Les méchants anti-malthusiens ont l’habitude de dénigrer des livres sans les avoir lu et des personnes car il est bien plus facile d’attaquer le messager plutôt que de comprendre le message. Ainsi Paul Ehrlich dont le livre de 1971, « la bombe P » (P pour population), relance médiatiquement le message malthusien et qui aujourd’hui est attaqué, y compris par Greenpeace ! Voici quelques références pour mieux connaître Ehrlich.
1971 La bombe P de Paul Ehrlich
extraits : Lorsque des cellules vivantes prolifèrent sans contrôle, il y a cancer ; l’explosion démographique c’est la multiplication sans contrôle des êtres humains. Si nous ne soignons que les symptômes du cancer, le malade peut en être soulagé quelques temps : mais tôt ou tard il mourra, souvent après d’atroces souffrances. Tel sera le destin d’un monde atteint d’explosion démographique si les symptômes seuls sont traités. Nous devons reconvertir nos efforts et tenter l’ablation du cancer Cette opération demandera de nombreuses décisions qui sembleront brutales et sans pitié. La douleur pourra être intense. Mais la maladie a fait de tels progrès que seule la chirurgie la plus énergique pourra désormais sauver le malade.
Et maintenant, les mesures qu’il préconisait pour réguler la population :
Une méthode consisterait à prendre le contre-pied du système légal en vigueur qui encourage la natalité et à le remplacer par une série de récompenses et de pénalisations financières, destinées à décourager la natalité. Pour couronner cette réforme fiscale, il faudrait taxer comme des objets de luxe les layettes, les berceaux, les couches. Les récompenses pourraient aller de pair avec les pénalisations. Ainsi le gouvernement attribuerait un « prix de la responsabilité » à tout couple ayant vécu cinq ans sans procréer ou à tout homme qui accepterait d’être stérilisé (vasectomie) après avoir eu deux enfants. Un bureau de la Population et de l’Environnement devrait être créé pour apprécier le niveau de peuplement optimal, et préconiser les mesures permettant d’y arriver. Ce BPE devrait coordonner politique démographique, protection de l’environnement et gestion des ressources. Nous avons aussi besoin d’une loi qui rende obligatoire l’éducation sexuelle. Quand je parle d’éducation sexuelle, je ne pense pas à des cours d’hygiène ou bien des histoires du genre « fleurs et papillons ». Il s’agit de présenter la fonction reproductrice comme une composante parmi d’autres de l’activité sexuelle, qui demande à être maîtrisée selon les besoins de l’individu et de la société. L’humanité devrait trouver le moyen de réduire l’importance conférée au rôle reproductif du sexe. Il s’agira en particulier de découvrir des valeurs nouvelles pour remplacer ce sentiment de plénitude que la femme retire du don de la vie, et cette satisfaction de l’ego engendrée chez le père par le spectacle d’une nombreuse progéniture. Admettons que les Etats-Unis inaugurent enfin une politique démographique sensée dans le pays : nous aurons alors la possibilité de proposer une solution à l’échelle mondiale…
… Ton interlocuteur dit qu’avoir des enfants à volonté est un droit « inaliénable ». Certes, mais, puisque l’invention des droits inaliénables semble être à la mode, en voici quelques-uns de ma façon
Le droit d’avoir des familles réduites ;
Le droit de manger ;
Le droit de manger de la viande ;
Le droit de boire de l’eau pure ;
Le droit de vivre sans entassement dans des maisons convenables ;
Le droit de refuser l’embrigadement de la vie moderne ;
Le droit de chasser et de pêcher ;
Le droit d’avoir sous les yeux une nature qui ne soit pas saccagée ;
Le droit de respirer l’air pur ;
Le droit au silence ;
Le droit de n’être pas empoisonné par les pesticides ;
Le droit de ne plus être menacé par une guerre thermonucléaire ;
Le droit d’élever correctement nos enfants ;
Le droit d’avoir des petits-enfants ;
le droit d’avoir des arrière-petits-enfants.
Puisque ces quinze droits inaliénables sont au prix du droit à la reproduction irresponsable, je gagne à quinze droits contre un !
(P.Ehrlich in la Bombe « P » écrit en 1971).(Fayard, les amis de la Terre, 1972)
2008 L’animal dominant, évolution démographique et environnement de Paul et Anne Ehrlich
Résumé du livre « The Dominant Animal : Human Evolution and the Environment » :
Quarante ans après la publication de son livre The population Bomb, le scientifique Paul Ehrlich persiste et signe : la surpopulation – associée aujourd’hui à la surconsommation – est au centre de la crise environnementale à laquelle la planète est confrontée. Et il insiste : ce ne sont pas les solutions technologiques qui changeront quoi que ce soit.
En quelque 60 millions d’années, Homo sapiens est devenu l’animal dominant de la planète, acquérant un cerveau développé et, par-dessus tout, un langage structuré par une syntaxe et cette accumulation complexe d’informations qu’on appelle la culture. Malheureusement, au cours des siècles derniers, nous avons de plus en plus utilisé ce pouvoir pour épuiser le capital naturel de la planète, notamment ses terres agricoles profondes et riches, ses nappes phréatiques constituées durant les périodes glaciaires et sa biodiversité. Cette tendance est en grande partie due à la concomitance entre croissance démographique et augmentation de la consommation par habitant, une combinaison qui ne peut se poursuivre encore longtemps sans que risque de s’effondrer notre civilisation désormais mondiale.
L’impact négatif de notre espèce sur nos propres mécanismes régulateurs de la biosphère peut être plus ou moins rendu par l’équation I = P.A.T. Dans cette équation, la taille de la population (P) est multipliée par la consommation moyenne de ressources par individu (A pour « affluence »), elle-même multipliée par une unité de mesure de la technologie (T) qui actionne et entretient la consommation. Le produit de P, A et T est l’impact (I), une estimation du niveau de dégradation, par les hommes, des services écosystémiques dont ils dépendent.
A en croire les médias ainsi que les déclarations de nos hommes politiques, les problèmes environnementaux, tels qu’ils sont reconnus aujourd’hui, peuvent être résolus par des changements mineurs en matière de technologie et de recyclage (T). Des véhicules ultralégers et économes en carburant présenteront de toute évidence des avantages à court terme, mais au fur et à mesure que la population et la consommation augmenteront, ils rejetteront toujours plus de dioxyde de carbone (et de caoutchouc vaporisé) dans l’atmosphère. Aucune avancée technologique ne permettra que la population ou l’abondance matérielle continuent à augmenter. Et face à cet état de fait, il est pour le moins étonnant de traiter par le mépris les deux problèmes, pourtant si liés, de la population et de la consommation.
Chaque habitant qui vient aujourd’hui s’ajouter à la population provoque en moyenne plus de dégâts que la personne précédente sur les fragiles mécanismes de régulation de la biosphère, toutes choses égales par ailleurs. Et la raison est simple : Homo sapiens est devenu l’animal dominant grâce à son intelligence. Les paysans n’ont pas commencé par s’installer sur des sols pauvres où l’eau était rare, mais dans de riches vallées fluviales. C’est là que la plupart des villes se sont développées, là, donc, que les sols riches sont à présent recouverts pour construire des routes et des banlieues et que les sources d’approvisionnement en eau sont polluées ou surexploitées. Résultat : pour pouvoir supporter davantage d’habitants, il faut se déplacer vers des terres toujours plus pauvres, creuser des puits toujours plus profonds ou exploiter des sources toujours plus lointaines pour obtenir de l’eau. Il faut ensuite dépenser plus d’énergie pour transporter cette eau sur des distances toujours plus grandes afin d’approvisionner champs, habitations et usines.
Nos lointains ancêtres n’avaient qu’à se baisser pour ramasser du cuivre quasiment pur lorsqu’ils ont commencé à se servir des métaux ; aujourd’hui, il faut dépenser une énergie colossale pour exploiter les mines et faire fondre des quantités astronomiques d’un minerai de qualité toujours plus médiocre, la concentration en cuivre n’atteignant parfois pas un pour cent. Et il en va de même pour d’autres métaux importants. Quant au pétrole, on ne le trouve plus aussi facilement en surface ni même à proximité ; il faut désormais aller le puiser à plus d’un kilomètre de profondeur, souvent dans des endroits inaccessibles : sous des plate-formes continentales maritimes, par exemple. Et toutes ces activités de pavage, forage, production d’engrais, pompage, fusion et transport qui sont nécessaires pour que puisse consommer une population en pleine expansion produisent des gaz à effet de serre, renforçant le lien de cause à effet entre démographie et dérèglement du climat.
Alors pourquoi n’accordons-nous pas d’importance à la question de la surpopulation ? A droite, les tentatives gouvernementales de contrôle des naissances relèvent de l’anathème puisqu’on considère que le rôle de l’Etat dans les chambres à coucher doit se limiter à forcer les femmes à mener à terme les grossesses non désirées. A gauche, on craint, non sans raison, que le contrôle des naissances puisse avoir des relents racistes ou discriminatoires s’il est destiné, par exemple, à réduire le nombre de populations minoritaires ou pauvres. En outre, certains leaders religieux continuent à vanter la sur-reproduction auprès de leurs ouailles. Mais la responsabilité revient principalement à l’ignorance qui conduit les principaux médias, y compris des journaux comme le New York Times, à camper sur leurs positions natalistes. Ainsi, on pouvait lire dans un article du Times du 29 juin qu’on assiste actuellement à une chute des naissances dans les pays industrialisés, les Etats-Unis, dont la population continue à augmenter, constituant une « heureuse exception« .
Le silence qui entoure le facteur surconsommation (A) dans l’équation I=PAT est plus facile à expliquer. En effet, la consommation continue à être perçue comme un bienfait par de nombreux économistes, hommes d’affaires importants et hommes politiques, pour qui l’augmentation de la consommation est la panacée à tous les maux économiques. Trop de chômage ? Poussons donc les gens à acheter un 4×4 ou un nouveau réfrigérateur. La croissance perpétuelle est la raison d’être de la cellule cancéreuse, mais les économistes de bas étage n’ont pas d’autre idée. Certaines économistes de renom commencent pourtant à aborder la question de la surconsommation, mais le problème et ses solutions restent difficiles à analyser. Il faudrait donc que des chercheurs mettent au point des préservatifs anticonsommation ou encore une pilule du lendemain post-frénésie de soldes. Et, bien sûr, il y a la fâcheuse question de la consommation dans les pays pauvres. Une minorité non négligeable des pays émergents possède la richesse suffisante pour acquérir les habitudes de consommation des pays développés (par exemple : manger beaucoup de viande et acheter des voitures). La régulation de la consommation est bien plus complexe que celle de la démographie et il est nettement plus difficile de trouver des solutions humaines et équitables à ce problème.
Notre animal dominant est en train de gaspiller son intelligence et ses formidables accomplissements. En effet, le sort de notre civilisation est actuellement entre les mains de décideurs qui regardent délibérément du côté du confort et du profit immédiats. Il faut débattre et décider si nos congénères veulent un maximum de personnes sur terre vivre avec un niveau de vie minimum ou bien une population beaucoup plus restreinte qui permette aux individus d’avoir le choix entre plusieurs styles de vie. Comment parvenir à un changement qui concerne tout, depuis les politiques démographiques et la transformation des systèmes énergétiques, industriels et agricoles à travers le globe jusqu’aux relations Nord-Sud et interreligions en passant par les positions militaires ? Voilà bien un défi titanesque pour tout un chacun. Hommes politiques, industriels, écologistes, sociologues, simples citoyens et médias doivent participer aux débats. Est-ce possible ? Cela reste à prouver. Mais certaines sociétés ont accompli des transitions majeures dans un passé récent, comme le prouvent la révolution des droits civiques aux États-Unis ou l’effondrement du communisme en Union soviétique.
http://www.goodplanet.info/Contenu/Points-de-vues/La-bombe-humaine/%28theme%29/287 (09/04/2009)
NB : Paul et Anne Ehrlich font partie du Département de biologie et du Center for Conservation Biology de l’université de Stanford. Paul Ehrlich y est Professeur d’études démographiques et de sciences biologiques et Anne Ehrlich est Chargée de recherches.
21 avril 2023, Revue de critique communiste
Quid du racisme, dont le néo-malthusianisme a si souvent été accusé, à tel point que les deux termes se recoupent dans l’esprit de nombreuses personnes ? Dans ce qui reste sans doute à ce jour le meilleur ouvrage consacré à l’histoire de la pensée néomalthusienne aux États-Unis, The Malthusian Moment, auquel ce chapitre doit d’ailleurs beaucoup, l’historien Thomas Robertson a bien montré à quel point il serait simpliste et injuste de réduire Ehrlich à un idéologue raciste. c’est bien Paul Ehrlich, qui défendit lui aussi la nécessité de mettre en place des politiques de redistribution entre le nord et le sud[7], qui alla le plus loin dans ce domaine, s’engageant précocement en faveur du mouvement des droits civiques aux États-Unis, et s’opposant vigoureusement au racisme persistant dans les sciences naturelles et notamment en biologie. Preuve de la longévité de cet engagement, il s’attaqua en 1977 aux positions du prix Nobel William Shockley lorsque celui-ci suggéra que les différences raciales pouvaient être un facteur explicatif de l’intelligence des individus. Et lorsque ses appels au contrôle des naissances furent critiqués par des groupes afro-américains, qui jugeaient insuffisant son anti-racisme universaliste et estimaient que dans une société profondément raciste[8], toute politique démographique comporterait nécessairement des biais racistes, Ehrlich fit preuve d’une remarquable réactivité :
« Le contrôle de la population peut être perçu comme un complot ourdi par des blancs riches pour supprimer les personnes ‘racisées’ du monde. Et malheureusement, dans l’esprit de certains membres de notre société blanche et raciste, c’est effectivement ainsi qu’elle est envisagée ». A l’encontre de positions qu’il avait pu tenir quelques années plus tôt, il ajouta que la plus grande menace pesant sur la survie humaine n’était pas la croissance démographique des populations du tiers-monde mais celle des américains eux-mêmes, « consommateurs et pollueurs par excellence » . Ehrlich ajoute : « Le bébé américain moyen, écrit Ehrlich, a davantage d’impact sur les systèmes vivants de notre planète que de douzaines d’enfants indiens et latino-américains ». Anticipant la critique du racisme environnemental, il remarqua également que « les groupes minoritaires – les noirs, les chicanos – ne sont pas, en général, à l’origine de la pollution, et qu’ils sont au contraire les premiers à souffrir de celle qui est produite par les blancs ».
(cité par T. Robertson, The Malthusian Moment)
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