de notre correspondant Michel Sourrouille
Les Verts devenus EELV, puis Les écologistes… Un changement de dénomination ne dit pas grand chose de la clarté idéologique d’un parti. Voici mon vécu personnel depuis l’origine de l’écologie politique, 1974.
Lorsque René Dumont, poussé par des associations environnementalistes, s’est présenté à la présidentielle française de 1974 au nom de l’écologie, j’ai compris qu’un vote significatif pouvait enfin avoir lieu pour préparer un avenir moins perverti : nous allions manquer d’eau, les voitures allaient s’arrêter faute de pétrole, le nucléaire militaire et civil était le mal absolu. René parlait vrai. Il me fallait réagir, j’ai voté pour la première fois, j’avais 27 ans. Je croyais que cela suffisait, se contenter de voter ! Je me suis donc mis à trente ans au service du jeu d’échecs, j’ai occupé presque tous les postes possibles pendant vingt ans, arbitre et formateur d’arbitre, animateur et formateur d’animateur, et même vice-président de la FFE (Fédération française des échecs).
Mais l’état de la planète a empiré, les prédictions de René se sont installés dans les faits, et même dans les journaux télévisés. Les sommets de Terre se sont succédé depuis 1972, rien n’a changé. Personne n’a entendu parler du sommet de 1982, et même la grande kermesse de Rio en 1992 n’a été que des mots. Les COP sur le climat ont suivi le même chemin, en impasse ! Il me fallait faire quelque chose.. j’ai trouvé que la situation de la planète était suffisamment grave pour que je m’engage à plein temps dans ce collectif multiple qui constituait l’écologie politique. J’ai démissionné de mon poste de vice-président de la FFE. Outre des engagements dans plusieurs associations environnementales, va pour les Verts en 1997, seul parti d’envergure à porter le message de l’écologie.
Ma première réunion entre encartés écolos m’a laissé un souvenir impérissable. Je n’y comprenais rien. Une vingtaine de personnes seulement, et je me perdais complètement entre les sous-tendances des différents courants. Un participant bien charitable m’a expliqué en aparté. « Simplifions. Il y a les Verts rouges, les Verts noirs et les Verts verts. A partir de cette trame, chacun brode à sa façon. » Comme j’enseignais professionnellement la sociologie politique, j’ai tout compris. Il y avait les marxistes derrière le drapeau rouge, mais qui avaient senti tourner le vent de l’histoire : la victoire du prolétariat ne pourrait pas se faire sur les décombres de la planète. Les Verts noirs sont très forts : faut toujours s’exprimer contre le consensus qui se dessine. Dès qu’une tête dépasse, faut la couper. Pour ma part, je me sentais Verts vert, écologiste avant tout, fondamentaliste diraient certains. Je n’ai pas mis très longtemps pour me rendre compte que mon orientation était et devait rester minoritaire. Dans un parti politique, et les Verts ne faisaient pas exception, ce qui compte c’est le pouvoir, la recherche du pouvoir, la contestation du pouvoir ou même le pouvoir pour le pouvoir. Humain, trop humain ! Mais comme me l’avait enseigné René Dumont, notre tâche était bien là : écologiser les politiques et politiser les écologistes. Fallait que je m’accroche.
J’ai donc suivi passionnément les journées d’été des Verts, pris différents rôles au niveau du groupe local. Mais l’acoquinement avec le PS à partir de 1994 l’empêchait de présenter électoralement une écologie de rupture. J’ai alors choisi en 2002 l’entrisme au PS ; je croyais sincèrement que l’urgence écologique devenait devenue telle qu’un parti dit « de gouvernement » allait se saisir de cette thématique. Délégué fédéral à l’écologie, membre de la commission nationale du PS « environnement », j’ai fait ce que j’ai pu. Mais le PS historique de François Hollande n’était pas mûr pour parler « écologie » ; une fois arrivé au pouvoir en 2012, leur optique croissanciste traditionnelle a constitué leur mantra. Encore une fois, il me fallait changer pour mieux défendre la cause écologique.
J’ai rejoint EELV en 2011 avec le statut (nouvellement créé) de coopérateur qui me permettait la double appartenance partisane, socialiste ET écologiste. J’ai co-animé en 2011 aux JDE de Clermont-Ferrand un atelier qui a permis la création d’une commission accueil-formation, structure sans résultats malgré plusieurs WE de rencontres à Paris. Cette commission s’est enlisée dans les méandres de GIRAF (groupe interrégional accueil/formation)… Je me suis alors encarté à EELV pour participer activement aux décisions de congrès. Je voulais encore et toujours une écologie de rupture, j’ai soutenu la motion Avenir Ecolo au congrès de Caen en 2013. Échec à nouveau. Pour le congrès suivant, on est devenu « Pôle Ecolo » après l’union avec « Objectif Terre » ; j’ai été co-administrateur de la liste de diffusion. Mais nous avons été écarté du congrès suivant par les partisans de la firme résultant des initiatives politiciennes du couple Cécile Duflot et Jean Vincent Placé.
Sur la thématique démographie/écologie, j’ai quand même organisé un atelier aux JDE qui a débouché sur un groupe de travail « démographie » . Il a été officialisé (avec réticences) par le Bureau Exécutif, mais sans aucun écho chez les dirigeants. Le malthusianisme de René Dumont était devenu tabou pour le parti. Je suis aussi cofondateur du groupe de travail « imaginer une économie écologique », une instance adoubée par le CF en 2014 qui deviendra par la suite la commission post-croissance. Pour préparer la présidentielle de 2017, j’ai rédigé un livre synthèse de 370 pages, « L’écologie à l’épreuve du pouvoir », présentant tous les programmes politiques possibles, et publié juste avant les JDE de 2016. Mais nos instances dirigeantes ont refusé un atelier autour de mes thématiques, on ne m’a même pas donné la parole lors d’un atelier pourtant consacré à l’avenir de l’écologie. On a préféré encenser aux JDE le livre de Cécile Duflot, « Le grand virage », un livre qui ne parle pas d’écologie ! J’ai fait ce que j’ai pu.
Mes articles antérieurs sur ce blog biosphere
2002. Les Verts, un embryon de parti, un ramassis d’ambitions
extraits : Aux journées d’été des Verts, dont je ne loupais aucun exemplaire depuis le milieu des années 1990, c’était la grande kermesse. Cela allait des groupes d’échange les plus sérieux, autour de l’espéranto, jusqu’aux plus farfelus comme celui qui rassemblait les transsexuels et autres divers genres, en passant par le groupe femme qui parle des femmes : chacun dans sa chapelle. Sans oublier les fumeurs de pétards qui utilisaient la moindre occasion pour faire parler de la dépénalisation du cannabis. Il est bien vrai que l’étiquette écolo regroupait surtout tous les survivants de la deuxième gauche, celle pour qui la libéralisation des mœurs, féminisme, IVG, homosexualité, autogestion… restait l’alpha et l’oméga de la vie publique. Je n’étais pas contre, loin de là, je pourrais même ajouter à la liste « naturisme et liberté sexuelle », « pacifisme et non-violence », etc. Mais je pensais à juste raison que ces messages issus de mai 1968 étouffaient complètement ce que nous voulions faire passer : une planète sauvegardée pour nos descendants et toutes les autres espèces vivantes. Dominique Voynet concluait lors de la dernière journée d’été en 2002 que ce n’était pas la peine de parler entre nous d’écologie puisque tout le monde était d’accord sur la question !? Elle faisait l’impasse sur nos manques.
J’étais accablé par les contradictions internes des Verts, par des statuts inefficaces, souvent dénoncés mais jamais modifiés. J’étais aussi accablé par l’amateurisme de nos procédures et candidats. Aux primaires pour la présidentielle 2002, nous avions voté Lipietz contre Mamère, qui s’était révélé non médiatique, avait été désisté par un autre vote, et Mamère, malgré sa décision irrévocable de ne pas se présenter, avait quand même obtenu plus de 5 % des voix à la présidentielle 2002. Mais avant, j’avais voté pour voter, plusieurs fois, pour rien. J’étouffais, les Verts ne portaient pas vraiment l’idéal écologiste, mais un système embryonnaire de parti, un ramassis d’ambitions et beaucoup de gens qui ne faisaient que passer.
Aux journées d’été d’août 2002, à Saint-Jean-de-Monts, j’ai craqué. Chaque nuit ou presque une insomnie, pour ces questions lancinantes qui me taraudaient. A quoi servaient les Verts ? Qu’est ce que je faisais dans ce parti ? Qu’est-ce que faire de la politique ? Je suis parti… pour le parti socialiste. Mais auparavant, j’ai fait une dernière réunion de formation pour le groupe local sur le concept de décroissance. Même chez les Verts, ce mot était alors inconnu, ou tabou….
2011. EELV se développe, la logique de l’organisation prime
extraits : Je pose ma candidature en 2011 pour animer un atelier aux journées d’été d’EELV à Clermont Ferrand. A ma grande surprise, nouveau venu, simple coopérateur, je suis choisi comme co-animateur (avec Frédéric Benhaim) pour l’atelier « accueil et formation à EELV » le 19 août 2011. Il s’agissait de s’occuper de la formation à la base, et non de la formation des élus Verts déjà réalisée par le Cédis, le seul organisme qui fait des bénéfices ! J’ai été agréablement surpris par le sérieux des différents groupes de travail à Clermont. Cela me changeait du folklore des Verts dans les années 1990. Mais je me suis aperçu qu’en matière d’accueil et de formation institutionnalisée, rien n’avait changé depuis mon départ des Verts en 2002 : aucune organisation, sauf initiatives ponctuelles. Le secrétaire national à la formation, présent lors de cette séance, a conclu qu’il fallait faire quelque chose… dans six mois. Mais ma proposition d’instaurer une liste d’échange entre formateurs au niveau national a été reprise très vite par un habitué des listes (innombrables) de diffusion EELV. Depuis, peu à peu, le secteur s’organise. Lentement, trop lentement….
2013. Le sexe/genre relève-t-il de la nature ou de la culture ?
extraits : Le parti écolo des Verts s’intéresse aux choses du sexe ; il existe même une commission LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels et transsexuels). Lors de ses journées d’été à Marseille en août 2013 un atelier a eu lieu sur « le genre pour les nuls ». Pourtant il n’ a pas été question de sexualité, mais des inégalités des rôles masculins et féminins dans une tradition toujours bien présente, même en France. L’intervenante, Céline Petrovic est la délégué thématique « genre, sexe et société » d’EELV, mais aussi docteure en sciences de l’éducation. Nous avons donc eu un débat très interactif sur la sociologie du genre. Ce terme est défini comme un concept réaliste et pas du tout comme une « théorie » : c’est un système, une construction sociale qui résulte d’un apprentissage et non d’un déterminisme génétique, inné. Depuis des millénaires, on disait que la différence entre hommes et femmes étaient programmées par la nature. Il y a au contraire un processus culturel : observation par l’enfant, puis identification, intériorisation et enfin imitation. Catherine Vidal a donc démontré qu’il y avait déterminisme culturel. Or tout ce qui est construit rend possible la déconstruction….
2017. Yannick Jadot veut dissoudre EELV dans le PS
extraits : Jeudi 23 février 2017 au 20h de France 2, Yannick Jadot a annoncé qu’il retirait sa candidature à la présidentielle au profit de celle du socialiste Benoît Hamon… avant même le vote prévu officiellement. Plus de rassemblement à trois, Jadot/Hamon/Mélenchon, on en reste donc au tête-à-tête entre l’ogre socialiste et le nain vert. Pourtant, depuis 1974 et la candidature de René Dumont, il y avait toujours eu un candidat écologiste à chaque présidentielle. Mais Jadot a quitté son rôle de présidentiable dévolue par une primaire ouverte pour un plat de lentilles. Car quel accord commun ? Programmer l’abandon de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes et du centre d’enfouissement des déchets radioactifs à Bure, la sortie du nucléaire et une constituante pour une VIe République ne mange pas de pain….
2020. EELV, sa face désirable et celle plus obscure
extraits : Ni positive, ni punitive, l’écologie est d’abord une discipline scientifique, pratiquée par des écologues, alors que les écologistes (qui ne sont pas forcement des scientifiques) tentent de mettre en pratique une politique en tenant compte des enseignements de l’écologie scientifique. Ce que semble omettre EELV. Par ses combinaisons d’accord politiciens parfois « contre-nature » avec des partis de gauche traditionnel, réputés pour leur conservatisme idéologique productiviste et une conception économique et sociale d’un autre temps, aujourd’hui EELV est un parti de gauche qui s’éloigne toujours plus de l’écologie. Dernier acte avec les municipales, intercommunalités et métropoles, dans 9 cas sur 10, EELV confirme son alliance avec la gauche. Si un accord avec les partis de gauche peut parfois s’avérer nécessaire, en faire une règle absolue au niveau national par une organisation se réclamant de l’écologie, avec des opérations de « tambouille politicienne » des plus détestables, est une faute grave qui envoie à tort une très mauvaise image de tous les écologistes…