élection, un vrai/faux « piège à con » !
Il y a une chose dont je suis maintenant sûr, c’est qu’un ou une président(e) à la fibre écologiste avancée sera un jour ou l’autre élu, c’est inéluctable, c’est inscrit dans les soubresauts de la biosphère. Nous avons vraiment besoin en France d’un Jaurès de l’écologie ou d’un De Gaulle au chevet de la planète. Nous en avons même besoin dans tous les pays de notre petite planète. Ce sera l’écologie au pouvoir ou le chaos. Une telle conception ne va pas de soi, il faut tout un cheminent mental des citoyens, mais aussi l’action politique de certains.
Je suis né en 1947. Assigné par ma naissance à la génération qui a vécu les événements de mai 1968, j’ai été un lecteur assidu d’Hara-Kiri, formaté par le réalisme du slogan « élections, piège à cons »… J’ai donc déchiré en deux et affiché sur un panneau de la fac de sciences économiques ma carte d’électeur. La politique, un jeu de marionnettes dans les mains du marché et des lobbies, ce n’était pas pour moi. Si j’adorais les fleurs, leur odeur de merde dénaturée, c’était pour faire quelques variations de style, pas pour penser compost. La société française des décennies 1950 et 1960 ne savait même pas que l’écologie existe. En 1969, je roulais en vélo en ville, mais uniquement pour lutter contre les premiers embouteillages à Bordeaux. Il n’y avait à ma connaissance aucun discours établi en écologie, aucune connaissance des risques que notre expansionnisme techno-économique pouvaient entraîner. Le terme « écologiste » ne fera son entrée dans le Petit Larousse qu’en 1976 ! Le basculement de la perception ne commence en effet qu’au début des années 1970.
Octobre 1970, je commence ma quatrième année de sciences économiques, option économétrie. Planification indicative à la française, planification impérative à la soviétique, autogestion yougoslave, tout paraît possible. Mais le 11 mai 1971, 2 200 scientifiques de 23 pays se sont adressés à tous les hommes pour les mettre en garde contre le « danger sans précédent » que fait courir à l’humanité la civilisation industrielle (message de Menton). Aucun de nos dirigeants n’a écouté cet appel, les universitaires non plus. Dans ma faculté, on s’est bien gardé de commenter ce texte, ni même de nous en parler. L’absurdité de la croissance économique dans un monde clos n’était encore perceptible par personne. Pourtant, Pierre Massé, du Commissariat au plan, expliquait déjà à l’époque que si la production continuait de progresser à son rythme actuel, elle conduirait en 2070 à doter chaque Français d’une centaine d’automobiles et à fabriquer avant l’an 3000 un volume de produits manufacturés dépassant celui de la Terre, de la Lune et de Vénus réunis.
Le 15 juin 1972, je découpe dans un journal local un entrefilet sur la première conférence des Nations unies sur l’environnement qui se tient à Stockholm. Mais la France a le mauvais goût de faire un essai nucléaire dans l’atmosphère à la veille de cette conférence… Le Gouvernement montrait ainsi qu’il se foutait complètement de ce qui se passe à Stockholm. Même jour, un article sur le cri d’alarme de Sicco Mansholt, président de la commission du Marché commun :
« La race humaine, menacée par la pollution, l’accroissement démographique et la consommation désordonnée de l’énergie, doit modifier son comportement, si elle veut tout simplement ne pas disparaître… La grande crise devrait culminer autour de l’an 2020. »
Cette déclaration se base sur le rapport au Club de Rome sur les limites de la croissance, plus connu sous le nom de rapport Meadows, et publié en juillet 1971. La planète est déjà peuplée de 3,7 milliards de personnes. Que faut-il faire ? Mansholt écrivait dans une lettre publique de février 1972 :
« Il faut réduire notre croissance purement matérielle, pour y substituer la notion d’une autre croissance, celle de la culture, du bonheur, du bien-être. C’est pourquoi j’ai proposé de substituer au PNB “l’Utilité nationale bruteˮ ou, comme on le dit plus poétiquement en français, le Bonheur national brut. »
Même jour, un autre article où s’exprime Philippe Saint Marc :
« Nous sommes dans un train qui roule à 150 km/h vers un pont coupé. Le monde court à la catastrophe écologique s’il ne procède pas rapidement à une réorientation fondamentale de la croissance économique. »
Cela me paraissait si extraordinaire que je n’ai pas tellement attaché d’importance à ces analyses. Je n’avais encore aucune idée de l’importance cruciale que prendrait l’écologie.
Je suis sorti diplômé de mes études de sciences économiques en octobre 1971. J’avais subi un enseignement aussi théorique que desséchant, mais mon ouverture d’esprit et mon militantisme naissant m’ont poussé en 1972 à lire dans le texte, avec grand intérêt, le rapport Meadows sur les limites de la croissance. Le raisonnement paraissait incontestable. Dès que l’on aborde les problèmes relatifs aux activités humaines, on se trouve en présence de phénomènes de nature exponentielle. On arrivera aux limites extrêmes de la croissance en un temps étonnamment court…
« Notre modèle d’analyse des systèmes traite cinq tendances fondamentales : l’industrialisation, la population, l’alimentation, les ressources naturelles non renouvelables et la pollution. Les interactions sont permanentes. Ainsi la population plafonne si la nourriture manque, la croissance des investissements implique l’utilisation de ressources naturelles, l’utilisation de ces ressources engendre des déchets polluants et la pollution interfère à la fois avec l’expansion démographique et la production alimentaire…La plupart des gens résolvent leurs problèmes dans un contexte spatio-temporel restreint avant de se sentir concernés par des problèmes moins immédiats dans un contexte plus large. Plus les problèmes sont à longue échéance et leur impact étendu, plus est retreint le nombre d’individus réellement soucieux de leur trouver une solution… [Mais] dès qu’une société reconnaît qu’elle ne peut pas tout donner à tout le monde, elle doit commencer à procéder à des choix. Doit-il y avoir davantage de naissances ou un revenu individuel plus élevé, davantage de sites préservés ou davantage d’automobiles, davantage de nourriture pour les pauvres ou encore plus de services pour les riches ? L’essence même de la politique consiste à ordonner les réponses à ces questions et à traduire ces réponses en un certain nombre d’orientations. »1
C’était prévu, c’était prouvé, l’amour de notre société marchande pour les exponentielles dans un monde fini faisait que nous allions droit dans le mur ; je suis devenu réaliste. Lorsque René Dumont, poussé par des associations environnementalistes, s’est présenté à la présidentielle française de 1974 au nom de l’écologie, j’ai compris qu’un vote significatif pouvait enfin avoir lieu pour préparer un avenir moins perverti : nous allions manquer d’eau, les voitures allaient s’arrêter faute de pétrole, le nucléaire militaire et civil était le mal absolu. René parlait vrai. Il me fallait réagir, je suis devenu écolo. J’ai voté pour la première fois de ma vie à cette présidentielle, j’avais 26 ans. L’élection du chef de l’État pouvait ne pas être un « piège à cons ». Depuis j’ai toujours voté écolo au premier tour pour chaque présidentielle.
« Pour qu’un écologiste soit élu président, il faudrait que les arbres votent », disait Coluche. Aux présidentielles, faisons voter les arbres, votons pour les générations futures, votons pour un programme écolo. Car pour changer le monde dans le bon sens, encore faut-il que la politique s’en mêle et nous permette de faire un choix raisonné. Faire de la politique est par définition une bonne chose, il s’agit d’organiser la vie de la cité (polis, en grec, signifie la ville). Reste, comme l’avait enseigné René Dumont, à écologiser les politiques et politiser les écologistes. Cela ne peut se concrétiser que si chaque citoyen se considère aussi comme un écologiste en devenir. Nous sommes tous concernés, voter ne suffit pas. Nous devons changer notre mode de vie, notre façon de nous déplacer, de travailler, de se loger. L’impératif écologique se concrétise en réalité par un changement de civilisation. Reste la question que beaucoup se posent : Quel(le) candidat(e) à une élection dans un pays démocratique serait suffisamment suicidaire pour imaginer se faire élire sur un programme de rigueur énergétique au risque d’accélérer le déclin économique de son pays ? L’analyse que nous commençons aujourd’hui est faite pour montrer que c’est là une fausse contradiction, la rupture écologique est concevable, elle est absolument nécessaire. Même si on ne le sait pas encore.
Michel Sourrouille, 15 avril 2016
1 . Donella H. Meadows, Dennis L. Meadows, Jørgen Randers & William W. Behrens III, du Massachusetts Institute of Technology, Halte à la croissance ? [The Limits to Growth], Paris, Éditions Fayard, 1972.
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