diminution du traitement des sujets environnementaux. L’équipe Planète est amenée à écrire dans toutes les pages, notamment en France et dans le cahier « Eco&entreprise » , où elle sera en première ligne pour le suivi du « green business ». .. Il est étonnant qu’Eco&entreprise ne donne aucune place à la Green Economy… La fin d’un espace dédié à la Planète a été une volontédélibérée de dissoudre les réalités profondes de notre environnement dans les petits événements conjoncturels qui rythment la vie des entreprises. Comme l’exprime Fabrice Nicolino, « Dans l’univers de madame Nougayrède, la crise écologique n’existe pas ». ..
Notre blog, c’était un regard critique sur le monde.fr
Nous considérons que LE MONDE reste une « presse de référence » qui essaye d’être le plus complet possible, mais son prisme traditionnel centré sur la vie politique empêche de donner aux pages « Planète » la place essentielle que cela mériterait. D’autre part il est évident que le fait de faire plaisir à des actionnaires privés et aux régies publicitaires ne favorise pas le fait d’aller titiller le système là où cela ferait mal… d’où une ode au libéralisme et à la vie des entreprises au détriment d’une objectivité qui serait vraiment réelle.
Nous constatons que ce média fait comme les autres, l’ouverture à l’écologie n’a été que très très progressive. Avant 1971-1972, c’est le mépris et la désinvolture. Dans son numéro 199 du 8 août 1945, le quotidien annonçait le largage de la première bombe atomique en manchette sur trois colonnes avec, en surtitre, cette formule ingénue et terrible : « Une révolution scientifique ». En 1952, on inaugure le barrage de Donzères-Mondragon ; l’envoyé spécial du MONDE ne dira rien concernant l’impact environnemental de ce « colossal ouvrage ». En 1957, la critique du projet de tracé de l’autoroute du sud à travers la forêt de Fontainebleau fait simplement l’objet d’une libre opinion qui constate : « Il est triste de penser que l’autorité des naturalistes, des artistes et des sociétés savantes est impuissante contre le vandalisme ». Le naufrage du Torrey Canyon le 18 mars 1967 échappe complètement à l’attention du quotidien pendant plusieurs semaines, ce n’est que la première marée noire sur nos côtes. Il faut attendre le 21 avril pour que soit publié en Une un bulletin intitulé « les dangers du progrès ». La conversion écologique de ce quotidien « de référence » va être lente, aussi lente que la prise de conscience générale dans une société où priment l’économique et le socio-politique. C’est seulement à partir de 1969 que LE MONDE ouvre un dossier « Environnement » au service de documentation. LE MONDE n’a commencé à traiter spécifiquement d’environnement qu’en 1971, seulement au moment où le ministère de la protection de la nature et de l’environnement a été crée. En 1972, c’est la première conférence des Nations unies « pour l’homme et son environnement » qui contraint LE MONDE à créer une rubrique sous ce nom. Mais les rédactions se méfiaient encore de ce type d’information et « écologie » reste un gros mot. Le journaliste Marc Ambroise-Rendu a été le premier en charge d’une rubrique environnement en mars 1974. Mais ses collègues étaient étonnés, et même, pour certains, scandalisés qu’on donne dans leur journal « si sérieux » de la place à l’environnement – sujet marginal et jugé parfois réactionnaire. Un rédacteur en chef s’était même exclamé: « L’écologie, c’est Pétain »…